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jeudi 23 mai 2024

Avida Dollars (1 de 2)

Salvador Dalí et sa cour à la télévision française le 21 avril 1967. On y prononçait beaucoup les mots or et dollars. Le maitre répliquait à propos de l’anagramme de Breton "Salvador Dalí = Avid à dollars".
- C’est un[e] anagramme qui était magique et qui m'a apporté une chance extraordinaire car depuis qu’il m’a appelé Avida Dollars, la pluie d'or a commencé à tomber sur ma tê-te comme une divine diarrhée monotone et réellement su-blime.

Si on a la bonté de croire les chiffres autoproclamés de fréquentation des expositions, l’œuvre du peintre Salvador Dalí (en français Dali) serait appréciée par un nombre considérable de français ; ses deux rétrospectives au centre Pompidou auraient attiré à Paris 840 000 visiteurs en 1979 et 790 000 en 2012 (le pompon, pour une exposition monographique, est toujours détenu par Monet en 2010 avec 913 000).


Rappelons que ce n’est pas parce qu’on aime les œuvres d’un artiste qu’on partage nécessairement ses idées, seraient-elle réactionnaires, provocatrices, opportunistes et méprisables. Dalí a toujours été du côté de l’argent donc du pouvoir. C’est la fatalité de tout artiste à la mode de son vivant, qui l’incite à la surenchère dans le kitch et la vulgarité. Dalí le faisait avec ironie et un certain éclat, en débitant les pires absurdités devant les médias subjugués.


Le programme d'archives Les nuits de France-Culture vient de regrouper 17 épisodes radiophoniques (d’une trentaine de minutes) sur Dalí.

Les 9 premiers sont truffés d’entretiens savoureux avec le peintre, les suivants sont des commentaires convenus, par des spécialistes de la psychanalyse qui débitent avec sérieux leur glose doctrinaire sur les délires contrôlés du peintre.  


Voici un petit florilège de saillies et de pensées par Dalí avec le lien vers l’épisode de la citation (mais il est plus amusant de les entendre déclamées dans les entretiens, avec l'élocution de Dalí, et puis il n’y a pas que des sottises) :


Breton pensait que Dali n’était plus un peintre surréaliste et l’a exclu du mouvement "parce que je n’étais pas de ceux qui se groupaient de façon habituelle à sa table de café".


Je remercie Picasso d’avoir assassiné la peinture académique mais aussi toute la peinture moderne […] Avec son génie ibérique il a produit en 3 semaines les tableaux les plus laids du monde, les portraits de la série Dora Maar d’une laideur surhumaine et on ne peut plus aller plus loin dans ce sens, il faut donc faire maintenant des choses très belles si on veut faire des choses nouvelles.


La peinture abstraite a toujours existé, on l’appelait la peinture décorative.


C’est aux critiques, pas à moi, d’expliquer ce que je fais, que la plupart du temps je ne comprends pas du tout […] Il me suffit de le faire minutieusement.

Je suis un peintre ex-surréaliste



Dans le pointillisme tous les points sont posés les uns à côté des autres bu-reau-cra-ti-que-ment.


Je crois que je suis un peintre assez médiocre dans ce que je produis. Ce que je considère génial c’est la vision de ce que ça devrait être.

Toute ma jeunesse j'ai joué à être un génie sans y croire et je le suis devenu


Le commentateur cite un texte de Dalí qu’il dit trouver déchirant "Le ciel n’est pas en haut, en bas, à gauche, à droite, il est au centre de la poitrine de l’homme qui a la foi. À cette heure je n’ai pas encore la foi et je crains de mourir sans ciel". 

Dalí réconfortant lui rétorque "Mais ça va mieux".

Dans l’art il y a encore moins de progrès que dans le reste


La chanson est un moyen de crétinisation générale pour les foules et je m’en sers dans ma méthode paranoïaque critique pour faire partir les gens ou les faire revenir.


Ce que j’aime le plus au monde c’est gagner de l’argent. Je suis la plus grande courtisane de cette époque.

La chanson est un art très mineur


Si dans la vue de Delft il y avait eu une cabine téléphonique, alors Vermeer aurait peint exactement la cabine téléphonique.


Je suis un mys-mixtificateur, un peintre est mixtificateur parce qu’il ne fait que mixter, faire des mixtions entre l’huile, les terres de Sienne…

Je suis un mystificateur


vendredi 20 janvier 2023

Un peu de publicité déshonnête

Nœud de l’affaire de Gotha, la Zwickau Kombi AWZ-P70 bleue aperçue par un témoin sur les lieux du crime, près du château de Friedenstein, dans la nuit du 13 décembre 1979 (reconstitution).

La chaine Arte a diffusé, ou diffusera - qui de sensé regarde encore la télévision ? - une série intitulée "Art Crimes : tableaux volés", série de 6 "documentaires" sur des voleurs de tableaux, un des plus vieux métiers du monde. 5 des 6 films sont à présent visibles librement sur le site Arte.tv jusqu’au 29 juin 2023.

"Documentaire" est un terme impropre car les auteurs y déploient des astuces de réalisateur de cinéma à sensations, en imitant l’ambiance de films noirs comme "Ascenseur pour l’échafaud". On n’y parle pas d’art ni de peinture, mais de vols de tableaux, de leurs auteurs et de leurs justiciers.

Soigneusement mis en scène, les cambrioleurs (quand ils ont survécu à la prison) et les policiers qui les ont traqués (souvent retraités) content leurs mésaventures, sous une belle lumière de confessionnal, en phrases courtes, interrompues par de longues scènes de ville la nuit, nappées de musique pour ascenseur. On les fait parfois reconstituer évasivement une scène censée ressembler à ce qu’ils ont vécu, ou on le demande à leur famille, à des amis, des témoins, enfin à tout ce qui pourrait rappeler qu’on est toujours dans une histoire vraie, mais belle comme une fiction.  
Hélas dans la réalité les vrais voleurs et les vrais gendarmes n'ont rien de très passionnant à dire, "on s’est aperçu alors que l’échelle était trop courte", ou "Gégé avait oublié les clés du camion", ou "C'est juste, on l’a un peu secouée, mais elle a tout avoué". Et le tout sans suspense puisqu’on connait dès le début les coupables (ils sont devant la caméra) et leur motivation, qui n’est que l’argent. Résultat, si on ne s’est pas endormi, on s’ennuie fermement. Et longtemps, une heure et demi par épisode.
 
Un des 5 films fait exception, bien qu’affligé du même style, c’est l’épisode intitulé "Frans Hals: Gotha, 1979", le vol le plus ancien de la série. 
Le coupable (soupçonné) n’a jamais été accusé du vol, et on n’aura aucune certitude sur sa culpabilité ou ses motivations, puisqu’il est mort en 2016 et pour cette raison ne pouvait pas décemment paraitre devant la caméra. La reconstitution lente et fragmentaire de sa vie, par des témoignages, nous tient malgré tout en haleine, comme dans un roman de Joseph Conrad.
Et on se demandera longtemps comment cinq tableaux inestimables, notamment de Frans Hals ou Holbein l'ancien, dérobés dans un château d’Allemagne de l’est supposément par un conducteur de train, ont pu se retrouver accrochés plus de 30 ans dans le modeste salon d’une famille chrétienne et tranquille d’Allemagne de l’ouest, pour être finalement restitués et retrouver les mêmes murs, après avoir pendant presque 40 ans secrètement hanté la vie d’un homme dont on apprendra si peu de choses, mais qu’on ne pourra que plaindre, et peut-être admirer.

Si vous n’avez pas 90 minutes mais seulement 15 de disponibles, le journaliste Philipp Bovermann écrivait en octobre 2020 dans le Süddeutsche Zeitung de Munich un long article sur l’affaire de Gotha, traduit et partagé par Courrier international. Par ailleurs la Gazette Drouot racontait en avril 2022 l'historique de la collection du musée de Gotha. Certains détails de l'affaire y semblent moins romanesques que sur l'écran, mais pas nécessairement plus justes, le forgeron conducteur de train y devenant par exemple chauffeur routier.

Mise à jour le 7.03.2023 : Le 6ème film de la série est disponible depuis aujourd'hui sur le site Arte.tv. C'est l'histoire, ou plutôt l'absence d'histoire, du vol en 1969 de la Grande nativité de Caravage dans l'oratoire San Lorenzo de Palerme en Sicile. C'est le pire des films de la série. Il n'y a rien à en dire, aucun indice sérieux depuis 53 ans, alors les auteurs en ont fait une vague histoire de la mafia sicilienne. Délayage et ennui, on ne verra même pas une reproduction du tableau.

mercredi 14 avril 2021

Salvator Mundi, le retour du zombi

Détail du portrait du Salvator Mundi en cours de restauration par Mme Modestini vers 2005-2006

 
Encore un épisode des tribulations du tableau le plus cher du monde !
 
Cette fois les scénaristes de la série sont en forme, ils ont même un peu fumé la moquette et proposent deux rebondissements simultanés et contradictoires dont les spectateurs ne pourront qu’attendre dans la fébrilité une éventuelle résolution. 

Ce portrait de Jésus, attribué à Léonard de Vinci par ceux qui tirent bénéfice de l’attribution, et boudé par les autres, ce visage flou et fantomatique de diseuse de bonne aventure derrière ses fumigations, ce spectre désossé comme un zombi et qui perd un peu de chair à chaque réapparition, dont on sent malgré le mot FIN qu’il bouge encore et renaitra plus décomposé dans un prochain épisode, ce chef-d’œuvre donc de la renaissance avec une minuscule vient de faire l’objet d’un documentaire récapitulatif de 95 minutes par Antoine Vitkine, diffusé en clair sur le site de France.tv du 13 avril au 12 juin 2021, « Salvator Mundi : la stupéfiante affaire du dernier Vinci ».

Pour qui connait déjà le dossier, le reportage apporte l’éclaircissement de certaines rumeurs vagues, quelques détails savoureux, et une révélation déterminante. Pour qui ne connait pas l’histoire, et pour éviter de renvoyer aux chroniques de Ce Glob qui en ont parlé depuis 2017, voici un résumé des épisodes précédents, qu’on retrouvera richement illustrés à l’écran :
 
1958 : une médiocre effigie du Christ à la boule de cristal, attribuée à Boltraffio, un élève très doué de Léonard de Vinci, est vendue aux enchères 45 livres sterling (équivalant à 1000$ d’aujourd’hui)
 
2005-2007 : le tableau acheté 1100$ est très largement restauré, voire totalement repeint dans l’esprit de Léonard, disent nombre de spécialistes dont une bonne part ne l’ont jamais vu qu’en photographie
 
2007-2010 : la maison d’enchères Christie’s entame une lourde opération de lobbying auprès de quelques experts pour qu’ils l’attribuent à Léonard de Vinci
 
2011 : la National Gallery de Londres (après une réunion informelle et sans trace avec 5 experts qui n’ont pour la plupart pas réellement confirmé) expose le tableau dans le cadre d’une grande rétrospective et l’attribue à Léonard, au mépris de toute déontologie puisqu’il se trouve alors sur le marché de l’art (ce que la National Gallery dit naïvement ne pas avoir su)
 
2012 : malgré ce pédigrée tout frais, les musées et milliardaires sollicités déclinent poliment l’offre
 
2013 : un milliardaire russe douteux, associé à un intermédiaire louche, achète le tableau 127 millions de dollars, et fait un procès à l’associé quand il apprend par la presse que l'escroc s’est réservé une commission de 35% du montant
 
2017 : après une monumentale campagne publicitaire, Christie’s vend le tableau du russe, qu'elle appelle « le dernier Léonard de Vinci », au tout nouveau petit Staline de l’Arabie saoudite (initiales MBS), pour 450 millions de dollars (2,5 fois le précédent record de Picasso en ventes publiques)
 
2018-2019 : le tableau, qu’on pensait voir exposé bientôt au Louvre Abu Dhabi, disparait de la circulation.
 
En réalité, le documentaire nous apprend que pendant que le président français négociait à l'Élysée de lucratifs contrats militaro-culturels avec MBS, le tableau était examiné en secret par la haute technicité des laboratoires du musée du Louvre.
 
Et ici se situe une des branches de l’intrigue scénaristique.
 
Un rapport d’examen aurait alors été rédigé par le musée, mais interdit de diffusion, parce que l’éthique du Louvre commanderait qu’il ne publie rien sur une œuvre qu’il n’expose pas.
Toutefois le reportage nous dévoile, dans la pénombre, la silhouette masquée d’un personnage très haut placé dans la hiérarchie de la République, qui en connait les conclusions, et qui affirme qu’elles excluent l’attribution à Léonard, ou seulement de très loin, et qu’il ne pourra pas être question dans ces conditions de satisfaire le caprice de MBS d’exposer son tableau à côté de la Joconde, à égalité d’authenticité, lors de la grande célébration par le Louvre en 2019 du cinq-centenaire de la mort de Léonard.
On sait depuis que le tableau n’a pas été montré en 2019.
 
Les pièces du puzzle se rejoignent enfin et la conclusion de l’histoire devient morale : le tableau, vaguement inspiré par Léonard, n’est pas de sa main, et la République, qui a aussi une éthique, ne peut pas se discréditer en satisfaisant toutes les lubies d’un prince saoudien (tant qu’il continue tout de même à se fournir en armements pour détruire son voisin péninsulaire).

Cependant, les scénaristes pensaient qu’il restait dans cette affaire suffisamment de potentialités dramatiques pour dévoiler l'endroit où l'intrigue pourrait prendre une autre voie. Ce qu’ils firent à la veille de la diffusion du documentaire de Vitkine.
 
Le 31 mars, un billet déconcertant dans The Art Newspaper, puis les 9 et 13 avril, 2 longs articles libres d’accès de M. Rykner dans la Tribune de l’Art, et enfin le 11 avril un article du New York Times, révélaient que le rapport d’examen du tableau avait réellement fait l’objet de l’édition, par Hazan et le Louvre, d’un livret de 46 pages très illustré, mis en vente, et retiré de la boutique du Louvre dès les premières heures, suite au refus par MBS de prêter le tableau s’il n’était pas exposé selon ses désirs.
Et au moins un exemplaire du rapport aurait été vendu et aurait circulé... Rocambolesque, non ?
 
La péripétie ne ferait pas un rebondissement bien palpitant si ces trois sources n’étaient unanimes et formelles dans leur lecture de l'analyse du musée et de ses résultats : le laboratoire du Louvre conclut son rapport sans hésiter en faveur de l’attribution du tableau à la main de Léonard, et en apporte de solides preuves !

Depuis, M. Vitkine a confirmé avec assurance l’authenticité des témoignages de son documentaire, qui attribuent le tableau à l'atelier, ajoutant qu’il en sait plus qu’il ne peut en dire pour la sécurité de ses sources, et M. Rykner, qui de son côté ne peut raisonnablement pas supposer que le rapport du Louvre est un faux, s’égare un peu, et l’admet, en hypothèses hasardeuses.

Alors qui tire les ficelles de toutes ces marionnettes ? Peut-être les scénaristes de Netflix, dont on dit qu’ils sont hautement qualifiés. Il n’est pas certain qu’on le découvrira dans la prochaine saison de la série. Depuis Ésope, le fabuliste, on ne tue plus la poule aux œufs d’or.
   

jeudi 16 janvier 2020

2019, 2020, tout augmente

Il y a 500 ans déjà, dans les médias, l’avenir de l’humanité ne se présentait pas sous un jour très favorable. Ci-dessus le témoignage de Jérôme Bosch dans son jardin des délices (Madrid, musée du Prado).


Comme chaque année depuis 1989, le film de l’année 2019, celui qui mériterait d’emporter toutes les récompenses, les césars, les palmes d'or, c’est le zapping de l’année télévisuelle, minutieusement assemblé par Patrick Menais.
C’est sa 30ème édition (2016 manque, c’était l’année de son licenciement de Canal+).
Pour des raisons juridiques, le zapping s’appelle maintenant VU. « VU 2019, le VU de l’année » est diffusé sans frais jusqu’au 3 février 2020 sur le site France.tv. Les années précédentes de VU, 2017 et 2018, sont encore plus ou moins disponibles, ici et (prévoir 4h par année).

On y voit donc ce que la télévision française a montré d’un an de notre vie sur la planète. L’ingénieux Menais en a reclassé des centaines d’extraits à sa manière, et leur confrontation donne aux évènements une perspective singulière. Il en ressort une sorte de farce ironique, grinçante, noire.

Certains diront qu’ils n’y ont rien vu de nouveau, que le scénario et les idées fixes de Menais sont les mêmes depuis 30 ans, et qu’on y serine des sujets qui nous ont été chantés sur tous les tons à longueur d’année. Évidemment. Menais peint une fresque sur l’espèce humaine. Elle n’évolue pas, ou peu, à l’échelle d’une génération, mais il faut être juste, elle se surpasse d’année en année.
Et en 2019, certaines performances ont pulvérisé tous les records.

À commencer par un record dont tout le monde scientifique admet maintenant qu’il est un résultat des actions humaines, le record absolu de température en France, le 28 juin à 16h20.
45,9°C, presque 2 degrés de plus que le précédent record de 2003, couronnement d’une année riche en catastrophes climatiques, déluges, inondations et gigantesques incendies de forêt. Toutes choses si spectaculaires et hypnotiques qui font de l’actualité une superproduction hollywoodienne, avec une différence appréciable néanmoins, car dans les « films catastrophe » quelque héros désintéressé parvient toujours à sauver l’espèce humaine.
Sur ce point, l’inaction des gouvernements a atteint en 2019 des hauteurs inégalées.

Autre record presque absolu, les dividendes distribués aux spéculateurs actionnaires des grandes multinationales ont dépassé cette année ceux d’avant la crise financière de 2008, et la concentration de la richesse et donc du pouvoir s’en trouve renforcée et déshinibée, à l’image de cette dérisoire secrétaire d’État qui joue de sa position pour participer à des émissions populistes et populaires, et bénéficier de ce vedettariat pour promouvoir ses livres.

Et puis, prouesse sans précédent, la police n’avait jamais arraché impunément autant de mains ni crevé autant d’yeux de manifestants et de grévistes depuis longtemps, et c’est stupéfiant de voir sur ces vidéos trop furtives ce métier exercé avec un plaisir si manifeste à détruire anonymement ses congénères et avec la bénédiction des éditorialistes, des ministres et du président.

Finalement, une année plutôt réussie pour la télévision.
Que lui manque-t-il ? Le tir à balle réelle de la police sur des manifestants pacifiques, un accident nucléaire catastrophique qui contamine irrémédiablement tout une région dans le parfait silence des autorités ?
N’oublions pas qu'une attraction extraordinaire au cœur de Paris en avril, cette cathédrale qui s’effondrait sous les flammes, a diffusé sur la capitale, en même temps que les images d’un spectacle exceptionnel comme un don du ciel médiatique, environ 400 tonnes de plomb en fumée, soit 4 fois les émissions françaises d’une année en quelques heures seulement.

Alors ne soyons pas impatients, tout est prêt pour que le pire survienne.
Et il est bon d’en garder un peu en réserve pour que soit encore plus palpitant le zapping de 2020, et des années suivantes tant que la télévision fonctionnera.

vendredi 18 mai 2018

Broutilles

Imaginez dans une petite ville endormie très éloignée de la capitale, au pied d’une montagne, un petit musée qui ressemble un peu à une école désaffectée, dédié à un peintre local presque inconnu, et qui reçoit quelques dizaines de visiteurs par mois, qui recherchent surtout une peu d’ombre.
Débarque dans cette solitude un expert mandaté par la mairie pour inventorier les dernières acquisitions et organiser une rétrospective du peintre, à l’occasion de la réouverture du musée.

La ville d’Elne, en Occitanie, n’aurait peut-être pas dû s’y risquer.
Commençant l’étude des peintures et aquarelles du peintre Étienne Terrus, l’expert était surpris d’identifier, dessiné sur une vue de la ville, un bâtiment construit quelques dizaines d’années après la mort du peintre, ce qui le fit tiquer. Puis, certaines signatures s’effaçant en y passant le doigt, son expertise concluait rapidement que 82 des 140 œuvres du musée (58,6%) étaient « non authentiques ».

L’antiphrase déclenchait des remous bien justifiés, un maire outragé, un dépôt de plainte, une effervescence chez les collectionneurs locaux, l’émergence d’une théorie sur un marché régional de faussaires, des regards suspicieux sur les antiquaires et les autres musées de la région, quelques dépêches des agences de presse, reprises par tous les grands journaux nationaux, 2 minutes sur BBC News, un article dans le Guardian et dans le New York Times, pour se limiter à la Planète.
Sauf en Suisse, dans les laboratoires d'expertise du port franc de Genève, où on ne doit pas être très surpris. Le directeur affirme qu'une bonne moitié des œuvres d'art en circulation dans le monde sont des faux.

Étienne Terrus était doublement méritant, parce qu’il n’était pas moins bon peintre que beaucoup de ses collègues de l’époque, et parce que malgré de solides relations amicales avec des artistes reconnus comme Maillol et Matisse, il resta obstinément taciturne à peindre sa province lointaine quand les autres s’affichaient avec succès dans les fructueux salons de la capitale. Sa cote s’en ressent toujours. Ainsi, le montant total de la « perte » pour la ville d’Elne est estimé à 160 000 euros. Pas même le prix de l’étiquette sur un tableau de Modigliani.

Alors pourquoi tant de bruit ? Peut-être justement pour faire du bruit. Qui avait entendu parler d’Étienne Terrus ? Aujourd’hui, cette modeste exposition estivale, certes amputée, mais désinfectée, aura bénéficié d’une campagne publicitaire internationale tous frais payés. Et l’histoire n’est pas finie, car la justice est maintenant en quête de coupables.

Et puisqu’on a parlé de Modigliani et de ses tarifs, Le Journal des Arts nous signale que la maison Sotheby’s vient de vendre un beau nu féminin couché, vu de dos (certainement de la main du peintre), pour 157 millions de dollars, ce qui en fait le 4ème tableau le plus cher en enchères publiques. Mais il n’a pas atteint, dit le Journal, et on sent ici l’amertume du commentateur, les 170 millions d’un autre de ses nus féminins, vu de face celui-là, vendu par la maison concurrente Christie’s en 2015. L’acquéreur du nu vu de dos a voulu rester anonyme, honteux de n’avoir pas battu le record, peut-être, ou de peur d’afficher publiquement des pulsions subversives.




L’internet ne proposant pas de reproductions vraiment intéressantes et certifiées d’œuvres de Terrus, nous illustrons cette chronique avec un détail d'un tableau de ce peintre étrange qu'était Ter Brugghen, qui n’a rien à voir avec le sujet, mais qui n’est pas si éloigné de Terrus, au moins dans le dictionnaire alphabétique des peintres. 
Si vous voulez voir d’authentiques tableaux de Terrus, essayez de les identifier dans cette promotion de la télévision FR3 pour une souscription en 2016, suivie d’une vidéo d'une quarantaine « de ces œuvres retrouvées récemment » et acquises par la ville. Petit indice, il est bien possible qu’aucune ne soit authentique.

vendredi 16 septembre 2016

La mort du Zapping

À dater d’un jour mémorable de septembre 1989 il n’a plus été nécessaire de s’abrutir devant les écrans de télévision. On pouvait jeter l’appareil aux ordures (ou au moins le laisser éteint presque toute la journée) car Patrick Menais venait de créer le Zapping.
Le Zapping était une émission de quelques minutes regroupant les instants les plus marquants, les plus lamentables, les plus amusants diffusées sur l’ensemble des chaines de télévision, sans aucun commentaire mais avec un certain point de vue exprimé par l’ordre de juxtaposition des extraits.

Évidemment c’était une émission sur la télévision diffusée à la télévision, sur la chaine Canal+, mais on l’a très rapidement trouvée sur internet, et puis il suffisait de n’allumer l’appareil que 5 minutes par jour pour les plus avides d’information, ou même une fois par semaine, voire une fois l’an pour les observateurs les plus désinvoltes des spectacles du monde. L’année du Zapping regroupait alors en 4 heures les évènements audiovisuels marquants de l’année passée.
Et c’était un plaisir de contempler à distance leurs contradictions, leur absurdité souvent, leur poésie, rarement, en fin de compte leur insignifiance.

Hélas ces années d’insouciance et de décrassage de l’encéphale seront bientôt loin.
Car Canal+ est devenue en 2015 la propriété d’un petit actionnaire despotique et stupide qui n’a pas compris que le succès de la chaine venait pour une bonne part de son insolence (tempérée).
Parmi les irrévérencieux, Patrick Menais avec son équipe de 12 zappeurs était un des plus sincères. En octobre 2015 il diffusait des extraits d’une émission censurée sur sa propre chaine pour des motifs de copinage entre son despote de patron et une banque indélicate. Puis il a récidivé. C’était un suicide en direct. Et on apprenait sans surprise que l’ultime Zapping de la chaine avait été diffusé le 2 juillet 2016.

Espérons que Patrick Menais aura les moyens de perpétuer ailleurs ce regard salutaire sur les travers de l’espèce humaine, car il n’est pas question de se remettre à regarder toutes ces chaines médiocres, vulgaires, complaisantes et hypnotiques dont on s'était libérés il y a 27 ans.

Mise à jour le 10.01.2017 : Menais et son zapping reviennent sous un autre nom, Vu, et sur une autre chaine de télévision, France 2, à partir du 16 janvier 2017 à 17h25.
 

dimanche 9 février 2014

La saga de Ragnar, suite

Les voyages en Scandinavie étant fort couteux, nous ne reprocherons pas à notre illustrateur d'avoir trouvé ce rocher qui ressemble tout de même vaguement à un saumon, près des eaux froides de la Manche à Ploumanach.


Peut-être avez-vous manqué quelques épisodes de la triste saga de Ragnar, le saumon norvégien.
Nous l'avions laissé presque mort, rongé par les poux de mer, miné par le pesticide et fluorescent à force d'ingurgiter les composés chimiques les plus toxiques.
Son sort funèbre avait fait l'objet de scandales et de reportages vexants depuis 2010, d'une chronique ici-même, et de recommandations humiliantes des services publics français en juin 2013.
L'affaire était pliée. Ragnar et ses congénères allaient disparaitre.

Et puis, les fêtes de fin d'année étaient à peine digérées que vous avez vu émerger, dans les vitrines des supermarchés, des plats surgelés de grandes marques, fièrement intitulés « Nouveauté  - Saumon de Norvège » souvent cuisinés d'alléchante manière, à la bordelaise ou aux moules marinières.

C'est que la réhabilitation du saumon de Norvège vous avait probablement échappé.

Car il faut savoir que la chaine de télévision qui avait achevé le pauvre animal par ses reportages assassins (dont un récent en novembre), et qui était certainement en partie responsable de la baisse sensible des ventes de saumon, avait été invitée en Norvège par la filière productrice dans le cadre d'une vaste opération de « relations publiques ».

Et surprise, une semaine avant les agapes de Noël, dans le journal télévisé du 16 décembre à 20 heures, la même chaine qui nous avait abondamment alertés sur les risques de toxicité du saumon norvégien, affirmait que les traces de produits nocifs étaient finalement infimes et que même les femmes enceintes n'en mangeaient pas encore assez.

Ces allégations devant des millions de spectateurs et présentées par un journaliste intègre eurent certainement un effet libérateur dans l'ensemble de la filière et on devait s'attendre à cette renaissance majestueuse du saumon norvégien, dignité reconquise, désormais blanchi.

dimanche 22 décembre 2013

Les laquais


Depuis vingt ans, dans les pas du journaliste iconoclaste Pierre Carles et du sociologue Pierre Bourdieu, une poignée de confrères suicidaires venus de la presse écrite, de la radio, d'Internet nous (dé)montrent patiemment les connivences lucratives entre les journalistes les plus en vue, les patrons de presse marchands d'armes, de mode luxueuse et de béton, et les pouvoirs politiques de toutes obédiences, sans oublier les quelques « experts en tout », qui sont systématiquement invités par les premiers, qui s'abstiennent de préciser que lesdits experts sont rémunérés par les deuxièmes pour défendre en toute objectivité la politique des troisièmes, qui eux votent généreusement des lois qui protègent les intérêts des deuxièmes.
Et de convaincre le bon peuple décervelé qu'il va devoir souffrir encore, parce que les choses sont ainsi faites et qu'on n'y peut rien, pendant qu'eux, des premiers aux quatrièmes, engraissent à vue d’œil.
On en rit presque tant leurs ficelles sont grossières et leurs intentions transparentes.

Début 2012 sortait, sur ce thème, un film de Balbastre, Kergoat et Halimi, « Les nouveaux chiens de garde », d'après le livre de Serge Halimi écrit en 1997 et augmenté en 2005. Si la démonstration littéraire était énumérative et un peu fastidieuse, le film est limpide, percutant, effarant.
On rit d'amertume, parce qu'après vingt ans rien n'a changé, les mêmes maitres à penser prospères, les mêmes experts juchés sur leurs hautaines certitudes, qui n'ont pas vu venir la crise, nous administrent toujours la même potion purgative.

Le film ne passera probablement jamais à la télévision. Alors pour les fêtes de fin d'année, offrez-le sans compter autour de vous et puis, si ça n'est déjà fait, jetez votre télévision aux ordures.
Ou au moins regardez-le sur Internet où il est actuellement visible, ne serait-ce que pour déguster ce moment unique de la télévision (à 1h29'27"), le 21 avril 2009, la réaction imprévue d'un syndicaliste quand le présentateur du journal de 20h l'exhorte en direct à calmer ses camarades désespérés...

samedi 26 novembre 2011

La persistance du gris

Au commencement, le monde était en couleurs.

Il y avait bien des grisailles, des dessins au crayon, mais c'étaient des brouillons ou des pastiches. L'œuvre finale était nécessairement colorée, puisque la vie l'était. On pardonnait sa monochromie à la gravure, on s'était faits à son univers simplifié, caricatural, elle illustrait surtout la littérature populaire, la fiction, et on se doutait qu'elle se laisserait un jour séduire par la couleur.

Puis vint le génial Nicéphore Niépce. Et pendant le long siècle qui suivit l'invention de la photographie, de 1830 à 1960, la réalité, jusqu'alors subtile et bigarrée, se changea en une morne chose sans couleur habitée de pâles ectoplasmes. Le monde des autres, le monde lointain qu'on découvrait dans les journaux et les magazines, était grisé. On nous avait fait miroiter des eldorados ruisselants d'oranges et de jaunes mais les pyramides d'Égypte étaient exsangues, la muraille de Chine blafarde, et le grand canyon du Colorado, gris. Niépce n'y était pour rien. Le monde était noir et blanc par les insuffisances de la technique photographique.
L'invention du cinéma et plus tard de la télévision n'y fit rien.

Du temps passa. Nos ancêtres finirent par se persuader, s'habituèrent. Quelques dandies gothiques et anticonformistes en firent une esthétique. À leurs yeux, l'absence de couleur n'était plus une infirmité, elle simplifiait les formes et renforçait le sens. La photographie devenait une allusion, une métaphore.

Gennevilliers, aout 2011

Doucement, la couleur s'installa, dans les années 1960. D'abord imperceptiblement, comme la première émission en couleurs de l'ORTF, en octobre 1967. Mémorable instant, où l'on se frotte les yeux quand le ministre de l'Information annonce fièrement « Et voici la couleur ! », parce qu'on ne perçoit alors pas vraiment de différence. À voir la contenance solennelle des importants personnages présents, on assiste plus à une veillée funèbre, à l'enterrement du noir et blanc, qu'à la naissance des couleurs.

Et aujourd'hui encore, près de 45 ans plus tard, le gris a tant envahi archives et livres d'histoire que son deuil est loin d'être consommé, et même pour qui n'a connu que la couleur, le noir et blanc reste la tonalité du rêve, des souvenirs d'enfance, des choses révolues.
Un jour, en 2050, en 2100, lorsque personne ne saura plus qui étaient Orson Welles ou Greta Garbo, sera commercialisé et popularisé un procédé d'image holographique animée. La photographie en couleurs deviendra alors ce qu'est aujourd'hui le noir et blanc, un objet de musée, une réminiscence, une épure.

mardi 4 octobre 2011

Le solvant, le journaliste et la particule

L'économie mondiale s'effondre lentement, mais l'information va de plus en plus vite. Pas vraiment dans le cerveau du journaliste et du blogueur, où elle s'enlise à la vitesse des signaux électriques neuronaux (disons quelques mètres à la seconde), mais dans les expériences des physiciens où le neutrino vient de dépasser le photon (la vitesse de la lumière) d'une courte tête. Nous y reviendrons.

De la vitesse du solvant

Pantxika de Paepe, conservatrice du musée de Colmar, et ainsi grande prêtresse de l'illustre retable d'Issenheim peint par Mathias Grünewald vers 1516, le trouvait un peu sombre et le voulait plus gai et pimpant. Le Christ mort, les corps déformés par la souffrance, les paysages fantastiques étaient, dit-elle, enténébrés par l'effet des années sur le vernis qui les recouvre. Aussi en confia-t-elle la restauration à Carole Juillet qui connait bien les panneaux du retable mais avoue manquer d'étude sérieuse sur les couches de vernis. Alors, guidée comme elle le dit par sa sensibilité, elle expédia en une semaine le nettoyage d'un panneau et demi, à l'aide d'une collègue experte et de grand gestes furtifs qui inquiétèrent les observateurs habitués aux milliers de Coton-Tige et aux longs mois méticuleux que prend traditionnellement ce genre d'opération.



Sur le panneau de la tentation de saint Antoine, avant restauration, un cartouche accuse
« Où étais-tu Jésus, que n'étais-tu présent pour guérir mes blessures. »


Alerté, le ministre a ordonné la suspension du lessivage. Pantxika dit avoir respecté les procédures administratives et justifie la précipitation par la nécessité d'éviter que le solvant n'atteigne la couche de peinture sous le vernis. Explication déconcertante, parmi d'autres contradictions. Il s'agissait donc de prendre le solvant de vitesse !

De la vitesse de pensée du journaliste de télévision

Pendant ce temps, à l'occasion d'une exposition sur les œuvres postérieures à 1900 du peintre norvégien Edward Munch, son tableau Le Cri, icône de la peinture scandinave, est accroché à Paris, au Centre Pompidou. Enfin, c'est ce qu'affirme pendant une minute et 50 secondes un reportage sur le sujet diffusé sur France2, chaine d'État. Il débute par une scène effroyable où des centaines de visiteurs armés de leur téléphone se battent pour photographier le chef d'œuvre. Et le journaliste d'affirmer « Pour l'apercevoir, il va falloir jouer des coudes et bousculer son voisin ». Alors par quel absurde revirement le même commentateur vient-il démentir son affirmation, à 10 secondes de la fin du reportage, en précisant que le célèbre tableau n'est pas présent à l'exposition ?

On ne le saura probablement jamais, la science n'a pas réussi à calculer la vitesse de la pensée dans le cerveau du journaliste de France2. Les capteurs ne sont pas assez sensibles. Le Cri est resté à Oslo.



De la vitesse du neutrino

En attendant, la nature essaie de contrarier nos plus grands savants. Aucune particule qui transporte de l'énergie ou de l'information ne peut dépasser la vitesse du photon dans le vide. C'est la règle, établie par Albert Einstein lui-même. C'est dire le respect qu'on lui doit. Depuis 1905, malgré de sournoises tentatives, personne n'a réussi à la prendre en défaut. C'est pourquoi les physiciens de l'expérience OPERA ont refait mille fois leurs calculs, jusqu'à mettre des piles neuves dans leur calculette, mais trouvent toujours le même résultat extravagant : quelques perfides particules, des neutrinos, seraient allées légèrement plus vite sous terre que la lumière dans le vide. Déconcertés, les pauvres scientifiques incrédules demandent publiquement l'aide de leurs confrères.
C'est l'information du mois. Le sujet passionne. Théories excentriques et avis farfelus fleurissent les commentaires et les forums. Les plus chimériques déterrent les sempiternels paradoxes temporels, les plus sérieux supposent que le photon aurait finalement une masse, les circonspects soupçonnent l'erreur de calcul et les enthousiastes proclament la découverte la plus importante de la physique du 21ème siècle. N'exagérons pas. La véritable découverte sera, s'il est confirmé, d'expliquer le phénomène. Et ça prendra des années, des décennies, peut-être des siècles.

Finalement, l'intérêt de cet épisode est de mettre en lumière le seul moyen satisfaisant de comprendre le monde, la confrontation collective des points de vue et de l'expérimentation. Le moteur de la science est le doute, la remise en cause permanente des théories. Le philosophe américain John Dewey disait que la pensée ne commence qu'à la survenance d'un problème à résoudre. Avant, tout n'est qu'habitudes, idées reçues et conventions.

dimanche 22 août 2010

Mars, ou la blague du 27 aout

Ce mois-ci, le 27 à minuit-trente, dans le ciel nocturne s'il est bienveillant, au lieu d'une, vous verrez deux lunes. La deuxième sera la planète Mars, exceptionnellement proche de la Terre par une rarissime concordance des effets de la gravitation. C'est ce que prédit un courrier électronique que vous avez nécessairement reçu ou que vous recevrez bientôt (1), car on a toujours autour de soi des amis sympathiques et peu rigoureux.

Cette histoire est une blague, un bobard, une sottise. Elle se répand sur l'internet dès que l'été arrive, régulièrement depuis 2003. La petite histoire dit que l'origine en est un texte d'astronomie spécialisé, érudit, qui décrivait un fait absolument authentique : le 27 aout 2003 Mars était effectivement au plus près de la Terre, comme elle ne l'avait pas été depuis des milliers d'années et comme elle ne le sera plus avant longtemps. Le texte aurait été tronqué, par erreur peut-être, puis interprété par une personne prévenante, probablement sympathique et peu rigoureuse.

Image très légèrement arrangée, mais entièrement de bonne foi.Une vérification sommaire (par exemple avec le logiciel Stellarium encensé ici) suffisait à démontrer que la Lune serait cette nuit-là totalement invisible, trop proche du soleil sous l'horizon, et que Mars brillerait seule, du crépuscule à l'aube, minuscule point rougeoyant, comme une étoile, un peu plus brillante qu'à l'habitude.
Et si un jour l'Humanité voyait Mars aussi grosse que la Lune, c'est qu'elle contemplerait sa propre fin. Mars ne serait alors qu'à deux fois la distance actuelle de la Lune, le système solaire aurait subi de telles perturbations gravitationnelles que Mars percuterait bientôt la Terre. Déjà, raz-de-marée et déformations de l'écorce terrestres auraient certainement anéanti toute espèce vivante évoluée.

Vous vous exclamerez certainement, outré, « Cuistre ! Pédant ! Tout le monde n'a pas la chance de savoir. Et puis, c'est aimer bien peu l'espèce humaine que de mettre en doute systématiquement les choses merveilleuses que nous annoncent les gens bienveillants, qui n'en retirent ni intérêt ni prestige, et qui ne nous informent que par altruisme ! »
Sur la question de la connaissance, c'est juste, et Ce Glob Est Plat, trop incompétent lui-même, ne s'amusera jamais de l'ignorance d'autrui (sauf négligence). L'innocent, le candide, l'ingénu, le crédule ne peuvent pas se douter que la Terre tourne autour du Soleil, quand l'évidence leur montre l'inverse. D'ailleurs 56% du public invité sur la première chaine de télévision française ne s'y sont pas trompés et l'ont affirmé en chœur lors d'une émission mémorable.

Mais il faut cependant se demander quel est ce besoin vital de merveilleux qui empêche l'humain de se satisfaire d'un monde avec une seule Lune. Serait-il contenté avec une deuxième que le besoin d'une troisième surgirait. Puis il réclamerait des anneaux autour, quelques comètes à heures fixes, des éclipses tous les jours. Il convoite tant ce qu'il n'a pas, qu'il désire même ce qui n'existe pas. Trop d'imagination, trop peu de discernement. En fait il ne désire que désirer. Une question d'hormones sans doute.
Méfions-nous donc des informations amicales. Remettons-les en question, et dès lors fâchons nos amis à l'esprit critique engourdi.


***
1. Voici un des modèles du message qui envahit les boites électroniques de la planète : «Le 27 août prochain, à 0:30 minutes, regardez dans le ciel. La planète Mars sera la plus brillante dans le ciel étoilé. Elle sera aussi grosse que la pleine Lune. Mars sera à 34,65 millions de miles de la Terre. Cela nous apparaîtra aux yeux nus, comme si la Terre possédait 2 Lunes. La prochaine fois cet événement se reproduira l’année 2287, puis l'année 25695. Partagez cette information avec tous vos amis car PERSONNE en vie aujourd'hui ne pourra voir cela, une seconde fois.»

vendredi 1 janvier 2010

Les naufragés de l'information


Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d'assister du rivage à la détresse d'autrui.
Lucrèce, De la nature des choses, Livre 2.1




Le spectateur de Ce Glob Est Plat qui a jeté sa télévision aux ordures aura raté un moment de jubilation. Un de ces débats qui sont le secret de la télévision de gavage où le public, choisi, applaudit les affirmations les plus imbéciles.
C'était le soir du 18 décembre 2009 sur la télévision publique. Étaient réunis les plus grands penseurs de la République. Le thème : fustiger Internet, parce que c'est l'anarchie et que tout le monde peut y dire n'importe quoi sur tout, sans avoir de carte de presse et sans respecter les règles policées de la bienséance et du renvoi d'ascenseur.
Pour enrichir le débat, le meneur de revue fera deux citations. D'abord Finkielkraut, phare consternant de philosophie «Internet, cette poubelle, ce lieu d'anarchie est en train de contaminer les médias traditionnels civilisés», puis Olivennes, marchand de culture en tube et serviteur des causes bénéficiaires «Internet, le tout-à-l'égout de la démocratie»
Le décor est planté.

Ne détaillons pas la vacuité des argumentaires et la petitesse d'esprit des accusateurs comme des défenseurs, tellement le spectacle en est réjouissant, et conseillons plutôt d'en lire d'abord un compte rendu désopilant et objectif dans le blog de Seb Musset, avant de barboter sans retenue dans la pure réalité. En 20 minutes, tout est dit. Vous y verrez le naufrage accablant des pontifiants penseurs de l'information, ceux qui brandissent les règles mais ne les appliquent pas (1). Vous entendrez ce brouhaha d'agonisants tremblant de perdre (ou même partager) un pouvoir, une parole, usurpés depuis des décennies. Et c'est un spectacle divertissant que de les voir se débattre.

Seul à s'amuser de ce grouillement, Guy Sorman survole le désastre, souriant, calme et conciliant «...et je dis moi que le monde actuel est meilleur que le monde ancien parce que tout le monde a droit à la parole et en dépit des dérapages je me réjouis que toutes les dissidences (puissent) s'exprimer, je trouve ça formidable, en dépit des anecdotes.»
«Tous les médias à un moment donné pensent la même chose, c'est comme ça, c'est un phénomène de société. Dieu merci il y a les bloggueurs et les internautes qui pensent autrement.»
«Le Web est un monde supplémentaire qui ne détruit pas l'ancien, c'est un monde de plus et ça devrait être une grande joie.»

Et pourtant Sorman sait que ce monde libre ne durera pas, et deviendra semblable à celui qu'il remplace «Il va y avoir des régulations par le public, en raison même du foisonnement d'Internet.... Il y a des blogs qui sont légitimes et qui sont professionnels et reconnus comme tels, c'est la même évolution que pour la presse écrite, et on va vivre ensemble...»

Les commentaires ne sont pas autorisés sur le site où ce débat est diffusé. Bientôt, les naufragés de l'information réaliseront leur ridicule et en interdiront la diffusion. Alors copiez-le dans vos archives personnelles. Il va devenir un modèle. Vous pourrez alors dire «J'ai été témoin de la fin d'une espèce.»

Au muséum d'histoire naturelle passe la procession des espèces disparues.

***
(1) Par exemple, leur description unanime du journaliste «Quelqu'un de compétent qui sait mettre en contexte, vérifier, faire du contradictoire, voir des gens qui ont des opinions différentes, faire une synthèse, appliquer des règles de bon sens pour essayer de donner une certaine honnêteté intellectuelle». On y reconnait là toutes ces qualités qui seraient absentes d'Internet mais qu'illustrent si bien les médias traditionnels affiliés aux capitaux et aux politiques.

jeudi 26 février 2009

La vie des cimetières (19)

Le petit cimetière de Grand' Anse, sur l'ile de Praslin aux Seychelles.

mercredi 4 février 2009

Zapping 2008, tout est dit

Il n'y a qu'un film essentiel en 2008, c'est le «zapping de l'année», réalisé pour la chaîne Canal+ par Patrick Menais. On peut en voir ici les 50 premières minutes, et ici les 3 heures suivantes.
Tout y est : les fautes de français d'un Président sorti directement de la troupe des Deschiens, la concentration de l'argent et des pouvoirs, les abominables émissions de télé-réalité, les humains dans leur splendeur et leur misérable agitation épileptique, la bêtise, l'envie et le malheur. Et enfin la planète qui s'en fout, qui va lentement balayer toutes les espèces, et l'espèce humaine avec.

Arbre mort près de l'ancienne léproserie,
sur la côte sud de Curieuse, île des Seychelles.

Menais est comme un entomologiste, il regarde à distance les hommes qui gesticulent. Et ce qu'il voit l'effraie, il rit de moins en moins. Année après année son zapping est plus déprimant. Il en a assez de nous faire rire de nos travers, voilà vingt ans qu'il nous les montre, et l'histoire n'est plus drôle. Alors il met le zapping en scène et construit des effets dramatiques. Ses manipulations peuvent sembler démagogiques à certains nostalgiques du zapping de divertissement, et manquer de finesse, mais ça tient au matériau qu'il utilise : la télévision. Il n'invente rien.

Après quatre heures de zapping, il termine par une phrase désabusée de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss en 2005 «L'espèce humaine vit sous une sorte de régime d'empoisonnement interne... et je pense au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence, ce n'est pas un monde que j'aime», puis par un slogan des étudiants grecs en révolte «Arrêtez de regarder, sortez dans la rue!», et enfin, dans la bouche d'une jeune femme idiote dans une émission religieuse «Les ballons oiseaux se sont envolés, peut-être avez vous maintenant vous aussi envie de prendre votre envol, chers téléspectateurs»

C'est clair, Menais aimerait qu'on cesse de s'abrutir, qu'on sorte tous dans la rue et qu'on regarde ce qu'on a fait du Monde.
Mais il fait froid dehors. C'est au printemps, de préférence, qu'il faudrait faire le zapping de l'année.

samedi 8 septembre 2007

La vérité sur Léonard

En la matière, il y a les interminables biographies romancées *, et les véritables investigations historiques. C'est dans la dernière catégorie que se déclarait la troisième émission du magazine «Babylone» diffusée le 21.08.2007 par France 2. L'épisode s'intitulait «Les secrets de Léonard de Vinci». Après «Le tombeau du christ» et avant «Jacques l'éventreur», on pouvait s'attendre à de la dentelle.



Un résumé serait impossible, tant on y trouve foison de perles. Quelques exemples:
  • À propos de la Joconde : une œuvre presque irréelle tant elle est unique.
  • Devant une radiographie grisâtre, uniforme et floue : sous nos yeux éclate la matérialisation du sfumato.
  • En parlant de «la cène» de Milan : des milliers d'admirateurs devant ce tableau... (ça n'est pas un tableau mais une peinture directe sur un mur).
  • Ou encore : Léonard était un véritable autodidacte élevé dans les ateliers de la renaissance.
  • Et cette merveille : la vérité historique oblige à dire qu'il n'a pas inventé la bicyclette.


Mais ce sont là d'anodines anecdotes. Le vrai point fort de l'émission, qu'elle revendique à juste titre, est l'investigation historique. Et là c'est un festival scientifique.
L'auteur fait lourdement affirmer par de sentencieux pseudo-spécialistes d'absurdes élucubrations anachroniques sur un Léonard rose-croix, franc-maçon ou alchimiste, pour conclure habilement ses longues démonstrations par «mais la théorie est probablement fausse» ou «mais là encore rien ne permet de l'affirmer». Procédé hypocrite connu.
On n'échappera pas non plus à la présentation grandiloquente de l'interprétation faite par Freud du rêve du milan raconté par Léonard, commentaire unanimement reconnu comme erroné car dû à une erreur de traduction.




Enfin, il ne faut pas s'attendre à y admirer des œuvres de Léonard. C'est à dire trouver des images arrêtées de plus d'une seconde. Après tout, si on nous dit que c'est un génie, croyons le sur parole. Ça laisse du temps pour la mégalomanie. On y voit en effet l'auteur sous tous les angles, côtoyant les plus grands experts dans des paysages florentins repeints par des filtres agressifs, ou avançant avec détermination vers des murs sans issue, errant seul dans Paris la nuit et affirmant «l'énigme de Léonard n'existe pas!». Il vient de nous en servir une heure truffée de mystifications.

On a beau le voir tout le long film, j'ai oublié le nom du type, mais on dit qu'il est le fils d'un célèbre présentateur de journal télévisé.
Après un sournois «Il est temps de faire tomber les dernières idées reçues», l'auteur se ménage adroitement un argumentaire, en faisant témoigner Serge Bramly «Notre époque a totalement déformé la réalité du peintre. Léonard a eu tous les visages, on verra bien à quelle sauce va l'accommoder le 21ème siècle». Et bien on vient de le voir. Une fausse enquête sans autre objet que le narcissisme de l'auteur. Mais à voir ** néanmoins pour son aspect exemplaire: poncifs, clichés, lieux communs, stéréotypes, nombrilisme, sensationnalisme, dramatisation des riens, tout y est.
Prévoyez un anti-vomitif tout de même.

***
* Ce Glob Est Plat, toujours au fait de l'actualité la plus brûlante, consacrera très prochainement une chronique au film de 1971 (en 5 parties et presque 6 heures) de Renato castellani, «La vita di Leonardo da Vinci».

** Actuellement visible sur le site de France2 (le spectateur inconscient cliquera sur le lien "la vidéo intégrale") et également sur le réseau indicible.