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mercredi 13 décembre 2023

Le catalogue Cranach est arrivé (1 de 2)

Lucas Cranach, l'idolatrie de Salomon, détail (DresdeStaat. Kunst.)

Il y a quelque temps paraissait en ligne et en libre accès le catalogue raisonné sinon définitif de 2473 peintures de la maison Lucas Cranach & fils & entourage, édité par la Cranach Digital Archives (cda_) regroupant des musées, instituts et fondations principalement en Allemagne. Travail considérable d’expertise et de documentation en allemand et anglais, intégralement illustré, mis à jour régulièrement et progressivement depuis plus de 10 ans. Il devrait être suivi en 2026 du catalogue, considérable également, des gravures et des dessins. 


Lucas Cranach a été toute sa vie artiste à tout faire, chef décorateur un peu diplomate d’un prince de l’Empire germanique, l’électeur de Saxe, mais également éditeur possesseur d’une presse, marchand de vin dans sa propre taverne, et apothicaire, prospère jusqu’à devenir en 1537 et pour 7 ans maire de Wittenberg, importante ville sur l’Elbe, aujourd'hui au nord-est de l’Allemagne. 


Il avait su faire fructifier un talent indiscutable de portraitiste et une grande rapidité d’exécution dit-on. Sur sa tombe à Weimar est inscrit en latin Peintre le plus rapide, mais le compliment s’adresse plutôt au talent d’homme d’affaires de Lucas qui avait monté avec l’aide de ses fils un atelier prolifique parfaitement huilé de copies dérivées de ses propres créations, au point que des Cranach tout frais pourvoyaient encore le marché des décennies après la mort du père, à 80 ans en 1553 (en 1565 son fils Lucas était à son tour maire de Wittenberg).

Lucas Cranach, Jugement dernier, détail (Kansas City, NAMoA)

Bien que contemporain et voisin des Dürer ou Holbein sous l’influence de la Renaissance en Europe, Cranach conservera jusqu’à la fin un style "gothique allemand" déjà un peu désuet - nécessités de l’automatisation de la production obligent - provincial, avec ses personnages aux postures maniérées et à la molle anatomie, ses décors sans perspective, surchargés de détails symboliques soulignés avec préciosité. 
Mais la manière eut longtemps un succès considérable. 

On lui doit par exemple la mode des jolies nymphettes sans formes totalement dévêtues d’un voile transparent et de quelques breloques dorées, et qui posent mièvrement devant n’importe quel prétexte religieux et mythologique. Obsession vivace encore de nos jours puisqu’elle hantait en 2010 les instances du musée du Louvre au point de les pousser à mendier le mécénat du public pour posséder l’objet de leur passion, et elle aveuglait plus récemment l’admiration d’une tête couronnée européenne qui dépensait une fortune - encouragée par les meilleurs experts - dans une Vénus qui pourrait bien être une magnifique contrefaçon. 

On doit également aux Cranach une bonne centaine de portraits du grand ami de Lucas, Martin Luther, grand réformateur visionnaire de la religion en Europe, qui jugeait Copernic imbécile pour son idée contraire au bon sens et aux Saintes Écritures de faire tourner la Terre dans l’espace, et qui croyait aussi aux sorcières et préconisait par sermon leur combustion.

Lucas Cranach, St Jérôme dans la nature, détail (Innsbruck, TLF)

Il reste que dans le monde des Cranach, dans ce paradis clos où grouillent plantes et animaux, où des héros harnachés de fer blanc se découragent au pied de jeunesses indifférentes seulement préoccupées de leur pose, où des personnages lumineux vainquent sans effort des dragons de caoutchouc, où des jeunes femmes aux toilettes coquettes se piquent de cuisine (ou de bricolage) sans réellement maitriser l’usage des ustensiles malgré de nombreux essais, dans ces féeries illustrées pour adultes, même après avoir réalisé que les paysages, si réalistes, ne sont que des décors - on aura remarqué dans l’œil de la baleine le reflet de la fenêtre de l’atelier - on s’émerveillera toujours, comme au cinéma, de la découverte d'un nouveau visage charmant ou d'un monstre inoffensif.

La deuxième partie de cette chronique sera dédiée, dans quelques jours, au lectorat pressé ou perdu devant le nombre de copies médiocres dans le catalogue. Ce sera une visite guidée par thèmes vers les plus beaux fleurons des studios Cranach.

Atelier Cranach, Christ et la femme cananéenne, détail (Aschaffenburg, SSJ)

dimanche 19 juin 2022

Invendus (3)

Détail du magnifique portrait de sa femme vers 1755-1760 par Allan Ramsay (musée d’Edimbourg - national galleries of Scotland) 
 
On aura noté l'irrésistible attrait de Ce Glob pour ces merveilles de la création artistique qui atteignent des prix records en vente publique. Elles illustrent la marche victorieuse du génie humain vers d’inaccessibles horizons. Mais il y a parfois des déceptions.

Dans la famille des grands portraitistes de l’aristocratie anglaise au 18ème siècle, qui rivalisaient de raffinement maniéré pour obtenir les faveurs de la Royal Academy et les commandes de la Couronne, à peine une génération avant que débarquent sur le marché les Reynolds, Romney et Gainsborough, il y avait Allan Ramsay

Peintre officiel du roi en 1760, très sollicité, sa production est inégale ; froideur protocolaire des expressions, mollesse des attitudes, des traits, de la touche même, fréquents défauts de dessin notamment de perspective dans les yeux des modèles (il y a des preuves), mais quelquefois des portraits sensibles, raffinés, où la touche est légère et vaporeuse et le dessin mieux maitrisé, comme ce joli portrait de Lady Anne North en dentelles, bonbon sous cellophane vendu, en 2008, 780 000 dollars d'aujourd'hui (il demandait alors un bon débarbouillage, on peut s’en faire une meilleure idée dans une copie faite par le fils d’un assistant de Ramsay), et invendu en 2017 après restauration. 

Il en résulte une grande disparité des cotes de Ramsay dans les ventes publiques.

Patientez, GIF animé en cours de chargement (10Mo)Le marché proposait, en mars dernier, un très fin portrait de Catherine Windsor, que le descriptif par Sotheby’s disait en assez bon état général malgré un vernis encrassé (dans l'illustration ci-contre le vernis a été enlevé numériquement)

En dépit de ses qualités expressives - Titien n’aurait pas fait beaucoup mieux - le tableau n'a pas été vendu.
Sotheby’s l'aurait pourtant laissé partir pour moins de 10 000 dollars. C'est peu pour un portrait dont nombre de nos musées régionaux pourraient faire leur Joconde.

Alors pourquoi le bouder ? Parce que le catalogue l’attribue à "Allan Ramsay et atelier" et l’estime donc d’une moindre valeur ? 
Le monde de l’art dispose d'une gamme de locutions pour nuancer ses attributions, et sa propre responsabilité. 
L’expert en Ramsay de Sotheby’s aura sans doute eu connaissance d’indices qui l'ont fait douter (mais qui ne seront pas dévoilés au public, sinon tout le monde serait expert !). L’absence apparente de signature, peut-être. C’est à mettre à son crédit, car en bonnes commerçantes les maisons de vente ont un peu tendance, comme les assureurs, à présenter en minuscules caractères ce qui pourrait faire hésiter le client.

On le sait, un tableau certifié de la main d’un peintre renommé peut rapporter des dizaines voire des centaines de fois plus que le même tableau, indiscernable, peint par un élève ou un assistant de l’atelier. C'est un biais cognitif très commun qui donne la primauté à ce qu’on imagine savoir d’un objet plutôt qu'à des impressions immédiates ; le cerveau se croit plus malin que ces sensations et les réduit au silence. 

Pourtant, dans la hiérarchie des locutions, "Ramsay et atelier" est proche de l’authenticité, loin des "attribué à Ramsay", "école de Ramsay" ou "d’après Ramsay", et les exemples d'attribution non crue par les enchérisseurs ne sont pas si rares. 
Mais Catherine Windsor comtesse de Plymouth n’aura pas eu de chance, cette fois-ci.

Il y a encore beaucoup de discrétion dans les procédures d’enchères une fois le marteau abaissé, comme en 2016, lors de la curieuse non vente du célèbre tableau de Merson, le Repos pendant la fuite en Égypte, qu'on a vu reparaitre pomponné 3 ans plus tard. 
Dans quelques mois, on verra vraisemblablement revenir la comtesse et son châle bleu travaillé de fils d'argent.

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Note : les fidèles contrariés de ne pas trouver les chroniques nommées Invendus (1) et Invendus (2) les trouveront sous d’autres titres en cliquant sur le mot clef Invendus ci-dessous.