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dimanche 26 avril 2020

La vie des cimetières (93)

Toulouse, Muséum d'histoire naturelle

À partir du Moyen-Âge et pendant quelques siècles les famines et les pandémies inspirèrent la représentation, sculptée ou peinte, dans les cimetières et les églises, de théories de squelettes et de cadavres décharnés et rongés par les vers dansant main dans la main une ronde avec les vivants de toute condition.

Ça s’appelait la danse macabre et c’était supposé rappeler l’égalité de tous devant la mort. C’était un leurre pour maintenir la paix sociale. Les pauvres étaient rassurés et contenaient leurs plaintes, les riches affichaient de la tempérance en public, et abandonnaient des miettes de leur biens.
En réalité, autrefois, comme aujourd’hui, les riches expiraient confortablement et les pauvres crevaient pitoyablement.

Les temps modernes ont pasteurisé et escamoté la mort. Les danses macabres ne sont plus que dans les musées d'art ou vestiges sur des murs d’églises, et dans les films de genre qu'on regarde en jouant à avoir peur douillettement.

Restent les musées des sciences. On y enseigne ce qu'on sait des êtres vivants en animant ce qu’il en reste, des squelettes, comme au muséum d’histoire naturelle de Toulouse.
Lointain écho des danses macabres de jadis, les scènes y sont nimbées du prestige de la science ; le badaud en est impressionné.

Toulouse, Muséum d'histoire naturelle
Toulouse, Muséum d'histoire naturelle

vendredi 15 juin 2018

La mort, restaurée et triomphante


Après avoir, vers 1350, exterminé près de la moitié de la population de l’Europe, la Mort était à Palerme, en Sicile au début des années 1400. On le sait parce qu’un peintre anonyme l’a représentée triomphante sur un mur du palais Sclafani. La fresque a été depuis transférée dans le musée du palazzo Abatellis, tout proche.
Certains spécialistes supposent que Pieter Brueghel le vieux l’aurait vue au début des années 1550, lors de son voyage en Italie du sud, car il peignait 10 ans plus tard son propre « Triomphe de la mort ».


Mais l’hypothèse est superflue, car ce thème de l’égalité de tous devant la mort, baliverne destinée à calmer les revendications des pauvres et rançonner les riches, était alors un cliché rebattu et son iconographie explorée en tous sens sur les fresques et les enluminures du Moyen-Âge. Et s’il y a une influence à trouver sur le panneau de Brueghel, elle vient plutôt de sa fréquentation assidue des délires hallucinés de Hieronymus Bosch, mais dépouillés de leur fantaisie irréelle.
La mort fourmille et s’y déploie à une échelle industrielle en milliers de squelettes systématiquement malintentionnés, sur un panneau de bois d'une largeur d’un mètre et 62 centimètres.



Le tableau a toujours appartenu à des collections directement liées à la couronne d'Espagne, et depuis 1827 au musée du Prado à Madrid (non loin des plus beaux Bosch), où son vernis jaunissait irrémédiablement, et la mort s'encrassait avec lui.

Soucieux de ne pas la voir dépérir, le musée du Prado vient de la décrotter méticuleusement, remplacer son vernis, consolider son support de bois, et l’expose à nouveau depuis peu, dans un état de fraicheur remarquable, histoire de prolonger son triomphe durant quelques décennies encore.



Toutes les illustrations sont des détails du Triomphe de la mort de Pieter Brueghel (ou Bruegel) le vieux, récemment restauré.

samedi 19 mars 2016

La vie des cimetières (68)


Le 20 juin 1940, afin de ralentir à peine les divisions blindées nazies qui envahissaient en coup de vent le territoire français, on pria poliment 200 jeunes noirs déracinés de leurs lointaines terres africaines d’empêcher à 1 contre 100 l’invasion de la France, quel qu'en serait le prix et sous les ordres d’un capitaine blanc, énergique, résolu et brave.

Depuis, ils sont soigneusement alignés dans ce lieu sacré pour soldats morts au combat, le Tata sénégalais de Chasselay, au nord de Lyon, dans cette terre républicaine qui respire tant les valeurs de liberté, de partage et d’égalité.

Le lieu-dit s’appelle le Vide-sac. Il est à peine indiqué sur les cartes.



dimanche 5 janvier 2014

Tous égaux

Le 27 décembre 2013, étendu, raide et froid comme un fusil mitrailleur, couvert de breloques rutilantes et multicolores comme un sapin qu'on aurait laissé allumé après les fêtes, Mikhaïl Kalachnikov ne sentait plus rien. À son chevet, Vladimir Poutine, despote de toutes les Russies, versait une larme théorique sur des souvenirs communs.

Diane chasseresse se couvrait d'un voile de deuil.


Chaque année emporte avec elle son lot de bienfaiteurs de l'Humanité. Ainsi, l'année qui s'achève a vu disparaitre Margareth Thatcher, Otto Beisheim, Paul Aussaresses, Mikhaïl Kalachnikov.

Né en 1919, Mikhaïl était l'inventeur, en 1947, du célèbre fusil automatique AK-47 et de tous ses avatars, la gamme des Kalachnikov. On dit qu'il en a fabriqué plus de 100 millions d'exemplaires, et qu'il y en aurait autant de copies, autorisées ou non. Et les avis compétents sont unanimes : c'est une arme simple, robuste, fiable, inusable, d'un entretien aisé, et bon marché.

Sur le plan de la rentabilité il est cependant malaisé d'obtenir des informations fiables. On parlerait, avec tous les conditionnels qui conviennent, de 10 ou 20 millions de victimes. Ce qui finalement, n'apporte pas la preuve d'une grande efficacité. Neuf Kalachnikov sur dix n'atteindraient jamais leur cible.
Mais rendons-lui justice, il n'est pas toujours nécessaire de tirer, la menace suffit généralement. D'ailleurs guérilleros, bandits, terroristes, fanatiques religieux, soldats des armées régulières et amateurs de jeux vidéos affirment acquérir par son usage une fière contenance, voire une extrême virilité.

Un autre grand inventeur d'armes, Samuel Colt, qui vendait ses révolvers aussi bien aux nordistes qu'aux sudistes esclavagistes pendant la guerre de Sécession américaine, déclarait avoir, par son invention, rendu les hommes égaux alors que Dieu les avait créés dissemblables.
Kalachnikov ainsi, en dépit du regret qu'il a exprimé de ne pas avoir inventé plutôt une tondeuse à gazon, aura lui aussi rendu les hommes plus égaux, surtout les morts.

dimanche 7 juillet 2013

La vie des cimetières (50)


L'Homo Sapiens semble avoir toujours jalousé, escroqué, exploité, pillé, exterminé son voisin, pour ses ressources. Les spécialistes pensent qu'il ne s'arrêtera que lorsque la planète saccagée ne sera plus capable de le nourrir. Alors il se mangera lui-même. Ce n'est certainement pas la fin de l'Histoire, la société sans classes, dont Karl Marx rêvait.

Pour lui, l'Histoire s'est terminée en mars 1883, dans le cimetière de Highgate East, au nord de Londres. Car s'il existe au moins une société égalitaire, sans classes et sans État, c'est bien la société des morts.

Et encore ! Certains parviennent à être mort plus durablement que les autres, oubliés moins vite. Pour cela, l'entourage de Marx l'a doté, contre sa volonté, d'un mausolée mémorable et risible, surmonté d'une grosse tête effrayante de diable ou de clown surgie comme d'une boite à musique, propulsée par un ressort (Jack in the box disent les anglais).
Les londoniens y déposent de temps en temps un bouquet de fleurs rouges acheté en solde.

Et pour ne pas oublier ce mort illustre et entretenir Highgate dans ce bel état d'abandon naturel qui fait le charme et le prestige des cimetières anglais, le visiteur est prié de céder à l'entrée quelques livres sterling (A few pounds disent les anglais).



dimanche 24 octobre 2010

Théophile Schuler, peintre mortel

Théophile Schuler était un illustrateur et peintre strasbourgeois au tempérament romantique et au talent médiocre. Il a surtout illustré les livres du célèbre éditeur P.J. Hetzel, à l'époque de la gloire écrasante de son compatriote Gustave Doré. On trouve dans sa production picturale des thèmes exaltants, comme ces « Chevaux en liberté surpris par des chevaux-vapeur », ou l'immense « Char de la mort », lugubre Totenwagen, offert en 1862 au musée de Colmar qui l'expose avec fierté (voir les 3 illustrations de cette chronique).
C'est le thème conventionnel et rabâché de la danse macabre, la procession funèbre censée nous faire accepter cette idée hypocrite et illusoire, l'égalité de tous dans la mort.
Le peintre s'est enterré lui-même, au premier plan, au centre de la toile.


Mais les tableaux aussi sont mortels. Au dessus des chevaux, dans l'ombre bleu nuit du crépuscule, on voit se propager comme une gangrène. C'est le bitume qui composait certaines couleurs en tube de l'époque. Gorgé d'hydrocarbures, il ne sèche jamais et continue, 160 ans après, à ronger et décomposer la couche de peinture.

mardi 26 janvier 2010

La vie des cimetières (26)

Alexandre, Pompée, Caïus César, après avoir tant de fois ruiné des cités entières, après avoir massacré un nombre incalculable de cavaliers et de fantassins, ont dû à leur tour, un jour, quitter la vie. Marc-Aurèle, Pensées, Livre 3-3.

« Tous égaux dans la mort ».

Slogan sinistre destiné à faire supporter les inégalités de la vie à ceux qui en souffrent le plus. C'est la propagande des danses macabres, et les penseurs les plus malins s'y sont laissés prendre, tel Marc-Aurèle, ou Ronsard qui ne ratait pas une occasion...

Mais c'est un mensonge. Même les plus humbles cimetières, comme celui de Pentidattilo en Calabre, offrent des conditions de villégiature inégalitaires. Tout le monde n'a pas la vue sur la mer. Les locataires des étages inférieurs auront à se lever pour contempler l'éternité du panorama.