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lundi 18 décembre 2023

Le catalogue Cranach est arrivé (2 de 2)

Lucas Cranach, Martyre de Ste Catherine, détail panneau de droite (DresdeStaat. Kunst.)

Comme promis, voici un choix de liens vers les œuvres parmi les plus remarquables du catalogue des peintures de Lucas Cranach et compagnie. Les titres donnés ici aux tableaux sont raccourcis, voire fantaisistes. Le pédigrée complet attribué à chaque œuvre par les historiens est décrit dans la fiche du catalogue en lien.

L’interface du catalogue n’est pas des plus remarquables (privilégiez l’ordinateur et le grand écran), la fonction de recherche et les filtres ne sont pas toujours très efficaces (pensez à chercher les mots et noms dans leur version anglaise ou allemande). La plupart des reproductions (cherchez en bas de la page et dans l’onglet "Images") sont zoomables et de bonne qualité, mais protégées contre la copie.  
En effet, Cranach a daté et signé discrètement (d’un serpent ailé ou des lettres LC) un grand nombre de ses tableaux. La chose et la localisation sont précisées pour chaque numéro dans le catalogue. Mais vous aurez sans doute déjà noté, flottant sur toutes les reproductions (il y en a plus de 20 000), des dizaines de tampons de toute taille du sigle "cda_" distribués aléatoirement, parfois sur les visages. Ce ne sont pas les initiales du vieux Cranach (Cranach der Ältere) mais des cochonneries déféquées par la Cranach Digital Archive, auteure du catalogue. Le but est évidemment de marquer son territoire, cet accès privilégié aux œuvres des Cranach, et ainsi de vendre aux éditeurs et au public les illustrations originales non souillées, et se faire encore un peu de profit sur les restes du vieux Lucas.


Portraits

Lucas Cranach, Portrait de femme, détail (Washington, NGoA)

Polyptyque du martyre de Catherine 3 saintes à gauche, 3 saintes à droite (Dresde) Princesse (Eisenach) - 3 princesses (Vienne KHM) - Portrait de femme (Washington) - Portrait plutôt d’une armure (Grunewald) - Étranges caricatures dans les flammes (coll. privée) - Jeune femme (St Petersburg) - Homme jovial (Bruxelles) - Bon alors à demain sans faute (Stockholm) - Luther sur son lit de mort (Hanovre) - Princesse de Saxe (Berlin) - Portrait par l'atelier (Karlsruhe)...


Paysages

Lucas Cranach, Paysage avec décapitation, détail (Kromeriz)

Jardin d’Eden (Vienne KHM) - Le même avec des bêtes (Dresde) - Les experts disent que c'est un faune et sa famille dans un paysage (Getty LA) - Scène bucolique "mais où avais-je la tête ?" (Kromeriz) - Pommier avec Samson et Dalilah (Augsburg) - Autour de St Jérôme un des plus beaux Cranach (Innsbruck) - Paysage funeste (Greenville)...


Nymphettes

Lucas Cranach, La fabrique de nymphettes, détail (Berlin Gemäldegalerie)

Le modèle du genre en Vénus (Louvre) - La surenchère du Louvre - Les coquines du Jugement de Pâris (Londres) - Plus coquines (Karlsruhe) - Vénus encore (Copenhague) - Ève plantureuse (Florence Uffizi) - Avec Adam et des témoins (Vienne KHM) - La fontaine de jouvence ou la fabrique de nymphettes (Berlin) - Chiche ! (Stockholm) - Forcément, ça énerve un peu les mâles (Londres)...


Monstres et squelettes

Lucas Cranach, Damnation et rédemption, détail (Gotha)

Pourchassé par le diable et la mort, à Weimar, à Nuremberg, à Gotha, mais heureusement Vainqueur à Schneeberg - Des scorpions et divers shadoks, cherchez bien tout en bas et surtout en haut à gauche (Aschaffenburg) - Crucifixion avec un Christ en très mauvais état (Vienne KHM) - Dépeçé par Cambyse (Grunewald) - Jugement dernier avec monstres genre peluches à la Disney (Kansas City) - Même sort pour Jérôme (Litomerice)...


Curiosités

Lucas Cranach, Le festin d'Hérode ou "Non merci mais là je cale", détail (Hartford Wadsworth A.)

David et Bethsabée (Grunewald) - Est-ce bien la place pour une oreille ? - Une superbe copie à la fois scrupuleuse et personnalisée du triptyque du jugement dernier de Vienne de Bosch (Berlin), les panneaux gauche, centre, droit - Aristote à saute-mouton (Coll. privée) - Nostalgie de Woodstock (Munich) - Woodstock encore (Oslo) - Le festin d’Hérode "Non merci, mais là je cale" (Hartford) - Mélancolie (Colmar) - Encore, mais personne n’explique tous ces bambins (Coll. privée)…


Ci-dessus un Shadok de la résurrection d'Aschaffenburg et ci-dessous un autre détail du Martyre de Ste Catherine, les portraits du panneau de gauche (DresdeStaat. Kunst.) 

mercredi 13 décembre 2023

Le catalogue Cranach est arrivé (1 de 2)

Lucas Cranach, l'idolatrie de Salomon, détail (DresdeStaat. Kunst.)

Il y a quelque temps paraissait en ligne et en libre accès le catalogue raisonné sinon définitif de 2473 peintures de la maison Lucas Cranach & fils & entourage, édité par la Cranach Digital Archives (cda_) regroupant des musées, instituts et fondations principalement en Allemagne. Travail considérable d’expertise et de documentation en allemand et anglais, intégralement illustré, mis à jour régulièrement et progressivement depuis plus de 10 ans. Il devrait être suivi en 2026 du catalogue, considérable également, des gravures et des dessins. 


Lucas Cranach a été toute sa vie artiste à tout faire, chef décorateur un peu diplomate d’un prince de l’Empire germanique, l’électeur de Saxe, mais également éditeur possesseur d’une presse, marchand de vin dans sa propre taverne, et apothicaire, prospère jusqu’à devenir en 1537 et pour 7 ans maire de Wittenberg, importante ville sur l’Elbe, aujourd'hui au nord-est de l’Allemagne. 


Il avait su faire fructifier un talent indiscutable de portraitiste et une grande rapidité d’exécution dit-on. Sur sa tombe à Weimar est inscrit en latin Peintre le plus rapide, mais le compliment s’adresse plutôt au talent d’homme d’affaires de Lucas qui avait monté avec l’aide de ses fils un atelier prolifique parfaitement huilé de copies dérivées de ses propres créations, au point que des Cranach tout frais pourvoyaient encore le marché des décennies après la mort du père, à 80 ans en 1553 (en 1565 son fils Lucas était à son tour maire de Wittenberg).

Lucas Cranach, Jugement dernier, détail (Kansas City, NAMoA)

Bien que contemporain et voisin des Dürer ou Holbein sous l’influence de la Renaissance en Europe, Cranach conservera jusqu’à la fin un style "gothique allemand" déjà un peu désuet - nécessités de l’automatisation de la production obligent - provincial, avec ses personnages aux postures maniérées et à la molle anatomie, ses décors sans perspective, surchargés de détails symboliques soulignés avec préciosité. 
Mais la manière eut longtemps un succès considérable. 

On lui doit par exemple la mode des jolies nymphettes sans formes totalement dévêtues d’un voile transparent et de quelques breloques dorées, et qui posent mièvrement devant n’importe quel prétexte religieux et mythologique. Obsession vivace encore de nos jours puisqu’elle hantait en 2010 les instances du musée du Louvre au point de les pousser à mendier le mécénat du public pour posséder l’objet de leur passion, et elle aveuglait plus récemment l’admiration d’une tête couronnée européenne qui dépensait une fortune - encouragée par les meilleurs experts - dans une Vénus qui pourrait bien être une magnifique contrefaçon. 

On doit également aux Cranach une bonne centaine de portraits du grand ami de Lucas, Martin Luther, grand réformateur visionnaire de la religion en Europe, qui jugeait Copernic imbécile pour son idée contraire au bon sens et aux Saintes Écritures de faire tourner la Terre dans l’espace, et qui croyait aussi aux sorcières et préconisait par sermon leur combustion.

Lucas Cranach, St Jérôme dans la nature, détail (Innsbruck, TLF)

Il reste que dans le monde des Cranach, dans ce paradis clos où grouillent plantes et animaux, où des héros harnachés de fer blanc se découragent au pied de jeunesses indifférentes seulement préoccupées de leur pose, où des personnages lumineux vainquent sans effort des dragons de caoutchouc, où des jeunes femmes aux toilettes coquettes se piquent de cuisine (ou de bricolage) sans réellement maitriser l’usage des ustensiles malgré de nombreux essais, dans ces féeries illustrées pour adultes, même après avoir réalisé que les paysages, si réalistes, ne sont que des décors - on aura remarqué dans l’œil de la baleine le reflet de la fenêtre de l’atelier - on s’émerveillera toujours, comme au cinéma, de la découverte d'un nouveau visage charmant ou d'un monstre inoffensif.

La deuxième partie de cette chronique sera dédiée, dans quelques jours, au lectorat pressé ou perdu devant le nombre de copies médiocres dans le catalogue. Ce sera une visite guidée par thèmes vers les plus beaux fleurons des studios Cranach.

Atelier Cranach, Christ et la femme cananéenne, détail (Aschaffenburg, SSJ)

lundi 29 mai 2023

Ce monde est disparu (3)


Jean-Léon Gérôme, peintre habituellement très académique, pourfendeur et empêcheur de ses collègues impressionnistes, oubliait quelquefois le kitch, le pompeux, la rentabilité. C’était le cas dans les esquisses qu’il n’envisageait pas de vendre, comme cette étude d’ibis rouges (il l'a tout de même signée) d’où émane un charme un peu surréaliste, et qui vient de disparaitre, le 24 mai peu après 10 heures, chez Sotheby’s à New York, plutôt discrètement. On pense inévitablement aux immenses planches ornithologiques d’Audubon qui fascinèrent l’Europe et l’Amérique dans les années 1830, quand Gérôme était adolescent.

Deux jours et quelques minutes plus tard, au même endroit, disparaissait un autre animal que la décence nous interdit d’afficher ici, mais que la rigueur scientifique nous oblige à signaler. Estimé 4000 dollars par les experts de la chose, il s’en allait contre 280 000, 70 fois l’estimation (et 6 fois le prix des ibis), c’est dire la passion qu’il aura soulevée !
Il s'appelait Pompon, jouet adoré qui désennuyait dit-on la reine Marie-Antoinette d’Autriche, portraituré ici par un peintre dont on ne connait par chance à peu près rien, Jacques Barthélémy Delamarre, académicien en 1777. On ne regrettera pas sa disparition (nous parlons du tableau du  toutou)
Une reproduction d'une haute précision anatomique - à vos risques et périls, tout trouble consécutif et séquelle ne feront l’objet d’aucun dédommagement - est visible ici. Les informations techniques sur l’objet sont détaillées là.

samedi 22 avril 2023

Les chimères de Beauvais

Beauvais, détail du portail sud de la cathédrale.

On retient généralement de la cathédrale de Beauvais sa destinée fatale, son ambition et sa voute démesurées, son incomplétude et son infirmité, et cette fin de vie sous surveillance permanente maintenue par de gigantesques prothèses
Si on a accepté d'y débourser quelques euros, on aura peut-être aussi retenu le fabuleux spectacle de l’horloge astronomique, bénie en 1876, sommet du fétichisme kitch où Jésus nimbé d’or combat le vice avec une parfaite ponctualité, et signale le cas échéant certains évènements astronomiques qu’il aura mitonnés pour notre plus grande admiration et sa gloire éternelle (notons cependant que le mécanisme doit être fréquemment réglé voire restauré par des ouvriers spécialisés).   

Mais on ne parle jamais de toutes les bestioles maléfiques qui nous y attendent, sur la façade de l’entrée principale. Elles ont déjà dévoré toutes les saintes figures qui ornaient les innombrables niches des voussures autour du portail sud, et même le tympan. 
Leur calcaire tendre a bravement supporté les intempéries picardes depuis 500 ans. Pourtant la très officielle Association Beauvais Cathédrale, qui décrit en détail les décors végétaux du portail, la vigne, le chêne et la bryone, ne dit pas un mot de ce bestiaire en haut-relief, alors qu'on peut parier qu'il survivra à notre civilisation qui se précipite. 
Rien non plus sur la page très complète du site Patrimoine-Histoire. On y apprend cependant que ces prétendus monstres ne sont pas coupables de la disparition des personnages bibliques qui couvraient la façade. Ceux-ci auraient brusquement quitté leur piédestal au moment de la Révolution, en 1793 précise l'inventaire de la région.


Cathédrale de Beauvais, monstres et grotesques autour du portail sud en 2022. On notera que l’inspiration du bestiaire figurant le mal, assemblage chimérique de morceaux d'animaux désagréables, n'a pas vraiment évolué au long des siècles ; toujours les mêmes peurs ancestrales.

lundi 19 décembre 2022

Améliorons les chefs-d'œuvre (26)

Alternance de la nativité de Piero della Francesca avant et après restauration (cliquez pour les détails)
 
La bienpensante National Gallery de Londres sort au moment propice sa surprise de Noël. Elle expose pendant les fêtes, dans un nouveau cadre et isolée dans une petite salle, la naissance de Jésus, peinte en Toscane par Piero della Francesca vers 1480 et invisible depuis 2019 pour restauration.
Réalisée vers la fin de sa vie elle résume parfaitement le style épuré, limpide, solennel et désincarné de Piero.

Dans l’illustration animée ci-dessus (un va-et-vient de 2 secondes au format Gif), on remarquera en zoomant que les choses se déplacent légèrement entre les deux états du tableau. C’est dû aux défauts des reproductions photographiques, car en principe une restauration ne modifie un tableau que dans l’épaisseur. Mais il y a des exceptions, et c’est le cas ici. Les deux versions du tableau n’ont pas la même largeur. Elle a été augmentée de 2 ou 3 millimètres. 
La restauratrice, qui considérait que l’ovale de la rosace du luth à droite ne correspondait pas à l’orientation du reste de l’instrument, chose peu plausible chez ce mathématicien et maitre de la perspective qu’était Piero, a compris que la largeur du tableau avait été réduite. Lors de son transport au 19ème siècle le panneau de bois avait été séparé verticalement en 2 parties dans un axe passant par le visage du musicien, la rosace et les mains de l’enfant (curieux traitement pour un tableau d’à peine 123 cm ! Aurait-il voyagé en fraude ?)
À Londres, les deux parties ont été recollées, mais il manquait l’épaisseur de la lame de scie, que la restauratrice a donc recréée. Probante sur l’ovale de la rosace, sa manipulation l’est nettement moins sur la bouche et l’œil du musicien, et devient amusante quand on note que le majeur et l’index droits de l’enfant esquissent maintenant la lettre V.

Lors d’une ancienne tentative de lessivage un peu trop volontaire, les visages des deux paysans avaient presque disparu. Là encore la restauratrice les a reconstitués. Le résultat est décevant. Même s’ils sont dans l’ombre de l’auvent, Piero les aurait-il peints avec si peu de relief, si plats et aussi rouges ?
Petite remarque à l’attention des mécréants, le jeune paysan sous l’abri ne lève pas la main pour interpeler le chauffeur d’un hypothétique autobus qui parcourrait la campagne toscane. Il désigne en réalité un trou dans le toit de paille par où serait passé l’Esprit saint, ou le doigt de Dieu, ou peut-être l’enfant même. Reconnaissons que son témoignage n’est pas très clair. 

La disparition de la corne du bovin est aussi mystérieuse. Un commentaire du Giornale dell’arte affirme que Piero l’aurait peinte, puis effacée. Elle aurait donc été révélée lors d’une ancienne restauration, et enfin effacée par la restauratrice actuelle qui connaitrait les intentions du peintre ? Remarquable ! 
Il est en revanche certain que l’âne qui brait en direction du trou est un repentir de Piero (et peut-être aussi le bovin). Il l’a peint par dessus un mur de pierre achevé mais pas totalement sec, et comme toujours dans ce cas la couche supérieure a été partiellement absorbée faisant lentement réapparaitre les pierres. La restauratrice en a atténué l’effet. 

Il y a nombre d’autres détails à observer dans ce jeu des 7 erreurs, comme l’apparition d’un plectre entre les doigts du musicien à gauche, mais le plus notable cadeau de cette opération de maintenance, c’est l'illumination de l'ensemble. Un merveilleux air frais a balayé le voile d'impuretés grises et jaunes incrustées dans les couches de vernis.

On pourrait affirmer aujourd'hui, pour paraphraser Cioran à propos de Jean-Sébastien Bach, "S’il y a quelqu'un qui doit beaucoup à Piero della Francesca, c'est bien Dieu". Y a-t-il une manière plus belle de représenter la féérie, l’irrationnel, que par ces lignes pures, ces couleurs douces, ces visages distants, impassibles, ces personnages légendaires qui ne projettent pas d’ombre, cette paix ? 

En prime, en cliquant sur la vignette ci-dessus, vous pourrez télécharger (11Mo), imprimer en taille réelle et accrocher au-dessus de la cheminée ou d'un radiateur la splendide reproduction de la National Gallery. C’est gratuit (sauf l’impression).

Mise à jour le 7.01.2023 : La restauration d'une œuvre importante crée systématiquement une polémique. Dès le 17 décembre, un article du Guardian stigmatisait le nouveau Piero, insistant sur le visage repeint des deux bergers.
Mise à jour le 22.12.2023 : La polémique persiste, on demande toujours dans Il giornale dell'arte qu'une commission d'experts internationaux se prononce sur les deux paysans avinés reconstitués par la restauration de la National Gallery.

mercredi 14 septembre 2022

Le marché au détail (3 de 3)


Encore quelques détails d’œuvres passées en vente publique ces dernières années. Aujourd’hui des scènes infernales et de sorcellerie du 17ème siècle en Hollande, entières cette fois. 

À la suite de Jérôme Bosch puis de la lignée des Brueghel, les peintres flamands et hollandais des 16ème et 17ème siècles, en moralistes astucieux, moquaient l’humain, ses conceptions délirantes et son agitation hystérique, tout en faisant croire aux autorités religieuses qu’ils peignaient le monde futur imaginé pour menacer les mécréants. 
Ça devait être un plaisir bien divertissant que de peindre ces scènes surréalistes avant l’heure, pleines de sorcelleries et de bestialités en tout genre, de choses grouillantes et de congénères grignotés par des monstres antipathiques. Ça les changeait des angelots grassouillets et des vierges immaculées.

En haut, Cornelis Saftleven, une superbe "scène animalière" vendue par Christie’s 10 fois l’estimation, en mai 2012.
On a retenu le nom de Cornelis Saftleven pour ses curieux tableaux de genre, folies animales, allégories moralisatrices, et on oublie qu’il était un maitre de son art, de l’envergure d’un Rembrandt, comme dans cette scène, ou celle-là. Pour mémoire, il n’y a plus guère que sur le site monstrueux de l’illustrateur Aeron Alfrey, MonsterBrains, qu’on trouve des reproductions acceptables de Saftleven.

À gauche, une scène de sorcellerie de Van Wijnen, dit Ascanius, habitué du genre, vendue par Sotheby’s en juillet 2016. Ascanius était aussi pourvoyeur de scènes bibliques délirantes, carrément cosmiques comme cette Tentation de saint Antoine, ou cette Création (admirez la partie de billard électrique au centre, une sorte de Salvador Dalí du 17ème siècle). Les bonnes reproductions de Wijnen semblent introuvables. 

Enfin à droite, une scène de sorcellerie par un peintre hollandais non identifié actif à Rome au 17ème, mise aux enchères vers 2020, et en bas une scène de l’Enfer dans le style de l’école hollandaise au 17ème, en vente chez Sotheby’s en janvier 2021.
Toutes ces informations sont d’une précision douteuse, convenons-en, mais quelques détails sont amusants.


mercredi 3 août 2022

"Détruire, disent-elles", une variante

Marc Chagall est un peintre très apprécié parce que ses tableaux sont frais et enfantins, que tout le monde s’aime et y vole dans les airs, humains, chevaux, et même les anges, et joue du violon. Les vaches aussi. Et il y a des couleurs, du bleu, du jaune, du rouge et du vert, notamment. C’est en quelque sorte le Peynet de la peinture moderne. Une telle simplicité suscite inévitablement des imitateurs.

Madame X, riche, distinguée et américaine, avait acheté aux enchères chez Sotheby’s en 1994, contre 180 000$ d'aujourd'hui, une aquarelle du maitre dont elle s’était amourachée jusqu’à l’accrocher dans sa chambre à coucher.
Pour la maison de ventes le pédigrée de l’œuvre ne faisait alors aucun doute et elle jugea inutile de le présenter au comité Chagall, organe créé en 1988, après la mort du peintre, par ses petites-filles devenues légalement juges ultimes en matière d’authenticité des œuvres de leur grand-père.

En 2020, par manque de place et par désaffection, madame X, toujours conseillée par Sotheby’s, décidait de se défaire de l’œuvre. Sotheby’s proposait de la soumettre à l’expertise du comité Chagall, simple formalité qui renforcerait grandement sa valeur marchande, et faisait signer à l’ingénue intéressée la clause classique d’irresponsabilité de la maison de ventes quant aux résultats de l’expertise.

Hélas, trop accaparée par une longue vie de réceptions et de bienfaisance, madame X n’avait pas eu le temps de lire notre chronique du 26 avril 2014, où la même maison d'enchères avait vendu en 1992, pour 240 000$ actualisés, un tableau du même peintre à un collectionneur anglais, et où croyant en tirer quelque profit, ledit amateur insulaire l’avait soumis 20 ans plus tard au comité du même nom, et s’était vu en retour prié par la justice de détruire l’œuvre devant huissier en tant que faux, et de payer tous les frais de procédure.

Le respect de la réglementation sur les droits d’auteurs interdit de reproduire ici des œuvres de Marc Chagall avant l'an 2056. C'est regrettable, c'est imbécile, mais c'est la loi. Il faut bien que les héritières du comité Chagall aient les moyens de payer les timbres des centaines de lettres de refus (parfois surtaxées vers l'étranger) et d'entretenir le bucher des œuvres qu'elles excluent du catalogue. En compensation, voici une photo de vacances absolument incongrue qui aurait mieux illustré notre rubrique d’histoires sans paroles stagnante depuis juillet 2021.


Le comité déclara en 2020 que l’aquarelle de madame X présentait effectivement les thèmes récurrents chers à Chagall, les amoureux, le bouquet, le cheval, le coq, le croissant de lune, mais qu’ils "manquaient de réelle présence" et que c’était un faux inspiré d’autres tableaux du maitre. Les mêmes causes ayant, en règle générale, à peu près les mêmes effets, le comité prévoyait, conformément à la loi française, d'en demander à la justice la saisie et la destruction. 

Évidemment fort déçue, madame X poursuit maintenant la société de ventes en justice.
Sotheby’s, qui en a vu d’autres, rétorque que l’action n’a aucun fondement juridique puisque le délai pendant lequel elle garantit l’authenticité des œuvres, qui est de 5 ans, est ici largement dépassé. Cependant magnanime, elle accorde à madame X un avoir de 18 500$, qui représenterait le bénéfice fait sur la vente de 1994.

Nous retiendrons donc de cette mésaventure qu’en matière d’œuvres d’art l’authenticité expire précisément 5 ans après la vente, après quoi elles peuvent bien être attribuées à n'importe qui, mais qu’une certaine part de repentir ou d'excuse du vendeur, représentant environ 20% du montant de la transaction, reste envisageable après ce délai, geste qui permet de réduire d'autant la déception de l’acheteur. 

Retenons également des bévues de la maison Sotheby’s sur Chagall qu’elle n’est pas véritablement experte en la matière. Depuis 9 ans, elle n’a proposé à la vente qu'environ 3200 Chagall dits authentiques, dont seulement 80 à 90 ont dépassé un million de dollars, et c’est un hasard si les 2 Chagall jusqu’à présent les plus chers en vente publique l’ont été le 14 novembre 2017, lors d’une même vente, pour 16 000 000$ et 28 500 000$, exactement à New York chez Sotheby’s.

dimanche 13 février 2022

La vie des cimetières (103)

L’histoire du vivant est un interminable développement erratique, mais ininterrompu, de la bactérie à l’humain. Aussi il n’est pas étonnant que des gestes qui s’apparentent à un comportement funéraire aient été observés chez des animaux, comme le corbeau, le singe bonobo, ou l’éléphant. Dans 500 ans d’imposture scientifique, G. Messadié cite « la naturaliste Daphne Sheldrick, qui rapporte que les éléphants retournent pendant des années sur les restes d’un congénère mort et les couvrent de branchages, ébauche d’un rite funéraire ».

Thierry Ripoll, chercheur et enseignant en psychologie cognitive, sait comment et pourquoi ces comportements rituels rudimentaires se sont développés en de délirantes fabulations dans le cerveau humain. Il a rassemblé et savamment commenté les connaissances en la matière dans un livre limpide paru fin 2020 « Pourquoi croit-on ? Psychologie des croyances ».

Il y distingue dans le cerveau un système intuitif, archaïque, émotionnel et affectif, spontané, économe en énergie, usant de certitudes profondément ancrées, et un système analytique, apparu sans doute tardivement avec le langage, lent, non spontané, prodigue en énergie et fonctionnant par raisonnements logiques. Ripoll n’a pas inventé ces deux modes de pensée, les auteurs et les expériences qui attestent de leur existence pullulent. 

Le système intuitif est le circuit par défaut. Prioritaire, il est employé par réflexe. C’est le vieux système instinctif, qui ne s’embarrasse pas à calculer l’angle de fuite optimal lorsqu'il voit qu’il peut compter les caries dentaires du tigre. Il ne s’encombre pas des questions de logique, trop complexes. Il a ses propres réponses, qui remontent à un passé lointain, souvenirs personnels ou ancestraux, réponses fondées sur une vision simplifiée du monde imitée de ce qu’il perçoit de son propre fonctionnement. Il masque les apparentes incohérences de la réalité par des interprétations imaginaires qui n’ont pour objectif que de se rassurer, de dissiper les angoisses.
D'après l'auteur c'est l’état normal du psychisme humain de croire instinctivement qu’il y a deux mondes distincts, l'esprit immatériel qui pilote et le corps qui exécute, et que le monde matériel ne fonctionne pas de manière aléatoire mais dirigé par des volontés invisibles. 

Le système analytique de son côté est un truc récent assez expérimental, que le cerveau n’utilise que s’il a des loisirs et le temps de réfléchir ; il le sollicite le moins possible parce qu’il consomme beaucoup d’énergie et n’arrête pas de se poser des questions qui remettent en cause les convictions du système intuitif, sans apporter de réelles certitudes, ce qui ne fait qu’ajouter au stress.


Il y a une vie après la mort, c'est ce que démontre cette installation dans une galerie du cimetière monumental Staglieno à Gênes, en Italie. Les défunts attendent dans de confortables casiers capitonnés. À l ‘appel de leur nom - impossible de frauder, leur identité est vérifiée sur le couvercle du casier - ils descendent les quelques degrés de l’échelle qui s’est automatiquement positionnée sous leur casier et gravissent les marches de l’escalier mobile d’embarquement déjà en position sous un hublot. Là, ils attendent sur la plateforme le prochain départ vers l’au-delà. Les vols sont réguliers.

Quand le système analytique apprend par exemple que la vie est l’association coordonnée d’un ensemble de molécules et qu’elle disparait quand il se désorganise et s’éparpille, on comprend que le système intuitif en soit froissé, lui qui promet à tous la survie, malgré la mort, d'un ectoplasme personnalisé et surnaturel qu’il appelle l’âme, fondement de toutes les croyances religieuses et de nombreux rituels funéraires. 

C’est pourquoi, explique M. Ripoll, presque tous les humains (aujourd'hui 85%) croient, sans qu’on n'ait jamais pu le constater ni l’expérimenter, en un autre monde, meilleur évidemment, car cette croyance est pour eux le plus efficace des médicaments anxiolytiques, remède si puissant que ne sont pas rares les conversions religieuses soudaines et instantanées de mécréants notoires, après un stress violent ou au seuil de la mort, quand le système intuitif reprend les commandes.
Et l’auteur d’ajouter qu’il est inutile d'essayer de contredire des croyances infondées à coups d’arguments raisonnables ; le cerveau, confronté aux incohérences cachées sous le tapis, sent son système de défense compromis et abandonne alors dans la panique toutes les manettes à l'antique circuit instinctif, qui est prêt à n'importe quoi pour recouvrer sa sérénité.     

***
On trouve sur internet pas mal d’interventions de Thierry Ripoll depuis la sortie de son livre. Deux au moins d’entre elles donnent un bon aperçu de son contenu, en janvier 2021 sur la chaine Youtube Philoscience (durée 1h28) et en novembre de la même année aux Journées de l’esprit critique d’Angoulême (durée 1h01). Elles peuvent être écoutées sans regarder bêtement l’écran où il ne se passe presque rien.
 

dimanche 15 mars 2020

Le jour où la Terre s’arrêta (flash-info)


Pas d’affolement, ça n’est qu’une image, la Terre tourne encore, mais une grande part des activités humaines a soudainement cessé, comme dans le film, louable mais tellement mal réalisé, de Robert Wise en 1951.
Depuis le 13 ou le 14 mars 2020, tous les musées du monde sont fermés (1), sans date de réouverture, à cause d’un petit animal mesquin mangeur de fourmis et en voie d’extinction que l'homme transforme en bottes, en escalopes et en produits cosmétiques (2).

Raphaël Sanzio, peintre officiel des papes de la Renaissance, qu’on disait au 19ème siècle le plus grand de tous les temps et qu’on juge aujourd’hui bien mièvre, a été le premier artiste à faire les frais de cette vengeance du pangolin.
L’énorme rétrospective que Rome consacrait au cinq-centenaire de sa mort a été interrompue, sans doute définitivement, après trois jours seulement (3).

C’est le moment d’aller se promener dans l’immense parc et les jardins du château de Versailles. Vraisemblablement désertés, ils restent ouverts pendant l’épidémie, contrairement au château, et sont peut-être même gratuits tous les jours (4). La période de protection hivernale des marbres n’est pas terminée et les statues voilées y promènent sans doute encore leur silhouette fantomatique.

Et n’en parlez pas à vos voisins, histoire de ne pas créer une affluence virale exponentielle qui deviendrait rapidement coupable.

Mise à jour le 17.03.2020 à 7h30 : Mais le bonheur est éphémère. L'ensemble du domaine de Versailles vient d'être fermé, et le site internet rouvert. À Londres la National Gallery reste ouverte mais les expositions prévues pour attirer beaucoup de public sont reportées.
Mise à jour le 18.03.2020 à 8h30 : À Londres la National Gallery vient de fermer, comme le British Museum et les autres musées et spectacles.

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(1) Sauf les musées anglais. La National Gallery de Londres, le 15 mars à 15 heures, est encore ouverte et l'affirme fièrement. 
(2) Après la chauve-souris ou le serpent, c’est maintenant le pangolin qui serait peut-être le vecteur du virus SARS‑CoV‑2 responsable de l’épidémie Covid-19. 
(3) Raphaël était mort à 37 ans à Rome, d’un organisme microscopique déjà, probablement le paludisme. 
(4) À vérifier sur place. L’entrée n’est gratuite en principe que les lundis, mercredis et jeudis, et le site internet du château est actuellement dans les choux.

lundi 9 septembre 2019

Nuages (46)


Un nuage disgracieux et désorienté erre au dessus des arènes d’Arles, ou cherche peut-être à les éviter.
Amphithéâtre romain il y a bientôt 2000 ans, habité par les déshérités il y a 500 ans, enfin réhabilité en arènes voilà 200 ans, on y pratique régulièrement depuis un spectacle sanguinaire explicitement interdit par le code pénal (art. 521) mais autorisé par les institutions les plus sérieuses et les politiciens les plus influents, parce que c’est une tradition du sud de la France, et que ce patrimoine est sacré.

mercredi 27 mars 2019

Tableaux singuliers (12)

Abraham Mignon, Chat renversant un vase, détail (Lyon, musée des beaux-arts).


Abraham Mignon, qui peignait des fleurs, était très recherché dans les cours du nord de l’Europe du 17ème siècle, de la Hollande à la collection du roi Louis 14. Durant sa courte période d’activité d’une vingtaine d'années, il ne fera que cela. Il avait appris auprès de Jan Davidsz de Heem, qui ne peignait également que des fleurs.

Ce genre de la peinture souvent surchargée a de nos jours encore des amateurs, et des vertus décoratives, mais son aspect de démonstration de virtuosité ennuie généralement.
Or, pour ennuyer moins, Mignon le minutieux insérait des détails moins attendus, des fruits ou des petits animaux, que souvent le badaud ne remarque pas, fatigué à la perspective d’avoir à détailler un énième tableau mal éclairé.

Le musée des beaux-arts de Lyon expose le plus bizarre des tableaux de Mignon, reproduit depuis peu en très haute définition (mais absent du catalogue des collections en ligne), chat renversant un vase de fleurs.
On y voit un vase de grosses fleurs surtout rouges et une vingtaine d’insectes discrètement distribués. En bas à gauche, une sorte de chat effrayé par une chenille renverse à la fois le vase et un piège. Retourné, le piège libère une souris ou un rat dont Mignon n’a peint que la silhouette et l’œil noir. Peut-être aurait-il dû, de la même façon, ne peindre que l’ombre du chat, parce qu’il manquait manifestement de modèle de chat stupéfait. Il l’a affublé d’un nez et d’une bouche étrangement humains. À droite du tableau, l’eau du vase penché jaillit et se répand.

On peut voir des œuvres de Mignon dans les plus grands musées, à Paris, Amsterdam (qui a une réplique parfaite du chat de Lyon), La Haye, Dresde ou Saint-Pétersbourg. Et quand les reproductions, comme sur le site du musée de l’Hermitage, permettent de fouiller les tableaux, on constate que le Mignon de Lyon n’est peut-être pas si singulier que cela. Dans le tableau de Saint-Pétersbourg, un écureuil captif et qui a fait deux tours d’un vase, tire sur sa chaine, ce qui renverse le vase et déverse son eau. Et l’anatomie de l’écureuil, notamment affublé d’un museau pointu de renard, semble aussi approximative que celle du chat de Lyon.