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jeudi 16 janvier 2020

2019, 2020, tout augmente

Il y a 500 ans déjà, dans les médias, l’avenir de l’humanité ne se présentait pas sous un jour très favorable. Ci-dessus le témoignage de Jérôme Bosch dans son jardin des délices (Madrid, musée du Prado).


Comme chaque année depuis 1989, le film de l’année 2019, celui qui mériterait d’emporter toutes les récompenses, les césars, les palmes d'or, c’est le zapping de l’année télévisuelle, minutieusement assemblé par Patrick Menais.
C’est sa 30ème édition (2016 manque, c’était l’année de son licenciement de Canal+).
Pour des raisons juridiques, le zapping s’appelle maintenant VU. « VU 2019, le VU de l’année » est diffusé sans frais jusqu’au 3 février 2020 sur le site France.tv. Les années précédentes de VU, 2017 et 2018, sont encore plus ou moins disponibles, ici et (prévoir 4h par année).

On y voit donc ce que la télévision française a montré d’un an de notre vie sur la planète. L’ingénieux Menais en a reclassé des centaines d’extraits à sa manière, et leur confrontation donne aux évènements une perspective singulière. Il en ressort une sorte de farce ironique, grinçante, noire.

Certains diront qu’ils n’y ont rien vu de nouveau, que le scénario et les idées fixes de Menais sont les mêmes depuis 30 ans, et qu’on y serine des sujets qui nous ont été chantés sur tous les tons à longueur d’année. Évidemment. Menais peint une fresque sur l’espèce humaine. Elle n’évolue pas, ou peu, à l’échelle d’une génération, mais il faut être juste, elle se surpasse d’année en année.
Et en 2019, certaines performances ont pulvérisé tous les records.

À commencer par un record dont tout le monde scientifique admet maintenant qu’il est un résultat des actions humaines, le record absolu de température en France, le 28 juin à 16h20.
45,9°C, presque 2 degrés de plus que le précédent record de 2003, couronnement d’une année riche en catastrophes climatiques, déluges, inondations et gigantesques incendies de forêt. Toutes choses si spectaculaires et hypnotiques qui font de l’actualité une superproduction hollywoodienne, avec une différence appréciable néanmoins, car dans les « films catastrophe » quelque héros désintéressé parvient toujours à sauver l’espèce humaine.
Sur ce point, l’inaction des gouvernements a atteint en 2019 des hauteurs inégalées.

Autre record presque absolu, les dividendes distribués aux spéculateurs actionnaires des grandes multinationales ont dépassé cette année ceux d’avant la crise financière de 2008, et la concentration de la richesse et donc du pouvoir s’en trouve renforcée et déshinibée, à l’image de cette dérisoire secrétaire d’État qui joue de sa position pour participer à des émissions populistes et populaires, et bénéficier de ce vedettariat pour promouvoir ses livres.

Et puis, prouesse sans précédent, la police n’avait jamais arraché impunément autant de mains ni crevé autant d’yeux de manifestants et de grévistes depuis longtemps, et c’est stupéfiant de voir sur ces vidéos trop furtives ce métier exercé avec un plaisir si manifeste à détruire anonymement ses congénères et avec la bénédiction des éditorialistes, des ministres et du président.

Finalement, une année plutôt réussie pour la télévision.
Que lui manque-t-il ? Le tir à balle réelle de la police sur des manifestants pacifiques, un accident nucléaire catastrophique qui contamine irrémédiablement tout une région dans le parfait silence des autorités ?
N’oublions pas qu'une attraction extraordinaire au cœur de Paris en avril, cette cathédrale qui s’effondrait sous les flammes, a diffusé sur la capitale, en même temps que les images d’un spectacle exceptionnel comme un don du ciel médiatique, environ 400 tonnes de plomb en fumée, soit 4 fois les émissions françaises d’une année en quelques heures seulement.

Alors ne soyons pas impatients, tout est prêt pour que le pire survienne.
Et il est bon d’en garder un peu en réserve pour que soit encore plus palpitant le zapping de 2020, et des années suivantes tant que la télévision fonctionnera.

vendredi 12 avril 2019

Le « Léonard » a disparu

Le « génie universel » de Léonard de Vinci est une création de la littérature et des médias. À l’exception de dessins et de quatre ou cinq tableaux prodigieux, Léonard n’a laissé que des œuvres inachevées (pathologie constatée par ses contemporains même), raté la plupart de ses expérimentations, hormis les spectacle avec machineries, musique et costumes, et couvert plus de 7000 feuilles de gribouillages spéculaires à la limite de l’autisme, remplis d’utopies mécaniques qui ne fonctionnent pas, de listes de choses à ne pas oublier, de dessins de cadavres qu’il dépeçait consciencieusement, et d’observations visionnaires qui seront lues trop tard.
Sa plus grande réussite est certainement sa renommée posthume. Car comment expliquer l’hystérie médiatique autour de la Joconde, ou le prix exorbitant et insensé atteint par ce tableau médiocre, le Salvator Mundi, restauré « à la Léonard », et qui lui est attribué par un nombre déclinant de spécialistes ?

On se souviendra peut-être du premier acte de cette comédie burlesque, où l’on voyait ce tableau raté, représentant un christ junkie bénissant distraitement et tenant un orbe, acheté 450 millions de dollars par le prince MBS, satrape de l’Arabie saoudite, et promis à devenir la « Joconde » du musée de prestige des Émirats arabes unis, le Louvre Abu Dhabi, qui venait alors d’ouvrir.

Hélas, depuis les enchères miraculeuses du 15 novembre 2017, les aventures du tableau le plus cher du monde piétinent. Personne ne sait où il se trouve. Toujours pas sur les cimaises du musée d’Abu Dhabi. Et plus se manifestent les doutes sur sa paternité, plus les communications des autorités compétentes se font chaotiques.

Sur son site ArtWatch, Michael Daley signale un article du 16.02.2019 du Telegraph qui annonçait que le Louvre, doutant de son authenticité, n’inclurait pas le tableau dans sa grande exposition d’automne pour le 500ème anniversaire de la mort de Léonard. Le Telegraph tenait cette affirmation d’un spécialiste du peintre et familier des autorités du musée.
Dès le lendemain, l’attaché de presse du musée, pour discréditer le témoignage du spécialiste, mentait en minimisant ses relations avec le Louvre, et déclarait que le musée voulait le Salvator Mundi pour sa superproduction d’octobre et l’avait demandé à son propriétaire, sans autres précisions.

Daley déduit, de ces atermoiements et faux démentis, que le Louvre aimerait exposer le tableau (sa renommée à 450M$ réjouirait le compteur de visites), mais pas sous le nom de Léonard (peut-être comme « atelier de » ou « école de »), et que le propriétaire aimerait prêter le tableau, mais uniquement s’il était attribué sans réserve à Léonard (histoire de lui donner, avec la bénédiction du plus grand musée du monde, la respectabilité nécessaire à la rentabilisation d’un investissement foireux).

Après ce deuxième acte confus et cornélien, le spectateur espère sans doute un acte final détendu, où tout le monde s’embrasse devant le tableau réapparu et lance au public un clin d’œil complice.
On sait déjà qu’il se déroulera au plus tard le 24 octobre 2019, jour de l’ouverture du super show Léonard de Vinci au Louvre, et on peut, sans trop de risque, supposer que la fin sera effectivement heureuse, que les bonnes relations diplomatiques et commerciales y auront infusé leur bonne humeur.

Et on frissonnera dans l’attente du catalogue de l’exposition qui devrait être un summum d’érudition. Il attribuera le tableau à la main de Léonard, comme l’avait déjà fait la National Gallery de Londres en 2011. Une note de bas de page, en caractères minuscules, dans une annexe très technique, émettra peut-être discrètement un léger doute, en priant pour ne pas être remarquée.
Peut-être même y trouvera-t-on, attribué également à Léonard, la belle princesse, ce dessin refusé en 2011 par la National Gallery, alors qu’il semblait présenter, il est vrai à grand renfort de documentaires et d’articles de presse sensationnalistes, des arguments d’authenticité plus probants que le Salvator Mundi.

Mais pour l’instant, à 6 mois seulement de l’exposition monumentale, un silence de tombeau pèse étrangement sur le site du Louvre, certainement par respect pour le grand génie. N’oublions pas qu'on célèbrera alors l’anniversaire de sa mort.



Léonard de Vinci, Codex atlantico, projets mécaniques, planches utilisées par Électricité de France pour construire la centrale nucléaire de nouvelle génération de Flamanville. Par chance, comme tous les projets de Léonard, celui d'EdF traine depuis 14 ans et n’est pas près de voir le jour (Milan, bibliothèque Ambrosienne).