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dimanche 26 février 2023

Nuages (47)


Que serais-je, que ferais-je sans les nuages ? Je passe le plus clair de mon temps à les regarder passer.
Cioran, Cahiers le 20 février 1958

lundi 22 octobre 2018

L'agonie du domaine public

On a tant parlé du domaine public et du droit d’auteur dans ce blog que le lecteur fatigué pourra s’éviter une perte de temps en ne lisant pas ce qui suit. Il s’évitera ainsi la contrariété d’une très mauvaise nouvelle.

On supposera connus, par le lecteur piégé par la perfidie de la phrase précédente, les méfaits de l’abus mercantile des droits de la propriété intellectuelle, et ainsi l'amenuisement des droits du public à la recherche, l’étude, la critique, l’enseignement, l’admiration des créations humaines.

Le Canada, était jusqu’à présent, un grand fournisseur du domaine public francophone en matière de littérature (grâce à la province du Québec), car sa loi considérait que les droits de la propriété intellectuelle cessent 50 ans après la mort de l’auteur (au lieu de 70 ans dans la plupart des législations). Par exemple, les écrits de Boris Vian sont protégés en France jusqu’en 2030, mais largement disponibles sur les sites canadiens.

Une telle situation ne pouvait pas durer. Pour satisfaire les exigences des États-Unis, une nouvelle mouture de l’accord commercial de libre-échange nord-américain, signée le 1er octobre 2018 par le Canada, l’oblige à prolonger de 20 ans sa durée du droit d’auteur. Ainsi les 20 années à venir seront un désert total pour le domaine public international et une déréliction pour l’amateur de littérature francophone numérisée.
Et comme le passage de 70 à 90 ans est déjà dans la liste des revendications en Europe, et que les États-Unis en sont à 95 ans dans certains domaines (c’est la « loi Mickey Mouse », faite pour que ce chef d’œuvre universel reste à jamais en mains privées), on peut commencer à décompter les jours restant à vivre pour le domaine public.

Relativisons toutefois, on se tuera certainement plus, dans les prochaines décennies, pour la possession d’un air respirable, d’eau courante et d’un coin de potager, que pour élever la musique et la littérature du 3ème millénaire à la béatitude d’un domaine public devenu dérisoire, même si la cause en est la même, la cupidité imbécile de l’espèce humaine.


Illustrer des abstractions comme le droit d’auteur ou le domaine public relève de la performance, aussi, pour alléger un peu cette chronique sans espoir, avons-nous tiré au hasard une jolie carte postale dans les jardins de l’Alhambra, à Grenade.

Et à propos de vénalité et d’imbécilité, le Parlement européen vient de voter définitivement, le 12 septembre, POUR la directive européenne sur le droit d’auteur, par 438 voix contre 226. Le plus amusant est qu’il avait voté CONTRE, le 5 juillet, par 318 voix contre 278. Ce qui fait 92 retournements de veste et 68 fraichement convaincus, le tout en 69 jours.
Persuader 160 députés européens en pleine période estivale n’est toutefois pas chose si prodigieuse. On a déjà constaté que l’industrie culturelle, qui se lamente continuellement, a de sérieux moyens inavoués de persuasion, jusqu’au monarque de la France qui a diffusé tous azimuts un tweet alarmant au moment décisif du vote.

Rappelons que les deux articles les plus discutés ont en réalité peu de chance de recevoir une mise en application pertinente.
L’article 11, qui instaure un droit rémunérateur sur les articles de presse référencés par d’autres sites, est une nouvelle tentative de faire passer la célèbre taxe Google. Il est probable que Gougueule y répondra encore par la menace d’arrêter le référencement de tous les articles de la presse européenne.
L’article 13, qui préconise le contrôle des droits d’auteur sur tous les contenus (y compris images et textes) avant toute publication sur internet, est aussi peu réaliste, vu le nombre d’erreurs que génèrerait une telle surveillance qui reviendrait alors à une censure préventive automatisée et généralisée, par tous les opérateurs privés qui en auront les moyens, et à la disparition des plus petits. Google et Facebook qui exercent déjà ce type de censure sur la musique et les vidéos commettent des milliers d’erreurs et d’abus de pouvoir chaque jour.

Mais qui sait ? Dans ce domaine, comme pour la survie de la « Civilisation », le pire est peut-être le plus probable.

dimanche 18 février 2018

Nuages (42)

Cirrus sur Châteaudun, place du 18 octobre, fontaine Gaullier.

dimanche 29 mai 2016

Souvenirs d'Arcueil (de J.B. Oudry)

Jean-Baptiste Oudry, Arcueil, le grand escalier menant aux jardins en terrasses, dessin daté de 1744 (musée du domaine de Sceaux). Les personnages ont été ajoutés plus de 60 ans après par L.L. Boilly.


En ces temps-là, au domaine d'Arcueil, se donnaient des réjouissances et des promenades. On y hébergeait des célébrités, peintres officiels, écrivains dissidents. Voltaire y faisait de longs séjours, y écrivait des pièces de théâtre, y plaçait de l’argent.

L'aqueduc gallo-romain en ruine (à l'origine du nom d'Arcueil) qui croisait la Bièvre et avait été reconstruit dans les années 1630 conduisait une eau pure et abondante des sources vers Paris.
Entre 1720 et 1730 un prince de Guise avait composé là, en empruntant beaucoup d'argent, un domaine de 20 hectares dont 12 de jardins, comme un petit Versailles. La pente déclinait de 12 degrés et les jardins opulents se succédaient en cascades aux berges de la rivière et du canal latéral dans une suite de bosquets et de terrasses, d'escaliers, de bassins et de fontaines.

À la mort du prince, endetté, en 1739, le domaine commencera doucement à se décomposer mais restera quelques années encore fréquenté par les peintres, particulièrement Jean-Baptiste Oudry, jusqu’à son démembrement en 1752, sous la pression des créanciers.
Il disparaitra définitivement au milieu du 19ème siècle avec l’arrivée des manufactures.

Pas de plan détaillé, pas de ruine mémorable, il ne reste quasiment rien aujourd’hui du domaine d’Arcueil, que l’aqueduc, surélevé de façon imposante dans les années 1860, et une soixantaine de dessins, essentiellement de Jean-Baptiste Oudry.
Oudry était peintre ordinaire du roi, logé au Louvre, couvert d'honneurs et de responsabilités prestigieuses, spécialisé dans les scènes de chasse et les natures mortes de gibier.
Attiré par les jardins ombragés et délaissés du domaine d’Arcueil, il loua une maison voisine et les fréquenta longuement entre 1744 et 1747 au point d’en laisser une cinquantaine de dessins. Il y entrainait parfois d’autres peintres, Boucher, Natoire…  
 
Jean-Baptiste Oudry, Arcueil, la terrasse de l'Orangerie vue depuis le sud, dessin daté de 1744 (Chicago Art Institute).


Ses dessins étaient faits à la pierre noire, craie et gouache blanche sur papier bleu. Avec le temps la teinte bleue s’est décolorée. Le papier a jauni.
Contrairement aux autres artistes Oudry représentait les jardins déserts, les allées vides de tout personnage et la végétation parasite commençant à envahir les treillages et la pierre. 
Puis étrangement, certains de ses paysages se sont peuplés de personnages, sans doute tracés par d’autres mains qui furent un temps en possession des dessins. On parle d’Hubert Robert, de Louis-Léopold Boilly dont on reconnait le style des figures et les habits qu’elles portaient à la mode du début du 19ème siècle, quand Oudry était mort depuis 50 ans.

C’est essentiellement à partir de cette série de dessins (pas toujours fidèles, Oudry modifiait parfois une perspective pour la rendre plus pittoresque) que le conservateur et archéologue du patrimoine de la ville d'Arcueil, Gérard Vergison-Rozier, à reconstitué la carte du domaine disparu et fourni la matière de l’exposition « À l'ombre des frondaisons d'Arcueil » actuellement au Louvre et pour 3 semaines encore.
On y retrouvera avec le plan des jardins l’emplacement précis et la direction du regard du peintre pour chacune des 68 œuvres exposées.

Oudry ne semble pas avoir conçu ces dessins comme des esquisses préparatoires pour des peintures à venir mais plutôt comme un moyen d’enregistrer beaucoup de points de vue d’un monde qui allait disparaitre et qu’il avait aimé.
Le beau catalogue de l’exposition qui reproduit, indexe et commente tous ces points de vue, en perpétuera un peu plus longtemps le souvenir.

Mise à jour le 5.05.2020 : Le Musée national de Stockholm vient d'acquérir en vente publique deux dessins des jardins d'Arcueil par Oudry et qui étaient absents de l'exposition du Louvre.

 
Jean-Baptiste Oudry, quelques détails des dessins exécutés dans le domaine d'Arcueil entre 1744 et 1747.

dimanche 8 mai 2016

Hubert Robert (1733-1808), un peintre mineur

Hubert Robert, Homme lisant accoudé à un chapiteau corinthien, 
sanguine vers 1765 (Quimper, musée des beaux-arts)


Loués soient les peintres mineurs et bénies les modes qui les ignorent !

Hubert Robert, n’est peut-être pas un peintre mineur, il est parfois considéré comme un témoin appréciable des années 1750-1800. Son nom est peu connu mais certains de ses tableaux illustrent encore les livres d’histoire (L'abattage des arbres du Tapis vert à Versailles devant le roi en 1777, Premiers jours de la démolition de la Bastille en 1789, Violation des tombeaux des rois dans la Basilique Saint-Denis en 1793).
Car Robert ne représente que des monuments, des ruines antiques, des églises délabrées, des bâtiments inachevés ou en destruction. C’est son truc, sa recette, on l’a surnommé « Robert des ruines ».

La reproduction fidèle de la réalité ne le préoccupant pas trop il se laisse souvent aller aux collages architecturaux, comme son ainé et grand inspirateur romain Giovanni Paolo Panini. Robert ne se remettra jamais vraiment de son empreinte mais il évite souvent la surcharge indigeste de l’italien et lui ajoute la profondeur des ombres qui redonne vie à chaque scène.
Et il habite systématiquement ses ruines de dessinateurs, de badauds, d’ouvriers et de lavandières dans leur activité quotidienne, familiers de ces restes d’empires qui font leur décor ordinaire.

Les peintres romantiques qui suivront Robert dramatiseront sans retenue la relation de l'humain avec le paysage de ruines, exaltant la puissance dédaigneuse de la nature. Dans les tableaux de Robert les civilisations et les nations se désagrègent pierre par pierre mais le berger indifférent le remarque à peine, trop occupé à taquiner la porteuse d’eau.
Robert a l’ironie désinvolte. S’il peint la statue équestre d’un empereur romain c’est pour lui attacher une corde et y suspendre du linge à sécher.

Et il éprouve une obsession particulière pour l’eau, les fontaines, les lavandières et les porteuses d’eau, en cela il fraternise avec le Du Bellay des Antiquités de Rome « […] Rome de Rome est le seul monument, et Rome Rome a vaincu seulement. Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit, reste de Rome. Ô mondaine inconstance ! Ce qui est ferme, est par le temps détruit, et ce qui fuit, au temps fait résistance. »
 
 
Hubert Robert, Le portique de l'empereur Marc Aurèle, détail, 1784 
(Musée du Louvre, en dépôt à l'ambassade de France à Londres)


En son temps Robert connut succès et fortune. Brillant et disert en société, mondain et serviable, ami d’aristocrates influents (ce qui lui vaudra dix mois de prison pendant la Terreur), apprécié par Diderot, dessinateur des jardins du roi, conservateur du Muséum des Arts (ancien Louvre), il avait tout pour ne pas être oublié.
Mais l’absence de pathétique est souvent prise pour de l’indifférence, de la futilité, c’est pourquoi on l’a vite regardé comme un peintre superficiel, sans consistance. Or il faut toujours un peu de démesure pour que la postérité retienne votre nom.
Et puis il avait le pinceau vif et parfois négligent. Il a tellement peint qu’il n’existe toujours pas de catalogue exhaustif de son œuvre.

Voici des liens vers de belles reproductions sur internet qui montrent que Robert aimait aussi les parcs arborés qu'il peignait avec une même légèreté que son ami Fragonard, quand il pouvait y placer des fontaines : des fontaines et un grand escalier, une fontaine et des lavandières, une fontaine un palais et des vaches, le parc de Saint-Cloud, un autre parc désordonné, une ruine dans l'ombre, l'intérieur d'un palais désaffecté.

Pourtant Hubert Robert est aujourd’hui encore un peintre mineur. On le réalise avec délice à la quiétude et au silence des visiteurs clairsemés qui murmurent dans les allées de l’importante rétrospective présentée actuellement au musée du Louvre (Hubert Robert, 1733-1808, un peintre visionnaire, 144 tableaux et dessins).
Et ce ne sont pas l’intransportable catalogue d’exposition illisible sans lutrin tant il est lourd (5kg), ni l'absurde et illégale (mais lucrative) interdiction d’emporter ses propres souvenirs photographiés ou d’illustrer les réseaux sociaux, qui risquent de secourir la popularité du peintre.

Tant mieux. On avait oublié depuis bien longtemps, dans les grandes exhibitions contemporaines, la douceur de cet isolement propice au sentiment d’admiration.
Mais ce recueillement sera de courte durée. Devant l’érosion des visiteurs le Louvre qui risque de perdre sa place de musée le plus couru de l’univers a prévu de remettre en œuvre la machinerie grégaire des expositions bousculades, autour du nom de Vermeer en 2017 et de Léonard de Vinci en 2019.
 

Hubert Robert, Rome palais Poli et fontaine de Trevi en travaux, 
sanguine 1760 (New York, Morgan Library)