dimanche 26 janvier 2025

Louvre : fausse alerte

La fournaise assourdissante de l’entrée du musée du Louvre sous la pyramide de verre, telle que l’envisage la présidente du musée dans les prochaines années de dérive climatique. (Henri Met de Bles, l’Enfer, 190 x 136cm, vers 1530-1550, Venise Palais des doges)  


Alerte générale ! Le musée du Louvre agonise.

L’information était dans tous les journaux de France et de Belgique des 23 ou 24 janvier (ici, , , , et même là). Le drame a été révélé par une note confidentielle - mais généreusement diffusée - de la présidente du Louvre à la ministre de la Culture, publiée par le journal Le Parisien à la une sur trois pleines pages cauchemardesques agrémentées d’un éditorial de la directrice adjointe de la rédaction, qui suggère pour améliorer les conditions de visite - il n’est pas essentiel de réfléchir pour rédiger un journal - la dépose obligatoire des téléphones portables dans une consigne.

Mais pas d’affolement ! Depuis qu’elle a été nommée à son poste par le roi de la République en 2021, et après une année bien naturelle d’observation, la prudente présidente du Louvre ouvre régulièrement un grand parapluie médiatique et claironne que l’état de son établissement est déplorable et indigne du premier musée du monde.
En Janvier 2023 dans la presse, comme en mai 2023 dans une note confidentielle à l’ami du bon gout de la République, note qui a glissé par inadvertance dans la boite aux lettres de la rédaction du Figaro, comme en avril 2024 devant une dizaine de députés de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, et comme aujourd’hui dans cette note confidentielle à grande diffusion, les constats de la patronne du Louvre sont invariables, et ne sont d’ailleurs qu’une compilation en mieux informée des constats amers accumulés depuis belle lurette par les visiteurs mêmes.

On y retrouve l’obsolescence des équipements techniques (ascenseurs, climatisation, canalisations) accompagnée des avaries traditionnelles, comme en novembre 2023 cette fuite d’eau qui entrainait l’annulation ou l’amputation de deux expositions en cours.
Elle évoque aussi les conditions pénibles de visite et de travail, notamment sous la pyramide de verre, le manque, parfois l’absence, d’espaces de repos, de restauration et de sanitaires dans le bâtiment, et l’épreuve physique digne des jeux olympiques que constitue toute visite ("il faut 25 minutes une fois dans le musée pour atteindre un tableau de Poussin ou de De La Tour"). En effet, il y avait jadis plusieurs sorties intermédiaires disséminées qui permettaient de faire beaucoup moins de kilomètres dans le musée. Elles ont toutes été supprimées pour canaliser le client vers la zone des commerces.

La présidente propose que la Joconde, seule destination de 90% des visites, soit localisée dans un circuit isolé pour ne plus perturber la visite du reste du musée (est-ce réaliste ?), et elle réitère son grand projet de réhabilitation du bâtiment. Le nouveau Louvre et sa pyramide ayant été conçus il y a 40 ans pour accueillir 4 millions de visites l’an, il est devenu vital dit-elle d’ouvrir une autre grande entrée à l’est du bâtiment, face à la Place du Louvre, pour absorber les 5 à 6 millions de nouveaux arrivants.

Les solutions proposées, qui ne sont que surenchères, sont sans doute discutables - le vrai problème est de prétendre être le premier musée de l’univers - mais les constats ont au moins le mérite d’avoir été reconnus de l’intérieur de l’Établissement par sa présidente même.
Ils sont néanmoins bien tardifs. Les ressources du musée en fonds publics de la Culture ont fondu à la vitesse des glaciers des Pyrénées, le musée en est réduit à louer son nom à un émirat et ses espaces à des séries télévisées et des défilés de marchands de froufrous et de sacs à main. Et la période n’est pas propice aux longs investissements culturels mais plutôt aux économies inconséquentes.

Il reste les ressources inépuisables de la vanité humaine. La plupart des présidents de la République précédents ont marqué leur territoire en épinglant leur nom à un grand projet culturel, qui à un centre d’art moderne, qui à un musée des arts premiers, qui à une grande bibliothèque nationale. Il n’est pas improbable que le dernier président choisisse d’accrocher le sien à la refonte du plus grand musée du monde, au moins de son réseau d’ascenseurs et de toilettes. Ce serait bien mérité. 
On raconte, depuis 2023, qu’il est sur le point de se saisir du dossier.


Mise à jour du 27.01.2025 : M. Rykner qui, dans sa Tribune de l'Art, caresse régulièrement les gestionnaires du Louvre avec du papier de verre, et qui a une très bonne mémoire des chiffres du musée, a publié aujourd'hui en accès libre un rapide contrôle budgétaire des ambitions de la présidente. Et ça semble particulièrement pertinent. 
Mise à jour du 28.01.2025 : M. Rykner fait le compte-rendu de l'intervention du roi des Français qui vient d'annoncer devant la Joconde son petit projet de réparation et aménagement des sanitaires du Louvre. 
Et pour en finir, probablement avant des années, avec cette farce, Étienne Dumont nous donne, des hauteurs de sa Romandie, le point de vue de Sirius, et c'est très amusant. 
Mise à jour du 03.02.2025 : B. Hasquenoph, comme toujours parfaitement renseigné, s'insurge le 2 février sur son site "Louvre pour tou·te·s" contre les prétendues incuries des précédentes présidences du musée du Louvre insinuées par la présidente actuelle, et oppose au projet sommaire "Le Louvre Nouvelle renaissance" du président de la République quelques arguments, notamment le fait que l'emplacement envisagé  pour la Joconde serait en réalité situé en zone inondable.  
Mise à jour du 14.02.2025 : Vincent Noce, mieux renseigné encore que M. Hasquenoph, détaille avec une précision de comptable les dépenses d'entretien et de réfection engagées par l'administration précédente du musée, dans une chronique de la Gazette Drouot du 14 février intitulée "Tour de magie au Louvre". Peut-être a-t-il été assez malin et surtout stoïque pour : savoir où trouver les bilans annuels d'activité du musée dans le dédale du site ; conserver les bilans d'activité antérieurs à 2018 qui en ont disparu ; trouver et comparer les données comptables dans leurs présentations hétéroclites, quand elles sont disponibles...  

vendredi 17 janvier 2025

La petite industrie des lumières

Avertissement : on sait - voir cette chronique de 2018 - que la loi interdit, au moins en Europe, de reproduire librement les tableaux de René Magritte jusqu’au 31.12.2037. On trouve même des biographies pingres du peintre qui ne montrent pas le moindre tableau. Ceci expliquera la qualité disparate des reproductions en lien dans la présente chronique.


L'exceptionnelle exposition de 7 versions de l'Empire des lumières au MoMA de San Francisco lors de la rétrospective Magritte, "la 5ème saison" en 2018


Représenter aussi platement que possible des choses banales dans des situations singulières, énigmatiques voire paradoxales, était le truc de René Magritte. Il peignait des idées, et leur attribuait à dessein des titres déroutants.

En 1949 il réalisait le premier tableau d’une longue série autour d’une idée pittoresque (ce qui n’était pas rare de sa part), auquel Nougé, patron des surréalistes belges, attribua le nom d’Empire des lumières (le peintre parle parfois de Royaume de la lumière dans certains entretiens). Il avait déjà esquissé quelques fois ce thème avant 1949. 
L’idée originale était de juxtaposer le jour et la nuit sur un même tableau. 

L’Encyclopédie tente de trouver l’origine de l’idée chez un certain nombre d’autres peintres, sans être réellement probante. Amateur averti des techniques photographiques, peut-être Magritte avait-il simplement été marqué par les images réalisées avec le procédé Kodachrome, tout juste arrivé des Amériques. Sous la forme de diapositives, il reproduisait les couleurs vives et les détails lisibles dans les hautes lumières comme dans les ombres profondes, quasiment comme l’œil humain, et les photos prises aux crépuscules rendaient souvent les ciels clairs et les lumières vives dans l’obscurité comme sur les tableaux de Magritte.  

L’idée eut un succès immédiat et les demandes affluèrent, au point qu’en 1953 et 54 le peintre réalisait trois versions très semblables d’un même grand format promis par étourderie à trois riches clients.
Une de ces versions vient de connaitre une apothéose avec l'enchère faramineuse de 121 millions de dollars (voir le tableau ci-dessous)
Magritte n'abandonnera jamais l'idée et l’exploitera jusqu’à sa mort en 1967. 

L’Encyclopédie compte 27 versions de l'Empire des lumières, 17 à l'huile et 10 gouaches, reprenant sans doute le dénombrement du catalogue raisonné de Magritte par David Sylvester en 6 volumes (1992-2012), ce que nous n’avons pas pu vérifier, l’objet se négociant entre 1000€ (dépareillé et incomplet) et 2500$ à 3200$ dans les meilleures épiceries, pour un poids de 25kg.

Le tableau en illustration ci-dessous, pastiche grossier mais évocateur si vous clignez bien les yeux, dissimule habilement toutes les données recueilles sur cette fameuse série de l’Empire des lumières, et contient des liens internes vers les images, ou externes vers les musées ou les sites d’enchères. 
Cliquer sur l’image en rendra les données lisibles mais n’activera pas les liens. Pour cela il suffira d’ouvrir le même document ici au format PDF sur votre navigateur, ou de le télécharger (aux formats CSV, Excel et Numbers également). 
Il présente sans doute des erreurs ou des manques. N'hésitez pas à le signaler dans les commentaires, le tableau sera mis à jour en conséquence.

 

vendredi 10 janvier 2025

Histoire sans paroles (54)

Sumac vinaigrier, château d'Angers, 19 octobre 2022

Youpi ! Encore un record ! C'est la fête !

D’accord il y a les guerres, les massacres, les virus, les présidents cinglés, les ouragans, les catastrophes, tout se multiplie, mais il y a aussi des performances toujours croissantes, des records continuels, des gros titres dans les journaux ! 
C’est une satisfaction, on restera informés jusqu’à la fin.

 

mercredi 1 janvier 2025

Renaissance d’une Nativité

Pour celles et ceux qui, une fois adultes, ont persisté à croire aux contes de fées, la National Gallery de Londres avait prévu cette année un noël de circonstance : exposer dans toute la fraicheur d’une minutieuse restauration un des bijoux de sa collection, la nativité du Christ peinte vers 1485 par Geertgen tot Sint Jans (en français, Gérard de Saint Jean). 

Mais le projet de renaissance a un peu dérivé. La restauratrice qui en était chargée reconnait avoir été surprise par l’ampleur du travail, sur un si petit panneau large de 25 centimètres, comme elle l’explique dans une vidéo (8min.) où elle insiste sur son état de délabrement, bien dissimulé derrière des repeints et une épaisseur anormale de vernis. En 1904 à Berlin, l’incendie de l’appartement de son propriétaire d’alors avait fait bouillir la surface peinte, assombri les couleurs, provoqué des cloques jusque sur le visage de la Vierge et occasionné des soins d’urgence.

Finalement, à la date anniversaire, le panneau n’était pas exposé, mais tout de même reproduit, sans doute à la hâte, sur le site du musée, en une image très détaillée, mais couverte de reflets, de désagréables points brillants par endroits.

Le site de la National Gallery permet la consultation en haute définition mais ne permet plus les téléchargements, depuis quelques temps, qu’en basse qualité (eh oui, même cette vénérable institution dont la visite est gratuite fait la quête). Néanmoins Ce blog est plat, toujours prêt à satisfaire son lectorat le plus exigeant, a réussi par les moyens de l’intelligence naturelle à récupérer l’image et à réduire certaines brillances excessives de la photo originale (notre illustration).

À propos du peintre, Geertgen était de la deuxième génération des héritiers de Jan Van Eyck aux Pays-Bas. À peine une quinzaine d’œuvres lui sont attribuées, du bout des lèvres. Les plus belles sont sans doute à Vienne le Christ mort et les Restes de Jean-Baptiste, et à Berlin ce dernier dans le désert. Amsterdam en a trois plus ou moins attribuées, et même le Louvre en expose une, médiocrement reproduite. 

Comme chez Petrus Christus, il y a dans le style de Geertgen une raideur, une fraicheur un peu naïve, mais plus attachante que chez son ainé, par une sorte de proximité, de familiarité avec ses personnages, d’humanité dans ses portraits. Il serait mort avant 30 ans.