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mercredi 17 septembre 2014

Un peu d'éthologie


Qui a vu un jour un être proche emporté par l’exaltation, la déception ou la douleur devant un match de football, qui a entendu ses exclamations injurieuses, ses réflexions primaires, qui a observé sa ferveur idolâtre excitée par le fanatisme patriotique est fatalement pris de compassion devant cette affection qui défigure le visage et réduit le jugement.

Il se prend à chercher l'origine de ce mal étrange, mais le problème n'est pas simple, car il constate vite que les critères à peu près objectifs, comme le talent des joueurs ou la qualité des combinaisons de jeu y sont de peu de valeur. Sans quoi tous vénèreraient les mêmes équipes, ce qui n'est pas le cas, chacun admirant généralement les porteurs des couleurs de son pays, de sa ville, de son clocher.

Il faut fouiller plus loin dans les profondeurs de l’esprit humain.
Étienne de la Boétie écrivait déjà au milieu du 16ème siècle « la nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne ». Car c'est pendant la longue période d’éducation de l’humain que sont implantées les règles d'appartenance au groupe. L'enfant comprend qu'il ne serait rien sans les autres, qu'il leur doit d'être vivant, et qu'il devra manifester sa gratitude en respectant leurs conventions et reproduisant leur comportement. Lentement la soumission au groupe se dépose par couches dans son subconscient, et devient un réflexe au point qu’on la croit instinctive.

Et le réflexe profite alors de la moindre faiblesse pour ressurgir. Dès que pointe pour l’humain l'envie de reposer un peu sa conscience raisonnante, le groupe est là qui l’aide à résister contre le flot sans fin de la réalité, comme il lui a jadis permis de survivre.
Lors des manifestations populaires, cette réaction d’abandon est soutenue et amplifiée par la présence immédiate des autres.

C'est certainement la solution de facilité, le refuge infantile, mais cet effacement des responsabilités individuelles recèle peut-être des vertus constructives, on entend parfois dire qu’une société est plus que l’ensemble de ses composants.
Les avis sont partagés. D’autres pensent qu’elle est nécessairement moins, qu’elle est son plus petit dénominateur commun, comme Jacques A. Bertrand, fin connaisseur, le dit dans Les autres c’est rien que des sales types « Le Groupe échappe à la plupart des lois mathématiques et biologiques courantes, ainsi qu'au bon sens le plus commun. En effet, dans le Groupe, les neurones ne s'ajoutent pas, ils se retranchent. Le quotient intellectuel du Groupe est inférieur à celui du plus bête des éléments qui le composent. Constitué de trouillards, le Groupe n'a pas peur. Le groupe fait des choses que pratiquement aucun de ses membres n'aurait songé à faire tout seul. »

C’est qu’en fait le groupe n’est ni plus ni moins que ses composants. Il n’est rien qu’un nombre. Pâte malléable et sans cervelle il se laisse entrainer par le premier courant venu. Que sa cause soit juste ou non n’importe pas. Il peut même arriver qu’il fasse le bien.

Sait-on combien il faut fondre d’individus pour former un groupe ?

Et puis à l’extérieur il y a les autres, les rétifs, ceux qui, par on ne sait quelle inconséquence de la nature, refusent de suivre le groupe. Ils voudraient bannir les drapeaux des compétitions sportives, éliminer les hymnes, peut-être les compétitions elles-mêmes, les frontières, les pays et puis quoi encore, les guerres sans doute ? Pauvres malades.

dimanche 4 octobre 2009

L'athéisme n'existe pas

Depuis maintenant sept ans reviennent chaque été les réjouissances hédonistes (1) du mois d'aout. Pendant tout le mois, chaque jour de la semaine un peu avant 18 heures, on s'installe confortablement au fond du jardin, à l'ombre, pour écouter Michel Onfray, sur les ondes radiophoniques de France-Culture. Il nous raconte les récits merveilleux d'un monde idéal où on peut remettre en cause ce qu'affirment parents et professeurs, ne pas aimer le travail, ou désirer la femme de son voisin (ou le mari de sa voisine, ou toute autre combinaison).

Il appelle ça une «contre-histoire de la philosophie» mais on sent bien que c'est notre véritable histoire, et qu'il est comme un frère instruit qui nous relate la vie de vieux oncles éloignés et savants. On ressent de l'affection pour ces ancêtres qui ont pensé, longtemps avant nous, qu'il n'y a rien au-delà de la réalité, et qu'être matérialiste n'est pas une maladie honteuse mais plutôt la manifestation d'une certaine lucidité.
Et parce qu'au fond du jardin flotte pendant une heure un air de liberté, on oublie les tics de langage du narrateur, ses hapax, ses oxymores et cette manie de truffer son discours de mots en «...isme» et de qualificatifs en «...iste».

Mais il y a un hic dans ce tableau idyllique, car Michel Onfray est atteint d'une maladie grave : il est athée. Et il a écrit des pages et des pages, des conférences, des traités sur cet athéisme.


Naples, deux points de vue sur la religion : la Vierge au néon, preuve incontestable de l'existence de l'électricité, et un graffiti subversif dont le personnage s'exclame «Arrêtez la plaisanterie, enlevez le bandeau et rendez-moi mon cerveau!»

Or qu'est-ce qu'être athée ? Étymologiquement c'est être sans dieu (avec le «a» privatif). Comme l'anorexique a perdu le désir de nourriture, l'athée a perdu Dieu. On frémit. L'athéisme est donc une maladie de l'absence, comme l'anémie, l'achondroplasie, l'agénésie, l'anencéphalie. Mais si on peut comprendre et constater facilement l'absence d'une fonction vitale, d'un membre, d'un cerveau, on a plus de mal à se représenter l'absence de quelque chose qui n'existe pas.

Simple question de logique direz-vous. Les croyants, incapables de démontrer ce qu'ils affirment autrement que par un vent de rhétorique, ont souvent exigé de leurs contradicteurs qu'ils produisent la preuve du contraire, et on sait que la torture parvient à résoudre bien des problèmes de logique.
Il serait judicieux, afin d'éviter ces incohérences et ces dérèglements, de nommer asensés, aréalistes, ou alucides les porteurs d'une croyance quelconque, car ils ont perdu l'usage d'une partie de leur raisonnement. Ce sont les vrais malades, ils souffrent d'un dysfonctionnement psychophysiologique comme l'atteste wikipedia qui ne ment jamais. Mais n'accablons pas ces pauvres gens qui ont besoin de jolies légendes (2) pour supporter la réalité. Le qualificatif «croyant» leur convient. Clair et explicite.

La croyance est la valeur par défaut parce que l'autorité de quelques-uns sur tous les autres est également une valeur par défaut des sociétés humaines. L'une et l'autre, croyance et pouvoir, ont probablement la même origine. Croire c'est se soumettre.
Mais dans le monde réfléchi et réaliste de Démocrite, d'Épicure, de Spinoza et de Nietzsche, les athées sont les gens normaux et l'athéisme est un mot vide de sens. Et la véritable magie de ce monde, plus belle que toutes les chimères de toutes les religions, c'est que les paroles bienfaisantes de Michel Onfray parviennent au fond du jardin sur des ondes invisibles qui ont traversé l'espace et le temps, comme par miracle.

***
(1) Rappelons que le véritable hédonisme n'est pas la recherche sans frein du plaisir mais une philosophie plus frugale qui poursuit le bien-être dans l'évitement de la souffrance, du déplaisir et de l'ennui.
(2) La religion de la Licorne Rose Invisible (et de l'Huitre Violette de la Damnation) possède son Livre Sacré, dont les premiers mots, la Genèse, sont ainsi :
«Au commencement, la réalité créa les cieux et la terre,
Ce qui fut fut, et ce qui ne fut pas ne fut pas,
L'obscurité enveloppa ce que la lumière n'enveloppa pas,
Et ce qui ne fut ni lumière ni obscurité fut Elle, la Licorne Rose...»

dimanche 16 mars 2008

Les perles de l'Encyclopédie de M. Diderot

On l'aura noté, l'ambition de Ce Glob est Plat est résolument scientifique. Et existe-t-il chose plus scientifique que le 18ème siècle, le siècle des lumières, le siècle du retour de la raison après une éternité d'obscurantisme religieux et monarchique, le siècle de l'illustre Isaac Newton, alchimiste incompris, et prédicateur de l'apocalypse biblique exactement en 2060 ?

Or le 18ème siècle a érigé un phare à la raison et au progrès. C'est l'Encyclopédie de Monsieur Diderot. Et ce monument est accessible en texte intégral grâce aux universités de Nancy et de Chicago, agrémenté de nombreuses coquilles typographiques (1), avec les planches d'illustrations (2). Et chacun peut y faire les investigations les plus saugrenues, une fois compris le mode de recherche assez obscur.

L'édition de l'Encyclopédie, de 1751 à 1772, a traversé de nombreuses interdictions et censures. La qualité des articles s'en ressent, comme de la grande disparité des auteurs. Diderot, cité dans un article modéré et riche en liens de Wikipedia, en dit ceci «Parmi quelques hommes excellents, il y en eut de faibles, de médiocres & de tout à fait mauvais. De là cette bigarrure dans l’ouvrage où l’on trouve une sottise voisine d’une chose sublime, une page écrite avec pureté, jugement, raison, élégance au verso d’une page pauvre, mesquine, plate & misérable».
Parmi les hommes excellents, gens de lettres ou savants, il y eut d'Alembert, Daubenton, évidemment Diderot, Louis de Jaucourt, le baron d'Holbach. D'Holbach était peut-être le seul vrai matérialiste de l'Encyclopédie. Sa contribution sur la définition de concepts ou d'idées aurait été savoureuse, mais on ne lui confia que les articles de chimie, de minéralogie et de métallurgie. Cependant certains affirment que l'article virulent sur les prêtres serait de sa plume.

Et puis il y eut Rousseau, Jean-Jacques. Homme à idées, célèbre philosophe, on aurait pu lui confier des articles de «sociologie». On ne lui octroya que la totalité des articles sur la musique. Rousseau était en effet musicien. Son chef-d'œuvre, le devin de village, opéra apprécié du roi Louis 15, est une insipide suite de pièces sans invention, un long ennui musical où il ne se passe rien (3). Alors on ne s'étonnera pas de trouver parmi ses articles sur la musique des jugements bêtes et péremptoires (4), des règlements de comptes chauvins (5), des balivernes pseudo-scientifiques (6), et un fatras d'absurdités, de mythologies grecques et de sensiblerie immature, notamment dans le long chapitre sur les effets thérapeutiques de la musique (7).

On verra cependant (dans une future chronique de Ce Glob est PLat) que ces niaiseries ne sont rien comparées à certains articles des abbés Yvon, Morellet et Mallet.

***
(1) Une version intégrale corrigée est disponible ici, mais ses 26 pages sont lourdes et longues à charger (la page de la lettre C avoisine les 16 mégaoctets)
(2) Planches qu'il est plus agréable de consulter ici, malgré l'absence des pages de légendes. Les illustrations de cette chronique en sont extraites, sous la forme de détails découpés sur les planches CHIRURGIE27, CHIRURGIE20 et ANATOMIE12.
(3) Carnets de sol met l'œuvre à disposition en téléchargement.
(4) «Les fugues en général servent plus à faire du bruit qu'à produire de beaux chants» (article FUGUE)
(5) «Considérons les Italiens nos contemporains, dont la musique est la meilleure, ou plutôt la seule bonne de l'univers, au jugement unanime de tous les peuples, excepté des Français qui lui préfèrent la leur.» (article MUSIQUE)
(6) Article CONSONNANCE
(7) Chapitre EFFETS DE LA, dans MUSIQUE.


Mise à jour le 23.10.2017 : Un site d'une richesse ergonomique extraordinaire consacré à l'Encyclopédie vient de voir le jour. C'est l'ENCCRE, et c'est un plaisir de voleter au dessus de ces pages poussiéreuses et de se poser par instants sur un mot ou une image.

dimanche 20 janvier 2008

Encore un grand pas pour l'humanité

Mosaïque pompéienne du 1er siècle,
squelette épicurien aux pichets de vin (Carpe Diem),
Naples, Musée national d'archéologie

Le 14 septembre 1998, le monde entier apprenait dans l'encyclique «Fides et ratio» du pape Jean-Paul II que «La foi et la raison sont deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité». En d'autres termes, on ne peut connaître la vérité qu'en conjuguant une réflexion raisonnable (la logique scientifique) et une adhésion irrationnelle (la croyance dans les dogmes de la religion).

On se rappelle peut-être moins que quelques mois auparavant, le 30 janvier 1998, la France avait mis en application la même idée extravagante, par la publication au Journal Officiel d'un décret surréaliste relatif à la mise sur le marché des médicaments homéopathiques. En résumé, les marchands de ces produits sont dispensés de tout essai pharmacologique, toxicologique et clinique (par exemple de tests en double aveugle) s'ils apportent la preuve, par référence à la littérature reconnue dans la tradition de la médecine homéopathique, que le degré de dilution et les composants utilisés en garantissent l'innocuité. Il y a ainsi deux catégories de médicaments : ceux qui devront démontrer leur efficacité, et ceux auxquels il suffira de croire.

Comme le dit Jean Brissonnet dans une étude passionnante sur la «médecine homéopathique *», ce texte de loi permissif et inégalitaire, imposé par l'harmonisation européenne, pouvait être interprété comme une forme de mépris envers les adeptes de l'homéopathie. Les laboratoires spécialisés ont-ils pris conscience d'un risque de perte de crédibilité auprès de leur clientèle, et est-ce pour cela qu'ils semblent avoir organisé des campagnes de tests à grande échelle directement sur leurs fidèles ?

Les récentes expériences des laboratoires Boiron sont à ce sujet éloquentes. Le 10 octobre 2007, un communiqué de l'agence française de sécurité sanitaire (AFSSAPS) informe que deux médicaments homéopathiques Boiron ont été intervertis durant 6 mois et prescrits pour ce qu'ils n'étaient pas, suite à une erreur d'étiquetage. Le communiqué de l'AFSSAPS dont le ton général est très rassurant, insiste sur l'absence de risque particulier pour les patients et l'absence de cas de pharmacovigilance déclaré.

Pareil test en double aveugle, directement sur la population pendant 6 mois, ça n'a pas de prix ! La loi demande la preuve de l'innocuité de ces médicaments.
Y a-t-il jamais eu plus parfaite démonstration ? Et plus que de leur innocuité, certainement de leur inutilité.

C'est pourquoi contrevenant ici à sa légendaire neutralité, Ce Glob Est Plat conseille à ses lecteurs de s'empiffrer de médicaments homéopathiques afin d'aider les laboratoires français à retrouver leur respectabilité qu'une loi inique venue de l'étranger continue de flétrir.

*
Cette étude date un peu (1999). Quelques informations plus récentes (2004) se trouvent sur le site de F. Roussia. Un entretien édifiant d'une heure avec Jean Brissonnet en 2010 est disponible sur le blog de JM. Abrassart (le balado du scepticisme scientifique).

mardi 9 janvier 2007

Pardonnons aux peintres d'histoire

Dans les salles obscures du musée d'archéologie et des beaux arts de Poitiers, le musée Sainte Croix, vous flânez nonchalamment parmi les œuvres intéressantes, quand, soudain, une bombe blasphématoire et puante vous explose au visage!

  Le forfait est signé : Müller, Charles Louis (1815-1892) "La fête de la raison le 10.11.1793", peint en 1878. Nous n'en présentons qu'un détail... Vous êtes prêt à écrire au préfet, au ministre, voire au pape. Mais vous vous contrôlez et allez aux renseignements sur l'auteur de cette laideur. Vous trouvez très peu de choses sur le peintre, mais néanmoins suffisamment pour tempérer votre premier jugement. Et surtout, entre autres distinctions, il fut fait officier de la légion d'honneur en 1850. Ça fait réfléchir. Müller était un vrai peintre d'Histoire, un mercenaire de la peinture, qui glorifiait sans distinction les victimes comme les bourreaux. On lui demandait de peindre la naissance de l'humanité en -4000 avant notre ère (à quelques années près s'entend), il le faisait. Sans aucun style, mais très proprement. On lui enjoignait de figurer des choses extrêmement difficiles à peindre avec précision : la religion, la patrie (demandez aux amateurs du jeu Pictionary comme c'est ardu). Il s'exécutait. Et même La France (illustration ci-dessous : Allégorie de La France, musée du Louvre). Il l'a représentée avec les petits carreaux qu'il est si difficile de faire bien droits.

  La peinture d'Histoire doit, parmi ses nobles desseins, montrer aux générations futures que l'homme a connu des moments d'obscurantisme dans son inéluctable progrès vers la lumière des temps modernes. Müller travaillait sur commande. Il illustra parfois des idées immorales auxquelles il ne croyait pas. On lui pardonnera.