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mardi 10 juin 2025

La vie des cimetières (117)

Quelques champs de la bataille de Loos, cultivés, et un mur du mémorial. 


À l'automne 1915, dans les plaines du nord de Lens, autour de Loos-en-Gohelle, l'armée britannique vint soutenir l’armée française pour empêcher que les autochtones ne parlent dorénavant la langue de Friedrich Nietzsche et Richard Wagner, et éviter que cet idiome barbare et laborieux devienne l’espéranto mondial à la place de la langue de George 5 et Queen Mary, si simple, si universelle.

Comme toute armée évidemment, elle n’était aucunement préparée et les munitions manquèrent aussitôt. On testa alors un gaz toxique, mais un peu comme dans ce film si drôle des frères Lumière en 1895, l’arroseur arrosé, le vent renvoya les effluves mortels sur l’émetteur. Puis l’ennemi tira avec succès sur les bonbonnes de gaz encore pleines, qu’on n’avait hélas pas utilisées parce que les clés fournies par les services logistiques étaient les mauvaises. Enfin les masques à gaz, mal conçus, instantanément embués, se révélèrent inutilisables.
Résultat de la campagne, en quelques semaines, 60 000 soldats anglais étaient éparpillés dans les champs avec seulement la boue pour sépulture. Par chance ils étaient tous volontaires, mais c’étaient les derniers, car il fallut dès janvier 1916, par manque de candidats, inviter avec moins de courtoisie leurs remplaçants destinés aux insectes nécrophages des tranchées. (Cette histoire n’est pas une caricature par un pacifiste qui aurait reconnu là le modèle des méthodes actuelles de nos maitres pour gérer les conflits, mais la vérité historique, au moins celle de l’Encyclopédie Wikipedia en anglais).

Globalement l’affaire était un échec. Sur le terrain, quand on n’a pas le temps ou le moyen de récupérer les restes des soldats, on parle de "sépulture inconnue" et on construit dans les environs, une fois le calme revenu, un monument cénotaphe pour y inscrire la seule chose qui reste désormais identifiable, leur nom, qu’on trouve sur la liste des conscrits.

Ce sera fait 15 ans plus tard, à 9 ans seulement de la guerre suivante. Un architecte anglais édifiera un cimetière d’un demi-hectare au bord de la route de Lens à Béthune. 20 600 noms de disparus seront gravés sur les murs d’enceinte, classés par régiment et par ordre alphabétique, constituant le Mémorial de Loos. Les quelques restes suffisamment homogènes de soldats conservés jusqu'alors, pas toujours identifiés, étaient répartis dans 1800 tombes "individuelles" alignées dans l'enceinte, constituant le cimetière britannique de Dud corner. 
Le "General The Rt Hon Sir Cecil Frederick Nevil Macready, Bt, GCMG, KCB", administrateur des troupes anglaises en France en 1915 (Adjutant-General) et pour cela hautement récompensé, inaugurera le mémorial le 4 aout 1930. 
Au même moment, sans rapport avec la cérémonie, se réunissaient à Oxford les participants au 22ème congrès mondial d'espéranto.


Le major-general Richard Hilton, officier britannique d'observation avancée, écrira plus tard :
"On a beaucoup écrit sur la bataille de Loos. La véritable tragédie de cette bataille résidait dans sa quasi victoire".
Aucun des participants ne le contredira.



dimanche 9 février 2025

Améliorons les chefs-d’œuvre (30 Grünewald)

     

Il est né vers 1475 à Würzburg près de Francfort, aujourd'hui au cœur de l’Allemagne de l'ouest, et mort en 1528 à Halle près de Leipzig, au cœur de l’Allemagne de l'est. On ne connait pas son nom. C’est peut-être Mathis Gothart Nithart, mais personne n’est certain de cette identité. Aujourd'hui on l’appelle Matthias Grünewald.

On lui attribue un nombre très réduit d’œuvres, dont le retable d’Isenheim (ou Issenheim, en France, au sud de Colmar), 37m² de panneaux spectaculaires peints à la demande des Antonins, moines hospitaliers du couvent de la ville. Longtemps attribué aux meilleurs peintres allemands de son temps, notamment Holbein puis Dürer, c’est un chef-d’œuvre prodigieux dont on se demande s’il n’a pas été conçu sous l'emprise des effets hallucinogènes de l’ergot du seigle, un des symptômes de la maladie dont il était censé apaiser les souffrances par la contemplation de ses visions fantastiques.


C’est un objet unique dans l’histoire de l’art occidental, comme le polyptyque de l’Agneau mystique de Van Eyck, et comme lui, comme pour les plus belles réalisations de l’humanité, on pourrait s’attendre à en trouver sur internet des reproductions de haute qualité, histoire d’informer les centaines de millions d’humains qui ne pourront se rendre au musée de Colmar, de l’existence de cette merveille.

Hélas Colmar, se trouve en France, le pays où le site du plus grand musée du monde ne publie que de médiocres images de ses collections et s’approprie des droits de reproduction sur les œuvres du domaine public, et où des musées interdisent encore aux visiteurs de photographier les œuvres exposées pour vendre quelques mauvaises cartes postales.   


     

Après la récente restauration, de 2011 à 2022, pas réellement indispensable vu le bon état du retable, et qui a été un peu longue et mouvementée parce que tout le monde, dont le Louvre, voulait sa part du gâteau, le site internet du musée de Colmar ne pouvait pas continuer à en présenter de médiocres images fanées. 

Et il a effectivement fait l’effort de déposer un peu n’importe comment sur des pages désordonnées, là des vidéos de journal télévisé sur la restauration, ailleurs quelques détails avant et après, et plus loin une série de nouvelles reproductions du retable, dans une résolution moyenne, perdues dans le labyrinthe incompréhensible d'une interface arriérée qui permet - quand ça fonctionne - d'agrandir des détails dans une qualité un peu moins moyenne et dans une fenêtre minuscule.   


Alors, devant cette ergonomie du siècle dernier, quand des images de bonne qualité sont disponibles sur le site mais quasiment introuvables pour l’internaute honnête, leur réunion, dans une présentation simple des trois configurations du retable et dans la plus haute définition actuellement disponible, s'imposait (on sait que le Louvre en a fait une campagne photographique en très haute résolution, mais il est bien possible que le public, qui a payé ces travaux, n’en voie jamais la couleur).


     

Les 3 images en lien ci-dessous du retable à l'état fermé, mi-ouvert et ouvert, mesurent entre 10 000 et 16 000 pixels et demandent 20 à 30 mégaoctets ; leur chargement peut prendre quelques secondes. 

La résolution des images est très bonne pour les panneaux peints (loin du niveau Gigapixel cependant), mais dans les états mi-ouvert et ouvert les sculptures de Nicolas de Haguenau n'existent que dans une résolution moyenne, c’est pourquoi est joint le montage des bustes des apôtres sans fond et dans une meilleure qualité : 


 Grünewald, retable d’Issenheim fermé (musée Unterlinden, Colmar) 

[Lien fichier 13134 x 9211 pixels, 22 Mo]


 Grünewald et Nicolas de Haguenau, retable mi-ouvert 

[Lien fichier 16339 x 9317 pixels, 29 Mo]


 Grünewald et Nicolas de Haguenau, retable ouvert 

[Lien fichier 15742 x 9800 pixels, 24 Mo]


Nicolas de Haguenau, bustes sculptés des apôtres 

[Lien fichier 5258 x 1200 pixels, 1,3 Mo]



mercredi 13 décembre 2023

Le catalogue Cranach est arrivé (1 de 2)

Lucas Cranach, l'idolatrie de Salomon, détail (DresdeStaat. Kunst.)

Il y a quelque temps paraissait en ligne et en libre accès le catalogue raisonné sinon définitif de 2473 peintures de la maison Lucas Cranach & fils & entourage, édité par la Cranach Digital Archives (cda_) regroupant des musées, instituts et fondations principalement en Allemagne. Travail considérable d’expertise et de documentation en allemand et anglais, intégralement illustré, mis à jour régulièrement et progressivement depuis plus de 10 ans. Il devrait être suivi en 2026 du catalogue, considérable également, des gravures et des dessins. 


Lucas Cranach a été toute sa vie artiste à tout faire, chef décorateur un peu diplomate d’un prince de l’Empire germanique, l’électeur de Saxe, mais également éditeur possesseur d’une presse, marchand de vin dans sa propre taverne, et apothicaire, prospère jusqu’à devenir en 1537 et pour 7 ans maire de Wittenberg, importante ville sur l’Elbe, aujourd'hui au nord-est de l’Allemagne. 


Il avait su faire fructifier un talent indiscutable de portraitiste et une grande rapidité d’exécution dit-on. Sur sa tombe à Weimar est inscrit en latin Peintre le plus rapide, mais le compliment s’adresse plutôt au talent d’homme d’affaires de Lucas qui avait monté avec l’aide de ses fils un atelier prolifique parfaitement huilé de copies dérivées de ses propres créations, au point que des Cranach tout frais pourvoyaient encore le marché des décennies après la mort du père, à 80 ans en 1553 (en 1565 son fils Lucas était à son tour maire de Wittenberg).

Lucas Cranach, Jugement dernier, détail (Kansas City, NAMoA)

Bien que contemporain et voisin des Dürer ou Holbein sous l’influence de la Renaissance en Europe, Cranach conservera jusqu’à la fin un style "gothique allemand" déjà un peu désuet - nécessités de l’automatisation de la production obligent - provincial, avec ses personnages aux postures maniérées et à la molle anatomie, ses décors sans perspective, surchargés de détails symboliques soulignés avec préciosité. 
Mais la manière eut longtemps un succès considérable. 

On lui doit par exemple la mode des jolies nymphettes sans formes totalement dévêtues d’un voile transparent et de quelques breloques dorées, et qui posent mièvrement devant n’importe quel prétexte religieux et mythologique. Obsession vivace encore de nos jours puisqu’elle hantait en 2010 les instances du musée du Louvre au point de les pousser à mendier le mécénat du public pour posséder l’objet de leur passion, et elle aveuglait plus récemment l’admiration d’une tête couronnée européenne qui dépensait une fortune - encouragée par les meilleurs experts - dans une Vénus qui pourrait bien être une magnifique contrefaçon. 

On doit également aux Cranach une bonne centaine de portraits du grand ami de Lucas, Martin Luther, grand réformateur visionnaire de la religion en Europe, qui jugeait Copernic imbécile pour son idée contraire au bon sens et aux Saintes Écritures de faire tourner la Terre dans l’espace, et qui croyait aussi aux sorcières et préconisait par sermon leur combustion.

Lucas Cranach, St Jérôme dans la nature, détail (Innsbruck, TLF)

Il reste que dans le monde des Cranach, dans ce paradis clos où grouillent plantes et animaux, où des héros harnachés de fer blanc se découragent au pied de jeunesses indifférentes seulement préoccupées de leur pose, où des personnages lumineux vainquent sans effort des dragons de caoutchouc, où des jeunes femmes aux toilettes coquettes se piquent de cuisine (ou de bricolage) sans réellement maitriser l’usage des ustensiles malgré de nombreux essais, dans ces féeries illustrées pour adultes, même après avoir réalisé que les paysages, si réalistes, ne sont que des décors - on aura remarqué dans l’œil de la baleine le reflet de la fenêtre de l’atelier - on s’émerveillera toujours, comme au cinéma, de la découverte d'un nouveau visage charmant ou d'un monstre inoffensif.

La deuxième partie de cette chronique sera dédiée, dans quelques jours, au lectorat pressé ou perdu devant le nombre de copies médiocres dans le catalogue. Ce sera une visite guidée par thèmes vers les plus beaux fleurons des studios Cranach.

Atelier Cranach, Christ et la femme cananéenne, détail (Aschaffenburg, SSJ)

vendredi 20 janvier 2023

Un peu de publicité déshonnête

Nœud de l’affaire de Gotha, la Zwickau Kombi AWZ-P70 bleue aperçue par un témoin sur les lieux du crime, près du château de Friedenstein, dans la nuit du 13 décembre 1979 (reconstitution).

La chaine Arte a diffusé, ou diffusera - qui de sensé regarde encore la télévision ? - une série intitulée "Art Crimes : tableaux volés", série de 6 "documentaires" sur des voleurs de tableaux, un des plus vieux métiers du monde. 5 des 6 films sont à présent visibles librement sur le site Arte.tv jusqu’au 29 juin 2023.

"Documentaire" est un terme impropre car les auteurs y déploient des astuces de réalisateur de cinéma à sensations, en imitant l’ambiance de films noirs comme "Ascenseur pour l’échafaud". On n’y parle pas d’art ni de peinture, mais de vols de tableaux, de leurs auteurs et de leurs justiciers.

Soigneusement mis en scène, les cambrioleurs (quand ils ont survécu à la prison) et les policiers qui les ont traqués (souvent retraités) content leurs mésaventures, sous une belle lumière de confessionnal, en phrases courtes, interrompues par de longues scènes de ville la nuit, nappées de musique pour ascenseur. On les fait parfois reconstituer évasivement une scène censée ressembler à ce qu’ils ont vécu, ou on le demande à leur famille, à des amis, des témoins, enfin à tout ce qui pourrait rappeler qu’on est toujours dans une histoire vraie, mais belle comme une fiction.  
Hélas dans la réalité les vrais voleurs et les vrais gendarmes n'ont rien de très passionnant à dire, "on s’est aperçu alors que l’échelle était trop courte", ou "Gégé avait oublié les clés du camion", ou "C'est juste, on l’a un peu secouée, mais elle a tout avoué". Et le tout sans suspense puisqu’on connait dès le début les coupables (ils sont devant la caméra) et leur motivation, qui n’est que l’argent. Résultat, si on ne s’est pas endormi, on s’ennuie fermement. Et longtemps, une heure et demi par épisode.
 
Un des 5 films fait exception, bien qu’affligé du même style, c’est l’épisode intitulé "Frans Hals: Gotha, 1979", le vol le plus ancien de la série. 
Le coupable (soupçonné) n’a jamais été accusé du vol, et on n’aura aucune certitude sur sa culpabilité ou ses motivations, puisqu’il est mort en 2016 et pour cette raison ne pouvait pas décemment paraitre devant la caméra. La reconstitution lente et fragmentaire de sa vie, par des témoignages, nous tient malgré tout en haleine, comme dans un roman de Joseph Conrad.
Et on se demandera longtemps comment cinq tableaux inestimables, notamment de Frans Hals ou Holbein l'ancien, dérobés dans un château d’Allemagne de l’est supposément par un conducteur de train, ont pu se retrouver accrochés plus de 30 ans dans le modeste salon d’une famille chrétienne et tranquille d’Allemagne de l’ouest, pour être finalement restitués et retrouver les mêmes murs, après avoir pendant presque 40 ans secrètement hanté la vie d’un homme dont on apprendra si peu de choses, mais qu’on ne pourra que plaindre, et peut-être admirer.

Si vous n’avez pas 90 minutes mais seulement 15 de disponibles, le journaliste Philipp Bovermann écrivait en octobre 2020 dans le Süddeutsche Zeitung de Munich un long article sur l’affaire de Gotha, traduit et partagé par Courrier international. Par ailleurs la Gazette Drouot racontait en avril 2022 l'historique de la collection du musée de Gotha. Certains détails de l'affaire y semblent moins romanesques que sur l'écran, mais pas nécessairement plus justes, le forgeron conducteur de train y devenant par exemple chauffeur routier.

Mise à jour le 7.03.2023 : Le 6ème film de la série est disponible depuis aujourd'hui sur le site Arte.tv. C'est l'histoire, ou plutôt l'absence d'histoire, du vol en 1969 de la Grande nativité de Caravage dans l'oratoire San Lorenzo de Palerme en Sicile. C'est le pire des films de la série. Il n'y a rien à en dire, aucun indice sérieux depuis 53 ans, alors les auteurs en ont fait une vague histoire de la mafia sicilienne. Délayage et ennui, on ne verra même pas une reproduction du tableau.

vendredi 4 décembre 2020

Escale à Francfort

De retour de 3 semaines virtuelles à Copenhague, faisons une halte en Allemagne à Frankfurt (Francfort-sur-le-Main). C’est une très grande ville riche, moderne, et son musée de peinture, le Städel museum, héberge une vaste collection qu’il présente sur internet, libre de droits et en très haute définition (quelquefois excessive : 17 000 x 18 000 pixels et 471 Mo pour le Géographe de Vermeer).
Le musée précise qu’en tant qu’institution publique, et comme il ne peut présenter aux visiteurs qu’à peine un centième de la collection, il se doit d’en partager la totalité dans de bonnes conditions sur internet. On ne saurait trouver meilleur argument contre la misère actuelle en ligne des grands musées publics français et italiens.

La consultation du site est agréable, fluide, richement documentée (en anglais et allemand). On déambule parmi 29 875 peintures, dessins, gravures, photographies, ou parmi une sélection de 1539, ou par artiste, ou avec des filtres de recherche.
 
Pour le voyageur qui ne fera qu’une rapide escale virtuelle à Francfort, voici quelques tableaux remarquables et pittoresques, avec leur lien direct sur le site du musée, présentés dans l’ordre à peu près chronologique de création, de 1435 à 1901.

9 détails d'œuvres du Städel museum décrites dans le florilège ci-dessous.

1. Comment peindre 12 manières de torturer des martyrs chrétiens en 1435 ? Stefan Lochner le sait. Il dépose un fond à la feuille d'or, ajoute des détails savoureux avec de jolies couleurs douces, et en fait une merveille (illustration 1).

2. Un bijou de Jan Van Eyck vers 1437. Comme tous les magiciens, cet homme-là doit avoir un « truc » (illustration 2).
 
3. Un Ecce homo de Jérôme Bosch, vers 1495. Le public s’exclame « crucifie-le », et une chouette, caméo que Bosch place soigneusement dans la plupart de ses tableaux, ajoutée dans un repentir final, observe la scène.

4. Elle lisait un roman de gare avant de se coucher. L’ange débarque, manifestement il hésite, il ne se souvient pas de ce qu’il doit lui annoncer. Elle reste interdite, inexpressive, ne sachant ce qui l’attend. Au dessus d’elle une colombe lampadaire attend également que l’ange se rappelle le message. Bref, tout le monde attend. Gerard David (peut-être) aurait peint ça vers 1509, dans une délicate gamme de gris et bleus.
 
5. De Joos van Cleve, un somptueux triptyque de lamentation sur le Christ mort, en 1524, dans un superbe décor très influencé par les paysages de Patinir, son contemporain à Anvers, comme dans cet autre beau tryptique de la crucifixion au Metropolitan de New York (illustration 3)

6. Une nativité insolite vers 1530 d’Hans Baldung Grien, où un ange un peu dégouté présente à la Vierge un enfant Jésus au teint de mort-vivant.
 
7. Une mise en scène très cinématographique et déjà surréaliste du Pseudo-Félix Chrétien (alias Bartholomeus Pons), en 1537.
 
8. Lucas Cranach, vers 1540, représente un Jésus très progressiste pour l'époque, qui va devoir garder une dizaine de bambins pendant que ces dames vont au cinéma (ou plus probablement avec des messieurs, les barbus qui se planquent, à gauche).
 
9. Un très joli portrait de Beatrix Pacheco par François Clouet ou assimilé, vers 1550.
 
10. Une scène de marché en 1559, avec parabole biblique, de Pieter Aertsen, hollandais de l’époque du père Brueghel, remarquable par sa superbe galerie d’étranges portraits songeurs, entre l’indifférence et l’ennui, et que le commentaire qualifie d’impudeur érotique !

11. Un paysage sylvestre féérique de Coninxloo, vers 1600. On distingue quelques chasseurs armés de fusils, et on verrait bien un accident de chasse, un peu de rouge dans cette obsession verte et bleue. (illustration 4).
 
12. Un dessin grandiose d’Abraham Bloemaert, l’Âge d’or, en 1603, où l’on remarquera que les « distanciations sociales » ne sont pas vraiment respectées et que Bloemaert était un dessinateur incomparable.
 
13. Un magnifique portrait de bergère en berger, d’un inconnu allemand, sans doute un maitre (monogramme A.V.D. 1665), accompagné d'un beau pendant.
 
14. En passant près du Géographe de 1669, avec son compas à la main, vous reconnaitrez nécessairement le peintre. Il a signé deux fois, sur l’armoire, discrètement, et sur le mur, avec ostentation. En réalité les deux signatures n’existaient pas lors d’une vente très documentée du tableau en 1872, alors que Vermeer est mort en 1675. (illustration 5).
 
15. Pieter Janssens, surnommé Elinga, peint vers 1670 cet autoportrait empreint de modestie. De fausse modestie. Il se représente au fond, de dos, en train de peindre (le commentaire dit qu’il était gaucher et tenait donc sa palette de la main droite), dans une belle maison dont il peint toujours la même pièce pour ses effets de soleil. Le sol est couvert d’un carrelage compliqué de marbre blanc et noir, et les murs de tableaux d’autres peintres. Les riches habits, la lumière, les dorures, tout respire la félicité. Au centre, au premier plan, légèrement dans l’ombre et vêtue de noir, la balayeuse rappelle discrètement que tout cela est en train de devenir poussière. (illustration 6).
 
16. Les toiles de Lingelbach, comme celles de Berchem à la même époque, vers 1670, fourmillent de personnages colorés et de détails observés sur le vif, dans des mises en scènes dignes des meilleurs moments des films de Spielberg (surtout coupez le son) ou Max Ophüls.
 
17. Peintre dans l’atelier d’un sculpteur à Rome vers 1760, peint par le jeune Hubert Robert. Peut-être un autoportrait. (illustration 7).
 
18. Johan Christian Dahl, un copain de Caspar Friedrich, était à Naples en 1820 et 21 quand le Vésuve faisait une de ses éruptions de routine, comme tous les 15 ans en moyenne, entre 1774 et 1944. Mais depuis 1944, rien, 76 ans de silence. La prochaine éruption risque d’être très violente. Pour mémoire plus de 5 millions d’être humains vivent dans le voisinage immédiat du volcan.
 
19. Une tempête avec son naufrage imminent, par Andreas Achenbach en 1837, en pleine crise d’acné romantique.
 
20. On a beaucoup dénigré la peinture réaliste, la jugeant bien inutile quand la photographie faisait la même chose, en plus économique. Mais en 1848, quand Hasenpflug peignait, la photographie couleur n’existait pas. Il était de ces peintres qui se gèlent les pieds et se ruinent la santé dans les courants d’air des ruines romantiques en attendant que les Maxwell, Ducos de Hauron et autres Lumière inventent bien au chaud dans leur laboratoire la photographie en couleurs.
En outre depuis qu’elle existe, la photographie moderne ne sait toujours pas, sans manipulations, apporter à la fois dans les ombres et dans les lumières les nuances et les détails que l’œil perçoit (au contraire des films Kodachrome, abandonnés en 2010), et elle ne sait pas non plus, sans outil de retouche, réorganiser la réalité, déplacer ou supprimer les éléments gênants. (illustration 8)

21. Un ciel d’orage de Chintreuil, en 1868, avant l’impressionnisme. Peut-être pas un chef d’œuvre, mais Chintreuil est trop rare pour ne pas être montré dès que possible.
 
22. De 1879, un des portraits incomparables de Renoir, ici triple, qui se passe de commentaire. (illustration 9).
 
23. Hans Thoma, peintre bizarre peu connu aux styles très disparates, des paysages les plus originaux au choses symboliques les plus pesantes. Le commentaire affirme que le livre ouvert est la Bible, dans cette plaisante vue d’une fenêtre de 1883.
 
24. D’une exposition marquante au Petit palais en 1987, suivie d’une rétrospective à Orsay en 1997, à quelques ventes médiatisées, jusqu’à une exposition en 2019 au musée Jacquemart-André, tout le monde (au moins à Paris) connait maintenant l’appartement au décor dépouillé du 30 Strandgade à Copenhague, que Vilhelm Hammershoi (Hammershøi) habita de 1898 à 1909, avant de s’installer en face au 25, qu’il peignit également rectiligne et gris. Sachant que le peintre avait les moyens de se procurer beaucoup de couleurs variées en tube, on imagine que cette grisaille mélancolique se situait plutôt dans sa tête, ici en 1901.
 
 

dimanche 10 février 2019

L'art d'un dégénéré

Vous avez déniché dans un grenier des aquarelles défraichies, sur un papier jauni, peintes probablement par un vieil oncle oublié qui ne les a pas signées.
Elles peuvent bien représenter n’importe quoi, un paysage bucolique, un portrait, une femme à demi dénudée, ou un coin de rue. Quel qu’en soit le style, si le sujet fait vaguement bavarois, suisse ou alsacien, c’est un atout.

Vous cherchez alors sur internet des modèles de la signature d’Adolf Hitler (attention, ces sites sont souvent nauséabonds). Choisissez un type de signature. Dans les années 1905 à 1914, il signait ses aquarelles d’une manière qu’on ne retrouve pas dans sa carrière politique ultérieure. Puis vous vous armez d’un pinceau effilé et d’encre noire ou sépia que vous délaierez dans un peu d’eau, pour simuler l’action du temps.

Vous choisissez des aquarelles qui ne pourraient pas être suspectées d’anachronisme, et préférez les œuvres médiocres, mais ce critère n’est pas rédhibitoire, car la mise en page du motif peut être soignée. En effet, peu inspiré, Hitler faisait surtout des copies d’illustrations et de cartes postales d’architecture. Il aurait même vécu décemment de leur vente durant les années précédant la guerre de 1914.
Enfin, vous dessinez au pinceau une signature au bas des feuilles de votre choix, en variant légèrement les tracés.

Une fois ce travail consciencieusement réalisé, vous envoyez le résultat à la maison Weidler à Nuremberg. Très peu de maisons d’enchères acceptent de vendre des œuvres de Hitler. Question d’éthique, affirment-elles (il faut dire que les prix sont encore modestes et les records rares).
La maison bavaroise Weidler en a fait une de ses spécialités, ainsi que de tout objet nazi. Elle est surtout peu regardante et accepte à peu près n’importe quoi signé Hitler, ou en relation, avec ou sans certificat d’authenticité - de toute façon ils sont faux.
Ainsi vous pensez empocher, frais déduits, entre 1 000 et 100 000 euros, pour les plus belles feuilles (1).

Mais l’âge d’or est en train de passer. Des experts du peintre émergent et la justice commence à s’en mêler, ce qui refroidit les amateurs.

En 1983, un certain Billy F. Price, passionné par la période, avait établi un catalogue raisonné de 723 œuvres, qui contenait déjà, innocemment peut-être, beaucoup de faux.
Aujourd’hui, d’après le Figaro, 2 000 Hitler seraient en circulation. Le journal Le Point lui en attribue jusqu'à 3 000 ! Konrad Kujau, l’auteur des célèbres carnets d’Hitler vendus contre une fortune au magazine Stern, a littéralement inondé le marché de l’art de faux Hitler entre 1975 et 1985.

Il y a quelques jours, la justice de Nuremberg a saisi, pour enquête sur contrefaçons, 26 parmi 31 aquarelles attribuées à Hitler et programmées aux enchères du 9.02.2019 chez Weidler (2). Elles sont rayées (pp. 43-47) dans le catalogue de la vente.
Les vignettes y sont d’une définition suffisante pour constater que les styles des œuvres, saisies ou non, sont extrêmement disparates (les signatures également). Souvent plus que médiocres, certaines, comme le lot 6732, semblent du niveau de qualité de celles d’un bon illustrateur, voisines de la reproduction ci-dessus (vue du château de Neuschwanstein, signée A. Hitler et vendue 21 000$ en 2014).

Peut-on être fou et habile en art à la fois, voire talentueux ?
Les experts, désorientés, répondent rétrospectivement, oui, si on est gentil comme Van Gogh, mais non, si on est méchant comme Hitler.

Alors où sont les œuvres authentiques dans ce fatras, et qu’en faire, une fois authentifiées ?

***
(1) Notez que ce comportement, décrit ici avec légèreté pour en pointer la faisabilité, est illégal et peut entrainer, en plus du douloureux sentiment d'avoir mal agi, des peines de prison et d’amende sévères.
(2) Les 5 aquarelles non saisies, les plus hautes mises à prix, entre 19 000 et 45 000 euros, et qui, bien que de techniques très dissemblables, avaient une apparence de pédigrée, sont restées invendues. Les amateurs se demandant sans doute pourquoi elles avaient été épargnées par la justice.

jeudi 30 juin 2016

Tableaux singuliers (4)

Actif en Allemagne entre 1880 et 1920, Max Klinger est connu pour ses gravures mêlant dans des scènes oniriques animaux fantastiques, personnages symboliques, érotisme et macabre.

Ses visions insolites aux mises en page instables, comme cette histoire autour d'un gant féminin, plus près du cauchemar que du rêve, impressionneront Alfred Kubin et le surréalisme jusqu’à Roland Topor.

La peinture de Klinger n’a généralement pas la finesse de ses gravures, mais un petit panneau de bois peint en 1878 à 21 ans, intitulé « Les promeneurs (Die Spaziergänger) » et aujourd’hui à la Alte Nationalgalerie de Berlin, se distingue nettement des productions mythologiques qui suivront.
 
La scène représente un long mur aveugle de briques orange, d’aspect récent et isolé sur un terrain vague. Au centre dos au mur un jeune bourgeois brandit maladroitement un pistolet. Autour de lui se tiennent quatre hommes armés de bâtons. L’un d’eux ramasse une pierre.


Le tableau mesure 86 centimètres par 37. Un critique d’art de l’époque a précisé que la scène se situait dans une zone abandonnée près de Berlin, Hasenheide, et que dans un premier état du tableau le jeune homme menacé était accompagné d’une femme apeurée que le peintre a finalement effacée.

Ainsi seul dos au mur, ce jeune homme au feutre noir semble préfigurer le destin de Joseph K. le personnage du « Procès » de Franz Kafka, dans la scène finale, quand les deux fonctionnaires exécuteurs l'emmènent dans un carrière, sans que l’on ne comprenne vraiment pourquoi. Kafka conclura ainsi son roman : « … l’autre lui enfonça le couteau dans le cœur et l’y retourna par deux fois. Les yeux mourants, K. vit encore les deux messieurs penchés tout près de son visage qui observaient le dénouement joue contre joue. « Comme un chien ! » dit-il, et c’était comme si la honte dût lui survivre. (1) »

***
(1) Traduction d’Alexandre Vialatte.


dimanche 23 mars 2014

Friedrich à Dresde

Friedrich, Caspar David (1774-1840), La grande Réserve près de Dresde.

Après des années d'attente, une reproduction acceptable du sublime tableau de Caspar David Friedrich, « La grande Réserve près de Dresde » est enfin apparue sur Internet. On peut la détailler sur le site Cultural Institute (anciennement Google Art Project).

Le tableau représente la réserve d'Ostra sur la rive sud de l'Elbe à l'ouest de Dresde, en Allemagne. Le site est aujourd'hui occupé par le parc des expositions de Dresde (Messe Dresden).
On peut encore se faire une idée du paysage de l'époque en se plaçant un peu à l'ouest de l'autre côté du fleuve, sur la rive nord et regardant la rive sud vers l'est où Friedrich s'est assis au soleil couchant et à probablement réalisé quelques esquisses préparatoires à la sépia ou à l'aquarelle en 1831 ou 1832.

Sa santé avait commencé à décliner. Le tableau sera un de ses derniers chefs-d’œuvre. Acheté en 1832 par ses amis de l'Association d'Art de Saxe, il est depuis 1909 au musée de Dresde, aujourd'hui sur un mur de la Galerie des nouveaux maitres de l'Albertinum, avec une quinzaine d'autres œuvres de Friedrich. Seuls les musées de Leipzig et de Berlin hébergent une collection de ses tableaux de cette importance.

samedi 29 juin 2013

Friedrich aux oubliettes


Lorsqu'une mode remplace la précédente, elle l'ensevelit sans distinguer le bon du mauvais. Puis périodiquement renaissent des gouts, des styles similaires, et si les ferveurs religieuses et les vagues de fureur intégriste n'ont pas tout détruit au passage, quelque spécialiste exhume un jour des œuvres perdues au fond d'un musée de province et reconstitue avec peine des bribes de la vie d'un artiste oublié.
Ainsi furent ressuscités Vermeer et Georges de La Tour au tournant du 20ème siècle, et quelques décennies plus tard, Caspar David Friedrich. Reconnu depuis comme un des plus sublimes paysagistes de la peinture occidentale, Friedrich reste méconnu et rare parce que tous ses tableaux sont exilés dans des musées lointains de Russie et de l'est de l'Allemagne.

Et si la presse avait fait son métier qui est d'informer, vous auriez certainement su que 18 chefs d’œuvre du peintre étaient regroupés durant trois mois au musée du Louvre dans l'exposition « De l'Allemagne 1800-1939, de Friedrich à Beckmann » qui vient de fermer. Jamais les Français n'avaient vu autant de tableaux de Friedrich réunis depuis la mémorable exposition de l'Orangerie sur la peinture allemande à l'époque du romantisme, fin 1976.
Mais la presse n'a pas daigné informer sur cette réunion exceptionnelle. Tous les articles sur l'exposition, nombreux, n'ont eu de mots que pour une polémique imbécile soulevée par la presse allemande à propos de l'histoire de l'art qui conduirait inévitablement au nazisme.

Il faut reconnaitre que le Louvre aura tout fait pour rater le rendez-vous. Le gros et couteux catalogue de l'exposition, par exemple, n'en est pas un. En principe, un catalogue contient au minimum une liste énumérative méthodique et commentée des œuvres exposées. Ici, rien de tout cela. Vous ne saurez (et encore, partiellement) ce qui était exposé que par des illustrations éparpillées.
Par ailleurs, hormis Friedrich, un paysage de Böcklin, quelques œuvres de Carus, d'Otto Dix et des portraits au crayon de Menzel, étaient accrochées là les peintures les plus laides que le 19ème siècle a produites. Von Marées, Von Stuck, Böcklin, Corinth, et les peintres nazaréens affectés et empesés, cautionnées par les divagations pseudo-scientifiques de Goethe sur les couleurs. Une ratatouille de romantisme et de symbolisme un peu trop cuits surnageant dans une sauce de légendes germaniques et de religiosité.

On comprend qu'au milieu de ce vacarme idéologique il était inattendu de découvrir ces paysages silencieux de Friedrich et leurs minuscules personnages qu'on ne voit que de dos, perdus dans des brumes glaciales, des ciels d'orage ou des aubes éblouissantes.

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Reconstitution de la liste des tableaux de Friedrich exposés au Louvre du 28 mars au 24 juin 2013 :

Brume matinale en montagne 1808 (Rudolfstadt) - illustr. centre droite 
Paysage du Riesengebirge 1810 (Moscou M. Pouchkine) - ill. bas gauche
Riesengebirge au clair de lune 1810 (Weimar musée d'état)
Ville au clair de lune 1817 (Winterthur)
Neubrandenburg 1818 (Greifswald Landesmuseum)
La cathédrale 1818 (Schweinfurt)
Nuit au port (les sœurs) 1818 (Munich NeuePinakothek)
Femme devant le soleil couchant 1818 (Essen Folkwang)
À bord du voilier 1819 (St-Pétersbourg Ermitage)
Tombeau hunnique en automne 1820 (Dresde GNM)- illustr. bas droite
L'arbre aux corbeaux 1822 (Paris Louvre)
Paysage rocheux Elbsandsteingebirge 1823 (Vienne Belvédère)
Matin en montagne (170cm) 1823 (St-Pétersbourg Ermitage) - ill. haut droite
Le tombeau d'Ulrich von Hutten 1824 (Weimar musée d'état)
Le Watzmann 1824 (Berlin Alte Nationalgalerie) - illustr. haut gauche
Entrée de cimetière (inachevé) 1825 (Dresde Galerie Neue Meister)
Le temple de Junon à Agrigente 1828 (Berlin Alte Nationalgalerie)
L'étoile du soir 1830 (Francfort) - illustr. centre gauche

L'exposition de 1976 (voilà 37 ans), monumentale, était presque une rétrospective Friedrich. Il y était de loin le mieux représenté, avec 38 œuvres (sur 255), dont 27 toiles. Parmi elles, La Grande Réserve et Tumulus dans la neige du musée de Dresde, Lever de lune sur la mer de Berlin, Prairies près de Greifswald de Hambourg. Brume matinale, Paysage du Riesengebirge et 4 autres toiles de l'exposition de 2013 y étaient également.