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samedi 4 mai 2024

Où étaient les peintres ? (7)

Trois vues du dos de Florentine, peintes par - dans l’ordre alphabétique - Eckersberg, Henriques et Smith, placées ici en fonction de la position supposée de chaque peintre devant la scène, donc pas nécessairement dans l’ordre des noms.

Faisons comme si vous étiez en train de lire cette chronique. Il est possible que ce ne soit pas le cas ; vous êtes peut-être déjà dans cet univers potentiel où la déesse Gougueule l'aura censurée, parce que l'illustration en est au moins trois fois plus osée que ce que les obsessions puritaines de son réseau et son intelligence postiche supportent habituellement. D’ailleurs une des 3 images qui la composent, qui illustre les publications d’un fameux musée danois, aurait été menacée d’interdiction vers 2016 sur un autre réseau social multimilliardaire en adhérents.  


La question de savoir où étaient les peintres n’est qu’un prétexte, bien sûr. On devine sans effort qu’ils étaient au même endroit, au même moment.


D’ailleurs ces séances de pose sont bien documentées dans le journal tenu par Eckersberg à l’époque. 

Elles se déroulaient, comme d’autres séances depuis le milieu des années 1830, dans une salle de l’Académie royale des beaux-arts danoise, à Copenhague, entre le 9 aout et le 16 septembre 1841. Le professeur, C.W. Eckersberg - on en parlait ici et  - enseignait par l'exemple la peinture d’après un modèle féminin dont l’histoire n’a retenu que le sobriquet, Florentine, à un groupe d’élèves, dont Salomon Henriques et Ludvig Smith.


La version du professeur Eckersberg, une toile de petit format (33cm. x 26), est devenue depuis 1895 où elle trône dans la salle 1 du musée de la collection Hirschsprung à Copenhague, une sorte de Joconde danoise. Eckersberg est souvent qualifié de père de la peinture danoise.


La version de Ludvig Smith, haute de 120 centimètres, achetée aux enchères en 2003, est une des 151 œuvres danoises de l’étonnante collection privée du banquier américain John Loeb Junior, constituée depuis les années 1980 quand il était ambassadeur au Danemark, et dont le catalogue raisonné en ligne est remarquable.


La version de Salomon Henriques, haute de 87 centimètres, aurait pu faire l’objet d’une chronique de la série Ce monde est disparu puisqu’elle devrait disparaitre sous les enchères dans quelques jours, chez Christie’s à New York le 23 mai, contre 20 à 30 000 dollars, pense-t-on.


Quant à la position précise des peintres lors de ces séances, le commentaire du catalogue raisonné de la collection Loeb considère qu’Eckersberg était à gauche, Smith au milieu et Hendriques à droite, comme sur notre illustration. Le modèle ne pouvant pas garder exactement la même attitude au long des multiples séances de pose nécessaires, il semble qu'à certains détails cette affirmation, particulièrement sur la position des deux élèves, pourrait être discutée. Nous ne le ferons pas.


On dit que J.C. Dahlpaysagiste norvégien ami de Friedrich à Dresde, était présent à ces séances de 1841, parmi d'autres artistes. Il n’est pas impossible que des versions perdues du dos de Florentine reparaissent un jour, du fond d’un débarras ou d'une brocante. 


Mise à jour 04.06.2025 : C'est la Glyptothèque de Copenhague qui emportait la version d'Henriques contre 53 000$ et qui l'expose maintenant. Elle reste où elle a été peinte. 

lundi 18 décembre 2023

Le catalogue Cranach est arrivé (2 de 2)

Lucas Cranach, Martyre de Ste Catherine, détail panneau de droite (DresdeStaat. Kunst.)

Comme promis, voici un choix de liens vers les œuvres parmi les plus remarquables du catalogue des peintures de Lucas Cranach et compagnie. Les titres donnés ici aux tableaux sont raccourcis, voire fantaisistes. Le pédigrée complet attribué à chaque œuvre par les historiens est décrit dans la fiche du catalogue en lien.

L’interface du catalogue n’est pas des plus remarquables (privilégiez l’ordinateur et le grand écran), la fonction de recherche et les filtres ne sont pas toujours très efficaces (pensez à chercher les mots et noms dans leur version anglaise ou allemande). La plupart des reproductions (cherchez en bas de la page et dans l’onglet "Images") sont zoomables et de bonne qualité, mais protégées contre la copie.  
En effet, Cranach a daté et signé discrètement (d’un serpent ailé ou des lettres LC) un grand nombre de ses tableaux. La chose et la localisation sont précisées pour chaque numéro dans le catalogue. Mais vous aurez sans doute déjà noté, flottant sur toutes les reproductions (il y en a plus de 20 000), des dizaines de tampons de toute taille du sigle "cda_" distribués aléatoirement, parfois sur les visages. Ce ne sont pas les initiales du vieux Cranach (Cranach der Ältere) mais des cochonneries déféquées par la Cranach Digital Archive, auteure du catalogue. Le but est évidemment de marquer son territoire, cet accès privilégié aux œuvres des Cranach, et ainsi de vendre aux éditeurs et au public les illustrations originales non souillées, et se faire encore un peu de profit sur les restes du vieux Lucas.


Portraits

Lucas Cranach, Portrait de femme, détail (Washington, NGoA)

Polyptyque du martyre de Catherine 3 saintes à gauche, 3 saintes à droite (Dresde) Princesse (Eisenach) - 3 princesses (Vienne KHM) - Portrait de femme (Washington) - Portrait plutôt d’une armure (Grunewald) - Étranges caricatures dans les flammes (coll. privée) - Jeune femme (St Petersburg) - Homme jovial (Bruxelles) - Bon alors à demain sans faute (Stockholm) - Luther sur son lit de mort (Hanovre) - Princesse de Saxe (Berlin) - Portrait par l'atelier (Karlsruhe)...


Paysages

Lucas Cranach, Paysage avec décapitation, détail (Kromeriz)

Jardin d’Eden (Vienne KHM) - Le même avec des bêtes (Dresde) - Les experts disent que c'est un faune et sa famille dans un paysage (Getty LA) - Scène bucolique "mais où avais-je la tête ?" (Kromeriz) - Pommier avec Samson et Dalilah (Augsburg) - Autour de St Jérôme un des plus beaux Cranach (Innsbruck) - Paysage funeste (Greenville)...


Nymphettes

Lucas Cranach, La fabrique de nymphettes, détail (Berlin Gemäldegalerie)

Le modèle du genre en Vénus (Louvre) - La surenchère du Louvre - Les coquines du Jugement de Pâris (Londres) - Plus coquines (Karlsruhe) - Vénus encore (Copenhague) - Ève plantureuse (Florence Uffizi) - Avec Adam et des témoins (Vienne KHM) - La fontaine de jouvence ou la fabrique de nymphettes (Berlin) - Chiche ! (Stockholm) - Forcément, ça énerve un peu les mâles (Londres)...


Monstres et squelettes

Lucas Cranach, Damnation et rédemption, détail (Gotha)

Pourchassé par le diable et la mort, à Weimar, à Nuremberg, à Gotha, mais heureusement Vainqueur à Schneeberg - Des scorpions et divers shadoks, cherchez bien tout en bas et surtout en haut à gauche (Aschaffenburg) - Crucifixion avec un Christ en très mauvais état (Vienne KHM) - Dépeçé par Cambyse (Grunewald) - Jugement dernier avec monstres genre peluches à la Disney (Kansas City) - Même sort pour Jérôme (Litomerice)...


Curiosités

Lucas Cranach, Le festin d'Hérode ou "Non merci mais là je cale", détail (Hartford Wadsworth A.)

David et Bethsabée (Grunewald) - Est-ce bien la place pour une oreille ? - Une superbe copie à la fois scrupuleuse et personnalisée du triptyque du jugement dernier de Vienne de Bosch (Berlin), les panneaux gauche, centre, droit - Aristote à saute-mouton (Coll. privée) - Nostalgie de Woodstock (Munich) - Woodstock encore (Oslo) - Le festin d’Hérode "Non merci, mais là je cale" (Hartford) - Mélancolie (Colmar) - Encore, mais personne n’explique tous ces bambins (Coll. privée)…


Ci-dessus un Shadok de la résurrection d'Aschaffenburg et ci-dessous un autre détail du Martyre de Ste Catherine, les portraits du panneau de gauche (DresdeStaat. Kunst.) 

mercredi 13 décembre 2023

Le catalogue Cranach est arrivé (1 de 2)

Lucas Cranach, l'idolatrie de Salomon, détail (DresdeStaat. Kunst.)

Il y a quelque temps paraissait en ligne et en libre accès le catalogue raisonné sinon définitif de 2473 peintures de la maison Lucas Cranach & fils & entourage, édité par la Cranach Digital Archives (cda_) regroupant des musées, instituts et fondations principalement en Allemagne. Travail considérable d’expertise et de documentation en allemand et anglais, intégralement illustré, mis à jour régulièrement et progressivement depuis plus de 10 ans. Il devrait être suivi en 2026 du catalogue, considérable également, des gravures et des dessins. 


Lucas Cranach a été toute sa vie artiste à tout faire, chef décorateur un peu diplomate d’un prince de l’Empire germanique, l’électeur de Saxe, mais également éditeur possesseur d’une presse, marchand de vin dans sa propre taverne, et apothicaire, prospère jusqu’à devenir en 1537 et pour 7 ans maire de Wittenberg, importante ville sur l’Elbe, aujourd'hui au nord-est de l’Allemagne. 


Il avait su faire fructifier un talent indiscutable de portraitiste et une grande rapidité d’exécution dit-on. Sur sa tombe à Weimar est inscrit en latin Peintre le plus rapide, mais le compliment s’adresse plutôt au talent d’homme d’affaires de Lucas qui avait monté avec l’aide de ses fils un atelier prolifique parfaitement huilé de copies dérivées de ses propres créations, au point que des Cranach tout frais pourvoyaient encore le marché des décennies après la mort du père, à 80 ans en 1553 (en 1565 son fils Lucas était à son tour maire de Wittenberg).

Lucas Cranach, Jugement dernier, détail (Kansas City, NAMoA)

Bien que contemporain et voisin des Dürer ou Holbein sous l’influence de la Renaissance en Europe, Cranach conservera jusqu’à la fin un style "gothique allemand" déjà un peu désuet - nécessités de l’automatisation de la production obligent - provincial, avec ses personnages aux postures maniérées et à la molle anatomie, ses décors sans perspective, surchargés de détails symboliques soulignés avec préciosité. 
Mais la manière eut longtemps un succès considérable. 

On lui doit par exemple la mode des jolies nymphettes sans formes totalement dévêtues d’un voile transparent et de quelques breloques dorées, et qui posent mièvrement devant n’importe quel prétexte religieux et mythologique. Obsession vivace encore de nos jours puisqu’elle hantait en 2010 les instances du musée du Louvre au point de les pousser à mendier le mécénat du public pour posséder l’objet de leur passion, et elle aveuglait plus récemment l’admiration d’une tête couronnée européenne qui dépensait une fortune - encouragée par les meilleurs experts - dans une Vénus qui pourrait bien être une magnifique contrefaçon. 

On doit également aux Cranach une bonne centaine de portraits du grand ami de Lucas, Martin Luther, grand réformateur visionnaire de la religion en Europe, qui jugeait Copernic imbécile pour son idée contraire au bon sens et aux Saintes Écritures de faire tourner la Terre dans l’espace, et qui croyait aussi aux sorcières et préconisait par sermon leur combustion.

Lucas Cranach, St Jérôme dans la nature, détail (Innsbruck, TLF)

Il reste que dans le monde des Cranach, dans ce paradis clos où grouillent plantes et animaux, où des héros harnachés de fer blanc se découragent au pied de jeunesses indifférentes seulement préoccupées de leur pose, où des personnages lumineux vainquent sans effort des dragons de caoutchouc, où des jeunes femmes aux toilettes coquettes se piquent de cuisine (ou de bricolage) sans réellement maitriser l’usage des ustensiles malgré de nombreux essais, dans ces féeries illustrées pour adultes, même après avoir réalisé que les paysages, si réalistes, ne sont que des décors - on aura remarqué dans l’œil de la baleine le reflet de la fenêtre de l’atelier - on s’émerveillera toujours, comme au cinéma, de la découverte d'un nouveau visage charmant ou d'un monstre inoffensif.

La deuxième partie de cette chronique sera dédiée, dans quelques jours, au lectorat pressé ou perdu devant le nombre de copies médiocres dans le catalogue. Ce sera une visite guidée par thèmes vers les plus beaux fleurons des studios Cranach.

Atelier Cranach, Christ et la femme cananéenne, détail (Aschaffenburg, SSJ)