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samedi 10 août 2024

Orsay, un espoir ?

Détails de 4 tableaux du musée d’Orsay reproduits en haute définition sur le site "Google Arts & Culture" : 
Ingres, La source (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)
Degas, Répétition de ballet (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)
Monet, Coin d’appartement (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)
Vuillard, Comtesse de Polignac (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)

On devra s’y habituer, les musées français, comme les italiens, ne nous dévoileront jamais leurs collections et leurs réserves avec des reproductions de haute qualité, gratuites et d’une définition suffisante pour en explorer les détails et la matière. Les grands musées anglais, américains, hollandais, nordiques, le font, pour certains depuis 20 ans.
On en a déjà parlé ici-même, c'est comme si une ligne séparait sur le globe les pays qui partagent leurs biens culturels avec générosité (jusqu’à rendre souvent gratuite l’entrée de leurs musées) et ceux qui les cachent jalousement. Des penseurs appointés l’expliqueront par l’influence de la réforme protestante, des philosophies utilitaristes, du libéralisme juridique qui en a découlé. Admettons. Le résultat est que les images et les idées anglo-saxonnes ont envahi les médias, les télévisions et tous les téléphones de la planète, pour le pire comme pour le meilleur, sans que les principes juridiques et l’esprit des institutions n’aient suivi. 

Et les grands musées français se situent du mauvais côté de cette ligne.
Rappelons qu’ils n’exposent au public qu’un centième, voire un millième de ce qu’ils détiennent (le Louvre conserve 250 000 dessins et n’en expose qu’une poignée par an), et que seule une fraction réduite et privilégiée du public a réellement accès à cette portion insignifiante de ces collections, qui appartiennent pourtant à tous. 
Hélas, si on se rappelle cette absurde polémique en 2021, quand un musée français décidait, pour être compris par un plus grand nombre, d’écrire les numéros des siècles ou des monarques en chiffres arabes sur ses cartels, en remplacement des absurdes chiffres romains, causant de virulentes critiques des médias notamment italiens le forçant à se justifier voire à renoncer, on réalise que le partage des biens culturels n’est pas près d’évoluer de ce côté de la ligne. 

Fidèle donc à ces principes arriérés et mercantiles, le musée d’Orsay, gardien des choses créées strictement entre 1848 et 1914, qui avait déjà interdit toute photographie dans son enceinte, nous inflige encore aujourd'hui, sur son site si poussif, des photos tellement médiocres des collections publiques que leur téléchargement, pourtant récemment autorisé, ne tentera jamais personne.  

Conscient peut-être de cette indigence, mais surtout sous la pression (probablement rémunérée) de Google et son impérialisme culturel, le musée a prodigalement accordé que le maitre d’internet publie 157 peintures de ses collections sur le site "Google Arts & Culture". Les reproductions sont d’une bonne qualité, pas toujours exceptionnelle, mais incomparables à celles du site du musée d’Orsay dont le catalogue se garde bien de signaler les œuvres qui sont reproduites sur Arts & Culture. Elles y sont évidemment protégées contre tout téléchargement (petit cadeau au fidèle lectorat, les 4 tableaux en haute définition ayant fourni les détails de notre illustration sont copiables ici).

Ce billet s’achèvera donc sur une note d’espoir : sur 5137 tableaux conservés par le musée d’Orsay en 2022 (sans parler des 48 000 photos, des dessins, pastels, sculptures…), 3% sont déjà reproduits et diffusés en haute qualité, pas sur le site du musée mais quelque part en ligne. Quand on sait que la photo numérique et internet n’existent que depuis 34 ans, à peine, ça fait réfléchir.

vendredi 28 octobre 2022

Vénus et le domaine public

Il y a longtemps que nous n’avons parlé de "copyfraud", cet abus de pouvoir des états qui vendent ou louent le domaine public, parce qu’il y avait bien d’autres sujets déprimants à évoquer, et puis parce que depuis quelques années, les sites consacrés à la surveillance des violations du domaine public se sont assoupis, parfois profondément.

La chose offre pourtant encore régulièrement des occasions de rire des gouvernements et autres autorités, ce qui fait du bien au moral. C’est par exemple toujours une des spécialités des institutions italiennes de se ridiculiser en exploitant abusivement leur considérable héritage artistique.
On se souvient de l’Académie de Florence qui poursuivit en justice un voyagiste international, non parce qu’il vendait les tickets d’entrée au musée à un prix exorbitant, mais parce qu’il ne voulait pas en reverser une partie aux prétendus droits de reproduction de la célèbre sculpture de Michel-Ange exposée dans le musée et qui illustrait sa publicité. En dépit des conventions internationales sur le domaine public signées par l’État italien, la justice nationale avait donné raison au musée. Rappelons encore le scandale international de ce marchand d’armes américain qui utilisa l’image de la même sculpture pour la promotion de ses engins de mort, et d’un ministre italien officiellement outragé par cette violation des valeurs morales de son pays, mais en réalité vexé que le marchand ait refusé de payer les mêmes soi-disant droits de reproduction.

L’histoire se répète aujourd’hui, toujours à Florence, décidée à user son patrimoine jusqu’à la corde, et prête aux plus grandes petitesses pour faire parler d’elle, cette fois avec la Naissance de Vénus de Botticelli, au musée des Offices. En 2018 déjà, voyant les succès de l’Académie devant les tribunaux et appuyé par le maire de Florence, le gérant des Offices s'était déclaré prêt à se lancer dans une campagne de poursuites judiciaires, ralentie entretemps par la crise de la pandémie.


Détail de la Naissance de Vénus par Sandro Botticelli
 (Copyfraud Musée des Offices, Florence, Italie).

Or au printemps 2022, la marque de couture Jean-Paul Gaultier sortait une collection de vêtements au tissu largement imprimé avec la mièvre demoiselle nue sortant de sa coquille géante, ainsi qu’avec un détail en sépia du plafond de la chapelle Sixtine au Vatican par Michel-Ange, ou un gros plan sur les "trois grasses" de Rubens, comme le font depuis toujours les fabricants de mode vestimentaire, de boites de chocolats, les marchands de posters et les rayons de souvenirs des boutiques de musée.   

Ayant flairé le bon pigeon, le musée toscan annonçait le 10 octobre son intention de poursuivre la marque en justice, en arrosant toute la presse de sa version des faits : une obscure loi italienne de 2004 (l’article 108 du Code des biens culturels) manifestement en désaccord avec les conventions internationales et les directives européennes interdirait toute reproduction commerciale des œuvres du domaine public italien sans le paiement de royalties, comme le fait la loi française de 2017 - le décret Chambord - qui ne concerne pour l’instant que les bâtiments publics. Inutile de préciser que tout l’internet et les réseaux sociaux s’assoient résolument chaque jour sur cet article 108, mais il est potentiellement plus rentable de cibler une célèbre fabrique d’objets de luxe attentive à son image de marque.
Le musée dit avoir écrit à la contrevenante afin de négocier des "droits de reproduction", mais, sans réponse depuis 6 mois, aurait décidé l'action judiciaire (et d'en faire tout un tintouin).
Toute la presse, dévouée à l’AFP, s’en est émue et a répété à la lettre termes et arguments du musée italien, insistant sur le fait que la marque n’avait pas demandé son autorisation, et sans s’interroger un instant sur le bien-fondé de la réclamation. Seul Télérama s’est posé les bonnes questions et a demandé - sans succès - son point de vue à la maison de couture.

Et après ?

Le droit européen (et international) autorise la libre utilisation par tous des œuvres des domaines publics, même à des fins commerciales, mais certains états ont détourné ce principe en se mitonnant en interne des interprétations personnalisées. C’est le cas, entre autres, de la France avec le décret Chambord, et de l’Italie avec le code des biens culturels. 

Pour l’instant le musée florentin fait tinter toutes les casseroles médiatiques pour intimider la marque et tenter d’obtenir un accord commercial sans avoir à se lancer dans un procès hasardeux. Le vacarme aurait d’ailleurs logiquement dû réveiller un ministre italien, comme en 2014, histoire de donner à la chose une dimension diplomatique. 
La marque (maintenant espagnole), préserve les arguments de sa défense et reste silencieuse, mais semble néanmoins avoir retiré les produits incriminés de son site internet (à confirmer), ce qui pourrait constituer une sorte d’aveu, au moins sur son incertitude quant au dénouement de l’affaire. C’est un peu bête au moment où le musée de Florence fait gratuitement la promotion de ses produits !

En réalité personne n’a vraiment d’intérêt dans une poursuite judiciaire, l’issue en matière de domaine public dans un cadre international en serait incertaine. Jugée par un tribunal italien, ce serait, comme en 2017, en faveur du musée de Florence, alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne, de son côté, statuerait sans doute à l’avantage des principes du droit européen, donc de la marque espagnole. 

Attendons la suite, mais signalons à ces cupides florentins que la marque Nestlé, qui à notre connaissance n'a jamais versé le moindre centime au Rijksmuseum d’Amsterdam, a certainement plus fait, par ses yaourts "La laitière", pour la renommée du tableau de Vermeer - qui en est devenu une icône - et du musée hollandais qui l’héberge, que toutes les actions jamais entreprises auparavant pour le promouvoir (que ce soit un bien ou un mal est une autre histoire).

Aux dernières nouvelles le Vatican n’a pas réclamé d’argent à la marque pour la reproduction non autorisée de l’Adam de Michel-Ange, ni le musée du Prado pour les Grâces de Rubens. 

mercredi 24 juillet 2019

Bonnard, l'invasion des couleurs

La liste des tableaux reproduits sur ces illustrations (titre, date et localisation) est consultable en commentaire flottant, en passant le curseur sur chaque image. Certains navigateurs, notamment sur tablette ou smartphone, ne savent pas utiliser cette fonction.


« …et voici la couleur ! »
Dans la série des « Petites phrases qui n’ont pas changé le monde », Georges Gorse, ministre de l’information de Charles de Gaulle, le 1er octobre 1967 sur la 2ème chaine de la télévision française.

Le peintre Pierre Bonnard, en 80 ans, de 1867 à 1947, a vu fleurir nombre de courants de peinture, de mouvements en « …isme », mais les a tous regardés passer distraitement ; il n’avait d’yeux que pour la couleur.

Admirateur de Monet, c’est la juxtaposition des teintes, le frottement des tons, qui l’émerveillaient, au point d’en oublier le dessin et d’abandonner les lignes, les ombres et les volumes.
Le sujet n’était plus qu’une charpente, une vague réminiscence derrière la profusion multicolore de la couche picturale, mais il ne le supprimera jamais, comme le fera Mark Rothko peu après, inspiré par la même idée fixe.

Eh bien ! Monsieur Pierre Bonnard a le plaisir de vous annoncer qu’il a été accueilli, depuis le 1er janvier 2018 déjà, dans la grande communauté du domaine public (suivre ce lien pour l’itinéraire), et qu’il vous autorise depuis et dorénavant à reproduire les images de ses œuvres n’importe où et en toute liberté, y compris d’en faire commerce.

Il regrette toutefois de ne plus pouvoir réagir quand il voit certains musées provinciaux, encore mal informés, s’attribuer frauduleusement des droits d’auteur et de reproduction sur des photographies de ses œuvres qu'ils contresignent de leurs initiales en surimpression.


lundi 22 octobre 2018

L'agonie du domaine public

On a tant parlé du domaine public et du droit d’auteur dans ce blog que le lecteur fatigué pourra s’éviter une perte de temps en ne lisant pas ce qui suit. Il s’évitera ainsi la contrariété d’une très mauvaise nouvelle.

On supposera connus, par le lecteur piégé par la perfidie de la phrase précédente, les méfaits de l’abus mercantile des droits de la propriété intellectuelle, et ainsi l'amenuisement des droits du public à la recherche, l’étude, la critique, l’enseignement, l’admiration des créations humaines.

Le Canada, était jusqu’à présent, un grand fournisseur du domaine public francophone en matière de littérature (grâce à la province du Québec), car sa loi considérait que les droits de la propriété intellectuelle cessent 50 ans après la mort de l’auteur (au lieu de 70 ans dans la plupart des législations). Par exemple, les écrits de Boris Vian sont protégés en France jusqu’en 2030, mais largement disponibles sur les sites canadiens.

Une telle situation ne pouvait pas durer. Pour satisfaire les exigences des États-Unis, une nouvelle mouture de l’accord commercial de libre-échange nord-américain, signée le 1er octobre 2018 par le Canada, l’oblige à prolonger de 20 ans sa durée du droit d’auteur. Ainsi les 20 années à venir seront un désert total pour le domaine public international et une déréliction pour l’amateur de littérature francophone numérisée.
Et comme le passage de 70 à 90 ans est déjà dans la liste des revendications en Europe, et que les États-Unis en sont à 95 ans dans certains domaines (c’est la « loi Mickey Mouse », faite pour que ce chef d’œuvre universel reste à jamais en mains privées), on peut commencer à décompter les jours restant à vivre pour le domaine public.

Relativisons toutefois, on se tuera certainement plus, dans les prochaines décennies, pour la possession d’un air respirable, d’eau courante et d’un coin de potager, que pour élever la musique et la littérature du 3ème millénaire à la béatitude d’un domaine public devenu dérisoire, même si la cause en est la même, la cupidité imbécile de l’espèce humaine.


Illustrer des abstractions comme le droit d’auteur ou le domaine public relève de la performance, aussi, pour alléger un peu cette chronique sans espoir, avons-nous tiré au hasard une jolie carte postale dans les jardins de l’Alhambra, à Grenade.

Et à propos de vénalité et d’imbécilité, le Parlement européen vient de voter définitivement, le 12 septembre, POUR la directive européenne sur le droit d’auteur, par 438 voix contre 226. Le plus amusant est qu’il avait voté CONTRE, le 5 juillet, par 318 voix contre 278. Ce qui fait 92 retournements de veste et 68 fraichement convaincus, le tout en 69 jours.
Persuader 160 députés européens en pleine période estivale n’est toutefois pas chose si prodigieuse. On a déjà constaté que l’industrie culturelle, qui se lamente continuellement, a de sérieux moyens inavoués de persuasion, jusqu’au monarque de la France qui a diffusé tous azimuts un tweet alarmant au moment décisif du vote.

Rappelons que les deux articles les plus discutés ont en réalité peu de chance de recevoir une mise en application pertinente.
L’article 11, qui instaure un droit rémunérateur sur les articles de presse référencés par d’autres sites, est une nouvelle tentative de faire passer la célèbre taxe Google. Il est probable que Gougueule y répondra encore par la menace d’arrêter le référencement de tous les articles de la presse européenne.
L’article 13, qui préconise le contrôle des droits d’auteur sur tous les contenus (y compris images et textes) avant toute publication sur internet, est aussi peu réaliste, vu le nombre d’erreurs que génèrerait une telle surveillance qui reviendrait alors à une censure préventive automatisée et généralisée, par tous les opérateurs privés qui en auront les moyens, et à la disparition des plus petits. Google et Facebook qui exercent déjà ce type de censure sur la musique et les vidéos commettent des milliers d’erreurs et d’abus de pouvoir chaque jour.

Mais qui sait ? Dans ce domaine, comme pour la survie de la « Civilisation », le pire est peut-être le plus probable.

mercredi 2 mai 2018

Une autre fuite du domaine public

Rappel : le domaine public est l’ensemble des réalisations des êtres humains dont la propriété est passée des mains du créateur (ou des profiteurs, pardon, des ayants droit) aux bras accueillants mais maladroits de l’humanité entière. Car si tous s’accordent, aux dates près, sur sa définition, son utilisation divise les nations.
Pour simplifier, d’un côté, les pays anglo-saxons et du nord de l’Europe considèrent que le domaine public est un patrimoine (matrimoine dirions-nous aujourd’hui) que les états doivent maintenir et propager généreusement. Et de l’autre côté, les pays latins et du sud de l’Europe exploitent le domaine public comme une ressource naturelle, et en privent le public au profit de sociétés ou de personnes privées (ah, ne protestez pas, on a dit qu’on simplifiait !)

Il n’est pas un mois sans que tombe la bonne nouvelle d’une bibliothèque ou d’un grand musée, hollandais, anglais, américain, qui a numérisé les documents ou les images de sa collection et les partage sans condition sur internet (par exemple il y a quelques jours la célèbre et un peu surfaite fondation Barnes de Philadelphie), et au même moment la mauvaise nouvelle d’une partie du patrimoine français ou italien vendue à une entreprise commerciale (ainsi l’accord du 4 avril dernier, entre le ministère italien de la Culture et du Tourisme et le vendeur de posters et de droits de reproduction sur internet, Bridgeman).

Revenons sur cet accord qui vient d’émouvoir quelques spécialistes.
Le ministère italien (MiBACT pour les intimes), constatant qu’il côtoyait la France dans les abysses de la médiocrité en matière de reproduction et de diffusion de son patrimoine culturel, et enhardi par de récentes décisions déraisonnables de la justice en matière de domaine public, s’est soulagé en confiant cette gestion à une entreprise privée.
Il vient donc d’accorder à la société Bridgeman la commercialisation des reproductions de toutes les œuvres des 439 musées qui dépendent de sa responsabilité. Désormais, au moins dans tous les domaines de l’édition, artistique, scientifique, universitaire, pédagogique, l’auteur qui souhaitera reproduire une œuvre de ces musées se verra renvoyé illico chez Bridgeman, devenu curateur des biens de l’humanité pour le compte de l’État italien, et là, domaine public ou pas, il faudra passer à la caisse.
Le ministère compte bien en tirer des bénéfices.

Cet accord ne lui interdit pas de faire évoluer les sites de ses musées et la diffusion philanthropique du patrimoine italien, mais ça n’est pas en cédant une partie du domaine public qu’il en prend particulièrement le chemin. La pratique est courante, c’était en 2013 la méthode de la Bibliothèque nationale de France, en 2016 du ministère de l’Éducation nationale français, et tant d’autres exemples.

Et pour répondre aux rouspétances du lecteur révolté par le premier paragraphe de cette chronique, si on s’interroge sur la raison qui différencierait les comportements du « nord » et du « sud », il serait évidemment niais de penser qu’une frontière sépare les nations intègres des peu scrupuleuses, car il y a sans doute partout la même proportion de personnes sans vertu et infréquentables, c’est à dire d’humains qui exercent un pouvoir sur d’autres humains et en abusent.
Alors les explications de ces abus sont vraisemblablement à rechercher dans les moyens que le système juridique de chaque pays a mis en œuvre pour les contrarier, ou les encourager.
Ainsi faire un parallèle entre les systèmes civilistes issus du droit romain et les systèmes jurisprudentiels influencés par la « common law » serait certainement instructif, mais surement très fatiguant, pour l'auteur et le lecteur.

De toute manière, quand le domaine public commence à fuir de partout vers des intérêts privés, il est temps pour l’humanité (enfin vous et moi, si vous préférez) de reconquérir par tout moyen le libre accès à sa propriété.




Ce portrait supposé d’un anglais, souvent appelé « l’homme aux yeux glauques », peint vers 1545 par Tiziano Vecelli (dit le Titien), un des plus beaux portraits d’homme qui soient, est quasiment invisible. 
S’il en fallait une preuve, on n’en trouve aucune image satisfaisante sur internet, parce que personne ne peut le photographier. Il est exposé, au palais Pitti de Florence, dans une pièce interdite par un joli cordon rouge qui oblige à l’apercevoir de loin et de biais en se penchant, comme toutes les peintures du musée, ce qui est pire à l’amateur que de le cacher dans les réserves. 
Et serait-il présenté sur un plan perpendiculaire à l’axe du regard qu’on ne le verrait pas plus sur internet puisque le palais fait partie des nombreux musées de Florence où la photographie est prohibée. Et les sites officiels de Florence, indigents, ne le citent même pas. 
Tant de secret n’augure rien de bon pour la carrière de ce peintre, qui sera très vite oublié.

dimanche 1 avril 2018

Fouilles virtuelles à Helsinki


Sur les lieux d'une fouille, un archéologue extrait nombre de petits objets historiques, sans attrait pour le profane, et parfois, très rarement, un bijou, un pépite.
C’est l’expérience que vivra le fouineur de musées électroniques en explorant les collections de la Galerie nationale finlandaise, ouverte depuis peu. Le musée physique se trouve à Helsinki, engourdi à 6° seulement du cercle arctique.

La Galerie virtuelle affiche, sur 40 000 œuvres, environ 20 000 reproductions d’une qualité honorable, dont 12 000, signalées, sont libres pour toute utilisation même commerciale, puisque les originaux sont dans le domaine public.
Les modes de recherche sont nombreux, en finlandais, suédois ou anglais, par technique, par époque, par artiste, avec des vignettes qui rendent l’exploration rapide et plutôt agréable, éloignant l’ennui.

Le plaisir étant dans la découverte de pépites, en voici quelques unes. À vous de trouver les autres, sans oublier les artistes avec des Å, des Ä et des Ö.

Les reproductions sont des détails des œuvres, dans l’ordre de lecture : 
En haut : Debucourt (le feu), Edelfelt (jeune femme lisant) 
Au centre : Simberg (portrait d’homme), Edelfelt (portrait de femme), Félon (nymphes), Edelfelt (portrait d’homme) 
En bas : Järnefelt (brulage), Aivazovski (photomontage, autoportrait avec paysage peint à l’huile), Simberg (jardin de la mort), Schjerfbeck (femme assise).



lundi 1 janvier 2018

Sale temps sur le domaine public

Évoqué dernièrement, le passage dans sa 2018ème année de l’humanité qui croit au calendrier grégorien marque l’entrée dans le domaine public de l’œuvre des artistes morts en l'an 1947 dudit calendrier.
Bonnard, Marquet, Van Meegeren, Hoschedé-Monet, Eugène de Suède, Reynaldo Hahn, Tristan Bernard, Ramuz, Fargue, Horta, Lubitsch, le physicien Max Planck et un tas d’autres créateurs, sont aujourd'hui à la libre disposition du public (sous réserve de règlementations locales particulières).
N’oublions pas cependant que les règles d’accession au domaine public sont des textes de loi, qui sont parfois interprétés bizarrement par les tribunaux, voire résolument ignorés, comme nous allons le constater.

Vous souvenez-vous de la pantalonnade du ministre italien de la Culture en 2014, aiguillonné par le directeur de la Galerie de l’Académie de Florence, qui s’excitait publiquement contre une entreprise américaine, créatrice d’une affiche incongrue ? Elle montrait le David sculpté par Michel-Ange tenant dans les bras un fusil ultramoderne. Le ministre prétendait que l’utilisation de l'image du David était illégale sans autorisation de l'État italien et exigeait le paiement de droits de reproduction.
L’œuvre étant depuis des siècles dans le domaine public, c’était une galéjade, mais face à l’hostilité agressive des médias et des officiels italiens, l’Américain retirait sagement son affiche. L’effet publicitaire de l’hystérie collective avait déjà largement dépassé ses espérances.

L’idée de faire fructifier toujours plus l’héritage culturel est de tous les temps, mais elle est aujourd'hui avivée par la réduction devenue systématique des budgets consacrés à la culture. En Italie, elle s’est transformée en une obsession au point que le gouvernement ne nomme plus que des « gestionnaires » à la tête des grands musées.

Ainsi la récente directrice de la Galerie de l’Académie de Florence eut l’idée d’attaquer en justice un organisateur de circuits touristiques qui vendait des tickets d’entrée à son musée pour 5 fois le prix normal. Mais la poursuite ne portait pas sur ce motif, qui est une pratique courante. L'audacieuse manageuse réclamait parce que la promotion pour les vendre était centrée sur le monumental David de Michel-Ange.
En résumé, elle réclamait des droits d’auteur sur la reproduction d’une œuvre du domaine public qui se trouve dans son musée, Copyfraude banale et détournement du droit, pratiqués par tout grand musée qui se respecte, sujet abondamment traité ici.
Pour mémoire, la photographie, même touristique, est interdite dans le musée (mais allez empêcher des milliers de touristes étrangers de sortir leur smartphone - rappelons-nous la déroute du Louvre en 2005).

Tout ceci serait anodin, si le tribunal civil de Florence n’avait pas été sensibilisé aux enjeux financiers immédiats du litige. Il a donc docilement conclu, ignorant toutes les lois de protection du domaine public italien, que l’accusé devra retirer de toutes ses campagnes promotionnelles l’image de la statue (sous astreinte de 2000 euros par jour), parce qu’il n’en a pas demandé l’autorisation au musée ni payé les droits de reproduction.
Une bourrasque d'air frais parcourait alors les encéphales embrumés des gestionnaires de la culture de la ville de Florence.
Fière de son succès, la responsable de tout cela déclarait attendre un avis du procureur pour appliquer la décision de justice à toutes les œuvres de « son musée », le gestionnaire de la cathédrale demandait à la rencontrer, celui du musée des Offices, ragaillardi, décidait de se lancer dans de vigoureuses poursuites judiciaires, et le maire exhortait toutes les institutions et les entreprises à se mettre en conformité avec ces nouveaux principes « l’image de Florence ne devrait plus être exploitée sans limites ni règles ».

On admet de plumer ouvertement le public, à condition de bénéficier aussi de la petite extorsion, et au passage on s’assied sur les principes du droit d’auteur. Ce sont des manières de mafieux.


Projet de la municipalité pour rentabiliser un peu plus les merveilles architecturales de Florence. Ici, en test, la façade de la basilique Santa Maria Novella est voilée. Quand un nombre suffisant de touristes payants est atteint sur la Piazza di S.M. Novella attenante, les issues en sont fermées et la façade est dévoilée par un ingénieux système de pompes hydrauliques. La durée de dévoilement est proportionnelle aux recettes de l’opération.  

Et comme toutes les bonnes idées d’abus de pouvoir, elle devrait vite se propager dans toute l’Europe, et il ne serait pas étonnant que le musée du Louvre profite de cette jurisprudence pour essayer d’obtenir le paiement de droits à l’utilisation de l’image de la Joconde, et même à tout article utilisant le mot Joconde.

Pour l’image, le cadre juridique français l’autorisant à le faire est désormais en place. Le décret Chambord en mars 2017, intégré à la loi de 2016 délicieusement nommée « Liberté de création, Architecture et Patrimoine » a créé, dans le but de contredire une récente décision de justice, une obligation de demande d’autorisation (avec redevance) lors de l’utilisation commerciale de l’image de bâtiments du domaine public (*). Il suffira de substituer « œuvres » à « bâtiments ».

Pour les mots, à l’instar de la loi d’exception qui sera votée dans quelques semaines pour attribuer des droits exceptionnels au Comité international olympique pendant 7 ans jusqu’aux jeux de 2024 à Paris, et qui interdira d’utiliser sans payer certaines expressions comme « Jeux Olympiques », ou « Paris 2024 », pourquoi ne pas profiter de cet élan créatif pour instituer un « droit » plus global qui s’appliquerait à l’usage de certains mots choisis annuellement dans la loi de finances ?

Il reste une indéniable marge de progrès pour abuser du domaine public et plumer encore un peu son propriétaire légitime. Cela annonce une bien belle année artistique 2018.

***
(*) Les images de Wikipedia et de Facebook (pour ne parler que des plus gros sites) sont considérées « à usage commercial » dans la mesure où, pour Wikipedia, leur réutilisation libre pour n’importe quel usage est un des principes constitutifs de la Fondation, et pour le second, l’utilisateur qui s’abonne autorise Facebook à faire toute utilisation qui lui conviendra des images téléversées sur le site.

vendredi 15 décembre 2017

Améliorons les chefs-d'œuvre (12)

Le grand Van Meegeren, peintre médiocre qui mystifia une génération d’experts et d’amateurs d’art, dont le pilleur nazi Hermann Goering, en leur vendant des Vermeer, des De Hooch, des Ter Borch, qu’il avait peints dans sa cuisine, est mort d’une faiblesse du cœur en 1947.
Il allait sortir de prison où il venait de prouver, en réalisant un faux Vermeer devant ses juges, qu’il n’était pas traitre à la patrie hollandaise, puisque les tableaux vendus aux nazis étaient tous des faux de sa main. Histoire fabuleuse, et les juges en furent émus et le punirent avec clémence du minimum symbolique d’un an de prison pour contrefaçon.

Le lecteur qui connait un peu les lubies de ce blog, et sait peut-être que 1947 + 70 font 2017, aura déjà deviné que le 1er janvier 2018 marquera le premier jour de l’année suivant le 70ème anniversaire de la mort du peintre, et qu’alors son œuvre (celle qui lui est attribuée) entrera glorieusement dans le domaine public de l’humanité.
Pour les mêmes raisons, les tableaux de Pierre Bonnard et d’Albert Marquet, les vrais comme les faux, pourront dans quelques jours être reproduits librement, sans avoir à payer de droit. On y inclura les tableaux de Blanche Hoschedé-Monet, élève et belle-fille de Claude Monet, dont nombre de toiles troublent sans doute les spécialistes lorsqu’il s’agit de leur attribution.

Et il est bon d’honorer les faux et les faussaires, car les copies et les faux anciens que les années ont recouverts d’un voile d’ignorance de plus en plus opaque sont devenus aussi beaux que des originaux. Voyez les imitations romaines de la statuaire grecque classique. Un jour vraisemblablement, les plus réussis des faux de Van Meegeren, notamment certains Ter Borch, seront jugés authentiques (c'est peut-être déjà le cas).

On ne peut dès lors qu’applaudir notre époque qui ne sait plus distinguer et mélange sans vergogne le factice et l’authentique.

L’actualité en présente un cas exemplaire à travers l’histoire de cette effigie du Christ « Salvator Mundi », dont le visage informe et inexpressif évoque une méduse qui aurait abusé de substances psychotropes. 
Les acheteurs de sa première vente identifiée ne s’y étaient pas trompés qui l’avaient acquise en 1958 pour l’équivalent d’une cinquantaine de dollars. Il suffisait de noter la mollesse et le manque de cohérence des drapés, l’anatomie défaillante des bras, des pouces, le visage trop repeint sorti d’une chirurgie reconstructive, et affligé d’une dissymétrie comme le collage de deux moitiés juxtaposées. 

Mais les affaires sont les affaires. Depuis 2007 un nombre qu'on dit croissant d’experts l’attribuent à Léonard de Vinci. Alors évidemment, ce qui devait arriver s’est produit, le tableau vient de pulvériser tous les prix les plus absurdes jamais entendus en salle des ventes. 400 millions de dollars pour un Léonard de Vinci douteux, ou au mieux un Léonard achevé par un élève médiocre. 
En réalité l’acheteur paiera 450 millions, la différence revenant aux taxes et au saltimbanque à cravate dont le sourire s’élargissait à proportion des minutes écoulées et qui tapa de son petit marteau après 20 minutes d’enchères.

Et pour parachever l’affaire, on dit que le tableau a été acheté par un prince saoudien, et qu’il deviendra sans tarder le fleuron du musée du « Louvre Abu Dhabi ». 
L’histoire ne pouvait que finir ainsi, en véritable coup de maitre. Un Léonard à peine authentique trônant sur la cimaise d’un musée artificiel né d’une opération de marketing de luxe, où le Louvre prête, moyennant une juteuse rémunération, son nom (la marque Louvre pendant 30 ans), les services payants de l’architecte officiel du prestige français, et des chefs-d’œuvre mineurs pendant 10 ans. 



Ainsi, pour améliorer un chef-d’œuvre (ou en l’espèce transformer un tableau raté en chef-d’œuvre), il y a d’autres voies que celle de la retouche. 
On peut lui attribuer un peintre de valeur, rechercher des éléments de preuve qui colleraient avec cette hypothèse, éluder ceux qui gênent, faire mijoter longuement dans un bain d’experts, accompagner d’une campagne publicitaire à la hauteur, et exposer le tout avec les honneurs dans un lieu luxueux très en vue dans les médias. 

L’opération est certes laborieuse mais l’attrait du gain réunit toutes les bonnes volontés, et quand elle réussit, le résultat est là. Un vrai chef-d’œuvre ! 

Mise à jour le 20.11.2018 : L'acheteur du faux Léonard serait, d'après un journal des plus fiables, le prince MBS d'Arabie saoudite, devenu rapidement célèbre depuis son accession au pouvoir, par ses actes qui rappellent ceux du Père Ubu, projet d'un canal qui longerait la frontière avec le Qatar et le transformerait ainsi en une ile, purge stalinienne d'une bonne part de son entourage, incitation au dépeçage dans son ambassade en Turquie, avec transit des morceaux en valise diplomatique, d'un journaliste qui taquinait un peu trop sa gestion, organisation d'un génocide au Yémen (soutenu notamment par les armes françaises et la logistique américaine)...
 

jeudi 13 octobre 2016

Revue de détails à Washington (2/2)

Suite et fin de quelques détails parmi les peintures de la National Gallery of Art de Washington.
(n'oubliez pas d'appuyer sur le bouton Zoom)  



1.1  Van Eyck Jan - Annonciation 1435
1.2  Bosch - Mort et la misère 1490
1.3  Vermeer - Peseuse 1664
2.1  Boilly LL - Le studio du peintre 1800
2.2  Gonzalès Eva - Nounou et enfant 1878
2.3  Vermeer - Dame écrivant 1665
3.1  Degas Edgar - Leçon de danse 1879
3.2  Johnson Eastman - Cueillette des fleurs de nénufar 1865
3.3  Homer Winslow - Retour du père 1873



1.1  Bricher AT - Quiet day near Manchester 1873
1.2  Bellotto Bernardo - Forteresse de Konigstein 1758
1.3  Vallotton Félix - Église de Souain 1917
2.1  Gérôme JL - Vue de Medinet El-Fayoum 1870
2.2  Dossi Dosso - Énée sur la côte lybienne 1520
2.3  Turner - Venise douane et San Giorgio 1834
3.1  Van Gogh  - Champs verts à Auvers 1890
3.2  Calame Alexandre - Paysage suisse 1830
3.3  Cuyp Aelbert - Cavaliers dans un paysage 1660



1.1  Coorte Adriaen - Nature morte aux asperges 1696
1.2  Harnett WM - Le vieux violon 1886
1.3  Hulsdonck Jacob van - Fraises et œillet 1620
2.1  Bronzino - Jeune femme et enfant 1540
2.2  Manet - Toréador mort 1864
2.3  Eakins - Archevêque 1905
3.1  Chardin - La bulle de savon 1734
3.2  Di Giovanni Benvenuto - Christ dans les limbes 1491
3.3  Chardin - Le château de cartes 1737

Revue de détails à Washington (1/2)

Contrairement aux grands musées français qui se pavanent sur tous les médias, le musée d’art de la ville de Washington en Amérique, la National Gallery of Art, n’a pas besoin de claironner qu’elle est un des plus beaux musée du monde. Elle le prouve tous les jours en partageant sur internet des images de haute qualité de sa collection, libres de toute utilisation, même commerciale. La planète entière peut le constater.
Le musée conseille même fortement de partager et diffuser ses images.

Alors abimons-nous à distance dans les détails inouïs des tableaux accrochés dans ce musée généreux mais lointain et qu’on ne visitera peut-être jamais autrement.   
(n'oubliez pas d'appuyer sur le bouton Zoom) 



1.1  De La Tour Georges - Madeleine repentante 1640
1.2  Gentileschi Orazio - Sainte Cécile et un ange 1620
1.3  Gentileschi Orazio - Sainte Cécile et un ange 1620
2.1  Chardin - La petite maitresse 1740
2.2  Largilliere Nicolas de - Elizabeth Throckmorton, religieuse 1737
2.3  Leonard de Vinci - Ginevra de Benci 1478
3.1  Rotari Pietro - Portrait de femme avec une fleur 1761
3.2  Reynolds Joshua - Miss Beatrix Lister 1765
3.3  Barocci Federico - Portrait Quintilia Fischieri 1600



1.1  Botticelli Sandro - Madone et enfant 1470
1.2  Bronzino - Jeune femme et enfant 1540
1.3  Cranach l’ancien - Portrait de femme 1522
2.1  Weyden Rogier van der - Portrait de femme 1460
2.2  Gainsborough Thomas - Mrs Cobb Methuen 1777
2.3  Gainsborough Thomas - Mrs Graham 1777
3.1  Cercle de Velazquez  - Pape Innocent 10 1650
3.2  Titien - Portrait de Ranuccio Farnese 1542
3.3  Rembrandt - Autoportrait 1659

À suivre...

dimanche 22 mai 2016

Potins de l'art

Jamais on ne louera assez le rôle des militaires dans l’histoire de l’art.
Hier encore, le président de la République d’Ukraine, flanqué de magnifiques et gras douaniers couverts de codes barres multicolores, aurait découvert dans un champ de luzerne, assisté de militaires en tenue de combat, 17 tableaux volés au musée de Vérone en Italie le 25 novembre 2015.

La découverte aurait eu lieu à Turunchuk, près de la frontière moldave, le 6 mai 2016. La mise en scène a été filmée et postée sur les réseaux sociaux habituels, et on dirait un épisode des aventures de Tintin.

On reverra donc bientôt à Vérone le singulier panneau peint par Caroto et figurant un jeune garçon montrant un dessin d’enfant. Il était parmi les œuvres volées et avait fait l’objet d’une chronique ici-même.


Pendant ce temps, le polyptyque de l’Agneau mystique, immense bande dessinée peinte par Van Eyck vers 1432 et qui fait se déplacer des millions de touristes vers la cathédrale Saint Bavon de Gand et constitue la fierté du peuple belge, avait besoin d’une bonne révision des 600 ans.

Le minutieux travail de restauration devait prendre 5 ans et finir en 2017. En fait ce sera fin 2019, et même 2020 ou 2021 disent certains. Et pour deux fois le budget estimé, voire trois fois. Aucune source n'est très claire. On parle de millions d’euros, trois, six, neuf peut-être.

C’est chose courante. Les pouvoirs publics et les institutions ne financeraient jamais ces projets pharaoniens si on leur annonçait un budget et des délais réalistes. Alors on divise les prévisions par trois. Une fois les travaux lancés, s’agissant d’opérations de prestige, il est souvent impossible de revenir en arrière. L’honneur de la nation serait en péril. On fait appel au mécénat d'entreprises, on aliène le bien public et on paiera tant bien que mal.

Dans l'atelier du musée des beaux arts de Gand le public peut suivre le cours de la restauration des panneaux de Van Eyck.

Enfin, alors que le musée du Louvre interdit dans ses expositions de photographier les œuvres qui sont pourtant dans le domaine public, qu’il en usurpe les droits de reproduction à son propre compte et ne publie en ligne que de médiocres miniatures, les musées qui lui ont prêté ces mêmes œuvres en partagent généreusement de splendides reproductions sur leur site internet.

C’est le cas de la collection de dessins et gravures de la bibliothèque Morgan de New York, une des plus riches au monde, et qui vient de prêter un dessin à la rétrospective Hubert Robert du Louvre, et un autre dessin, de Jean-Baptiste Oudry, à l’exposition sur l’ancien parc du domaine d’Arcueil, également au Louvre actuellement.

Et il y a bien d’autres merveilles dans cette fabuleuse collection en ligne, de Boilly, Danby, Daumier, Doré, Fragonard, Goya, Hogarth, Ingres, Thomas Jones, Ottavio Leoni, Mantegna, Maitre du manuscrit Herpin, Menzel, Merson, Piazzetta, Raffet, Robert, Roberts, Sargent, Schiele, Tenniel, Tiepolo G.D., Turner, Watteau, Zielke, Zingg, Zuccaro, et de tant d’autres.

Oudry Jean-Baptiste, Arcueil la première grande terrasse (détail), vers 1745 (Morgan library and museum, New York).

dimanche 27 mars 2016

Domaine public à vendre






La reproduction de cette photo sur laquelle flotte la menace des droits d'auteur du chef électricien est généralement interdite, sauf royalties.

C’est un fait établi depuis l'antiquité, une des fonctions du pouvoir est de permettre le détournement des biens publics pour la satisfaction privée de celui qui le détient.
Personne ne s’étonne de nos jours, une fois son représentant (démocratiquement élu) installé dans ses fonctions, qu’il puise généreusement dans les biens communs au bénéfice de sa fratrie et de ses amis. La survie de l’espèce s’arrête aux limites du village, voire sur le palier de la maison de famille.
Les plus malins inscrivent même cette coutume dans la loi, car un autre avantage du pouvoir est de faire les lois à sa convenance.

Et l’Assemblée nationale française vient justement d’adopter un amendement qui crée un nouveau droit patrimonial pesant sur le domaine public, dans le cadre de la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine ».
Il prévoit que toute utilisation commerciale d’images des immeubles des domaines nationaux, qui était jusqu’ici libre puisque relevant du domaine public, devra faire l’objet d’une autorisation préalable et d’une redevance. Ce qui interdit la libre reproduction des châteaux de la Loire, de Versailles, et de tant d’autres dans les livres d’art et les cartes postales, dans les encyclopédies participatives en ligne (comme Wikipedia dont le principe est la libre utilisation, y compris lucrative, de son contenu), et même sur les réseaux sociaux comme Facebook (les publicités et les réutilisations commerciales y sont consenties).

Dans le même esprit la loi « République numérique » qui aurait pu libérer « l’exception de panorama » n’en fera rien tout en faisant croire qu'elle le fait.

En effet le droit français interdisait jusqu’à présent toute reproduction, même non commerciale, d’images représentant le domaine public si elles contenaient des œuvres protégées par des droits d’auteur encore actifs.
Ne vous méprenez pas, ce n’est pas à la bonté de la nature humaine que vous deviez de ne pas avoir été poursuivi en justice quand vous avez publié sur votre blog des clichés de la tour Eiffel illuminée, du viaduc de Millau ou de la pyramide de Leo Ming Paye dans la cour Napoléon du Louvre. Vous le deviez à votre nombre incalculable à publier ces photos illicites et parce que les ayants droit n’actionnent la justice que si l’opération est rentable.

Et bien la loi Numérique, magnanime, vous autorisera désormais à faire ce que vous faisiez déjà (c’est l’exception de panorama), mais en interdisant l’utilisation commerciale de ces images (donc sur Wikipedia ou Facebook par exemple), ce qui constitue dans les faits un autre recul du domaine public.

Ces deux lois, soutenues par le Gouvernement, seront certainement votées en l’état. Deux verres d’eau dans l’océan de la « copyfraud », le détournement légalisé du domaine public au profit d’intérêts privés ou d’institutions publiques.

L’abus de pouvoir est un acte naturel. Il est normal de le consacrer dans la loi.
 

dimanche 27 décembre 2015

Les revenants de 1945

Les lois de la nature sont éminemment mathématiques, notamment en Europe ; à la fin de la 70ème année qui suit un décès, les réalisations intellectuelles et artistiques du mort entrent dans le domaine public et sont alors à la libre disposition de toute l’humanité.
C’est ainsi que nous verrons dans quelques jours paraitre la procession des trépassés de l’année 1945.

Et ce millésime sera spécialement lugubre. On y apercevra, parmi des millions de leurs victimes, les faces sinistres des tordus les plus minables de l’espèce humaine, Hitler, Himmler, Goebbels, Mussolini, Laval, mais aussi quelques musiciens considérables, de grands écrivains et des graphistes de valeur.

Quiconque pourra alors publier les livres d’Emmanuel Bove, Franz Werfel, Paul Valéry, Robert Desnos, reproduire les tableaux de Zuloaga et les illustrations de N.C. Wyeth, les bandes dessinées de Georges Colomb (alias Christophe), Fenouillard, Camember, Cosinus, jouer les quatuors de Béla Bartok, les pièces d’Anton Webern et certaines œuvres de Maurice Ravel.

« Certaines œuvres », car la loi souffre des exceptions. Les bénéficiaires des droits d’auteur se sont toujours ingéniés à prolonger la durée de leur rente, et les représentants du peuple qui ne sont pas insensibles aux arguments pécuniaires ont su pour cela truffer la loi de particularités.
Et comme le précise le site SavoirCom1 qui maitrise toutes ces subtilités (voir son calendrier de l’Avent du domaine public), alors qu’en 1945 Ravel était déjà mort depuis 8 ans, son sempiternel Boléro n’entrera dans le domaine public que le 30 avril 2016 (sauf coup de théâtre - car pour les ayants droit c’est une perte d’un à deux millions d’euros par an) mais son Menuet antique, pourtant antérieur d’une trentaine d’années, devra attendre le 29 septembre 2022 !

Et SavoirCom1 a beau en détailler les règles, il faudrait de longs calculs et une formation en musicologie pour réussir à déterminer la date de délivrance de la « Pavane pour une infante défunte », du concerto pour piano en sol ou de « l’Enfant et les sortilèges. »
Les charognards ont encore un peu à ronger sur le cadavre.


Au musée des confluences à Lyon, la vitrine consacrée aux grands musiciens morts expose le crâne de Maurice Ravel qu’on reconnait à la complexité des zones juridiques qui y sont figurées. Elles désignent le régime des droits d’auteur applicable à chaque pièce de musique sortie de son génial encéphale. On mesure la différence avec la simplicité du crâne de Mozart enfant avec qui il voisine.

dimanche 18 octobre 2015

Beaucoup de bruit pour presque rien

Anonyme du 17ème siècle - Reniement de Pierre, copie d'une gravure d'après un tableau de Gérard Seghers, attribuée étourdiment à Georges de La Tour sur le nouveau site Images d'art de la Réunion des musées nationaux.

À l'heure où les grands musées de la planète partagent déjà gratuitement en ligne des reproductions de leur collection, le ministère de la Culture et de la Communication réalisant le retard de la France et les carences de ses grands musées en la matière vient de déployer son savoir-faire dans le lancement d'un site internet, Images d'art, consacré au partage des images des collections des musées français.
Et quand on se rappelle l'ingéniosité (les mauvais esprits diront l'ingénuité) avec laquelle il a récemment imposé la liberté de photographier dans les établissements publics nationaux récalcitrants, on peut s'attendre au meilleur.

Les réseaux sociaux bien dressés bruissent depuis quelques jours du slogan du ministère « Découvrez, collectionnez, partagez les œuvres des musées français. »
En arrondissant les nombres, Images d’art présente 12 000 sculptures, 22 000 gravures, 13 000 aquarelles, 85 000 dessins de toutes techniques et 21 000 peintures.

La première mission du site est de faire découvrir la richesse des collections françaises. En effet chaque lancement de la page d’accueil affiche 20 vignettes différentes, mais tirées au hasard parmi un nombre limité des grandes locomotives des musées français, si bien que pour découvrir quelque chose, mieux vaut connaitre à l’avance ce qu’on cherche.
En revanche après une recherche, quand une vignette est sélectionnée, le site détaille l’œuvre et en suggère 20 autres qu’on suppose lui être liées par de subtiles affinités. L’association d'idées qui les choisit n'est pas vraiment limpide et parfois incongrue, mais c’est peut-être cela la découverte, de ne pas connaitre les règles et de les confondre avec le hasard.

Il faudra néanmoins veiller à ne pas considérer comme des découvertes certaines attributions hasardeuses ou carrément erronées, comme ce tableau en illustration fièrement attribué sans réserve à Georges de La Tour, quand il y a bien longtemps que plus personne n’ose le lui attribuer.

La deuxième mission du site, collectionner, est facilitée par des fonctions de création d’albums personnalisés, de diaporamas, ou de téléchargements d’images. Mais elles sont soumises à la création d’un compte utilisateur et à des procédures ennuyeuses de saisie d’information. Toutefois si quelque chose ne fonctionne pas dans ces démarches (comme lors de nos tests), leur contournement est aisé car les fonctions de copier ou de glisser-déposer des images n’ont pas (encore) été inhibées.

Remarquons que les reproductions proposées gracieusement sont en basse définition (maximum 750 pixels, donc de qualité médiocre ne permettant pas d’examiner les détails des œuvres) alors qu’on peut les trouver parfois en meilleure définition sur internet.
L’achat à usage personnel de reproductions en moyenne définition (2 à 3000 pixels) est proposé, mais il n’est disponible que pour de très rares œuvres (non identifiées, il faut appuyer sur un bouton malaisé pour s’en rendre compte) et semble ne pas fonctionner non plus.

La troisième mission du site, partager, est encouragée par les divers boutons qui accompagnent chaque image, cependant la lecture des CGU (conditions générales d’utilisation) découragera certainement les élans les plus optimistes.
D’abord, tout usage commercial, avec ou sans bénéfice financier, des images d’œuvres qui sont dans le domaine public est strictement prohibé. La Réunion des musées nationaux s’arroge ici la plupart des droits d'auteur des œuvres qui sont dans le domaine public (CGU.2.4), opération illégale comme cela a été maintes fois commenté (copyfraud). Le plus cynique est que la vérification de l’appartenance des œuvres au domaine public, ou au contraire de l’existence de droits d’auteur encore actifs qui interdiraient toute publication et tout partage, est laissée à la charge de l’utilisateur, à ses risques et périls (CGU.2.1).
Petite curiosité, CGU.2.2 déclare qu’il faut avoir atteint la majorité de 18 ans pour visiter le site, ou être sous la surveillance de parents ou de responsables légaux. C’est dire la perversité des collections nationales.

Enfin, CGU.2.7 et CGU.4 interdisent à peu près toute publication sur un site ou un blog faisant preuve de la plus légère indépendance d'esprit, qui diffuserait « des propos diffamants à l'égard d'une personne morale (CGU.2.7.5) », ou « des informations polémiques ou pouvant porter atteinte à la sensibilité du plus grand nombre (CGU.4) ». Ne riez pas !

Reconnaissons tout de même que si l'interface vieillotte du site mérite corrections et améliorations, la flânerie n'y est pas désagréable, comme dans un vieux dictionnaire illustré. On se croit de retour aux débuts de l’internet, dans un musée qui sent la cire et la poussière. Certaines salles y sont fermées par manque de personnel de surveillance. On contemple de loin un panorama certes lacunaire mais évocateur.
Cependant l’amateur rigoureux, le scientifique exigeant et le journaliste intègre auront intérêt, comme le signale Didier Rykner dans la Tribune de l’art, à faire leurs recherches plutôt sur le site de l’agence photos de la Réunion des musées nationaux, l’original du site Images d’art, moins brouillon et plus complet, ou dans les collections du site Culture.fr réellement plus professionnel et exhaustif.
De son côté SavoirCom1 fait aussi une limpide revue critique d'Images d'art.

Mais c’est peut-être après tout la seule ambition du ministère, que de proposer une promenade virtuelle lénifiante au bon peuple distrait, celui qui fréquente assidument et exclusivement Facebook ou Twitter, puisque les autres réseaux sociaux sont explicitement exclus de l’autorisation de partager ses images. C’est ce que précise CGU.2.4.3.