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mercredi 6 juillet 2022

Chronique sans surprise

Ça n’est pas une plaisanterie. Pas une ligne de cette chronique ne saurait vous étonner. Vous pourriez passer à autre chose.

Dans les conseils que nous dispensions aux aspirants faussaires voilà quelques années, le plus précieux était sans doute de rester modeste dans ses prétentions (C’était notre conseil numéro 8). Les plus grands génies du genre se sont fait pincer par excès d’ambition, tel Van Meegeren qui avait réussi à tromper les experts en Vermeer et exposer ses faux dans les plus grands musées hollandais, mais fut attrapé pour avoir vendu des trésors nationaux aux dirigeants nazis. Quel impair ! Il dut, pour sa défense, prouver qu’ils étaient de sa main.

C’est ce même appétit incontrôlé qui vient de trahir une sympathique coterie d’amateurs du peintre Jean-Michel Basquiat.

Basquiat était un jeune peintre d’avant-garde "mouvance underground" (mouvement à la fois culturel et contreculturel dit Wikipedia), parrainé par Andy Warhol vieillissant, mais néanmoins dépressif et mort de la cocaïne ou de l’héroïne en 1988, très jeune, très riche et très célèbre, laissant à ses parents devenus brusquement milliardaires plus de 800 tableaux et 1500 dessins.

On a déjà tous les ingrédients d’un bon scénario de série populaire. Ajoutez à cela le dynamique et fraichement nommé directeur du musée d’art d’Orlando en Floride, ville touristique qui ne connait dit-on que deux saisons (frappée parfois par un massacre au fusil d’assaut, il faut le reconnaitre)

Or quel meilleur endroit qu’une ville de province moyenne et son petit musée sans envergure quand on cherche à étoffer le pédigrée de deux ou trois tableaux de Basquiat inédits et presque neufs ?
Certes, mais sérieusement, pas pour y organiser une exposition dédiée à une collection de 25 peintures sur carton d’emballage totalement inconnue des spécialistes, et claironnée par de grandes affiches bariolées, alors que la cote du peintre en vente publique est devenue indécente et qu’il est depuis 2017, avant son vieil ami Warhol, membre de l’académie posthume des 30 œuvres à plus de 100 millions de dollars !

Alors qui eut le premier soupçon ? Certainement la section Art et bricolage du FBI. Tous leurs voyants ont dû s’allumer à la lecture du nom des propriétaires des œuvres exposées, qu’on retrouve semble-t-il dans les secteurs les plus variés des archives de la police judiciaire.

Le reste était la routine, la récolte de témoignages et de preuves.

C’est ici qu’apparait encore le nom de Gagosian, mais cette fois dans le rôle du gentil. Il a déclaré douter de l’authenticité des œuvres, car il était alors très proche de Basquiat, qui préparait une exposition dans sa propre galerie, à l’époque présumée de la création des 25 cartons peints (peut-être y a-t-il un moment où il faut limiter l’arrivage de produits frais, pour maintenir les prix du marché).

Et puis, les documents qui attestent l’origine de la collection étaient douteux. La police possédait une déclaration, peu avant sa mort en 2018, du premier collectionneur présumé (dont le nom fait le sous-titre de l’exposition), qui démentait avoir rencontré Basquiat en 1982 et lui avoir acheté quoi que ce soit. 

Ces doutes avaient déjà fait quelques titres dans la presse * quand le FBI arriva en force sur place, confisquant les 25 œuvres et tous les documents relatifs, papiers et électroniques. C’était le 24 juin, une semaine avant la clôture de l'exposition, qui aurait dispersé les pièces à conviction.

Il découvrait alors, sur certains des cartons, des textes préimprimés dont un ancien technicien du transporteur Fedex affirme que la police de caractères utilisée n’a été créée que 10 ans plus tard. Faute fatale (c’était notre conseil numéro 4), l’anachronisme ! Au cinéma il fait sourire, mais il n’est pas encore autorisé dans tous les arts.

Voilà l’histoire, banale, presque quotidienne
Et comme vous avez eu la patience de la lire jusqu’ici, vous méritez une anecdote croustillante.

Parmi les documents douteux du dossier, on trouve dans le catalogue les déclarations d’une experte diplômée en art américain moderne et ethnies, et spécialiste reconnue de Basquiat, consultée en 2019 et garantissant l’authenticité de toute la collection. Elle s’était pourtant opposée à la publication de son nom et de ses propos manifestement falsifiés (elle n'aurait donné un avis préalable positif que sur 9 des 25 cartons).
Or malgré son étincelante victoire, le FBI un peu mesquin a communiqué sur un point de détail peu reluisant extrait de la correspondance électronique du directeur du musée, sa réponse à la demande de retrait par l’experte de ses propres déclarations. Texte savoureux qu’un blog factuel ne peut que s’empresser de diffuser (vu le ton du message, le tutoiement s’impose dans la traduction) :

"Tu veux qu’on sorte que tu as touché 60 000 dollars pour écrire ça ? Alors la ferme ! Tu as pris l’argent. Ne te fais pas plus sainte que tu n’es. Fais ton truc d’experte et n’en sors pas.**"

Naturellement, la chose ayant paru dans la presse, le directeur a été immédiatement licencié par le conseil d’administration du musée. On ne s'adresse pas à une femme d'une façon si grossière.

***
Suite chronologique de l'affaire dans les articles de l'hebdomadaire local, Orlando Weekly, de la promotion de l'exposition le 16.02.22 à l'annonce du licenciement le 28.06.22 :  1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
*"You want us to put out that you got $60 grand to write this? Ok, then shut up. You took the money. Stop being holier than thou. Do your academic thing and stay in your limited lane."

samedi 27 avril 2019

Bréviaire du faussaire

Le directeur du Metropolitan museum de New York vers 1970, Thomas Hoving, raconte qu’un restaurateur du musée lui avait appris que Francesco Guardi, paysagiste vénitien du 18ème siècle très apprécié au style vif et un peu négligé, était toujours vivant.
En peinture, faussaire est un métier difficile, pour qui prend son art au sérieux, car les formules utiles à emporter la conviction des experts et leurrer les techniques modernes d’authentification sont épineuses à mettre en œuvre.

8 conseils pour réaliser un chef d’œuvre

Note  :  ce qui suit n’est pas à proprement parler une recette, mais réunit seulement quelques recommandations méthodologiques. Les instructions techniques, matériaux et outils nécessaires à la réalisation sont disponibles sur internet, dans certains livres légendaires et dans toute bonne droguerie. 

1. Choisir un peintre dont on estime pouvoir imiter la technique et le style. Le style d’un peintre, ce sont ses habitudes, ses manies, ses grosses ficelles. Un peu d’entrainement sera nécessaire.

2. Chercher un sujet dont un document indiscuté suggère que le peintre l’a illustré, mais dont l’œuvre aurait été perdue. C’est un travail indispensable de fouineur documentaire. Le plaisir de la confirmation, de la découverte d’une chose espérée depuis longtemps, inhibe une bonne part des méfiances de l’expertise.

3. Connaitre suffisamment l’œuvre et la vie du peintre pour inventer un mise en scène persuasive du sujet. Le point n’est pas si délicat. Si le peintre était peu inventif, il conviendra de chercher des modèles dans l’innombrable catalogue des peintures de l’époque, en innovant peu. S’il était original, on pourra se laisser aller à la fantaisie, car l’originalité dans ce cas, si les autres critères sont probants, sera prise pour une marque d’authenticité. Van Meegeren qui savait faire des faux parfaits (certains sont peut-être encore sur des cimaises réputées), a trompé quelques grands experts en inventant un style de Vermeer débutant, qu’on juge invraisemblable aujourd’hui (on n’avait pas, alors, identifié de tableaux de jeunesse du peintre). Les experts ne sont jamais aussi enthousiastes que quand survient un petit décalage, une part de surprise dans l’idée qu’ils s’étaient faite, comme en musique une note étrangère dans un accord parfait, ou une épice qui attire leur attention et brouille légèrement le reste.

4. Trouver, chez un antiquaire, une toile peinte ou un panneau sans grande valeur de l’époque exacte et si possible provenant de la région du peintre qu’on veut contrefaire, et en considérant ses préférences techniques. On utilisera ainsi des matériaux d’époque, bois, toile, clous. C’est une étape importante qui demande certaines garanties, il s’agit de ne pas se faire refiler par erreur un faux moderne, qui pullulent.

5. Effacer le tableau sans valeur avec les essences appropriées. Livrons, à cette étape, une astuce infaillible. Rien ne ravit plus un spécialiste que de découvrir sous la couche visible, par des moyens modernes (rayons X, infrarouges…), un dessin préparatoire, une hésitation dans le processus de création, qui aurait été recouverte par le peintre et que personne ne pouvait connaitre. Cela lui assure une exclusivité sur laquelle il glosera fort intelligemment. Le repentir masqué peut même constituer une preuve définitive quand il existe déjà des variations du même tableau, dont l’attribution est indécise. Aussi est-il conseillé, dans la réalisation du faux, de ne pas hésiter à changer d’idée sans effacer totalement la précédente.

6. N’utiliser que des enduits, liants, colles, huiles, vernis, colorants et pinceaux faits de matériaux utilisés à l’époque du peintre. C’est l’étape la plus sensible. La moindre erreur sur un pigment qui n’existait pas du vivant du peintre, ou un poil de pinceau synthétique collé dans la pâte et l’édifice s’effondre. Notez cependant que l’analyse des enduits et des pigments demande des moyens techniques modernes et chers auxquels on ne recourt qu’en cas de doute sérieux. La plupart des faux en circulation n’ont jamais subi cette humiliation.
Et, c’est anecdotique, mais n’oubliez pas que certains peintres excentriques mélangent parfois leurs pigments avec des ingrédients incongrus. Si la mythologie révolutionnaire parle de jus de momies, de cœurs de rois et d’autres viscères desséchés à propos du peintre Drölling, au 18ème siècle, c’est cependant devenu une mode attestée depuis le 20ème siècle, où il est admis, dans les milieux culturellement informés, que c’est la preuve d’une grande souffrance existentielle, ou d’un mépris des conventions, que de peindre avec ses propres productions corporelles.

7. Maitriser les diverses techniques de vieillissement rapide et se pourvoir en produits acides, vernis, équipements de chauffage idoines. Là encore un peu d’entrainement sera le bienvenu.

8. Enfin, lorsque vous serez parvenu à suivre ces conseils sans faute, n’attirez pas trop l’attention, glissez sans fanfare votre production chez un antiquaire, remboursez largement votre investissement mais sans excès. Il y aura toujours un fureteur passionné pour s’énamourer de ce tableau ignoré et tout faire pour l’obtenir à un prix convenable, discrètement, avant les autres. Car vous l’avez compris à la lecture de ces conseils, l’admiration artistique n’est pas si éloignée de la psychologie du croyant, et comme dans toute croyance, le plus léger doute, réfuté ou non, peut dénouer le fil des certitudes, et défaire la pelote irrémédiablement.

Par exemple ces faux, qu’on aurait pu croire exempts de toute faute (voir l'illustration), provenant d’un collectionneur français, Giuliano Ruffini, et qui depuis 2013 réclament de plus en plus de temps à la justice et aux chroniqueurs, à Paris, Londres et New York.
En bref, une Vénus de Lucas Cranach, magnifique, vendue 7 millions d’euros en 2013 au prince de Liechtenstein, était saisie par la justice dans une exposition en 2016 à Aix-en-Provence. L’expertise, peu concluante, attirait néanmoins l’attention sur son précédent collectionneur, déjà cité antérieurement dans des affaires de faux.
La maison de vente Sotheby’s, qui avait déjà vendu des tableaux de la même provenance, demandait à un laboratoire (qu’elle acquit alors) de les expertiser, et dans la foulée se faisait rembourser par la justice américaine un saint Jérôme de Parmigianino, et tente de récupérer les 10 millions d’euros d’un beau portrait de Frans Hals, qu’elle déclarait exécuté avec, entre autres, un pigment blanc de titane découvert 250 ans après la mort du peintre.
La maison Christie’s, suspicieuse, avait déjà refusé de le vendre. Le marchand se défend en invoquant le musée Frans Hals de Haarlem, qui a authentifié le tableau, et le Louvre qui voulait en interdire l’exportation pour l’acquérir, mais n’avait pas trouvé les fonds (alors 5M€).

L’histoire est beaucoup plus entortillée encore et pas près de se conclure, puisqu’interviennent dans l’affaire d’innombrables intermédiaires comme dans toute farce financière. Il faut lire l’enquête très fouillée de Christophe Dosogne, critique et historien de l’art de CollectAAA, et d’autres points de vue sur RoadsMag, Marianne, l’Express, et en anglais ArtNet, TheGuardian, DailyMail.

On le voit, le faux est un art d’expertise et de techniciens spécialisés, bien plus difficile que l’art de la peinture, au moins pour l'art ancien, et on comprend mieux l’orgueil des faussaires, qui se manifeste si souvent sous les aspects d’une immense vanité lorsqu’ils sont démasqués.

Alors quand leurs œuvres abusent si parfaitement les experts et enchantent le public, au lieu de les confondre par le moyen de mesquines inspections et les jeter en prison, on devrait les honorer publiquement et les couvrir des ors de la république. Car l’authenticité en art n’a pas de sens. Les copies romaines de la statuaire grecque antique, exécutées plusieurs siècles après les originaux, sont accueillies de nos jours et depuis la Renaissance comme des sommets de l’expression artistique.

Thomas Hoving écrivait encore dans « False impressions » en 1997 que la moitié des œuvres d’art des musées ou du marché sont des faux, soit de véritables contrefaçons, ou des restaurations trompeuses, ou de fausses attributions (et 40% des 50 000 qu’il avait examinées au Metropolitan). Il ajoutait que le secret se perpétuait parce que cette cécité arrangeait finalement tout le monde, les administrateurs de musée, les généreux donateurs, le marché de l’art, les cotations.

Cela laisse finalement un grande liberté au faussaire sans réelle ambition, celui qui renonce à la célébrité pour vivre simplement le plaisir hédoniste et un peu enfantin du travail bien fait.


Détails de quelques tableaux suspectés provenant de la collection Ruffini, Cranach, Pontormo, Frans Hals, Orazio Gentileschi, Parmigianino. Sont aussi parfois cités Velazquez, Gréco et Rembrandt. Il est désolant de voir accusés, humiliés, des tableaux aussi beaux, qui honoraient encore récemment de prestigieuses cimaises et la conscience apaisée d’un certain nombre d’experts.

vendredi 15 décembre 2017

Améliorons les chefs-d'œuvre (12)

Le grand Van Meegeren, peintre médiocre qui mystifia une génération d’experts et d’amateurs d’art, dont le pilleur nazi Hermann Goering, en leur vendant des Vermeer, des De Hooch, des Ter Borch, qu’il avait peints dans sa cuisine, est mort d’une faiblesse du cœur en 1947.
Il allait sortir de prison où il venait de prouver, en réalisant un faux Vermeer devant ses juges, qu’il n’était pas traitre à la patrie hollandaise, puisque les tableaux vendus aux nazis étaient tous des faux de sa main. Histoire fabuleuse, et les juges en furent émus et le punirent avec clémence du minimum symbolique d’un an de prison pour contrefaçon.

Le lecteur qui connait un peu les lubies de ce blog, et sait peut-être que 1947 + 70 font 2017, aura déjà deviné que le 1er janvier 2018 marquera le premier jour de l’année suivant le 70ème anniversaire de la mort du peintre, et qu’alors son œuvre (celle qui lui est attribuée) entrera glorieusement dans le domaine public de l’humanité.
Pour les mêmes raisons, les tableaux de Pierre Bonnard et d’Albert Marquet, les vrais comme les faux, pourront dans quelques jours être reproduits librement, sans avoir à payer de droit. On y inclura les tableaux de Blanche Hoschedé-Monet, élève et belle-fille de Claude Monet, dont nombre de toiles troublent sans doute les spécialistes lorsqu’il s’agit de leur attribution.

Et il est bon d’honorer les faux et les faussaires, car les copies et les faux anciens que les années ont recouverts d’un voile d’ignorance de plus en plus opaque sont devenus aussi beaux que des originaux. Voyez les imitations romaines de la statuaire grecque classique. Un jour vraisemblablement, les plus réussis des faux de Van Meegeren, notamment certains Ter Borch, seront jugés authentiques (c'est peut-être déjà le cas).

On ne peut dès lors qu’applaudir notre époque qui ne sait plus distinguer et mélange sans vergogne le factice et l’authentique.

L’actualité en présente un cas exemplaire à travers l’histoire de cette effigie du Christ « Salvator Mundi », dont le visage informe et inexpressif évoque une méduse qui aurait abusé de substances psychotropes. 
Les acheteurs de sa première vente identifiée ne s’y étaient pas trompés qui l’avaient acquise en 1958 pour l’équivalent d’une cinquantaine de dollars. Il suffisait de noter la mollesse et le manque de cohérence des drapés, l’anatomie défaillante des bras, des pouces, le visage trop repeint sorti d’une chirurgie reconstructive, et affligé d’une dissymétrie comme le collage de deux moitiés juxtaposées. 

Mais les affaires sont les affaires. Depuis 2007 un nombre qu'on dit croissant d’experts l’attribuent à Léonard de Vinci. Alors évidemment, ce qui devait arriver s’est produit, le tableau vient de pulvériser tous les prix les plus absurdes jamais entendus en salle des ventes. 400 millions de dollars pour un Léonard de Vinci douteux, ou au mieux un Léonard achevé par un élève médiocre. 
En réalité l’acheteur paiera 450 millions, la différence revenant aux taxes et au saltimbanque à cravate dont le sourire s’élargissait à proportion des minutes écoulées et qui tapa de son petit marteau après 20 minutes d’enchères.

Et pour parachever l’affaire, on dit que le tableau a été acheté par un prince saoudien, et qu’il deviendra sans tarder le fleuron du musée du « Louvre Abu Dhabi ». 
L’histoire ne pouvait que finir ainsi, en véritable coup de maitre. Un Léonard à peine authentique trônant sur la cimaise d’un musée artificiel né d’une opération de marketing de luxe, où le Louvre prête, moyennant une juteuse rémunération, son nom (la marque Louvre pendant 30 ans), les services payants de l’architecte officiel du prestige français, et des chefs-d’œuvre mineurs pendant 10 ans. 



Ainsi, pour améliorer un chef-d’œuvre (ou en l’espèce transformer un tableau raté en chef-d’œuvre), il y a d’autres voies que celle de la retouche. 
On peut lui attribuer un peintre de valeur, rechercher des éléments de preuve qui colleraient avec cette hypothèse, éluder ceux qui gênent, faire mijoter longuement dans un bain d’experts, accompagner d’une campagne publicitaire à la hauteur, et exposer le tout avec les honneurs dans un lieu luxueux très en vue dans les médias. 

L’opération est certes laborieuse mais l’attrait du gain réunit toutes les bonnes volontés, et quand elle réussit, le résultat est là. Un vrai chef-d’œuvre ! 

Mise à jour le 20.11.2018 : L'acheteur du faux Léonard serait, d'après un journal des plus fiables, le prince MBS d'Arabie saoudite, devenu rapidement célèbre depuis son accession au pouvoir, par ses actes qui rappellent ceux du Père Ubu, projet d'un canal qui longerait la frontière avec le Qatar et le transformerait ainsi en une ile, purge stalinienne d'une bonne part de son entourage, incitation au dépeçage dans son ambassade en Turquie, avec transit des morceaux en valise diplomatique, d'un journaliste qui taquinait un peu trop sa gestion, organisation d'un génocide au Yémen (soutenu notamment par les armes françaises et la logistique américaine)...
 

dimanche 22 février 2015

Made in China

Tout conservateur de musée soucieux de la protection du patrimoine qu'il administre a certainement un jour eu cette idée iconoclaste, qu'il aura aussitôt refoulée : remplacer tous les tableaux en exposition par des copies.

Et bien c’est ce qu’expérimente depuis le 10 février et jusqu’au 26 avril le musée de Dulwich (Dulwich Picture Gallery) dans le sud de Londres, sous l'impulsion de l'artiste conceptuel Doug Fishbone (un artiste conceptuel est un être humain qui a des idées - au moins une - et au moins un talent, celui de savoir faire réaliser ses idées par d'autres).

En fait, un seul des tableaux exposés à Dulwich est une copie, réalisée sur commande par un atelier chinois (il en existe des centaines), contre 160 euros. Reçue par la poste elle est aujourd'hui exposée à la place du tableau original et dans son cadre ancien.
Le public et les experts sont invités à l'identifier parmi les 270 tableaux du musée, et gagner, pour ceux qui le découvriront, une reproduction (imprimée cette fois) d’une œuvre de la collection.

L’idée est de mettre en question les ingrédients qui constituent la valeur qu’on attribue aux choses, le décorum de la visite, l’autorité du musée, le fétichisme attaché au nom de l’artiste…
Elle rappelle l’expérience récente où des musiciens professionnels devaient juger à l’aveugle, au jeu et à l’écoute, des violons modernes et des Stradivarius mythiques. Les résultats étaient édifiants.

Et la collection de Dulwich est prédisposée à ce type de jeu de devinettes. Assemblés au 18ème siècle pour le roi de Pologne, ses tableaux achetés un peu vite se sont révélés en majorité des copies, des pastiches, des « atelier de », ou « dans le style de ».
Ainsi, il est bien possible que le penchant de Fishbone pour la plaisanterie l’ait conduit, pour le plaisir de la mise en abyme, à commander aux chinois la copie d’une copie, ou au moins d’une toile à l’authenticité douteuse.

Enfin, les deux tableaux seront juxtaposés le 28 avril prochain et exposés ainsi durant trois mois.
Que pourra-t-on en déduire si l’expérience « réussit », c’est-à-dire si d'ici là personne n’a trouvé la réplique chinoise ?


Han van Meegeren, portrait de femme à l’éventail à la manière de Gerard Ter Borch, vers 1930-40. Il trompa les plus grands experts et musées en peignant notamment des pastiches de Vermeer. Il dut avouer sa supercherie en 1945 afin de sauver sa tête, en prouvant qu’un tableau de Vermeer qu’il avait vendu au nazi Hermann Goering était en réalité de sa main.