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dimanche 13 avril 2014

L'apothéose des carabiniers

On pouvait lire il y a peu dans la presse que les carabiniers italiens exultaient. Ils venaient de retrouver, « après une très longue enquête, deux tableaux d'une importance artistique exceptionnelle et d'une valeur incalculable » de Bonnard et Gauguin, 40 ans après leur disparition.
Et le ministre de la Culture, flanqué du général des Carabiniers, de se féliciter à grand renfort de flashs et d'une ronflante autosatisfaction devant la presse admirative, histoire de faire oublier les casseroles monumentales que traine l'administration italienne, dans sa gestion du site de Pompéi, notamment.

Cette peinture à fresque orne depuis au moins 2000 ans un mur d'une villa de Pompéi. Les graffitis qui la couvrent et bientôt l’effaceront sont plus récents.

En réalité, à regarder attentivement, l'histoire de ces tableaux ne met pas vraiment en valeur l'expertise des gendarmes de la culture.

6 juin 1970, deux hommes de l'art et un policeman installent un système d'alarme dans une riche maison londonienne de Chester Terrace. Quand la domestique qui leur a préparé le thé revient de la cuisine, les trois hommes ont disparu avec deux toiles de maitre découpées au cutter dans leur cadre. Un classique du genre.

Peu de temps après, les deux toiles sont trouvées abandonnées dans le train Paris-Turin. À Turin personne ne fait le lien avec les tableaux volés. Elles sont alors déposées aux objets trouvés de la gare et y resteront cinq ans. Pourtant, le style de Gauguin est nettement reconnaissable sur l'une, et surtout l'autre arbore en bas à gauche une signature rouge où on lit assez nettement « Bonnard ».

Au printemps 1975, elles sont vendues aux enchères par l'administration des chemins de fer parmi un lot d'objets non réclamés. Un peu disputées, elles sont finalement emportées pour l'équivalent d'une semaine de son salaire par un ouvrier des usines Fiat passionné de peinture.
Et il les admirera durant 38 ans, dans sa cuisine à Turin puis à Syracuse en Sicile où il prendra sa retraite.

Aux dires de l'ouvrier, son fils intrigué depuis longtemps par les tableaux, et qui lisait « Bonnato » sur la toile signée, reconnut un jour le jardin qu'elle représentait sur une photo d'une biographie de Bonnard.
Il aurait de même identifié la comtesse dédicataire et le style de Gauguin sur l'autre toile, et transmis récemment des photos à des experts de Syracuse, qui ont informé les carabiniers du Patrimoine.

Finalement, l’administration italienne qui pavoise aujourd'hui dans les médias unanimes n'aura pas fait grand chose dans cette histoire, sinon identifier les anciens propriétaires décédés depuis longtemps. La gigantesque base de données des objets disparus, dont elle est si fière, ne comportait même pas les deux inestimables tableaux dans sa liste de presque 6 millions d'objets.

dimanche 12 février 2012

La ruine des ruines


Soyons précis.
« Pompéi, derniers jours » ne signifie pas forcément que ce sont les « Les derniers jours de Pompéi », mais que c'est aujourd’hui le dernier jour de l'exposition Pompéi au musée Maillol, à Paris. Quoique les nouvelles qui parviennent depuis quelque temps du site original près de Naples, après l’effondrement de plusieurs maisons, puis la fermeture récente de treize autres faute de moyens pour les entretenir, inquiètent. À Herculanum, des zones découvertes de la maison des Papyrus ont été de nouveau emmurées, pour les protéger dit-on des intempéries et des déprédations. Paradoxe de la conservation des vestiges exhumés.
La curiosité humaine est un besoin irréductible. À propos de la souffrance de Sisyphe, condamné à rouler au sommet d'une colline un rocher qui en redescendra sans cesse, et dont il fait une métaphore de l'existence que l'être conscient supporte jour après jour, Albert Camus conclut ainsi son essai sur l'absurde :
« Je laisse Sisyphe au bas de la montagne« ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme.
Il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Mise à jour du 12.09.2012 : une poutre de la Villa des Mystères, ramollie par les intempéries, a emporté avec elle une partie du toit du péristyle qu'elle soutenait. Cependant la visite de la villa continue.

dimanche 28 novembre 2010

9084

Le dessin est maladroit, les yeux et la bouche désaxés comme par un peintre cubiste, les mains épaisses. Tous la nomment Sappho parce qu'elle tient des tablettes de cire et un stylet.
Le musée national d'archéologie de Naples l'appelle 9084.

On l'aurait découverte vers 1760, quand les fouilles étaient alors de la flibuste plutôt qu'une science. Détachée d'un mur, vers la région 6, ilot 17 (insula occidentalis, ancienne Masseria Cuomo, peut-être ici ou ), le long de la via Consolare, qui conduit à la via des sépulcres, et à la villa des mystères, mais on ne savait pas encore qu'on pillait alors l'antique Pompéï.

Elle évoque un de ces visages surpris sur les murs d'une villa ensevelie, lors de la percée du métro de Rome, cette scène inoubliable du film « Fellini Roma », quand l'air extérieur vient ronger en quelques minutes les fresques millénaires, et les efface.

lundi 10 mai 2010

La vie des cimetières (29)



Il existe un cimetière dont tous les habitants sont morts le même jour. Un cimetière dont deux mille occupants ont été méticuleusement exhumés, jour après jour depuis 150 ans, par curiosité. On y expose au public les statues moulées sur leurs restes.



Le 24 octobre 79, ou peut-être en novembre, la ville romaine de Pompéi était anéantie par une éruption du Vésuve, ensevelie avec les habitants qui n'avaient pas encore fui les tremblements annonciateurs. Asphyxiés sous des mètres de poussière volcanique, dans leur gangue de cendres durcies, ils se sont lentement décomposés, réduits en poussières, laissant des cavités creusées aux formes de leur corps.



En 1863, Giuseppe Fiorelli, directeur des fouilles de Pompéi, eut l'idée de couler du plâtre dans ces empreintes providentielles. Une fois le plâtre sec et le moule de cendres ouvert, renaissait alors le dernier geste du moment de la mort.
Depuis, le plâtre a parfois été remplacé par une résine qui laisse apparaitre par transparence, avec la posture, ce qui a résisté à deux mille ans de décomposition, le squelette, les dents, les bijoux.



dimanche 27 avril 2008

Nuages (8)

Le cratère du Vésuve, près de Naples. Le panneau polyglotte conseille la vue sur Pompéi.

dimanche 20 janvier 2008

Encore un grand pas pour l'humanité

Mosaïque pompéienne du 1er siècle,
squelette épicurien aux pichets de vin (Carpe Diem),
Naples, Musée national d'archéologie

Le 14 septembre 1998, le monde entier apprenait dans l'encyclique «Fides et ratio» du pape Jean-Paul II que «La foi et la raison sont deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité». En d'autres termes, on ne peut connaître la vérité qu'en conjuguant une réflexion raisonnable (la logique scientifique) et une adhésion irrationnelle (la croyance dans les dogmes de la religion).

On se rappelle peut-être moins que quelques mois auparavant, le 30 janvier 1998, la France avait mis en application la même idée extravagante, par la publication au Journal Officiel d'un décret surréaliste relatif à la mise sur le marché des médicaments homéopathiques. En résumé, les marchands de ces produits sont dispensés de tout essai pharmacologique, toxicologique et clinique (par exemple de tests en double aveugle) s'ils apportent la preuve, par référence à la littérature reconnue dans la tradition de la médecine homéopathique, que le degré de dilution et les composants utilisés en garantissent l'innocuité. Il y a ainsi deux catégories de médicaments : ceux qui devront démontrer leur efficacité, et ceux auxquels il suffira de croire.

Comme le dit Jean Brissonnet dans une étude passionnante sur la «médecine homéopathique *», ce texte de loi permissif et inégalitaire, imposé par l'harmonisation européenne, pouvait être interprété comme une forme de mépris envers les adeptes de l'homéopathie. Les laboratoires spécialisés ont-ils pris conscience d'un risque de perte de crédibilité auprès de leur clientèle, et est-ce pour cela qu'ils semblent avoir organisé des campagnes de tests à grande échelle directement sur leurs fidèles ?

Les récentes expériences des laboratoires Boiron sont à ce sujet éloquentes. Le 10 octobre 2007, un communiqué de l'agence française de sécurité sanitaire (AFSSAPS) informe que deux médicaments homéopathiques Boiron ont été intervertis durant 6 mois et prescrits pour ce qu'ils n'étaient pas, suite à une erreur d'étiquetage. Le communiqué de l'AFSSAPS dont le ton général est très rassurant, insiste sur l'absence de risque particulier pour les patients et l'absence de cas de pharmacovigilance déclaré.

Pareil test en double aveugle, directement sur la population pendant 6 mois, ça n'a pas de prix ! La loi demande la preuve de l'innocuité de ces médicaments.
Y a-t-il jamais eu plus parfaite démonstration ? Et plus que de leur innocuité, certainement de leur inutilité.

C'est pourquoi contrevenant ici à sa légendaire neutralité, Ce Glob Est Plat conseille à ses lecteurs de s'empiffrer de médicaments homéopathiques afin d'aider les laboratoires français à retrouver leur respectabilité qu'une loi inique venue de l'étranger continue de flétrir.

*
Cette étude date un peu (1999). Quelques informations plus récentes (2004) se trouvent sur le site de F. Roussia. Un entretien édifiant d'une heure avec Jean Brissonnet en 2010 est disponible sur le blog de JM. Abrassart (le balado du scepticisme scientifique).

vendredi 25 mai 2007

La Bruyère avait raison

Un contemporain distrait ou pressé qui découvre l'histoire de l'art dans les livres ou les musées aura l'impression que l'ordre de présentation des œuvres ou des écoles, généralement chronologique, sous-entend une idée d'évolution, voire de progrès. Il pensera que la représentation de la réalité, longtemps réduite à la figuration monumentale de divinités hiératiques et figées, s'est peu à peu libérée, à partir de la renaissance, et que le génie humain, avec l'aide de la démocratie et de l'électricité, aura su lui insuffler le mouvement, jusqu'à l'apogée que représente l'impressionnisme, ses nuages, ses petites fleurs et ses papillons colorés (le siècle d'abstraction conceptuelle qui suit étant une péripétie négligeable).

Puis un jour pluvieux, égaré dans les sous-sols d'un grand musée parisien, notre contemporain s'arrêtera devant une vitrine poussiéreuse, subjugué par un visage peint aux yeux immenses. Que fait ce portrait parmi les antiquités et les sarcophages? Son petit monde de certitudes vacillera quand il lira sur l'étiquette qu'il a été peint à la cire il y a presque 2000 ans, en Égypte romaine, dans la région du Fayoum.
Et persévérant, au gré des musées, il découvrira d'autres réalisations humaines surprenantes qu'il aurait datées par erreur, à la modernité de leur style, d'une époque proche de la nôtre.

La Bataille d'Alexandre et Darius, monumentale mosaïque découverte en 1831 aux pieds du Vésuve à Pompéi, dans la maison du faune, fait partie de ces œuvres immémoriales «miraculeusement» conservées dont la contemplation nous encourage à cesser d'échafauder de grandes idées sur le genre humain, et à simplement admirer ce qu'il lui arrive de réaliser.

Une copie a été reconstituée exactement à l'endroit de sa découverte. L'original est aujourd'hui quelques kilomètres plus loin, dans une salle du musée national d'archéologie de Naples.

Les spécialistes disent qu'elle représente la bataille du roi grec Alexandre 3 contre le roi perse Darius 3, à Issos (ou Issus) en 333 avant notre ère. Elle mesure 6m x 3m, contient 1 à 2 millions de pièces, daterait de -100 et serait la copie en mosaïque d'une célèbre peinture grecque de Philoxène d'Érétrie. Les avis semblent encore diverger sur la bataille représentée et sur la date de réalisation. Peu importe, inutile de s'attarder sur l'anecdote, illustration complaisante et romancée d'un des épisodes de l'immense et lucrative campagne de pillage de l'Orient conduite en quelques années par Alexandre.

En voici quelques détails impressionnants, fraîchement photographiés.

C'est le héros de l'histoire, à gauche, sur son cheval roux. Alexandre. Il vient de transpercer de sa lance un méchant ennemi. Il va pouvoir lui piquer son argent, et peut-être une ou deux de ses filles. Il va gagner la bataille mais on lit sur son visage un rictus d'amertume, voire de tristesse. Est-ce d'être le seul grec de la mosaïque à ne pas avoir été détérioré par les intempéries?

Lui, c'est Darius, le roi des méchants, sur son char, prenant la fuite. Malgré les lances qui le protègent, on le sent inquiet, même suppliant, semblant dire à Alexandre "Allez, on se serre la main, c'était juste pour rigoler".
 Là, c'est la débandade derrière Darius. Le conducteur de son char, qui est aussi un méchant, donne l'impression de fouetter autant ses chevaux noirs que ses collègues de bureau qui l'empêchent de fuir. Quelle honte!
 À droite de la mosaïque, c'est l'affolement dans l'équipage de Darius.
 Au centre, devant le char de Darius, un soldat et un cheval perses effrayés. C'est graphiquement peut-être le plus beau détail de la mosaïque. Le cheval est dessiné dans une perspective raccourcie et des lignes sinueuses qui donnent à l'œuvre une grande part de sa profondeur et de son dynamisme. Cette science du dessin, héritée de la Grèce, a été ensuite enfouie, comme nombre d'autres sciences, dans les ruines romaines pendant 15 siècles.
 Au centre, aux pieds du soldat transpercé, un cheval blessé mortellement au flanc regarde s'écouler son sang.
 Au centre, devant le char de Darius, un soldat blessé regarde son reflet désespéré dans le miroir d'un bouclier.
  Au fond de la scène, exactement au milieu, probablement un soldat grec perdu parmi les perses, seul personnage de toute la mosaïque à regarder le spectateur, semble nous demander, d'un air désolé, ce qu'il peut bien faire ici, au milieu de ce vacarme silencieux. Devant lui, un cheval paraît en rire.
 
On trouvera peu, par la suite dans l'histoire de l'art, de représentations de batailles d'une telle énergie et d'une telle lisibilité.
Il y a des moments où la première phrase des Caractères de La Bruyère vient naturellement à l'esprit : «Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent».


Mise à jour du 1.04.2025 : Lors de la restauration de 2022-2025, les experts mosaïstes du parc de Pompéi ont déclaré que la mosaïque avait été créée pour être observée de haut, puis exposée verticalement en 1916 pour s'adapter au musée, mais qu'elle reprendra sa position de mosaïque au sol quand elle sera exposée à nouveau mi-2025.