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vendredi 10 janvier 2025

Histoire sans paroles (54)

Sumac vinaigrier, château d'Angers, 19 octobre 2022

Youpi ! Encore un record ! C'est la fête !

D’accord il y a les guerres, les massacres, les virus, les présidents cinglés, les ouragans, les catastrophes, tout se multiplie, mais il y a aussi des performances toujours croissantes, des records continuels, des gros titres dans les journaux ! 
C’est une satisfaction, on restera informés jusqu’à la fin.

 

lundi 8 juillet 2024

Histoire sans paroles (52)


L’affaire de la crue de la Seine
Fin janvier 1910, en quelques jours, Paris s’est crue Venise. La préfecture de police envoyait alors les inspecteurs de l’identité judiciaire. Ils inspectèrent, prirent des mesures, réfléchirent. Le citoyenmarchant sur l’eauattendait un responsable.
Un siècle plus tard, le suspect court encore et menace toujours. Mais pas d’inquiétude, la science a progressé, elle connait le coupable et le surveille. Et en cas de récidive, elle est préparée, elle a inventé un nouveau mot : la résilience des populations.
 
Ci-dessous, Porte de la Gare, Paris 13ème, le 31 janvier 1910.

vendredi 7 juin 2024

Ça va trop vite (Ben)

 

– Ça passe pas vite aujourd'hui.

– Évidemment, tu bois rien.

JM. Gourio - Le petit troquet des brèves de comptoir. On ferme ! 2015



Ben Vautier, l’artiste conceptuel qui signait de son nom les textes des autres, le préféré des écoliers et des fournisseurs de matériel scolaire et de bureau, n’est plus.


C’est allé très vite.

Le 3 juin, il écrivait, dans une dernière newsletter de son journal en ligne, quelques-unes de ses petites irritations habituelles,

Le 4 juin, sa femme mourait à 85 ans d’un accident cérébral,

Le 5 juin, il stoppait tout le manège d'une manière non conventionnelle (il avait écrit dans sa newsletter du 11 mai 2022 J’aimerais en cadeau un Beretta chargé pour pouvoir me suicider quand j’en ai envie.) 


Depuis notre chronique de 2019, il n’y a rien à ajouter sur son art, ses slogans aléatoires et sa mégalomanie bonhomme. Cet héritier des Fumistes - en moins rigolo - est entièrement dans son Musée du doute, à Blois.


Pendant ce temps-là…


Arrhenius, chimiste visionnaire, prédisait déjà en 1895 que si le taux d’émission de gaz carbonique des industries de son époque doublait, la température moyenne de la Terre augmenterait de 4°C à 5°C dans les 3000 ans à venir. On ne l'avait pas réellement pris au sérieux.

130 ans plus tard, aujourd’hui, il ne passe pas une semaine sans qu’une retentissante tribune dans les principaux journaux quotidiens, signée par des scientifiques reconnus de plus en plus nombreux, nous fasse comprendre que le dérèglement climatique va plus vite que ce que prévoyaient leurs algorithmes, beaucoup plus vite. 

Ils savent que les décideurs ne feront rien, mais ils se libèrent ainsiiciiciiciicid’une responsabilité imaginaire.


Ben en aurait produit un de ses dictons multiusages : Ça va trop vite. 

Peut-être, parmi des milliers, l’a-t-il déjà écrit. 


dimanche 4 février 2024

Améliorons les chefs-d’œuvre (28)

La Joconde améliorée, traitement numérique "à la Warhol", d’après un détail extrait d’une vidéo parue sur Le Parisien et filmée sans doute par David Cantinia de l’Agence d’État AFP (crédité sur certaines photos) et qui était là au bon moment. 
Voir aussi le détail brut extrait et non traité (GIF 619px 13Mo), le même au ralenti traité à la Warhol (GIF 450px 14Mo), ou réduit et en aller-retour (GIF 195px 10Mo), et une image fixe dramatisée extraite d’une vidéo CLPRESS).


Ce Glob faisait il y a 6 mois un tour succinct du phénomène d’Amélioration des chefs-d'œuvre des grands musées par les désespérés de l’écologie. Succinct parce que généralement ces actions manquent de savoir-faire, sont filmées à la hâte, et sont surtout trop éphémères. Tout est remis en ordre sans délai par les équipes d’entretien des musées et il n’en reste jamais de trace. 
Les matériaux employés sont pourtant novateurs, souvent comestibles, tarte à la crème, gâteau au chocolat, sauce tomate, purée de pomme de terre, potage aux légumes variés, pétrole, colle forte…, même si les techniques, héritées de la fameuse Abstraction gestuelle, ne sont pas très innovantes.
Et c’est peut-être ce qui nuit à cet art. Qui consulte aujourd’hui les médias constate que pour être un art contemporain il n’a décidément pas la faveur de nos contemporains.

Dimanche dernier 28 janvier au Louvre, deux artistes d’une obédience de résistance civile pacifique tentaient d’améliorer la Joconde de Léonard en maculant la vitre de son coffre blindé de soupe de légumes, à la manière de Jackson Pollock dans ses inspirations les plus lyriques, et avec un bel effet sur le bleu tuile de la cimaise, par le choix judicieux du potimarron. Mais l’action était malhabile, les deux courageuses débutantes ayant, emportées par leur courroux et dans la confusion des giclées de potage, salopé un peu partout autour de la noble italienne.

Évidemment, la presse, les réseaux sociaux et les ministres s’offusquèrent, avec la réthorique habituelle, "l’art c’est la culture, la culture c’est la nation, on ne peut tolérer d’atteinte à notre identité nationale, etc… etc…", "pourquoi gâcher ainsi de la nourriture…", et les commentaires étaient souvent injurieux et vindicatifs.
Même le narquois critique d’art suisse septuagénaire et progressiste du magazine bilan.ch était outragé et s’en prenait aux Verts écologistes et autres politiciens, les accusant d’inaction climatique, de luttes intestines, d’erreurs de cible, et reportant son amertume sur les deux innocentes, les accusant presque de couardise en affirmant qu’elles savaient ne rien risquer. Détrompez-vous M. Dumont, car plus la menace climatique approche, plus la législation et la répression se radicalisent en Europe, et les paisibles contestataires - voir par exemple le sort des opposants à la poubelle nucléaire de Bure dans la Meuse - sont désormais traités par la police et la justice à l'égal des terroristes (ce qui n’est pas le cas pour certains mouvements moins rigoureux en matière d'environnement).

Mais Ce Glob étant une publication paisible consacrée essentiellement aux images, on ne refera pas ici l’argumentaire sur le sujet ressassé de l’utilité de ces évènements artistiques, France-Culture en a fait en 2022 un récapitulatif pondéré suffisant (attention, le comprendre nécessite un cerveau qui sait traiter plus de 150 caractères).  

On notera en passant, à la vue de ces vidéos capturées sur le vif, que si la Joconde, comme le musée l’affirme souvent, voit défiler au moins 21 000 touristes chaque jour, ça ne marche manifestement pas pour le 28 janvier, un dimanche matin pourtant, puisqu’on ne dénombre ici qu'une cinquantaine de visiteurs dans l'immense salle des États, devant le spectacle des deux artistes et du fleuron de la culture française. Par chance l'AFP y était.

mercredi 6 septembre 2023

Améliorons les chefs-d’œuvre (27)

Le mystère des tableaux qui fondent

Dans le Dictionnaire de la peinture par les peintres, Pascal Bonafoux cite Cézanne à propos des tableaux de Delacroix qui se décomposaient déjà du vivant du peintre :
Un jour, devant l’Entrée des croisés à Constantinople de Delacroix, Cézanne dit à Gasquet : "Nous ne la voyons plus. J’ai vu, moi qui vous parle, mourir, pâlir, s’en aller ce tableau. C’est à pleurer. De dix en dix ans, il s’en va… Il n’en restera, un jour, plus rien… Si vous aviez vu la mer verte, le ciel vert. Intenses […] Quand il l’exposa, on cria que le cheval, ce cheval était rose. C’était magnifique. Une rutilance. Mais ces sacrés romantiques, avec leur dédain, usaient d’atroces matières. Les droguistes les ont volés comme dans un bois."


Fin 2022, dans un hommage au grand Pierre Soulages, nous suggérions de surveiller ses lourds panneaux de goudron suspendus dans les grands musées, qui ne résisteront pas perpétuellement aux exigences de la gravité. 
Or à peine éteint l’écho de son oraison funèbre par le président de la République et entamé le "dialogue du défunt avec les siècles", des tableaux du peintre exécutés vers 1960 se mettaient à couler dans les réserves des "Abattoirs, Musée – Frac Occitanie", le musée d’art moderne de Toulouse.

Que des matières qui ne devraient pas se liquéfier coulent miraculeusement, la chose est courante, parfois avec ponctualité, comme à Naples où le sang de saint Gennaro fond dans sa fiole trois fois par an pour des périodes suffisamment longues et précisément planifiées pour le bénéfice des commerçants de la ville et le prestige des autorités religieuses.

Dans le secteur de la peinture également, la question est connue depuis le début du 19ème siècle, avec la commercialisation des peintures en tube et le mélange dans les couleurs de produits chimiques instables, du zinc friable au bitume et au plomb qui ne sèche jamais. De nos jours, les tableaux des plus mauvais techniciens parmi les grands peintres du 19ème siècle, de Prud’Hon à Delacroix, bougent encore ; après 200 ans la couche picturale se déforme toujours, gonfle ou se contracte, se décolore, noircit... 

Dans le cas de Soulages, plutôt qu’à un miracle surnaturel, on a probablement affaire à l’indélicatesse d’un fabricant, ou aux expérimentations téméraires du peintre qui, déjà très demandé, noircissait alors facilement ses deux à trois mètres carrés de toile par jour ; à ce débit-là on n’est plus très regardant sur la qualité des matériaux.


Nul n’est censé ignorer que la loi sur les droits d’auteur interdit de reproduire librement les œuvres d’artistes morts depuis moins de 70 ans. On devrait attendre 2093 pour illustrer cette chronique. Tout aura alors fondu. Aussi avons-nous opté pour Craiyon, alias DALL-E, l’intelligence artificielle qui se rit des droits d'auteur. Nous lui avons demandé d’illustrer "Soulages pensif devant un de ses tableaux qui coule comme de la guimauve". Sans doute n’avons nous pas été assez clair, il parait que guimauve se dit marshmallow en anglais. Mais au moins sommes-nous en règle avec l’état du droit. 


L’experte en Soulages chargée du diagnostic et de la restauration (voir cette vidéo CNRS de 7min.) note que le phénomène, l’huile qui s'écoule des empâtements, se produit sur des tableaux de Soulages présumés secs peints entre décembre 1959 et mars 1960, mais aussi sur les toiles d’autres peintres qui travaillaient alors également à Paris (Georges Mathieu, Willem de Kooning, Joan Mitchell…) 

Et le phénomène constaté à Toulouse dans les réserves des Abattoirs se produit sans doute dans d’autres musées puisque certains peintres cités par la restauratrice ne sont pas représentés à Toulouse.
Il ne serait pas étonnant que le dérèglement climatique, qui s’accentue au-delà des prévisions, notamment la chaleur, ait commencé à dégrader les délicates conditions de conservation dans les musées.

Ainsi, entre la peinture romantique qui n’en finit plus de se décomposer, la peinture impressionniste qui pâlit et s’émiette au moindre courant d’air, et la peinture expressionniste abstraite qui se met à fondre, les règles de gestion des droits de reproduction des œuvres, au moins dans ce secteur, pourraient être simplifiées. À quoi bon poireauter 70 ans encore après la mort de l’auteur pour accueillir dans le domaine public des tableaux qui n'ont pas même attendu la fatale échéance pour s'abandonner au pire des délabrements ?

samedi 13 mai 2023

Ce monde est disparu (1)


Avant-propos 

C’est entendu, tout doit disparaitre, toutes choses auxquelles on s’était habitués, des plus grandes aux plus petites, de la reine d’Angleterre au climat raisonnable de la planète, nous rappelle la science dans ce petit article sur le "point de non retour".
Et chaque jour des mondes qu’on ne connaissait pas - il y en a eu tellement de peints ou de dessinés - apparaissent et s’évanouissent en quelques heures. Cela se passe dans les salles de vente aux enchères, par centaines. 

À peine découverts on sait qu’on ne les reverra jamais. Ils iront s’abimer dans les réserves ordinairement invisibles de quelque musée obsédé de sa collection, s’enterrer hors taxes au fond du coffre-fort d’un port franc au cœur de la Confédération helvétique, parfois se voiler lentement de poussière et de fumée de cigare dans le salon privé d’une famille bourgeoise. 

Ce court moment d’existence publique est un prodige. Les salles de ventes ne les exposent dans leurs locaux, n’en publient les catalogues papier, ne les présentent en ligne sur internet, qu’afin de vanter le produit et d’encourager ce miracle des marchands qu’est la fixation du prix par le plus offrant, sans régulation ni retenue.
Après quoi, en quelques jours, ces mondes retrouveront le silence et l'obscurité, où les belles reproductions ne sont généralement pas maintenues.

Voilà quelques années nous conseillions ici-même aux amateurs d’art abstrait, tellement frustrés sur internet à cause de l’absurdité toujours croissante des principes des droits d’auteur, de hanter les sites de vente aux enchères, d’en copier les images (par tous les moyens) et de se constituer ainsi des pinacothèques personnalisées, uniques (mais qu’ils ne pourraient jamais rendre publiques, ou seulement 70 ans après la mort des auteurs !)

Aussi inaugurons-nous aujourd’hui, afin de prolonger un peu la vie de ces mondes éphémères (au moins ceux du domaine public), une rubrique "Ce monde est disparu" où nous publierons régulièrement de belles reproductions de ces mondes passés en vente publique et bientôt invisibles.

Quant au titre de cette rubrique, entre la 8ème de 1935 et la 9ème édition du dictionnaire de l’Académie française, l’usage rare mais subtil (oiseux diront certains) de l’auxiliaire être avec le verbe disparaitre a disparu. On ne peut plus constater qu’une chose est disparue mais seulement affirmer qu’elle a commis l'acte de disparaitre (Victor Hugo dans "Oceano Nox" distinguait les deux emplois). Cependant l'édition du Dictionnaire, actuellement suspendue autour des mots somme, somnifère, somnolence, n’est pas complète. Sera-t-elle un jour achevée ou les immortels seront-ils tous disparus avant la fin de la fatidique lettre Z ?

________________________

Jan Siberechts était un peintre flamand durant la seconde moitié du 17ème siècle, d’abord à Anvers, puis en Angleterre pendant les 30 dernières années de sa vie. Toujours original et minutieux (dans les arbres notamment) il avait un fort faible pour les personnages passant un gué, qui font peut-être la moitié de sa production (4 à Anvers, 3 (?) à Lille, à Cleveland, à Denver…)

Le 24 mai 2023 un peu avant 17 heures chez Christie’s à New York (23 heures à Paris), ce paysage de voyageurs, ce curieux escalier que descend un eau paresseuse sous l’arche d’un pont et cette fin d’après-midi automnale disparaitront.

jeudi 14 juillet 2022

Améliorons les chefs-d'œuvre (23)

13 mars 2018. Des membres du collectif "Libérons le Louvre" protestent contre le groupe pétrolier Total devant le Radeau de la Méduse de Géricault. Quel calme dans l’immense salle Mollien, vitrine de toutes les légendes sur l’histoire de la France !

L’affaire, comme à chaque fois, n’est pas passée inaperçue, car le moindre geste hostile contre le plus parfait symbole de la France (bien que d’origine italienne) est un sacrilège, une insulte à la Patrie, à l’Art, à l’Humanité.

Alors se travestir en inoffensive vieille dame handicapée en fauteuil roulant, conquérir, avec la confiance des surveillants, une épaisseur de 15 mètres d’une foule indistincte, puis grignoter 3 mètres encore en étant admis dans la zone de sécurité, se trouver enfin à 2 mètres de l’idole, se lever brusquement en rejetant d’un geste théâtral le voile qui cachait l’arme du crime et, contre la vitre blindée de la cabine où se morfond le buste de la transalpine rombière, projeter une grosse tarte molle essentiellement faite de crème Chantilly ou pâtissière, tout cela constitue pour la justice une tentative de dégradation d’un bien culturel. 

Ce ne sont toujours que des tentatives, rassurez-vous. La Joconde n’a pas une égratignure. Seul le temps peut se vanter de l’outrager encore.

Cependant pour endiguer toute tentative d’imitation qui pourrait dégénérer, l’institution a mis en place au Louvre un processus bien réglé : encerclement courtois par le service d’ordre du musée, remise des coupables aux services de police, dépôt de plainte systématique, fine analyse psychologique à l’infirmerie de la préfecture de police, qui conclut sans délai, et relate à la presse bouche bée que les propos incohérents et les revendications incompréhensibles des personnes révèlent sans conteste un comportement psychotique qui exigera un enfermement d'une durée indéterminée (lire des exemples similaires en 2009 et 2013).

Le 29 mai vers 18 heures, avant d’être emmené par la police, l’entarteur criminel lançait, après sa pâtisserie sur l’idole, des roses dans le public en déclamant "Il y a des gens qui sont en train de détruire la Terre, les artistes, pensez à la Terre, c’est pour ça que je l’ai fait". 
Il a fait comme nombre de désespérés, surtout en Angleterre où ils sont très organisés, qui réagissent au dérapage sans frein de l’économie libérale et de la finance déboutonnée en fomentant des coups d’éclat dans les musées, généralement bénins mais assez voyants pour provoquer un écho dans les médias. 

"Mais pourquoi s’en prendre à ce pauvre morceau de bois sous perfusion ?"

Justement parce qu’il est l’emblème de toute autorité, parce qu’on en a fait l’idole qui n’a pas à prouver sa légitimité, relique intouchable qu’on vénère à distance et qui guide tout le fonctionnement de l’institution. Sans elle le Louvre errerait. 
Y a-t-il symbole plus évident de l’autorité ? Depuis 2005 on sait qu’elle est indestructible, au fond de son aquarium, sous bonne garde, et qu’on n’égratignera qu’un symbole, mais ce sera devant des centaines de badauds et autant d’appareils de prise de vue reliés en permanence aux réseaux d’information (*).

"Soit, mais le stratagème est-il réellement utile, ne fait-il pas seulement la très brève popularité de ces cassandres sans améliorer celle de leur cause ?"

Ah, ils ont tout de même obtenu de petites victoires ! Certains des plus grands musées, de Londres à New York (le Louvre résiste encore), ont renoncé au soutien financier des grandes compagnies pétrolières qui depuis longtemps s’achètent indulgences, bonne conscience et avantages fiscaux au moyen du mécénat (comme les compagnies pharmaceutiques et l’industrie de la mode), et ne font rien pour limiter leur impact sur le dérèglement climatique.
Reconnaissons-le, c’est peu. On griffe l’image de marque de quelques sociétés multinationales, alors que le secrétaire général des Nations-Unies en personne, lui aussi désespéré, vient implicitement de reconnaitre qu’il est déjà trop tard, et de pointer la responsabilité des 20 plus grands pays de la planète.

Mais le citoyen est trop gentil. Il rit sans retenue quand il voit un représentant de l’autorité souillé par la réception d'un objet mou gorgé de crème. Il pense que bafouer l’autorité en la ridiculisant publiquement suffira à le soulager de ses humiliations. 
Or ça n’est qu’une illusion qui ne fait que les prolonger, et l’autorité le sait bien qui lui permet de libérer la soupape de son ressentiment à date fixe, dans des festivités supervisées inscrites au calendrier.
Dans Chroniques du village global, Umberto Eco se demandait "une lutte armée est-elle possible un dimanche de championnat ?"

Bonne fête du 14 juillet !

***
* C’est d’ailleurs là, pour le service d’ordre, la limite de la courtoisie. On aura peut-être noté à l’écoute attentive de la fin de l’extrait central de la vidéo que deux membres de la sécurité enjoignent à l'auteur de la vidéo d’arrêter de filmer.

samedi 19 mars 2022

Fin d'un monde


Ce tableau de Canaletto, vue architecturale d’une ville portuaire imaginaire sous un portique et une lanterne, ne serait pas de Canaletto. Les catalogues de l’œuvre du peintre et le Chicago Art Institute, musée qui le détient (avec un pendant), l’attribuent à un suiveur anonyme, sans justifier cet avis, ou parfois l’ignorent. C’est toutefois une reprise, à la fois très fidèle pour certaines parties, et totalement réinventée pour d’autres, d’une gravure incontestée de Canaletto. Est-ce qu’un copiste aurait pris ces libertés ? Et on y retrouve le plus beau style du peintre, les nuances nacrées des coloris et ses touches cursives et liquides traçant les effets de la lumière sur les détails ensoleillés.


Du temps de Canaletto, Venise déclinait déjà. Ses tableaux, si détaillés, en témoignent ; les murs se fissurent, se couvrent de moisissures, l’humidité ronge. La cité n’est plus qu’un décor mélancolique encadré d’or dans les salons ou les souvenirs de riches touristes anglais.

Tout aura été tenté pour sauver Venise, jusqu’au projet titanesque, au 21ème siècle, de stopper les hautes eaux en fermant la lagune pour empêcher l’eau d’entrer, projet fourni avec les détournements, manigances politiques et malversations diverses qui siéent
Mais ces efforts sont inutiles. On ne peut rien contre l’eau, qui ne connait pas d’obstacle. C’est à cause de l’insouciance de la liaison des atomes d’hydrogène dans les molécules d’eau, dit la chimie, qui a réponse à tout.

Et puis le niveau global des mers monte irrémédiablement. Année après année les prévisions s’aggravent. 50 centimètres avant la fin du siècle. Le deuxième volet du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) l’affirme. Mais qui lit les rapports du GIEC ?
Au moins le secrétaire général des Nations-Unies, puisque l’organisme dépend de son administration. Et sa dernière lecture l’a bouleversé. Il n’a pu se retenir de l’annoncer dans une poignante déclaration de 99 secondes, le 28 février 2022.

Personne ne l’a écouté, ou si peu. C’est son problème, au secrétaire général de la planète Terre, tout le monde se fout de ses recommandations. Alors forcément ça le navre, quand ses centaines de climatologues lui annoncent qu’on a passé un point de non retour, et qu’on atteindra inévitablement un minimum de réchauffement de 1,5° en 2030, 2° en 2050 et 3° en 2100, escorté de toutes les catastrophes naturelles collatérales, et en tenant compte pourtant des promesses des États (qui ne seront jamais tenues).

Quand l’assiduité de ses riches clients anglais mollissait, Canaletto trompait parfois son ennui sur des gravures ou de petits tableaux d'architectures disparates, des caprices dont il avait découvert l’idée à Rome chez Codazzi et Panini. Il mêlait des vestiges de toute époque et de tout lieu, arches, temples romains, palais vénitiens, en un point imaginaire où seraient venues s’engloutir l’une après l’autre toutes les civilisations de la Terre.

Dans ses cauchemars Monsieur le secrétaire général de la Planète erre sans doute parmi ces ruines.


Canaletto, vue architecturale d’une ville portuaire imaginaire sous un portique et une lanterne (gravure)

mercredi 2 mars 2022

La poésie à l’huile



Confrontés à l’aggravation des conséquences catastrophiques du dérèglement climatique, annoncée hier par le Groupe international d'experts sur l'évolution du climat, les dirigeants de la planète, qui ne voient pas plus loin qu'une échéance électorale, resteront hébétés et inertes.
Mais s'il s'agit pour nos maitres de faire oublier leurs erreurs et relancer la sainte croissance économique anémiée par leur politique sanitaire, les vieilles habitudes reviennent, et on entonne sans hésiter le refrain impérialiste, contre le peuple ukrainien pour commencer.
Immédiatement les marchés se réjouissent, le prix de l’or grimpe vers le record absolu qu’il avait atteint au début de la pandémie, et le pire de tout, le plus laid et le plus raté des triptyques du peintre Francis Bacon s'achète 51 millions de dollars chez Christie’s.

Oui, ça fait beaucoup, la coupe est pleine. Il est temps de revenir aux fondamentaux, à la poésie, et pas n’importe quelle poésie, pas la poésie au beurre ou à la graisse, non, la poésie à l’huile ! C’est le grand expert Éric Turquin qui le dit. 

Nous avons déjà présenté, voici un mois, les Fraises des bois de Chardin, tableau légendaire qui sera proposé aux enchères le 23 mars prochain chez Artcurial. Dans sa courte vidéo promotionnelle, M. Turquin nous apprend que l’encyclopédiste Denis Diderot adorait la peinture de son contemporain Chardin, mais reconnaissait ne pas comprendre sa magie. Or M. Turquin sait pourquoi et nous le dit, osant même, dans l’exaltation, une métaphore culinaire « tout simplement parce que Chardin c’est un immense poète à l’huile ». On ne saurait faire plus imagé. 

Et vous pourrez dès maintenant en déguster toute la poésie en très haute définition sur le site d’Artcurial, découvrir sur les radiographies les repentirs du peintre, et vérifier les voyages du tableau sur les étiquettes collées au dos du cadre (notre illustration).

Évidemment tout cela sera superflu si vous allez sur place, à l’hôtel des ventes, à Paris 9 rue Drouot, salle 9, les lundi 7 ou mardi 8 mars, entre 11h et 18h précisément, ou à l'extrême limite chez Artcurial au 7, rond-point des Champs-Élysées, Paris 8ème, du vendredi 18 au mardi 22 mars, entre 10h et 18h (sauf dimanche matin).

samedi 6 novembre 2021

Il n’y a plus d’Antidote (billet d’humeur)

Distributeur de sodas dans un monde sans dictionnaire (c'est assez terrifiant), Demeure du chaos, 2015.
 
Il est malheureux, pour un blog considéré en moyenne par 100 à 200 visites hebdomadaires (1), de perdre du jour au lendemain sa principale source d’inspiration, un bon dictionnaire, et pour un motif certes classique, mais vulgaire, la cupidité ! 

(1) Les statistiques de Gougueule déclarent 630 visites par chronique, mais étalées sur 15 ans. Et doit-on croire des chiffres fournis par l’entreprise qui en est la première bénéficiaire, et qui envoie systématiquement dans le piège sa cohorte de robots de surveillance et parfois un internaute égaré, qui presse immédiatement, éberlué, le bouton de retour en arrière ?

Un peu de technique pour les profanes. 
Pour être agréable à lire, un texte doit être fluide comme la pensée, mais plus précis qu’elle, qui cahote généralement dans une mare de confusion. Il faut, dans ce but, la figer dans le mot exact, qui aura bien entendu un sens différent à la lecture de chacun, mais on n’y peut rien. 

Le vieux Boileau peut toujours affirmer fièrement, au vers 153 de son art poétique, « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement », pour l’auteur d’un blog qui ne dispose que d’un cerveau moyen de 1300 grammes tout mouillé et dont la rumeur dit qu’il n’en utilise que 130, les outils informatiques, qui apportent instantanément orthographe, synonymes, antonymes, définition, genre, citations et conseils grammaticaux, sont vitaux. 

Antidote, outil linguistique produit par les Canadiens (2), était le couteau suisse de ce blog depuis presque 10 années. Les adeptes comprendront pourquoi. 

(2) Les Canadiens du Québec, peut-être parce qu’il sont menacés de l’intérieur par l'anglais, défendent mieux la langue française que les grands classiques français, Robert ou Larousse, dont l’offre numérique est indigente (à l’exception du CNRTL, mais qui aurait besoin d’un bon renouvèlement).
  
Or à l’instar de Photoshop, puis de la suite Microsoft, et maintenant de la plupart des logiciels à qui la réussite financière a montré le début d’un orteil, Antidote change aujourd’hui de modèle économique. 
Afin de racler définitivement les phynances du brave blogueur bénévole, il cesse de maintenir le dictionnaire acheté (et qui mourra doucement d’obsolescence en peu d’années, ou quelques mois) et le transforme en un rutilant droit d’utilisation du logiciel (3), payé par un abonnement à prélèvement, renouvellement et résiliation automatiques.

(3) Cette année, Antidote supprime le logiciel sans abonnement sur les téléphones et tablettes seulement, pas encore sur ordinateur (où subsiste l’achat de la mise à jour en option). 
Vous trouverez la description des avantages de ce nouveau modèle économique abusif et totalement déséquilibré dans notre chronique de 2013, Légère retouche au modèle, à propos de Photoshop.  

5 euros par mois ! Un détail, direz-vous. Mais un détail de plus. C’est ainsi qu’on tolère sans le remarquer, jour après jour, le resserrement des chaines de notre propre captivité.
Écoutons plutôt Étienne de la Boétie et abandonnons rondement ce dictionnaire pour un autre, peut-être moins agréable, moins commode, mais notre indépendance vaut bien ce petit effort, sans quoi Ce Glob serait vite contaminé par l’anarchie ; la faute d’orthographe, la pauvreté des épithètes, les clichés de langage, les barbarismes y pulluleraient.

Et à cela, à l’image du sort inéluctable du climat de la Planète, il n’y aurait plus la moindre antidote.

jeudi 16 janvier 2020

2019, 2020, tout augmente

Il y a 500 ans déjà, dans les médias, l’avenir de l’humanité ne se présentait pas sous un jour très favorable. Ci-dessus le témoignage de Jérôme Bosch dans son jardin des délices (Madrid, musée du Prado).


Comme chaque année depuis 1989, le film de l’année 2019, celui qui mériterait d’emporter toutes les récompenses, les césars, les palmes d'or, c’est le zapping de l’année télévisuelle, minutieusement assemblé par Patrick Menais.
C’est sa 30ème édition (2016 manque, c’était l’année de son licenciement de Canal+).
Pour des raisons juridiques, le zapping s’appelle maintenant VU. « VU 2019, le VU de l’année » est diffusé sans frais jusqu’au 3 février 2020 sur le site France.tv. Les années précédentes de VU, 2017 et 2018, sont encore plus ou moins disponibles, ici et (prévoir 4h par année).

On y voit donc ce que la télévision française a montré d’un an de notre vie sur la planète. L’ingénieux Menais en a reclassé des centaines d’extraits à sa manière, et leur confrontation donne aux évènements une perspective singulière. Il en ressort une sorte de farce ironique, grinçante, noire.

Certains diront qu’ils n’y ont rien vu de nouveau, que le scénario et les idées fixes de Menais sont les mêmes depuis 30 ans, et qu’on y serine des sujets qui nous ont été chantés sur tous les tons à longueur d’année. Évidemment. Menais peint une fresque sur l’espèce humaine. Elle n’évolue pas, ou peu, à l’échelle d’une génération, mais il faut être juste, elle se surpasse d’année en année.
Et en 2019, certaines performances ont pulvérisé tous les records.

À commencer par un record dont tout le monde scientifique admet maintenant qu’il est un résultat des actions humaines, le record absolu de température en France, le 28 juin à 16h20.
45,9°C, presque 2 degrés de plus que le précédent record de 2003, couronnement d’une année riche en catastrophes climatiques, déluges, inondations et gigantesques incendies de forêt. Toutes choses si spectaculaires et hypnotiques qui font de l’actualité une superproduction hollywoodienne, avec une différence appréciable néanmoins, car dans les « films catastrophe » quelque héros désintéressé parvient toujours à sauver l’espèce humaine.
Sur ce point, l’inaction des gouvernements a atteint en 2019 des hauteurs inégalées.

Autre record presque absolu, les dividendes distribués aux spéculateurs actionnaires des grandes multinationales ont dépassé cette année ceux d’avant la crise financière de 2008, et la concentration de la richesse et donc du pouvoir s’en trouve renforcée et déshinibée, à l’image de cette dérisoire secrétaire d’État qui joue de sa position pour participer à des émissions populistes et populaires, et bénéficier de ce vedettariat pour promouvoir ses livres.

Et puis, prouesse sans précédent, la police n’avait jamais arraché impunément autant de mains ni crevé autant d’yeux de manifestants et de grévistes depuis longtemps, et c’est stupéfiant de voir sur ces vidéos trop furtives ce métier exercé avec un plaisir si manifeste à détruire anonymement ses congénères et avec la bénédiction des éditorialistes, des ministres et du président.

Finalement, une année plutôt réussie pour la télévision.
Que lui manque-t-il ? Le tir à balle réelle de la police sur des manifestants pacifiques, un accident nucléaire catastrophique qui contamine irrémédiablement tout une région dans le parfait silence des autorités ?
N’oublions pas qu'une attraction extraordinaire au cœur de Paris en avril, cette cathédrale qui s’effondrait sous les flammes, a diffusé sur la capitale, en même temps que les images d’un spectacle exceptionnel comme un don du ciel médiatique, environ 400 tonnes de plomb en fumée, soit 4 fois les émissions françaises d’une année en quelques heures seulement.

Alors ne soyons pas impatients, tout est prêt pour que le pire survienne.
Et il est bon d’en garder un peu en réserve pour que soit encore plus palpitant le zapping de 2020, et des années suivantes tant que la télévision fonctionnera.