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jeudi 10 mars 2022

Monuments singuliers (10)



Quelle noble invention que l’idée de personne morale, regroupement d’individus ayant un même objectif. On crée une entreprise commerciale, un parti, voire une nation, on « nomme » quelques personnes physiques pour l’administrer, et pouf ! comme par miracle, l'entité abstraite ainsi créée échappe aux obligations morales de sociabilité et de civilité des individus qui la composent, elle n’a plus à éprouver le moindre sentiment de respect, d’empathie, de responsabilité, de culpabilité envers les individus, y compris ses membres. À bonne distance de la réalité, elle peut décider sans être suspectée de sensiblerie. C’est une chose très utile quand on doit par exemple mobiliser un pays et l’envoyer se faire tuer près de la frontière.

Ainsi, quelques années après la première guerre mondiale, dans les courants d’air des grandes plaines du nord-est de la France, on ramassait encore à la petite cuillère les morceaux éparpillés et anonymes de la Nation. Essentiellement des ossements, sans identité.
Les familles éprouvées n’avaient toujours pas de lieu où cristalliser et conjurer leur peine. On en profita pour les faire souscrire au financement d’un monument aux morts à l’initiative des survivants.

C’est le Monument aux morts des armées de Champagne, l’ossuaire de Navarin, Nécropole nationale. Simple chapelle en forme de pyramide, posée en 1924 dans un champ, portail sur une crypte qui abrite dit-on 10 000 individus, nombre symbolique, car personne ne garantit que toutes les pièces attribuées à chacun lui ont précisément appartenu. Beaucoup d’autres ossements y ont été déposés depuis qui ont été trouvés sur les champs de bataille alentour, et de rares personnalités les ont rejoints, comme le général Gouraud, grand homme de la colonisation, commandant de la 4ème armée, qui, mort à Paris presque 30 ans plus tard, voulut être « enterré parmi les soldats qu’il avait tant aimés ».

Et on a posé au sommet de cet austère monument consacré au recueillement, pour parfaire l’ensemble, un énorme socle de grès rose surmonté d’une statue considérable figurant trois soldats géants aux intentions manifestement belliqueuses, menaçant une armée d'ennemis invisibles d’un fusil, d’une grenade, de trois paires de sourcils virilement froncés et d’une petite valise.

Fantaisie funéraire lourdement saugrenue ? On comprendra peut-être en détaillant l’objet.

À droite le sculpteur a représenté Quentin, jeune fils du président américain Théodore Roosevelt, et abattu dans son avion non loin de là en 1918. Il porte une mitrailleuse avec nonchalance et une petite valise. Pourquoi ? Pour souligner qu’il est venu de très loin soutenir la France ?
Au centre, le général Gouraud, rencontré plus haut, et enterré plus bas, surpris à lancer depuis 98 ans une grenade certainement dégoupillée.
Enfin à gauche, un des frères du sculpteur, tombé à 25 kilomètres de Châlons-sur-Marne, d’après la borne à ses pieds, ou peut-être lors d’une des offensives du boucher du Chemin des dames, le général Nivelle, avec ses 150 000 soldats français envoyés au suicide, ses mutineries consécutives et ses exécutions d’innocents pour l’exemple en résultant.

Voilà un sculpteur inspiré ! 
Il signe, sous la borne, Real Del Sarte, et se prénomme Maxime. Sur place un panneau précise qu’il a réalisé la sculpture avec un seul bras. De mauvaises langues diront que cela se remarque. Il avait perdu une bonne partie de son bras gauche dans le coin en 1916.
Et s’il a couvert la France de ses pesantes réalisations, statues de Jeanne d’Arc et quantité de monuments aux morts (ils furent innombrables après la Grande Guerre à profiter de l’aubaine), il est surtout connu pour avoir dirigé, de 1908 à 1936, les Camelots du roi, service d’ordre et hommes de main du parti l’Action française, qui regroupait ce qui se faisait alors de plus réactionnaire, monarchiste, nationaliste, anti-dreyfusard, antidémocratique et belliciste. On comprend mieux son inspiration.

Aujourd’hui l’ossuaire avoisine, de l’autre côté de la route, un champ de tirs permanents de l’armée, planté de panneaux rouge vif menaçant tout contrevenant d’un danger de mort.
Du haut de leur piédestal, sous un ciel de plomb, les trois militaires géants encouragent leurs 10 000 squelettes, et on croit entendre le vent d’automne hurler « Allez, debout tout le monde, on y retourne ! »



dimanche 26 avril 2020

La vie des cimetières (93)

Toulouse, Muséum d'histoire naturelle

À partir du Moyen-Âge et pendant quelques siècles les famines et les pandémies inspirèrent la représentation, sculptée ou peinte, dans les cimetières et les églises, de théories de squelettes et de cadavres décharnés et rongés par les vers dansant main dans la main une ronde avec les vivants de toute condition.

Ça s’appelait la danse macabre et c’était supposé rappeler l’égalité de tous devant la mort. C’était un leurre pour maintenir la paix sociale. Les pauvres étaient rassurés et contenaient leurs plaintes, les riches affichaient de la tempérance en public, et abandonnaient des miettes de leur biens.
En réalité, autrefois, comme aujourd’hui, les riches expiraient confortablement et les pauvres crevaient pitoyablement.

Les temps modernes ont pasteurisé et escamoté la mort. Les danses macabres ne sont plus que dans les musées d'art ou vestiges sur des murs d’églises, et dans les films de genre qu'on regarde en jouant à avoir peur douillettement.

Restent les musées des sciences. On y enseigne ce qu'on sait des êtres vivants en animant ce qu’il en reste, des squelettes, comme au muséum d’histoire naturelle de Toulouse.
Lointain écho des danses macabres de jadis, les scènes y sont nimbées du prestige de la science ; le badaud en est impressionné.

Toulouse, Muséum d'histoire naturelle
Toulouse, Muséum d'histoire naturelle

mardi 3 octobre 2017

Un bozoglyphe pour François-Joseph

Depuis qu’il croit être muni d’une sorte de conscience et décider librement de ses actes, l’être humain, ce légume blanchâtre qui sort à peine de terre pour y retourner, ne se prend pas pour la moitié d’une asperge. Il s’est mis à imaginer que des « entités » dans les nuages, observent ses réalisations, qu’il pense grandioses et dignes de leur admiration.

Alors il a réalisé sur le sol d’immenses figures visibles uniquement du ciel. Les plus célèbres ont été tracées voici plus de 1500 ans en balayant les cailloux du désert de Nazca, au sud du Pérou.
De nos jours ces figures d’animaux sont un peu effacées, mais on distingue encore nettement les marques « © 2017 Google » qui constellent le sol rocailleux. La prescience des anciens nous étonnera toujours.

Plus près de nous, il y eut la vogue des agroglyphes ou crop circles, ces grandes figures géométriques qui fleurirent dans les champs et qui curieusement, devant les protestations des syndicats d’agriculteurs, ne durèrent que le temps de quelques moissons. On ne dira jamais assez les méfaits de la mondialisation, du culte de la productivité, et, osons le dire, du bouleversement des valeurs.

Il reste heureusement, pour celui qui ne trouve plus sa place dans le monde contemporain, un refuge où priment encore la paix, l’ordre et la symétrie, un havre d’où il peut encore présenter au ciel l’étendue de ses sentiments. C’est le jardin à la française, et ses fameux bozoglyphes.
Rappelez-vous Herrenchiemsee, le faciès attristé du roi d’opérette Louis 2 de Bavière, et Versailles, la mine ravie et un peu hystérique du nouveau président de la République.

Aujourd’hui c’est en Autriche, à Vienne, dans le dessin des jardins du château de Schönbrunn, qu’un point de vue aéronautique révèlera une sorte de squelette desséché à l'anatomie douteuse et aux bras étendus en croix.



Et c’est bien l'hommage le plus approprié qui pouvait être rendu à François-Joseph 1er, empereur d’Autriche, non parce que le souverain avait vécu dans ce château durant ses 68 années de règne pour enfin y mourir le 21 novembre 1916, mais parce qu’il avait enclenché le plus grand massacre qu’ait alors connu l’humanité, la Première Guerre mondiale, et ses quelques 20 millions de cadavres. 

lundi 4 septembre 2017

L'Angélus de Portbail



L’attirance vers les épaves de bateaux est sans doute un penchant universel. Leurs carcasses décharnées ne devraient évoquer que la tristesse, la solitude des cimetières, or on distingue dans le regard de qui les approche un mélange de compassion et d’admiration, et un peu de la mélancolie des rêves de voyage inassouvis.

Mais la puissance publique craint en permanence d’être jugée responsable si un jour un enfant qui a joué près d’une épave est retrouvé grimaçant et fiévreux, divaguant dans les dunes, animé de grands gestes tétaniques et luisant de sa propre bave.
Alors elle s’en décharge à grand renfort d’injonctions administratives avec accusé de réception, en réclamant régulièrement aux propriétaires la destruction de leurs épaves.

Ainsi le riche littoral breton a vu disparaitre, lentement, depuis 20 à 30 ans, nombre de bateaux en ruines qui se désagrégeaient sur ses estrans et dans ses estuaires. Lentement, car tous les subterfuges sont bons pour faire retarder la fatale échéance administrative, et les frais inhérents.


L’histoire de l’Angélus de Portbail est exemplaire.

De son vivant, il était chalutier de bois de 40 tonneaux (113 mètres cubes) et près de 17 mètres. Usé par 42 ans de pêche et d’activités moins nobles, il était acheté en 1995 par un passionné qui avait rêvé de le remettre en état mais n’en eut pas les moyens et l’échoua peu après dans le havre de Portbail, au nord-ouest du Cotentin.

Dix ans plus tard, en septembre 2007, la Direction des affaires maritimes demandait l’enlèvement de l’épave qui « présentait un danger pour les usagers de l’estran ». Le propriétaire gagnait alors un peu de temps en le « sécurisant », enlevant le pont effondré et quelques clous, et surtout en créant une association de défense de l’épave, un site internet, et en sollicitant auprès de la Fondation du patrimoine maritime et fluvial le label de « Bateau d’intérêt patrimonial, B.I.P.», qu’il obtint promptement, ce qui préserva l’épave jusqu’au 31 décembre 2011, protection prolongée depuis jusqu’à fin 2016.

À l’époque déjà le bateau n’était plus qu’un squelette, mais c’était devenu une des attractions les plus pittoresques du site de Porbail.
De l’épave, on admirait la perspective du pont « au 13 arches » qui enjambent le havre, prolongée par l’hôtel restaurant homonyme surplombé par les formes épurées de la curieuse église Notre-Dame.
C’était le décor des photos de mariage et des cartes postales de l’Office de tourisme, le motif favori des photographes amateurs ou professionnels de la région et de leurs sites sur internet.



De nos jours le décor a peu changé. Le bateau, devenu une ruine officielle, un zombie estampillé, s’émiette un peu plus à chaque marée et à chaque averse. La baleine bleue peinte sur son flanc bâbord est maintenant presque effacée. Les sites internet des photographes, désuets, s’affichent laborieusement par absence d’entretien. Le portail de l’association de défense de l’épave est inactif depuis deux ans. Le label B.I.P. n’a pas été renouvelé.

Il est temps qu’un nouveau bateau, désaffecté, s’échoue dans le havre, et présente durablement au spectateur un flanc aux couleurs encore vives, artistiquement disposé. L’Etacq de Cherbourg, petite épave peinte de rouge, déjà sur place à 147 mètres au sud-sud-ouest de l’Angélus, ferait l’affaire, s'il avait l’envergure d’un successeur.

mardi 14 février 2017

La vie des cimetières (74)

Encore quelques instants de vie quotidienne au cimetière monumental Staglieno, à Gênes, en Ligurie




mardi 12 janvier 2016

Le monument des monuments (2 de 2)

Musée des monuments français, Paris palais de Chaillot, place du Trocadéro.

Parmi les spectres du Musée des monuments français, le squelette de Ligier Richier, le jugement dernier du portail de Sainte-Foy de Conques...
 


dimanche 22 septembre 2013

La vie des cimetières (51)


Quelques instants de vie quotidienne au cimetière monumental Staglieno, à Gênes.
Ci-dessous, devant le bocal d'œillets, il est inscrit sur la petite lampe, sous l'effigie du Christ, que la pile dure huit jours.


jeudi 28 avril 2011

La vie des cimetières (36)

Un cimetière est comme un théâtre, un décor pour l'imaginaire. On y joue une pièce antique, une mise en scène liturgique. On dispose avec décorum des choses inanimées, des corps qu'on a aimés. On imagine alors que quelque chose subsistera.
Après quoi on prend l'autobus 61, qui nous dépose Porte des Lilas, ou au Jardin des Plantes. C'est selon.



Le décor de ce cimetière imaginaire est extrait d'un modèle 3D des studios Redhouse (
Atonement), les corbeaux sont de Noggin. Le vélo est de 3D Universe. L'image est calculée par Carrara 8 Pro.

dimanche 20 janvier 2008

Encore un grand pas pour l'humanité

Mosaïque pompéienne du 1er siècle,
squelette épicurien aux pichets de vin (Carpe Diem),
Naples, Musée national d'archéologie

Le 14 septembre 1998, le monde entier apprenait dans l'encyclique «Fides et ratio» du pape Jean-Paul II que «La foi et la raison sont deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité». En d'autres termes, on ne peut connaître la vérité qu'en conjuguant une réflexion raisonnable (la logique scientifique) et une adhésion irrationnelle (la croyance dans les dogmes de la religion).

On se rappelle peut-être moins que quelques mois auparavant, le 30 janvier 1998, la France avait mis en application la même idée extravagante, par la publication au Journal Officiel d'un décret surréaliste relatif à la mise sur le marché des médicaments homéopathiques. En résumé, les marchands de ces produits sont dispensés de tout essai pharmacologique, toxicologique et clinique (par exemple de tests en double aveugle) s'ils apportent la preuve, par référence à la littérature reconnue dans la tradition de la médecine homéopathique, que le degré de dilution et les composants utilisés en garantissent l'innocuité. Il y a ainsi deux catégories de médicaments : ceux qui devront démontrer leur efficacité, et ceux auxquels il suffira de croire.

Comme le dit Jean Brissonnet dans une étude passionnante sur la «médecine homéopathique *», ce texte de loi permissif et inégalitaire, imposé par l'harmonisation européenne, pouvait être interprété comme une forme de mépris envers les adeptes de l'homéopathie. Les laboratoires spécialisés ont-ils pris conscience d'un risque de perte de crédibilité auprès de leur clientèle, et est-ce pour cela qu'ils semblent avoir organisé des campagnes de tests à grande échelle directement sur leurs fidèles ?

Les récentes expériences des laboratoires Boiron sont à ce sujet éloquentes. Le 10 octobre 2007, un communiqué de l'agence française de sécurité sanitaire (AFSSAPS) informe que deux médicaments homéopathiques Boiron ont été intervertis durant 6 mois et prescrits pour ce qu'ils n'étaient pas, suite à une erreur d'étiquetage. Le communiqué de l'AFSSAPS dont le ton général est très rassurant, insiste sur l'absence de risque particulier pour les patients et l'absence de cas de pharmacovigilance déclaré.

Pareil test en double aveugle, directement sur la population pendant 6 mois, ça n'a pas de prix ! La loi demande la preuve de l'innocuité de ces médicaments.
Y a-t-il jamais eu plus parfaite démonstration ? Et plus que de leur innocuité, certainement de leur inutilité.

C'est pourquoi contrevenant ici à sa légendaire neutralité, Ce Glob Est Plat conseille à ses lecteurs de s'empiffrer de médicaments homéopathiques afin d'aider les laboratoires français à retrouver leur respectabilité qu'une loi inique venue de l'étranger continue de flétrir.

*
Cette étude date un peu (1999). Quelques informations plus récentes (2004) se trouvent sur le site de F. Roussia. Un entretien édifiant d'une heure avec Jean Brissonnet en 2010 est disponible sur le blog de JM. Abrassart (le balado du scepticisme scientifique).

samedi 5 janvier 2008

La gargouille qui pleure

La silhouette de la cathédrale Sainte-Croix d'Orléans est, comme celle de Notre-Dame de Paris, balourde et sans grâce. C'est le sort des édifices constamment reconstruits. Mais, comme sur la cathédrale parisienne, le regard qui vagabonde y découvre néanmoins nombre de personnages chimériques, de grotesques et de gargouilles sculptés probablement au 19ème siècle, comme ce squelette qui pleure par ses orbites vides lorsque la pluie ruisselle sur les flancs de la cathédrale.