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lundi 18 décembre 2023

Le catalogue Cranach est arrivé (2 de 2)

Lucas Cranach, Martyre de Ste Catherine, détail panneau de droite (DresdeStaat. Kunst.)

Comme promis, voici un choix de liens vers les œuvres parmi les plus remarquables du catalogue des peintures de Lucas Cranach et compagnie. Les titres donnés ici aux tableaux sont raccourcis, voire fantaisistes. Le pédigrée complet attribué à chaque œuvre par les historiens est décrit dans la fiche du catalogue en lien.

L’interface du catalogue n’est pas des plus remarquables (privilégiez l’ordinateur et le grand écran), la fonction de recherche et les filtres ne sont pas toujours très efficaces (pensez à chercher les mots et noms dans leur version anglaise ou allemande). La plupart des reproductions (cherchez en bas de la page et dans l’onglet "Images") sont zoomables et de bonne qualité, mais protégées contre la copie.  
En effet, Cranach a daté et signé discrètement (d’un serpent ailé ou des lettres LC) un grand nombre de ses tableaux. La chose et la localisation sont précisées pour chaque numéro dans le catalogue. Mais vous aurez sans doute déjà noté, flottant sur toutes les reproductions (il y en a plus de 20 000), des dizaines de tampons de toute taille du sigle "cda_" distribués aléatoirement, parfois sur les visages. Ce ne sont pas les initiales du vieux Cranach (Cranach der Ältere) mais des cochonneries déféquées par la Cranach Digital Archive, auteure du catalogue. Le but est évidemment de marquer son territoire, cet accès privilégié aux œuvres des Cranach, et ainsi de vendre aux éditeurs et au public les illustrations originales non souillées, et se faire encore un peu de profit sur les restes du vieux Lucas.


Portraits

Lucas Cranach, Portrait de femme, détail (Washington, NGoA)

Polyptyque du martyre de Catherine 3 saintes à gauche, 3 saintes à droite (Dresde) Princesse (Eisenach) - 3 princesses (Vienne KHM) - Portrait de femme (Washington) - Portrait plutôt d’une armure (Grunewald) - Étranges caricatures dans les flammes (coll. privée) - Jeune femme (St Petersburg) - Homme jovial (Bruxelles) - Bon alors à demain sans faute (Stockholm) - Luther sur son lit de mort (Hanovre) - Princesse de Saxe (Berlin) - Portrait par l'atelier (Karlsruhe)...


Paysages

Lucas Cranach, Paysage avec décapitation, détail (Kromeriz)

Jardin d’Eden (Vienne KHM) - Le même avec des bêtes (Dresde) - Les experts disent que c'est un faune et sa famille dans un paysage (Getty LA) - Scène bucolique "mais où avais-je la tête ?" (Kromeriz) - Pommier avec Samson et Dalilah (Augsburg) - Autour de St Jérôme un des plus beaux Cranach (Innsbruck) - Paysage funeste (Greenville)...


Nymphettes

Lucas Cranach, La fabrique de nymphettes, détail (Berlin Gemäldegalerie)

Le modèle du genre en Vénus (Louvre) - La surenchère du Louvre - Les coquines du Jugement de Pâris (Londres) - Plus coquines (Karlsruhe) - Vénus encore (Copenhague) - Ève plantureuse (Florence Uffizi) - Avec Adam et des témoins (Vienne KHM) - La fontaine de jouvence ou la fabrique de nymphettes (Berlin) - Chiche ! (Stockholm) - Forcément, ça énerve un peu les mâles (Londres)...


Monstres et squelettes

Lucas Cranach, Damnation et rédemption, détail (Gotha)

Pourchassé par le diable et la mort, à Weimar, à Nuremberg, à Gotha, mais heureusement Vainqueur à Schneeberg - Des scorpions et divers shadoks, cherchez bien tout en bas et surtout en haut à gauche (Aschaffenburg) - Crucifixion avec un Christ en très mauvais état (Vienne KHM) - Dépeçé par Cambyse (Grunewald) - Jugement dernier avec monstres genre peluches à la Disney (Kansas City) - Même sort pour Jérôme (Litomerice)...


Curiosités

Lucas Cranach, Le festin d'Hérode ou "Non merci mais là je cale", détail (Hartford Wadsworth A.)

David et Bethsabée (Grunewald) - Est-ce bien la place pour une oreille ? - Une superbe copie à la fois scrupuleuse et personnalisée du triptyque du jugement dernier de Vienne de Bosch (Berlin), les panneaux gauche, centre, droit - Aristote à saute-mouton (Coll. privée) - Nostalgie de Woodstock (Munich) - Woodstock encore (Oslo) - Le festin d’Hérode "Non merci, mais là je cale" (Hartford) - Mélancolie (Colmar) - Encore, mais personne n’explique tous ces bambins (Coll. privée)…


Ci-dessus un Shadok de la résurrection d'Aschaffenburg et ci-dessous un autre détail du Martyre de Ste Catherine, les portraits du panneau de gauche (DresdeStaat. Kunst.) 

mercredi 13 décembre 2023

Le catalogue Cranach est arrivé (1 de 2)

Lucas Cranach, l'idolatrie de Salomon, détail (DresdeStaat. Kunst.)

Il y a quelque temps paraissait en ligne et en libre accès le catalogue raisonné sinon définitif de 2473 peintures de la maison Lucas Cranach & fils & entourage, édité par la Cranach Digital Archives (cda_) regroupant des musées, instituts et fondations principalement en Allemagne. Travail considérable d’expertise et de documentation en allemand et anglais, intégralement illustré, mis à jour régulièrement et progressivement depuis plus de 10 ans. Il devrait être suivi en 2026 du catalogue, considérable également, des gravures et des dessins. 


Lucas Cranach a été toute sa vie artiste à tout faire, chef décorateur un peu diplomate d’un prince de l’Empire germanique, l’électeur de Saxe, mais également éditeur possesseur d’une presse, marchand de vin dans sa propre taverne, et apothicaire, prospère jusqu’à devenir en 1537 et pour 7 ans maire de Wittenberg, importante ville sur l’Elbe, aujourd'hui au nord-est de l’Allemagne. 


Il avait su faire fructifier un talent indiscutable de portraitiste et une grande rapidité d’exécution dit-on. Sur sa tombe à Weimar est inscrit en latin Peintre le plus rapide, mais le compliment s’adresse plutôt au talent d’homme d’affaires de Lucas qui avait monté avec l’aide de ses fils un atelier prolifique parfaitement huilé de copies dérivées de ses propres créations, au point que des Cranach tout frais pourvoyaient encore le marché des décennies après la mort du père, à 80 ans en 1553 (en 1565 son fils Lucas était à son tour maire de Wittenberg).

Lucas Cranach, Jugement dernier, détail (Kansas City, NAMoA)

Bien que contemporain et voisin des Dürer ou Holbein sous l’influence de la Renaissance en Europe, Cranach conservera jusqu’à la fin un style "gothique allemand" déjà un peu désuet - nécessités de l’automatisation de la production obligent - provincial, avec ses personnages aux postures maniérées et à la molle anatomie, ses décors sans perspective, surchargés de détails symboliques soulignés avec préciosité. 
Mais la manière eut longtemps un succès considérable. 

On lui doit par exemple la mode des jolies nymphettes sans formes totalement dévêtues d’un voile transparent et de quelques breloques dorées, et qui posent mièvrement devant n’importe quel prétexte religieux et mythologique. Obsession vivace encore de nos jours puisqu’elle hantait en 2010 les instances du musée du Louvre au point de les pousser à mendier le mécénat du public pour posséder l’objet de leur passion, et elle aveuglait plus récemment l’admiration d’une tête couronnée européenne qui dépensait une fortune - encouragée par les meilleurs experts - dans une Vénus qui pourrait bien être une magnifique contrefaçon. 

On doit également aux Cranach une bonne centaine de portraits du grand ami de Lucas, Martin Luther, grand réformateur visionnaire de la religion en Europe, qui jugeait Copernic imbécile pour son idée contraire au bon sens et aux Saintes Écritures de faire tourner la Terre dans l’espace, et qui croyait aussi aux sorcières et préconisait par sermon leur combustion.

Lucas Cranach, St Jérôme dans la nature, détail (Innsbruck, TLF)

Il reste que dans le monde des Cranach, dans ce paradis clos où grouillent plantes et animaux, où des héros harnachés de fer blanc se découragent au pied de jeunesses indifférentes seulement préoccupées de leur pose, où des personnages lumineux vainquent sans effort des dragons de caoutchouc, où des jeunes femmes aux toilettes coquettes se piquent de cuisine (ou de bricolage) sans réellement maitriser l’usage des ustensiles malgré de nombreux essais, dans ces féeries illustrées pour adultes, même après avoir réalisé que les paysages, si réalistes, ne sont que des décors - on aura remarqué dans l’œil de la baleine le reflet de la fenêtre de l’atelier - on s’émerveillera toujours, comme au cinéma, de la découverte d'un nouveau visage charmant ou d'un monstre inoffensif.

La deuxième partie de cette chronique sera dédiée, dans quelques jours, au lectorat pressé ou perdu devant le nombre de copies médiocres dans le catalogue. Ce sera une visite guidée par thèmes vers les plus beaux fleurons des studios Cranach.

Atelier Cranach, Christ et la femme cananéenne, détail (Aschaffenburg, SSJ)

mercredi 20 avril 2022

Jusqu’à l’indigestion

Vous avez nécessairement remarqué que les médias français sont essentiellement préoccupés, depuis peu et pour quelques jours encore, d’un sujet local (en bref, comment éviter que le pire n’advienne tout en le choisissant cependant un peu).
Aussi reviendrons-nous aujourd’hui - on avait prévenu - sur le sujet universel des fraises des bois. 

Que dites-vous ? Vous frôlez l’indigestion ? Notez que c’est un peu la faute de Monsieur Chardin. Peindre avec tant d’habileté une bassine ! … une bassine ? une baignoire ! … une baignoire ? que dis-je ? une montagne de fraises, et accompagnée seulement d’un verre d’eau, transparent, livide, blafard, sans sucre, ni biscuit, boudoir ou cigarette russe - ah, l’adjectif était inconvenant ? Je l’ai retiré.

Naturellement ce petit tableau est convoité, démesurément, on l’aura compris à suivre les épisodes de cette série haletante.

[Lire aussi, sur le même sujet et dans l’ordre, Des fraises de Chardin, La poésie à l’huile, Fraises des bois Marilyn et mondanités].
 
Eh bien sachez qu’était diffusé, dès le lendemain de la vente publique, le premier épisode de la saison 2. On comprend que vous ayez des difficultés à suivre, et c’est un peu notre rôle, médias spécialisés, de vous pré-mâcher et pré-digérer l’information, que vous n’ayez qu’à la régurgiter.

La deuxième saison est donc titrée « Encore un petit coup de Chardin pour la route ». C’est assez vulgaire, effectivement. Peut-être va-t-on y abandonner un peu de nos illusions.

Lors du dernier épisode de la saison 1, qui s'achevait - rappelez-vous - par la célébration de la vente aux enchères, l’équipe de scénaristes avait habilement introduit un personnage qui passait là comme par hasard, la toute nouvelle présidente du musée du Louvre, éblouie par ce monde des objets aux valeurs marchandes extravagantes, prête à s’émoustiller de ses propres pouvoirs (on le découvrira plus bas).


Signalons aux personnes intéressées par les fraises des bois (suivez mon regard) que c’était un des sujets favoris (pas des plus réussis néanmoins) d’Adriaen Coorte autour de 1700, et que sa cote est encore relativement basse. Ainsi elles pourraient s’acheter une quinzaine de Coorte pour le prix du Chardin convoité. Sotheby’s en vend couramment (2009, 2015, 2022) et en a encore en réserve (ci-dessus). Il faut cependant aimer aussi les asperges et les groseilles à maquereau.


Et la saison 2 ne vous décevra pas. Dans ce premier épisode on est exactement le lendemain de la vente historique, et la présidente du Louvre annonce au journal Le Figaro (*) qu’elle veut le Chardin, qu’elle peut l’avoir, mais - et là elle joue sa Cosette - qu’elle n’a pas les moyens de se le payer, ni à 30 (son prix d’adjudication), ni à 15, pas même à 6 ou 7 millions de dollars (**).

(*L’article est payant, les choses deviennent sérieuses.
(**) On est dans un pastiche de série américaine, ne l’oubliez pas (les conversions sont effectuées gracieusement par nos services).
 
Bien sûr, elle a 40 ou 45 Chardin dans des cartons au Louvre, mais elle veut celui-ci, elle n’en démordra pas. On l’imagine, dans le plus profond désespoir, assistant à l’apothéose du tableau dans un grand musée américain dont ce serait l’unique Chardin, et le voyant reproduit en haute définition sur le site du même musée, téléchargeable librement et sans aucun copyright. On en frémit.

Puis elle se ressaisit, et révèle fièrement avoir demandé au ministère de la Culture de déclarer le tableau Trésor national, ce qui lui donnerait légalement 30 mois pour tenter de réunir 30 millions de dollars.
Quelle entreprise, pour obtenir de l’administration certains avantages immatériels (notez le clin d’œil complice du rédacteur), et être de toute façon remboursée de 90% sur ses propres impôts (***), n’aiderait l’impécunieuse ministre à sauver la Nation tout en améliorant quasi gratuitement sa propre image de marque ?

(***) En tant que donation pour un Trésor national. Rappelons que c’est à coups de centaines de millions d’euros, presque d’un milliard, en grande partie remboursés par les impôts de tous, que la cathédrale de Paris et d’Eugène Viollet-le-Duc attend d’être reconstruite.

Vous avez certainement deviné la suite. Le prochain épisode verrait le lancement d’une souscription nationale. On solliciterait la générosité et la bonne volonté du citoyen, comme pour les 3 nymphettes de Cranach en 2010. C’était alors pour assouvir une passion condamnable du président du Louvre. Ici, ce sera pour satisfaire une envie de fraises. 

Mais n’anticipons pas...

mercredi 14 octobre 2020

Investir dans l'art ?

Amis millionnaires qui lisez régulièrement Ce Glob, ne dilapidez pas votre fortune à acheter des iles désertes qui seront bientôt dévastées par la montée des eaux, et où vous n’éviterez pas le virus, qui n’a que faire des frontières et de votre position sociale, investissez plutôt dans un marché culturel en plein essor, les collections des musées. 
 
Parmi les valeurs que l’Europe aura héritées sans hésiter de l’indépassable exemple américain, il n’y a pas que la nourriture poubelle, la politique spectacle et le cinéma puéril, il y a surtout un modèle économique et social d’une simplicité biblique : toute entreprise humaine doit être pécuniairement rentable. 
Or les musées américains, presque tous privés (maintenant privés de visiteurs par les restrictions sanitaires), tombent comme des mouches. Après avoir licencié une bonne part des employés et remercié les sociétés de services, que pensez-vous qu’il leur reste à négocier ? 
 
Jusqu’à présent l’Association américaine des directeurs de musée (AAMD), qui fait la loi outre-Atlantique, n’autorisait la vente d’œuvres des musées, sauf exceptions notables, que pour les remplacer et améliorer la collection, pratique qui ouvrait déjà la porte aux engouements passagers, modes et groupes de pression. 
Mais pandémie oblige, l'AAMD vient d’autoriser pour 2 ans, jusqu’au 10 avril 2022 - lisez « tant que ce sera nécessaire » - la vente d’œuvres des collections dans le but de secourir la trésorerie et la gestion courante des musées. On suppose qu’ils vendront en priorité les œuvres dont les donateurs ne sont plus là pour exprimer leur indignation (aux USA, domaine public signifie seulement qu’il n’y a plus de droits d’auteur sur les œuvres, mais elles restent en général la propriété d'institutions ou de fondations soumises au droit privé. En Europe les collections sont principalement administrées par des institutions publiques et soumises - pour l’instant - à des règles d’inaliénabilité).


Alors le musée de Brooklyn, à New York, se lance le premier, un peu timidement, avec une douzaine d’œuvres (sur une collection de 20 à 30 000), à vendre chez Christie’s le 15 octobre.
Les noms des artistes sont alléchants, mais les estimations modestes parce que les œuvres sont médiocres : un mauvais Corot douteux, un paysage de Courbet pour salle d’attente de dentiste, mais sans la biche, un Mesdag et un Daubigny insipides, et tout de même une Lucrèce de Cranach l’ancien, réchauffée mais de qualité (le vendeur en attend 1 à 2 millions de dollars)
 
Enhardi et mieux organisé, le Musée d’art de Baltimore (BMA), qui rouvre ses portes humblement à 25% de ses capacités, vient d’annoncer fièrement un « plan de dotation pour l’avenir », qui contient tous les clichés bien-pensants qui doivent le transformer en musée américain citoyen, responsable et respectueux des minorités (on se débarrasse d’un passé encombrant en l’effaçant des collections), et tout en ne licenciant personne.
Pour atteindre cet idéal, le musée ne vend que 3 tableaux modernes (Still, Marden, et Warhol) chez Sotheby's le 29 octobre, dont il estime, très optimiste, le bénéfice à 65 millions de dollars précisément, qu’il a déjà ventilés avec force détails sur les différents postes de dépenses.
 
Alors, le conseil à nos amis millionnaires sera d'aborder ce marché prometteur sans trop se précipiter, et en se méfiant des estimations gonflées par un reste de fierté des conservateurs aux abois. La catastrophe sanitaire semble s'installer, les prix devraient baisser. Naturellement, le conseil ne s’adresse pas aux heureux actionnaires des laboratoires pharmaceutiques, qui peuvent dépenser sans retenue, les yeux fermés.
 
Mise à jour le 15.10.2020 : Premiers résultats chez Christie's, Corot n'a pas démérité, il est parti à la moitié de son estimation moyenne, soit 125.000$, Mesdag presque à l'estimation haute, 175.000$, Courbet nettement au-dessus de l'estimation haute, soit 798.000$ (il y avait sans doute des dentistes dans la salle), et Cranach a ridiculisé les prévisions, en faisant presque 3 fois l'estimation haute, soit 5.070.000$.
 
***
En illustration, un détail de la Lucrèce de Lucas Cranach mis en vente chez Christie's par le musée de Brooklyn.

samedi 27 avril 2019

Bréviaire du faussaire

Le directeur du Metropolitan museum de New York vers 1970, Thomas Hoving, raconte qu’un restaurateur du musée lui avait appris que Francesco Guardi, paysagiste vénitien du 18ème siècle très apprécié au style vif et un peu négligé, était toujours vivant.
En peinture, faussaire est un métier difficile, pour qui prend son art au sérieux, car les formules utiles à emporter la conviction des experts et leurrer les techniques modernes d’authentification sont épineuses à mettre en œuvre.

8 conseils pour réaliser un chef d’œuvre

Note  :  ce qui suit n’est pas à proprement parler une recette, mais réunit seulement quelques recommandations méthodologiques. Les instructions techniques, matériaux et outils nécessaires à la réalisation sont disponibles sur internet, dans certains livres légendaires et dans toute bonne droguerie. 

1. Choisir un peintre dont on estime pouvoir imiter la technique et le style. Le style d’un peintre, ce sont ses habitudes, ses manies, ses grosses ficelles. Un peu d’entrainement sera nécessaire.

2. Chercher un sujet dont un document indiscuté suggère que le peintre l’a illustré, mais dont l’œuvre aurait été perdue. C’est un travail indispensable de fouineur documentaire. Le plaisir de la confirmation, de la découverte d’une chose espérée depuis longtemps, inhibe une bonne part des méfiances de l’expertise.

3. Connaitre suffisamment l’œuvre et la vie du peintre pour inventer un mise en scène persuasive du sujet. Le point n’est pas si délicat. Si le peintre était peu inventif, il conviendra de chercher des modèles dans l’innombrable catalogue des peintures de l’époque, en innovant peu. S’il était original, on pourra se laisser aller à la fantaisie, car l’originalité dans ce cas, si les autres critères sont probants, sera prise pour une marque d’authenticité. Van Meegeren qui savait faire des faux parfaits (certains sont peut-être encore sur des cimaises réputées), a trompé quelques grands experts en inventant un style de Vermeer débutant, qu’on juge invraisemblable aujourd’hui (on n’avait pas, alors, identifié de tableaux de jeunesse du peintre). Les experts ne sont jamais aussi enthousiastes que quand survient un petit décalage, une part de surprise dans l’idée qu’ils s’étaient faite, comme en musique une note étrangère dans un accord parfait, ou une épice qui attire leur attention et brouille légèrement le reste.

4. Trouver, chez un antiquaire, une toile peinte ou un panneau sans grande valeur de l’époque exacte et si possible provenant de la région du peintre qu’on veut contrefaire, et en considérant ses préférences techniques. On utilisera ainsi des matériaux d’époque, bois, toile, clous. C’est une étape importante qui demande certaines garanties, il s’agit de ne pas se faire refiler par erreur un faux moderne, qui pullulent.

5. Effacer le tableau sans valeur avec les essences appropriées. Livrons, à cette étape, une astuce infaillible. Rien ne ravit plus un spécialiste que de découvrir sous la couche visible, par des moyens modernes (rayons X, infrarouges…), un dessin préparatoire, une hésitation dans le processus de création, qui aurait été recouverte par le peintre et que personne ne pouvait connaitre. Cela lui assure une exclusivité sur laquelle il glosera fort intelligemment. Le repentir masqué peut même constituer une preuve définitive quand il existe déjà des variations du même tableau, dont l’attribution est indécise. Aussi est-il conseillé, dans la réalisation du faux, de ne pas hésiter à changer d’idée sans effacer totalement la précédente.

6. N’utiliser que des enduits, liants, colles, huiles, vernis, colorants et pinceaux faits de matériaux utilisés à l’époque du peintre. C’est l’étape la plus sensible. La moindre erreur sur un pigment qui n’existait pas du vivant du peintre, ou un poil de pinceau synthétique collé dans la pâte et l’édifice s’effondre. Notez cependant que l’analyse des enduits et des pigments demande des moyens techniques modernes et chers auxquels on ne recourt qu’en cas de doute sérieux. La plupart des faux en circulation n’ont jamais subi cette humiliation.
Et, c’est anecdotique, mais n’oubliez pas que certains peintres excentriques mélangent parfois leurs pigments avec des ingrédients incongrus. Si la mythologie révolutionnaire parle de jus de momies, de cœurs de rois et d’autres viscères desséchés à propos du peintre Drölling, au 18ème siècle, c’est cependant devenu une mode attestée depuis le 20ème siècle, où il est admis, dans les milieux culturellement informés, que c’est la preuve d’une grande souffrance existentielle, ou d’un mépris des conventions, que de peindre avec ses propres productions corporelles.

7. Maitriser les diverses techniques de vieillissement rapide et se pourvoir en produits acides, vernis, équipements de chauffage idoines. Là encore un peu d’entrainement sera le bienvenu.

8. Enfin, lorsque vous serez parvenu à suivre ces conseils sans faute, n’attirez pas trop l’attention, glissez sans fanfare votre production chez un antiquaire, remboursez largement votre investissement mais sans excès. Il y aura toujours un fureteur passionné pour s’énamourer de ce tableau ignoré et tout faire pour l’obtenir à un prix convenable, discrètement, avant les autres. Car vous l’avez compris à la lecture de ces conseils, l’admiration artistique n’est pas si éloignée de la psychologie du croyant, et comme dans toute croyance, le plus léger doute, réfuté ou non, peut dénouer le fil des certitudes, et défaire la pelote irrémédiablement.

Par exemple ces faux, qu’on aurait pu croire exempts de toute faute (voir l'illustration), provenant d’un collectionneur français, Giuliano Ruffini, et qui depuis 2013 réclament de plus en plus de temps à la justice et aux chroniqueurs, à Paris, Londres et New York.
En bref, une Vénus de Lucas Cranach, magnifique, vendue 7 millions d’euros en 2013 au prince de Liechtenstein, était saisie par la justice dans une exposition en 2016 à Aix-en-Provence. L’expertise, peu concluante, attirait néanmoins l’attention sur son précédent collectionneur, déjà cité antérieurement dans des affaires de faux.
La maison de vente Sotheby’s, qui avait déjà vendu des tableaux de la même provenance, demandait à un laboratoire (qu’elle acquit alors) de les expertiser, et dans la foulée se faisait rembourser par la justice américaine un saint Jérôme de Parmigianino, et tente de récupérer les 10 millions d’euros d’un beau portrait de Frans Hals, qu’elle déclarait exécuté avec, entre autres, un pigment blanc de titane découvert 250 ans après la mort du peintre.
La maison Christie’s, suspicieuse, avait déjà refusé de le vendre. Le marchand se défend en invoquant le musée Frans Hals de Haarlem, qui a authentifié le tableau, et le Louvre qui voulait en interdire l’exportation pour l’acquérir, mais n’avait pas trouvé les fonds (alors 5M€).

L’histoire est beaucoup plus entortillée encore et pas près de se conclure, puisqu’interviennent dans l’affaire d’innombrables intermédiaires comme dans toute farce financière. Il faut lire l’enquête très fouillée de Christophe Dosogne, critique et historien de l’art de CollectAAA, et d’autres points de vue sur RoadsMag, Marianne, l’Express, et en anglais ArtNet, TheGuardian, DailyMail.

On le voit, le faux est un art d’expertise et de techniciens spécialisés, bien plus difficile que l’art de la peinture, au moins pour l'art ancien, et on comprend mieux l’orgueil des faussaires, qui se manifeste si souvent sous les aspects d’une immense vanité lorsqu’ils sont démasqués.

Alors quand leurs œuvres abusent si parfaitement les experts et enchantent le public, au lieu de les confondre par le moyen de mesquines inspections et les jeter en prison, on devrait les honorer publiquement et les couvrir des ors de la république. Car l’authenticité en art n’a pas de sens. Les copies romaines de la statuaire grecque antique, exécutées plusieurs siècles après les originaux, sont accueillies de nos jours et depuis la Renaissance comme des sommets de l’expression artistique.

Thomas Hoving écrivait encore dans « False impressions » en 1997 que la moitié des œuvres d’art des musées ou du marché sont des faux, soit de véritables contrefaçons, ou des restaurations trompeuses, ou de fausses attributions (et 40% des 50 000 qu’il avait examinées au Metropolitan). Il ajoutait que le secret se perpétuait parce que cette cécité arrangeait finalement tout le monde, les administrateurs de musée, les généreux donateurs, le marché de l’art, les cotations.

Cela laisse finalement un grande liberté au faussaire sans réelle ambition, celui qui renonce à la célébrité pour vivre simplement le plaisir hédoniste et un peu enfantin du travail bien fait.


Détails de quelques tableaux suspectés provenant de la collection Ruffini, Cranach, Pontormo, Frans Hals, Orazio Gentileschi, Parmigianino. Sont aussi parfois cités Velazquez, Gréco et Rembrandt. Il est désolant de voir accusés, humiliés, des tableaux aussi beaux, qui honoraient encore récemment de prestigieuses cimaises et la conscience apaisée d’un certain nombre d’experts.

samedi 22 octobre 2016

Le musée de Stockholm est fermé (2/2)

… Et on ne trouve pas que des œuvres de peintres suédois ou norvégiens au musée national de Stockholm, mais aussi des chefs d’œuvre d'artistes européens fameux, comme Boucher (il fut le professeur de Roslin), Chardin, Cranach, De La Tour, François de Nomé, Greco, Hammershoi, Rembrandt Van Rijn, Reynolds, Watteau, ou méconnus comme l’allemand Christian Ezdorf.

Ezdorf Christian - La côte islandaise


Hammershoi Vilhelm - Paysage à Lejre


De Nomé François - L'incendie de Troie (détail)

lundi 22 novembre 2010

Une obsession exorbitante


Il est juste que la pornographie enfantine soit montrée du doigt, pourchassée, et qu'il soit devenu complexe pour l'amateur de se procurer ces images immorales.
Aussi faut-il saluer le courage des responsables du musée du Louvre, son Président en tête, qui dévoilent aujourd'hui au public leurs penchants coupables pour un petit tableau sur bois de Lucas Cranach, représentant trois jeune filles à la nudité offerte, aux seins naissants et au pubis à peine ombré. Observons l'enthousiasme gourmand qu'ils mettent à louer l'image, à en évoquer la grâce et la sensualité.

Le vendeur en demande quatre millions d'euros (4500 euros par centimètre carré). Et comme il serait incorrect, pour satisfaire cette onéreuse toquade, de trop puiser dans les immenses richesses du Louvre qui sont le fruit de l'impôt (et d'une gestion énergique), son Président et le Directeur des peintures sollicitent la générosité des donateurs privés, par le truchement d'un site luxueux et raffiné destiné à les séduire et récolter ainsi les subsides providentiels.
Et ils sont prêts à tout pour retenir en France ce chef d'œuvre de la peinture allemande, jusqu'à prétendre que le musée est actuellement pauvre en Cranach, alors qu'il en possède sept dont au moins deux merveilles (le portrait présumé de Magdalena Luther et la Vénus debout dans un paysage, tellement proche de la jeune fille au centre du trio convoité qu'elle en arbore la même attitude, le même vêtement et le même chapeau de velours rouge). En outre ils insinuent qu'on pourrait ne plus jamais le revoir, s'il n'entrait pas maintenant dans les collections du Louvre. C'est dire la mesure de l'obsession qui les ronge.

En attendant, le Louvre ne nous avait jamais gratifié d'une aussi belle reproduction, trois fois plus grande que les dimensions du tableau original.

Actualité du 17.12.2010 : Un mois aura suffi pour que cinq mille donateurs abandonnent un million d'euros. Le tableau finira donc fatalement dans une vitrine du musée du Louvre.