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lundi 16 janvier 2023

Et rien de Rome en Rome n'aperçois (2 de 2)

Friedrich Loos, Panorama de la Rome antique, 1850, détail de la vue n°5.

Examinons donc aujourd’hui les 5 tableaux du panorama de la Rome antique peints par Friedrich Loos vers 1850 (les liens individuels sont en fin de la chronique précédente et de la présente).

Préalablement, faisant défiler le panorama, on se sera immanquablement demandé où peut bien se trouver Rome. On ne voit que vignes, cultures, campagne. Quelques ruines, notamment l'amphithéâtre incomplet du Colisée au centre de la vue 3, confirment qu’on est bien au cœur de la Rome du passé, capitale du monde il y a deux millénaires. Mais Loos y était au milieu du 18ème siècle, et les lieux mêmes où avaient habité 1 500 000 romains dit-t-on étaient depuis devenus une banlieue de la ville récente, située quelques kilomètres au nord et où ne vivaient plus que 150 000 habitants. 
 
Le plan ci-dessous illustre l’orientation précise du point de vue de chaque tableau numéroté. L'œil se situe au centre sur la terrasse de la villa Celimontana. On aura noté sur la vue panoramique que Loos a fait correspondre assez précisément les bords mitoyens des vues adjacentes, en répétant parfois des deux côtés le même élément, arbre ou pan de mur.
La hauteur des 5 toiles est de 0,74 mètre, la largueur des vues 1 et 5 est de 1,18 mètre. Les vues 2,3 et 4 font 0,99. Seules les vues 1, 2 et 3 sont signées, "Fried. Loos" suivi de la date 1850, sauf la 3 dont le chiffre des unités n’est pas lisible (la Nationalgalerie date les 5 toiles de 1850)

Plan de la Rome antique en 2020 environ (le nord est en haut). Chaque secteur correspond à un des tableaux (numérotés dans le panorama) peints par Loos en 1850, à partir de la villa Celimontana (au centre).
 
La direction et la longueur des ombres sont globalement cohérentes avec l’orientation des vues et indiquent approximativement un moment unique, une heure du début de la matinée entre le printemps et l’été. Le soleil est relativement bas à l’est. 
Il faudrait des avis connaisseurs en botanique et en agriculture pour estimer plus précisément la saison, à l’observation de la végétation et des activités agricoles (tout commentaire serait apprécié)

Le ciel est vide, à l’exception d’un petit nuage discret sur la vue 2. La longue ombre qui recouvre ce qui est probablement la colline du Gianicolo, à gauche de Saint pierre du Vatican sur la vue 3, comme celle du premier plan, et celle qui assombrit la basilique à gauche sur la vue 4, sont énigmatiques ; elles ne peuvent être que projetées par des nuages bas à l’est derrière l’observateur mais inexistants ; liberté du peintre qui donne ainsi plus de relief à ces vues.

 Quelques points de repère pour commencer une promenade :  

Afin de rechercher les monuments qui subsistent en comparant les vues de 1850 par Loos et de 2020 sur Google Earth online, il est conseillé de le faire sur un ordinateur, d’ouvrir les liens des deux vues dans des fenêtres séparées et de les juxtaposer. Sur la vue contemporaine de Google Earth Online on pourra se déplacer dans les 3 dimensions et ainsi ajuster le point de vue, horizontalement, latéralement et en profondeur avec la souris, verticalement avec en même temps la touche majuscule pressée (essayez toutes les touches de contrôle). Sur le site Gallerix, les 5 vues de la Nationalgalerie de Berlin se trouvent sur la 2ème page de vignettes, en bas de page.

Vue 1, direction sud-sud-est (zone jaune)
Au fond, les collines d’Alban, au deuxième plan le long ruban du mur d'Aurélien, et derrière lui la longue ligne à peine visible de l'aqueduc Claudio. À droite la basilique San Sisto Vecchio.
en 1850 : Vue 1 par Loos 

Vue 2, direction sud-sud-ouest (zone bleue)
À gauche les Thermes de CaracallaÀ droite la basilique Santa Balbina et sa tour. Au fond l’aqueduc Claudio.
en 1850 : Vue 2 par Loos 

Vue 3, direction ouest (zone rose)
À droite l'église de San Gregorio, devant les ruines de la Domus Severiana, et au fond le vatican et le dôme de la basilique Saint Pierre. À gauche, peut-être la tour de la basilique Santa Cecilia in Trastevere et au fond le parc del Gianicolo et son belvédère (à vérifier).
en 1850 : Vue 3 par Loos 
 
Vue 4, direction nord-nord-ouest (zone verte)
À gauche la basilique San Zanipolo, puis le couvent Padri Passionisti. Au centre derrière une ligne de cyprès, le célèbre Colisée. À droite au fond la basilique Santa Maria Maggiore.
en 1850 : Vue 4 par Loos 

Vue 5, direction est (zone orange)
Au premier plan, la toute proche basilique Santa maria in Dominica alla Navicella, derrière elle, la basilique santa Stefano Rotondo, et encore derrière la grande et historique basilique de Santa Giovanni in Laterano (Saint-Jean-de-Latran), hors du Vatican mais lui appartenant ; c'est ici que se réunissent en conciles depuis 17 siècles les maitres de la religion chrétienne qui y palabrent pour accorder tant bien que mal le récit de leur mythologie aux avancées des connaissances et des sociétés. À gauche au second plan la basilique et le monastère Agostiniano Santi Quattro Coronati. 
Un dessin préparatoire de 2,9 mètres de l'ensemble du panorama était présenté par la galerie Antonacci de Rome en 2006. Le seul extrait correctement reproduit est un détail de cette vue 5. Les arbres du premier plan sont absents, ou omis.
en 1850 Vue 5 par Loos 

Rome de Rome est le seul monument, disait déjà Du Bellay en 1558. Le seul monument qui reste de Rome est l'idée qu'on s'en fait. Continuons donc à la rêver.
Bonne balade !

dimanche 8 janvier 2023

Et rien de Rome en Rome n’aperçois (1 de 2)

Friedrich Loos, Panorama de la Rome antique, 1850, détail de la vue n°2.

Friedrich Loos, peintre paysagiste et scrupuleux né en Autriche en 1797, était très apprécié de son temps, au moins jusqu’à ses 60 ans, puis démodé, mais peignant et gravant encore après 90 ans. 

De 1846 à 1852 il faisait l’inévitable voyage en Italie auquel était tenu tout artiste plus ou moins fortuné du 17ème au 19ème siècle : Trieste, Venise, Florence, Rome, Naples, Capri, Rome, Gênes, et enfin le lac Majeur.

Lors de son second séjour à Rome, de fin 1849 à fin 1851, il réalisait un panorama de 180 degrés de la Rome moderne, des terrasses de la villa Mellini (devenue Observatoire astronomique de Rome) sur le Monte Mario , en 5 tableaux qu’on dit actuellement à l’ambassade d’Allemagne au Vatican mais dont on ne trouve pas trace sur internet. 
Et il peignait surtout durant ces deux années un monumental panorama de 360 degrés en 5 tableaux sur 5,33 mètres, de la Rome antique cette fois. Il s’était installé, pour les dessins préparatoires et les esquisses, sur la terrasse de la villa Mattei (villa Celimontana depuis, et siège de la Société italienne de Géographie), sur le Monte Celio, 7 km au sud-ouest de la villa Mellini, sur l'autre rive du Tibre.   

Ces 5 tableaux, à présent dans la collection de l’Alte Nationalgalerie de Berlin, ne sont qu'épisodiquement exposés. On trouve cependant d’assez bonnes reproductions téléchargeables sur le site du musée, et surtout de plus précises, grandeur nature, sur Gallerix, ce singulier site russe dont on vous débroussaillait jadis le mode d’emploi (les liens vers les 5 tableaux sont en fin de chronique).


F. Loos, Panorama de la Rome antique en 1850. Voir le commentaire qui suit.
 
En cliquant sur la longue vignette ci-dessus vous ouvrirez (l’affichage peut être un peu long) une image que vous pourrez télécharger de 22 867 pixels par 2 717 et 11 Mégaoctets reconstituant à peu près en taille réelle le panorama tel qu’exposé par Loos à Rome en 1852 (la vue 1 est répétée à droite pour visualiser la boucle fermée du panorama). Il ne le vendit pas alors. Il en demandait sans doute un montant justifié par l’ampleur de l’ouvrage.

Prenez le temps d’en découvrir les détails, d'en déduire la saison, l'heure, les activités humaines, peut-être les monuments. Dans la prochaine chronique nous orienterons les vues sur le plan de Rome et tenterons de faire un peu de topographie des lieux, et de repérer ce que le temps (en réalité l’humain) en a fait en 170 ans. 

 Liens vers les reproductions de chaque tableau séparément, sur le site de la Nationalgalerie (NG) et sur le site Gallerix (GX) dans l’ordre panoramique, de gauche à droite : 
1.NG - 1.GX - 2.NG - 2.GX - 3.NG - 3.GX - 4.NG - 4.GX - 5.NG - 5.GX.


dimanche 15 mars 2020

Le jour où la Terre s’arrêta (flash-info)


Pas d’affolement, ça n’est qu’une image, la Terre tourne encore, mais une grande part des activités humaines a soudainement cessé, comme dans le film, louable mais tellement mal réalisé, de Robert Wise en 1951.
Depuis le 13 ou le 14 mars 2020, tous les musées du monde sont fermés (1), sans date de réouverture, à cause d’un petit animal mesquin mangeur de fourmis et en voie d’extinction que l'homme transforme en bottes, en escalopes et en produits cosmétiques (2).

Raphaël Sanzio, peintre officiel des papes de la Renaissance, qu’on disait au 19ème siècle le plus grand de tous les temps et qu’on juge aujourd’hui bien mièvre, a été le premier artiste à faire les frais de cette vengeance du pangolin.
L’énorme rétrospective que Rome consacrait au cinq-centenaire de sa mort a été interrompue, sans doute définitivement, après trois jours seulement (3).

C’est le moment d’aller se promener dans l’immense parc et les jardins du château de Versailles. Vraisemblablement désertés, ils restent ouverts pendant l’épidémie, contrairement au château, et sont peut-être même gratuits tous les jours (4). La période de protection hivernale des marbres n’est pas terminée et les statues voilées y promènent sans doute encore leur silhouette fantomatique.

Et n’en parlez pas à vos voisins, histoire de ne pas créer une affluence virale exponentielle qui deviendrait rapidement coupable.

Mise à jour le 17.03.2020 à 7h30 : Mais le bonheur est éphémère. L'ensemble du domaine de Versailles vient d'être fermé, et le site internet rouvert. À Londres la National Gallery reste ouverte mais les expositions prévues pour attirer beaucoup de public sont reportées.
Mise à jour le 18.03.2020 à 8h30 : À Londres la National Gallery vient de fermer, comme le British Museum et les autres musées et spectacles.

***
(1) Sauf les musées anglais. La National Gallery de Londres, le 15 mars à 15 heures, est encore ouverte et l'affirme fièrement. 
(2) Après la chauve-souris ou le serpent, c’est maintenant le pangolin qui serait peut-être le vecteur du virus SARS‑CoV‑2 responsable de l’épidémie Covid-19. 
(3) Raphaël était mort à 37 ans à Rome, d’un organisme microscopique déjà, probablement le paludisme. 
(4) À vérifier sur place. L’entrée n’est gratuite en principe que les lundis, mercredis et jeudis, et le site internet du château est actuellement dans les choux.

dimanche 20 octobre 2019

La vie des cimetières (89)


Du temps de l’empereur Auguste, quand ils durent achever l’entreprise de civilisation des tribus de la Gaule, les Romains établirent un imposant camp militaire à Aunedonnacum, aujourd’hui Aulnay-de-Saintonge, en Charente-Maritime. Les Gaulois mirent cependant un certain temps à acquérir les bonnes manières, et éliminèrent encore quelques soldats, qu’on enterra à la manière romaine, en dehors des limites du camp.
Puis les colonisateurs partirent.


Le lieu, au carrefour de deux anciennes routes impériales, devint une agglomération gallo-romaine. Près des tombes romaines (trois stèles funéraires ont été retrouvées) grandit alors une nécropole autour d’un édifice religieux, probablement un temple païen, puis un sanctuaire chrétien.

Des siècles plus tard, l’endroit était devenu une étape obligée du plus long des pèlerinages vers Compostelle, celui qui partait de Paris et passait par Poitiers. Et le sanctuaire d’Aulnay dépendant des moines bénédictins de Poitiers, ils jugèrent au début du 12ème siècle qu’il était temps d’ériger une église digne d'accueillir et d'impressionner la multitude des pèlerins de passage.


AltAlt Ce fut Saint-Pierre de la Tour, une merveille par la pureté romane de ses formes, de ses lignes, et des ornementations sculptées, préservées depuis 900 ans par la qualité du calcaire employé.

De nos jours, dans l’enclos qui entoure l’église, la vieille nécropole vivote, tant bien que mal, en une sorte de cimetière hétéroclite. Au long du 19ème siècle, les antiques éléments de sarcophage avaient été recyclés en pierres tombales, et couverts d’épitaphes gravées pour les défunts du temps, et ainsi datées 1840, 1860, 1880...

Et on dirait le lieu abandonné depuis cette époque, et soigneusement négligé pour son cachet immémorial et pittoresque. 
Cependant vous pourriez encore, errant parmi les tombes, distinguer des dates de décès contemporaines, des années 1950 et 1960, jusqu’à 1999, et même 2014.
C’est sans doute le privilège de certaines lignées ancestrales qui ont un caveau ici, car le site est inscrit au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco, et Aulnay dispose, 100 mètres plus loin, d’un cimetière moderne, fonctionnel et spacieux.

À suivre… 



lundi 9 septembre 2019

Nuages (46)


Un nuage disgracieux et désorienté erre au dessus des arènes d’Arles, ou cherche peut-être à les éviter.
Amphithéâtre romain il y a bientôt 2000 ans, habité par les déshérités il y a 500 ans, enfin réhabilité en arènes voilà 200 ans, on y pratique régulièrement depuis un spectacle sanguinaire explicitement interdit par le code pénal (art. 521) mais autorisé par les institutions les plus sérieuses et les politiciens les plus influents, parce que c’est une tradition du sud de la France, et que ce patrimoine est sacré.

dimanche 24 février 2019

Tableaux singuliers (11)


Ippolito Caffi, védutiste italien au 19ème siècle, fasciné par les phénomènes météorologiques et lumineux, peignit Venise dans tous ses états, submergée par l’acqua alta, sous la neige, dans le brouillard, illuminée de feux de Bengale... Ce Glob parlait de lui en 2011.

En 2016 et 2017, au moment d’une copieuse et longue rétrospective Caffi au musée Correr, place Saint-Marc à Venise (157 œuvres pendant 8 mois), réapparaissait un tableau étrange, d’une collection privée, une « Éclipse de soleil à Venise vue des Fondamente nuove ».
C’est un grand tableau, 152 cm sur 84. Au dos serait inscrit, en italien, « 8h du matin, à Venise le 8 juillet 1842, CAFFI ».

Cette représentation de la fin de la phase de totalité de l'éclipse solaire, dont l'ombre enténébra Venise ce matin-là, est fausse. Jamais une éclipse ne diffuse pareille tranche de lumière, comme projetée par un phare, comme si le Soleil et la Lune flottaient à l’intérieur de l’atmosphère terrestre. En réalité le ciel passe, à la fin d’une éclipse totale, de nocturne (à part l’horizon crépusculaire) à diurne, dans sa totalité, et la lumière baigne l’atmosphère en quelques secondes, sans balayer de manière perceptible l’espace comme un rideau qui s’ouvrirait. Le phénomène est le même, inversé, au début de la phase de totalité.

Or Caffi, reporter fidèle des évènements atmosphériques, s’il les exaltait souvent, ne les transformait pas. Comment expliquer cette image erronée ?

Essayons une explication.

Caffi n’a pas assisté à l’éclipse totale du 8 juillet 1842 et l’a peinte d’après des témoignages. Peut-être était-il à Rome ce jour-là. C’est une malchance, car on connait le détail de tous ses voyages, et en 1841 et 1842, il pérégrinait entre Padoue, où il réalisait une série de fresques, Milan, Belluno sa ville natale, Venise et Rome. Or les quatre premières sont dans la zone d’ombre de l’éclipse, mais pas Rome (voir illustration ci-dessous).
Caffi n’a d’ailleurs jamais pu voir d’autre éclipse totale, puisqu’aucune éclipse n’a jamais traversé les lieux de ses voyages quand il y était.

Il est cependant évident que de retour dans sa région en 1842, il a interrogé des témoins pour réaliser son tableau. Et leur description, à un détail près, a été précise et fiable.

En consultant l’exceptionnel et légendaire site de Xavier Jubier, qui permet de rechercher et tracer toutes les éclipses solaires sur cinq millénaires, on constate que l’éclipse du 8 juillet 1842 a duré environ une minute à Venise, précisément à 7h06 (heure d’aujourd’hui), et que le soleil était orienté vers l’Est-Nord-Est à une altitude de 20°.
Or on vérifie, en superposant le tableau à une vue récente des mêmes Fondamente Nuove (quais du nord de la ville) par Google street view, que le décor a peu changé en 170 ans, et que l’orientation et la hauteur des astres sur le tableau correspondent parfaitement aux conditions de l’éclipse.
De plus, bien que les couleurs d’ensemble en soient assez fausses, la teinte crépusculaire de l’horizon et, en dessous, l’illumination de l’eau de la lagune au retour du soleil sont des notations justes des effets lumineux de la fin de la phase de totalité.

Mais, détail que Caffi témoin n’aurait pas oublié, l’orientation du soleil reparaissant derrière la lune est fausse. Le peintre place le croissant en bas à droite, qu'il prolonge d'un quartier de lumière imaginé en simulant mentalement le phénomène, alors qu'en réalité le soleil qui se levait quittait le trajet de la lune vers le haut à droite, ce que montrerait la simulation de l'éclipse sur un logiciel d’astronomie.

Ainsi, Caffi a scrupuleusement reproduit ce qui lui a été dit par les témoins, mais certains effets sont difficiles à décrire, et il a probablement réalisé le tableau un peu vite, sans leur soumettre des esquisses préparatoires.
Quelques mois plus tard, il partait de Naples pour un voyage de deux ans, plein d’étapes ensoleillées, vers Constantinople, Athènes, Le Caire, jusqu’au désert de Nubie.
 
Trajet de l'éclipse solaire totale du 8 juillet 1842 (calculs par X. Jubier)

dimanche 18 mars 2018

La vie des cimetières (79)


Quand en 52 avant l’ère actuelle, après un mois de siège, le proconsul César Jules eut fait massacrer, vieillards, femmes et enfants compris, précise-t-il, les 40 000 gaulois de la ville d’Avaricum (aujourd’hui Bourges), une des plus belles et puissantes villes de la Gaule, affirme-t-il, il la fit transformer en une cité gallo-romaine, bourgeoise, avec tout le confort et les commodités modernes.

Enfin c’est Jules lui-même qui raconte cela, parce que les archéologues n’ont toujours pas trouvé, à Bourges et alentour, les vestiges qui confirmeraient la moindre des affirmations de sa grande auto-hagiographie (la Guerre des Gaules) sur Avaricum et sa bataille. La tendance des historiens est de penser qu’il a beaucoup surévalué l’importance de la ville et surtout celle de Vercingétorix histoire de gonfler la grandeur de ses conquêtes aux yeux de Rome, comme le ferait tout militaire friand de pouvoir politique.

Ce qui est certain est la prospérité « à la romaine » que connut la région d’Avaricum pendant plusieurs siècles. Le musée du Berry, à Bourges, en expose les preuves archéologiques.

La salle la plus marquante est certainement, au rez-de-chaussée, la grande pièce des vestiges gallo-romains, essentiellement peuplée de stèles funéraires des premier et deuxième siècles, 220 dit le dépliant, alignées comme dans un cimetière, avec ses allées pavées et son gravier, sous la molle lumière zénithale d’une verrière.
Reconstitution anachronique, si l'on écoute les spécialistes, car la loi romaine, pour des raisons sanitaires et religieuses, interdisait incinérations et ensevelissements concentrés dans les cités. Alors les habitants enterraient les restes aux portes des agglomérations, le long des routes, sans ordre particulier, et marquaient l’emplacement d’une stèle orientée pour que les dédicaces soient lues par les passants et les voyageurs, condition de la « survie de l’âme » des défunts. Aujourd'hui la pierre est usée, le déchiffrage est malaisé.

Dans la même pièce du musée, une belle mosaïque gallo-romaine, prophétique, comporte déjà, incrustée avec les tesselles d’origine, sa propre date de découverte en 1863.

Ces anachronismes désuets font le charme de ces petits musées de province délaissés. Dans les salles désertées, les objets s’efforcent de retourner au silence d’où on les a extraits quelque temps pour l’édification scientifique des populations.
Le musée du Berry est de ces établissements publics modestes, humble au point d’être le seul sans doute en France à ne pas forcer le touriste à passer par la boutique en fin de visite.



lundi 8 août 2016

Eckersberg et la réalité

En 1984, dans une ample exposition sur « l’âge d’or de la peinture danoise », le public français découvrait 54 œuvres de Christoffer Wilhelm Eckersberg. Au fil du temps il revoyait parfois quelques tableaux, comme au Grand palais à Paris en 2001, qui illustraient le thème des paysages d’Italie peints en plein air.
Aujourd’hui jusqu’au 14 aout 2016, la Fondation Custodia à Paris lui consacre une grandiose rétrospective de 80 peintures et une quarantaine de dessins.

Très marqué par ses années passées à Paris de 1810 à 1813, notamment dans l’atelier de David, Eckersberg manifestera toute sa vie une rigueur (voire une rigidité) des formes et des volumes dans sa peinture d’un monde limpide et léger, comme minéralisé, un monde voisin de celui d’Ingres (ancien élève de David) sans en maitriser autant les raffinements dans ses portraits de la bourgeoisie mais excellant dans ses petits paysages esquissés sur le motif et terminés en atelier.

Eckersberg, la villa Raphaël dans les jardins Borghese à Rome, 1815. Détail (Hambourg Kunsthalle)

Comme Ingres également Eckersberg aurait voulu être reconnu comme peintre d’histoire, genre le plus noble de l’époque. Mais comme Ingres il n’avait aucun sens du drame ni du pathétique, et pas un gramme de romantisme non plus. Il était fait pour les points de vue détachés, équilibrés, sobres.

On en voit l’évidence dans la salle de l’exposition consacrée à onze paysages romains. Eckersberg n’y montre jamais les vues les plus courues, ou alors sous des angles banals ou inhabituels et garnies de détails réalistes qui leur ôtent toute grandeur. Dans ses vues des ruines de Rome la profondeur des siècles s’évapore, l’histoire s’arrête l'instant d’une peinture.

On a jugés cruels ses portraits de la bourgeoisie. Ils étaient foncièrement réalistes. Professeur, devenu une célébrité au Danemark, directeur de l’Académie royale des beaux-arts, Eckersberg enseignait qu’il ne fallait pas chercher l’inspiration dans les tourments de l’esprit mais dans l'observation du monde comme il advient « Ne peignez que ce que vous voyez, mais dans les moindres détails ».

Et son petit tableau de 1836 (n°68 de l’exposition) intitulé « Figures courant sur le pont de Langebro au clair de lune » en est l’exemple abouti. L’eau est calme, l’atmosphère est paisible. Dans l'ombre du clair de lune on n’aperçoit pas tout de suite l’agitation des personnages qui courent ou s’exclament sur le pont. Le peintre ne montre pas le motif de leur alarme, et on ne le saura jamais.
L’histoire s’est arrêtée le temps d’une peinture.


Eckersberg, femme sur une balançoire en forêt, plume et lavis d'encre, 1810. Détail (Copenhague SMfK)

dimanche 8 mai 2016

Hubert Robert (1733-1808), un peintre mineur

Hubert Robert, Homme lisant accoudé à un chapiteau corinthien, 
sanguine vers 1765 (Quimper, musée des beaux-arts)


Loués soient les peintres mineurs et bénies les modes qui les ignorent !

Hubert Robert, n’est peut-être pas un peintre mineur, il est parfois considéré comme un témoin appréciable des années 1750-1800. Son nom est peu connu mais certains de ses tableaux illustrent encore les livres d’histoire (L'abattage des arbres du Tapis vert à Versailles devant le roi en 1777, Premiers jours de la démolition de la Bastille en 1789, Violation des tombeaux des rois dans la Basilique Saint-Denis en 1793).
Car Robert ne représente que des monuments, des ruines antiques, des églises délabrées, des bâtiments inachevés ou en destruction. C’est son truc, sa recette, on l’a surnommé « Robert des ruines ».

La reproduction fidèle de la réalité ne le préoccupant pas trop il se laisse souvent aller aux collages architecturaux, comme son ainé et grand inspirateur romain Giovanni Paolo Panini. Robert ne se remettra jamais vraiment de son empreinte mais il évite souvent la surcharge indigeste de l’italien et lui ajoute la profondeur des ombres qui redonne vie à chaque scène.
Et il habite systématiquement ses ruines de dessinateurs, de badauds, d’ouvriers et de lavandières dans leur activité quotidienne, familiers de ces restes d’empires qui font leur décor ordinaire.

Les peintres romantiques qui suivront Robert dramatiseront sans retenue la relation de l'humain avec le paysage de ruines, exaltant la puissance dédaigneuse de la nature. Dans les tableaux de Robert les civilisations et les nations se désagrègent pierre par pierre mais le berger indifférent le remarque à peine, trop occupé à taquiner la porteuse d’eau.
Robert a l’ironie désinvolte. S’il peint la statue équestre d’un empereur romain c’est pour lui attacher une corde et y suspendre du linge à sécher.

Et il éprouve une obsession particulière pour l’eau, les fontaines, les lavandières et les porteuses d’eau, en cela il fraternise avec le Du Bellay des Antiquités de Rome « […] Rome de Rome est le seul monument, et Rome Rome a vaincu seulement. Le Tibre seul, qui vers la mer s'enfuit, reste de Rome. Ô mondaine inconstance ! Ce qui est ferme, est par le temps détruit, et ce qui fuit, au temps fait résistance. »
 
 
Hubert Robert, Le portique de l'empereur Marc Aurèle, détail, 1784 
(Musée du Louvre, en dépôt à l'ambassade de France à Londres)


En son temps Robert connut succès et fortune. Brillant et disert en société, mondain et serviable, ami d’aristocrates influents (ce qui lui vaudra dix mois de prison pendant la Terreur), apprécié par Diderot, dessinateur des jardins du roi, conservateur du Muséum des Arts (ancien Louvre), il avait tout pour ne pas être oublié.
Mais l’absence de pathétique est souvent prise pour de l’indifférence, de la futilité, c’est pourquoi on l’a vite regardé comme un peintre superficiel, sans consistance. Or il faut toujours un peu de démesure pour que la postérité retienne votre nom.
Et puis il avait le pinceau vif et parfois négligent. Il a tellement peint qu’il n’existe toujours pas de catalogue exhaustif de son œuvre.

Voici des liens vers de belles reproductions sur internet qui montrent que Robert aimait aussi les parcs arborés qu'il peignait avec une même légèreté que son ami Fragonard, quand il pouvait y placer des fontaines : des fontaines et un grand escalier, une fontaine et des lavandières, une fontaine un palais et des vaches, le parc de Saint-Cloud, un autre parc désordonné, une ruine dans l'ombre, l'intérieur d'un palais désaffecté.

Pourtant Hubert Robert est aujourd’hui encore un peintre mineur. On le réalise avec délice à la quiétude et au silence des visiteurs clairsemés qui murmurent dans les allées de l’importante rétrospective présentée actuellement au musée du Louvre (Hubert Robert, 1733-1808, un peintre visionnaire, 144 tableaux et dessins).
Et ce ne sont pas l’intransportable catalogue d’exposition illisible sans lutrin tant il est lourd (5kg), ni l'absurde et illégale (mais lucrative) interdiction d’emporter ses propres souvenirs photographiés ou d’illustrer les réseaux sociaux, qui risquent de secourir la popularité du peintre.

Tant mieux. On avait oublié depuis bien longtemps, dans les grandes exhibitions contemporaines, la douceur de cet isolement propice au sentiment d’admiration.
Mais ce recueillement sera de courte durée. Devant l’érosion des visiteurs le Louvre qui risque de perdre sa place de musée le plus couru de l’univers a prévu de remettre en œuvre la machinerie grégaire des expositions bousculades, autour du nom de Vermeer en 2017 et de Léonard de Vinci en 2019.
 

Hubert Robert, Rome palais Poli et fontaine de Trevi en travaux, 
sanguine 1760 (New York, Morgan Library)

vendredi 30 octobre 2015

Nuages (38)

Colonnades de l’agora dans les ruines d’une des plus belles cités de l’antiquité grecque puis romaine, Pergé, aujourd’hui au sud ouest de la Turquie, à 17 km d'Antalya. À l'horizon la chaine occidentale des monts Taurus.

dimanche 29 septembre 2013

La lumière est à gauche


C'étaient les dernières années du 16ème siècle à Rome. Un peintre de 25 ans venu de la région de Milan, Michelangelo Merisi, connaissait un succès considérable en bouleversant les codes de la peinture de son temps. On le surnommait Le Caravage.

Avant lui la peinture était faite de douceur, d'onctueuses et multicolores délicatesses. La lumière qui illuminait les sujets était d'une source idéale, celle de l'esprit. C'était la Renaissance. L'Homme était redevenu la mesure de toutes choses. Son avenir était rayonnant. Le Maniérisme qui lui succédait, en déformant l'espace et les mouvements, avait seulement un peu amolli le tout.
Caravage ne voyait pas la vie ainsi. Il la montra crue, brutale, violente avec du sang et de la saleté. Il plongea la peinture dans un réalisme radical. La lumière ne venait plus de l'humain, elle tombait de l'extérieur de la toile, comme une fatalité, un éblouissement. Et les ombres se transformèrent en ténèbres.

Pour copier ainsi exactement la nature et les effets de la lumière crue sur les corps, sans interpréter ni corriger, il fallait faire poser les modèles sous l'éclairage intense et ponctuel d'une source très localisée, sans réflexion parasite. Et pour représenter des figures en grandeur nature, la toile devait nécessairement être éclairée par la même source, en se débrouillant pour que la main du peintre ne produise pas d'ombre sur le travail en cours.
Toute personne qui a dessiné à la lueur d'une lampe sait cela. Un peintre droitier qui ne veut pas peindre sur l'ombre de sa main choisit la source de la lumière à gauche. Inversement pour un gaucher.
Ce n'est donc pas un effet du hasard si, parmi les 80 à 90 tableaux connus du peintre, seulement cinq ou six sont éclairés par la droite, comme l'Enterrement de Santa Lucia de 1608, actuellement dans l'église homonyme de Syracuse en Sicile (voir l'illustration). Tous les autres sont éclairés par la gauche. Le plus souvent en haut à gauche.

On peut en dire autant de la plupart des suiveurs de Caravage, Valentin de Boulogne, Georges de La Tour dans ses tableaux diurnes, Vermeer dont la fenêtre est toujours placée à gauche... Et ainsi de suite, pour 85% des peintres avant la découverte de l’éclairage électrique, probablement, puisque les sites consacrés aux gauchers estiment qu'ils représentent 15% de la population.

Caravage était donc droitier. Cela n'a bien sûr aucun intérêt. D'autant que cela ne répond pas à la question des circonstances pratiques de création de ses rares toiles « gauchères ».

Le 28 mai 1606, il tuait un milicien en duel à l'épée, qu'il portait sans doute à gauche. Condamné à mort, il fuyait Rome.

lundi 19 décembre 2011

Platon est un con

Tragédie grecque inspirée d'une remarque sur Platon (1) d'André Brahic (qui n'est pas la moitié d'un astrophysicien) proférée à la 17ème minute d'une conférence échevelée pour l'Université de Tous Les Savoirs.


La scène se passe à l'agora d'Athènes

Platon : Le monde sensible, celui qui est perçu par nos sens, est changeant selon les témoins et les opinions. Il n'est que l'ombre du monde parfait des idées, qui est la seule réalité.

Le chœur : Platon est un con !

Platon : Si le monde sensible n'est qu'un simulacre du vrai monde des idées, c'est parce que nos sens nous trompent, et non parce que les idées seraient fausses.

Le chœur : Quel con ce Platon !

Platon : Les idées, les formes ne peuvent être fausses puisqu'elles ne proviennent pas de nos sens. Ce sont des modèles indépendants de toute pensée, et donc les seules réalités susceptibles d'une étude objective. Le monde sensible, subjectif, ne peut pas faire l'objet de connaissances.

Le chœur : Ce Platon, quelle tache !

Platon : Avant d'être prisonnière d'un corps, notre âme immortelle faisait partie du même monde que les idées. C'est pourquoi les idées nous arrivent par réminiscence, et par une laborieuse gymnastique philosophique.

Le chœur : Platon est vraiment très con !

Platon : Seul le philosophe, capable de se défaire des idées reçues et des apparences, sait manipuler les idées vraies pures et éternelles et peut ainsi diriger la cité.

Le chœur : Sacré Platon, il ne pense qu'avec ses pieds !

Le coryphée : Et les conceptions de Platon, l'existence de deux mondes, un monde corrompu, physique, opposé au monde pur des idées et des formes, guideront l'humanité, ses pensées, ses croyances, pendant des millénaires.

Platon : Eh, j'avais pas trop le choix, mon avenir, avec mon physique, c'était lutteur de foire ou phare de l'Humanité, vous auriez fait quoi à ma place ?

Le chœur : Platon est un con !



Sculptures romaines, copies de caricatures grecques. On reconnait sur l'image de gauche le grand Platon écervelé, et à droite le Platon qui ne pense qu'avec les pieds (Naples, musée national d'archéologie).

***

(1) Extrait de L'observation de l'univers a-t-elle encore un sens aujourd'hui : «Platon disait que la pensée pure était la vérité, et c'est la source de tous les massacres de l'humanité, l'inquisition des chrétiens, le fondamentalisme musulman, les camps nazis, les camps sibériens, des gens ont une idée, ils ne la confrontent pas à la réalité et massacrent leurs semblables sous prétexte de les rendre plus heureux.»


mardi 17 mai 2011

Caffi, biographie

Caffi Ippolito, védutiste tardif.

16 octobre 1809, Belluno, nord-est de l'Italie,
20 juillet 1866, près de Lissa (Vis) en Croatie.

Un tableau d'Ippolito Caffi est toujours une surprise. Comme pour Hubert Robert dans les musées français, on ne visite pas un musée italien pour voir un Caffi. On ne sait même pas qu'il y en a un. On le découvre au bout d'un couloir, dans une pièce silencieuse, entouré de paysages italiens un peu sombres. C'est un petit panorama urbain peint avec précision et de délicates lumières vivement colorées, comme avec de la gouache. Une ville qu'on croit reconnaitre, avec des ruines, des monuments et des petites silhouettes humaines. Un Canaletto en miniature.

En haut et en bas, Venise, au centre Constantinople et Rome. Tous sont dans des collections privées, sauf Constantinople (à Brescia) et la fête nocturne en bas à gauche (au musée de Belluno).

Caffi aura trop aimé Venise. Sous la neige, les hautes eaux, le brouillard, les feux d'artifices, il l'a représentée mille fois.

Il y étudiera 4 ans, avant de partir pour Rome en 1832 où il rencontrera Corot, et le succès. Il voyagera beaucoup, en Europe et au Moyen-Orient (1843), mais reviendra à Venise en 1847 pour soutenir l'insurrection de la ville, menée par Daniele Manin, contre l'occupant (la Vénétie était alors province autrichienne, cédée par Bonaparte en 1797).
Prisonnier quelques mois, évadé, victorieux pendant la courte période de la république de Saint-Marc, propagandiste exilé quand l'Autriche reprendra Venise en 1848, acquitté en 1859, on le retrouvera dans la lutte pour la libération et l'unification de l'Italie, prisonnier politique, puis illustrateur de l'armée de Garibaldi à Naples en 1860, enfin à nouveau vénitien sous surveillance policière en 1862.

1848, Pie 9 bénit, place du Quirinal à Rome (musée de Trévise).

En 1866, Venise (comme Rome) ne fait pas encore partie du Royaume d'Italie. Les alliés prussiens sont sur le point d'y déloger les autrichiens. Alors les italiens fraichement unifiés, en surnombre et mieux armés, penseront s'assurer un avantage diplomatique par une bataille navale facile en chassant les autrichiens de l'ile de Lissa (aujourd'hui Vis) sur les côtes de la Dalmatie. Ippolito Caffi embarquera sur le Re d'Italia, puissante frégate cuirassée. Mais les forces italiennes sont mal organisées, c'est un fiasco. Vers midi, le Re d'Italia est éperonné par le Ferdinand Max et coule en quelques minutes.

Caffi ne verra jamais Venise dans le Royaume d'Italie. Il demeure peut-être parmi les petites silhouettes humaines qui se noient, peintes avec précision par Carl Frederik Sorensen, sur le tableau de la bataille de Lissa, exposé dans le musée d'histoire militaire de Vienne, en Autriche.


jeudi 5 mai 2011

Un pape est mort

Dieu est mort mais la croyance se porte bien. C'est qu'elle n'a pas besoin de support, ou si peu. Il suffit de croire pour croire. Et puis comme avec toutes les affections humaines, amour ou haine, la croyance peut se fixer sur n'importe quoi. Le principe est d'accepter les choses les plus invraisemblables pour échapper au réel. Le besoin de merveilleux est universel, et c'est une maladie contagieuse, voyez comme elle se propage.

Prenez un fait inexpliqué par la science (la mode est plutôt aux guérisons inespérées, qui marquent les esprits, sont faciles à falsifier, et adviennent même parfois). La pauvre sœur Marie Simon-Pierre, religieuse, tremblait de tout son corps, atteinte de la maladie de Parkinson. Elle fut soudain guérie, deux mois seulement après la mort, par le même mal, du pape Jean-Paul 2.
Un aréopage de savants croyants (oui ça existe, c'est un oxymore, une erreur de la nature), décréta que l'évènement était un miracle. Puis, en scientifiques sincères, ils en attribuèrent la paternité à Jean-Paul 2, qui se décomposait tranquillement, à Rome, au fond de sa crypte. Or un pape mort qui fait un miracle a droit à une promotion, la Béatification. Pour deux miracles il aurait obtenu la Sanctification. Mais être béat (ou bienheureux), c'est déjà bien.

Et cela occasionna une pompeuse cérémonie, qui se déroula le dimanche 1er mai.

Elle a fait venir à Rome un million de fanatiques, et quantités de politiques dont le Gouvernement de la France, bien connue pour sa laïcité. Passons pudiquement sur l'aubaine financière (1) de ces festivités. On vous remonte de votre caveau humide. On vous présente la brave religieuse que vous avez miraculée (vous la recevez assez froidement). Elle brandit alors un flacon conservé de votre sang à la foule qui crie de vous sanctifier sur place. Puis un million d'adorateurs défilent devant votre cadavre.
Vous serez désormais fêté le 22 octobre sur les calendriers de la poste.

Au même moment le président des États-Unis annonce au monde la suppression définitive, quelque part en pleine mer, du diable en personne, le terroriste Usama Bin Laden, pape obscur d'une autre religion.

Le vieux pape, au fond de son tombeau, apprend qu'il sera béatifié. Le fauteuil est signé LaurieS. Le chapeau n'est pas très catholique, mais on ne contredit pas les dernières volontés d'un pape.

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1. Pour participer à la prospérité pontificale, cliquez sur le drapeau français, puis sur le bouton à gauche «Dons pour la cause».


dimanche 28 novembre 2010

9084

Le dessin est maladroit, les yeux et la bouche désaxés comme par un peintre cubiste, les mains épaisses. Tous la nomment Sappho parce qu'elle tient des tablettes de cire et un stylet.
Le musée national d'archéologie de Naples l'appelle 9084.

On l'aurait découverte vers 1760, quand les fouilles étaient alors de la flibuste plutôt qu'une science. Détachée d'un mur, vers la région 6, ilot 17 (insula occidentalis, ancienne Masseria Cuomo, peut-être ici ou ), le long de la via Consolare, qui conduit à la via des sépulcres, et à la villa des mystères, mais on ne savait pas encore qu'on pillait alors l'antique Pompéï.

Elle évoque un de ces visages surpris sur les murs d'une villa ensevelie, lors de la percée du métro de Rome, cette scène inoubliable du film « Fellini Roma », quand l'air extérieur vient ronger en quelques minutes les fresques millénaires, et les efface.

dimanche 15 août 2010

Nuages (22)

Orvieto est une petite ville d'Ombrie perchée sur un rocher italien, près des frontières de la Toscane et du Latium. Un peu éloignée des grands centres artistiques que sont Pise, Florence ou Rome, elle fait rarement partie des itinéraires obligés que parcourt le touriste en bêlant.
On peut ainsi, même en été, y contempler sereinement celle que certains (notamment l'office du tourisme d'Orvieto) appellent la plus belle cathédrale du monde.

Effectivement, bien que surchargée de sculptures, de bas-reliefs, de mosaïques, sa façade montre une distinction, une élégance incomparables à côté de quoi celle de la cathédrale de Sienne fait figure de gâteau d'anniversaire, lourd et indigeste avec ses bougies dégoulinantes.

À Orvieto, les gracieuses sculptures de bronze, les bas-relief délicats, et la conception de la façade sont sans doute de la même main, celle de Lorenzo Maitani, maitre d'œuvre de la cathédrale de 1310 à sa mort en 1330. Et puis dans la chapelle droite du transept, Luca Signorelli a peint de 1499 à 1502 son extraordinaire et fantastique cycle de fresques de la fin du monde.