Le catalogue de Rotari
Da Ponte connaissait-il les portraits « typiques » peints par Pietro Antonio Rotari pour les cours européennes 20 à 30 ans plus tôt, portraits figurant des jeunes femmes idéalisées portant des costumes traditionnels et que Rotari appelait ses « passions » ?
En 1750, il est invité à la cour de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, à Vienne, pour y peindre des sujets mythologiques et des portraits.
Et comme toutes les cours européennes se disputent alors peintres et architectes pour singer les fastueux gaspillages de la cour de Versailles, il exerce aussi à Munich puis à Dresde, et enfin à Saint-Pétersbourg en 1756, réclamé par l’impératrice Élisabeth, fille de Pierre le grand.
Il y meurt en 1762, six mois après l’impératrice. En 6 ans, aidé d'assistants, il aura portraituré toute la cour de Russie et peint des centaines de ses passions en costume russe.
Ces portraits étaient une telle coqueluche qu’en 1764 la nouvelle impératrice de Russie, la grande Catherine 2, achetait tout le contenu de l’atelier du peintre à la veuve de Rotari (moins de 50 roubles le tableau).
Et peu de temps après, l’architecte Vallin de La Mothe, au cœur du monumental palais « versaillais » de Peterhof près de Saint-Pétersbourg, transformait la vaste salle des peintures, entre les deux salons chinois, en salle des portraits, en la tapissant de 368 passions de Rotari, exposées l’une contre l’autre comme une mosaïque.
À l’image, en France, de la cour de Louis 15 dont le sentimentalisme libertin avait réclamé à Watteau, Lancret ou Pater, des représentations de « fêtes galantes », les cours de l’Europe centrale ont raffolé de ces visages de jeunes femmes (essentiellement), empreints de douceur et de mollesse, dont le regard exprimait surtout l’innocence feinte et un abandon calculé.
Le Rijksmuseum d’Amsterdam en a deux, la National Gallery of Art de Washington, trois, l’Alte pinakothek de Munich, six, le Norton Simon museum de Pasadena en Californie, huit. Aucune n’est exposée en permanence. Le musée de Dresde qui possède plus d’une vingtaine de Rotari (dont des portraits d’homme et de la noblesse) en expose peut-être quelques-uns, peut-être les portraits royaux. Le site ne le précise pas.
Les 368 passions de Peterhof ont été invisibles durant des décennies. Vidé avant l’invasion d’Hitler et son armée en 1941, bombardé par Staline qui ne voulait pas qu’un fou sanguinaire autre que lui-même y festoie, le palais, encore en restauration, ne ressemble que depuis peu au Peterhof de La Mothe.
La salle des Rotari, reconstituée, est seulement visible depuis 2013.