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dimanche 11 mai 2025

Célébrons un bicentenaire (1 de 2)


La National Gallery de Londres, le plus important musée de peintures d’Angleterre, commémore ses 200 ans d’existence, NG200. Sur l’accueil de son site, elle diffuse un slogan percutant : "rassembler les gens et les peintures" (d’accord, ça n’est que la bête définition du rôle d’un musée de peintures). Elle y met en avant la gratuité de la visite de ses collections, et en profite pour solliciter des dons. Enfin le slogan est accompagné de quelques animations banales ; hier, c’était le défilement de détails d’une nature morte aux fleurs de Ruysch.


Mais c’est à partir d'autres sources, curieusement, qu’on apprend que le musée a rouvert, depuis hier 10 mai, une aile fermée depuis deux ans où se situe désormais l'entrée de la National Gallery, qu’il a totalement réorganisé le parcours de visite et les conditions de présentation et d'éclairage d’un millier de tableaux, qu’il a choisi au hasard un de ses adhérents qui a dormi parmi les chef-d’œuvres le 9 mai au soir, a été réveillé par le petit déjeuner d’un chef étoilé, a ensuite déambulé dans un musée à l'accrochage inédit et vide de visiteurs (qui attendaient dehors l’ouverture de l'évènement, à 10h), et en a profité pour découvrir en exclusivité le fameux panneau d’un peintre inconnu acquis récemment contre 20 millions de dollars (ce dernier n’était pas vraiment un mystère, le tableau est reproduit un peu partout, mais son iconographie est réellement déconcertante et Ce Glob en publiera prochainement une version en haute définition, téléchargeable of course).


Sur internet le musée est resté discret, sinon muet, sur tout cela. Il existe bien une page, qu'on ne trouve qu'en connaissant son adresse précise, où il survole le programme des évènements de cette année anniversaire, mais vous n'y verrez que les flagorneries et les complaisances habituelles du marketing le moins subtil : "le musée est à vous... c'est vous qui avez l'imagination et le talent... 1000 tableaux rien que pour vous..."    


En attendant d’aller admirer sur place les merveilles de Van Eyck, Mabuse, Léonard et les autres dans ces nouvelles conditions, notamment de lumière, fêtons ici ces furtives festivités avec une reproduction de 2.3 fois les dimensions originales (36 x 46cm) de cette nature morte de Ruysch, distinguée sur la page d'accueil du musée (et téléchargeable ici-même, puisque la National Gallery l’interdit).


Rachel Ruysch était une des peintres de fleurs (et un peu de fruits) les plus célèbres de son temps, achetée autant que Rembrandt l’avait été dans ses années prospères, et à des tarifs comparables. Le Rijksmuseum d'Amsterdam en conserve 4.

À Londres, avec 3 tableaux exposés, elle est la reine de la salle 28 de la National Gallery consacrée aux natures mortes flamandes et hollandaises. Ce bouquet de 1716 en illustration, silencieusement explosif, est un de ses plus beaux.


Les natures mortes de fleurs, très prisées dans le nord de l’Europe aux 17ème et 18ème siècles, jugées artificielles et passées de mode aujourd'hui, gardent cependant un peu de la sympathie du grand public, qui reste confondu devant la minutie de la réalisation et la générosité des couleurs. 

Bientôt, quand la plupart des espèces de fleurs de la planète auront disparu après l’extinction des insectes et oiseaux pollinisateurs, ces tableaux que les anglais et les hollandais appellent "vies immobiles ou tranquilles" justifieront leur nom français de "natures mortes" et seront certainement de nouveau appréciés et reconnus à l'égal des tableaux des peintres de ruines.


mardi 27 août 2024

Tableaux singuliers (20)

JL Hamon, Cantharide esclave, 1857, huile sur papier marouflé sur toile 
(coll. musées de Compiègne)

Remerciements : la moitié des données de cette chronique proviennent de l’énorme thèse (2013) de 580p. (et les Annexes de 250Mo) de Mme Jagot (aujourd'hui directrice des musées de Tours depuis 2021), très documentée sur ce mouvement un peu fictif que fut le cénacle des peintres Néo-grecs.

Le tableau d’aujourd’hui est certes singulier pour mériter de paraitre dans cette rubrique, mais il est surtout, pour les rares spécialistes qui en avaient entendu parler, totalement inattendu. 

Ils le croyaient disparu quand Drouot annonça la vente le 31 mai 2024 "d’une collection inédite", la collection secrète d’un anonyme dont le produit serait légué à l’Institut Pasteur.
Et parmi des pièces de qualité médiocre à faible, et des estimations moyennes de quelques centaines d’euros (catalogue en PDF), il y avait cette Cantharide esclave de Jean-Louis Hamon, lot n°51, un petit tableau de 47cm, estimé 2 à 3000€.

Exposé sous le n°1297 au Salon du Louvre de 1857, où il avait été très remarqué, comme on le constatera plus loin, il n’était connu que par une gravure d’Édouard Rosotte parue dans l’Artiste (en 1859 ?) et dont on trouve des exemplaires dans de grands musées comme Philadelphie, ou pour 50€ sur eBay, preuve d’une certaine popularité. 

On (la critique, les salonniers) avait apprécié les premières œuvres de Jean-Louis Hamon, quand il exposait aux côtés de son ami Jean-Léon Gérôme qu’on découvrait alors dans son premier succès retentissant, le fameux combat de coqs du salon de 1847. On pensait que leur vie en phalanstère, avec Picou, Boulanger et quelques autres, et leurs thèmes d’inspiration antique, marqueraient les débuts d’un mouvement qui soufflerait un air frais et balaierait les derniers relents de la grandiloquente peinture d’histoire de monsieur David et du romantisme dégoulinant de Delacroix et Vernet, tout en se gardant de tomber dans les monstruosités du réalisme de monsieur Courbet.
On les appela alors les Néo-grecs, ou parfois les Étrusques, ou l’école de Gérôme, occasionnellement les Pompéiens, voire les Pompéistes, selon le degré d’appréciation.

À l’époque Hamon faisait déjà des tableaux aux couleurs douces, éteintes, aux lignes souples, aux formes parfois incertaines, et aux sujets allégoriques, tellement qu’ils en étaient nébuleux et que les critiques comprenaient peu les idées qu’ils exprimaient (on constate dans une correspondance citée par Mme Jagot que le peintre ne les comprenait pas vraiment non plus).
Monsieur Larousse, qui avouait sa faiblesse pour certaines des mièvreries du peintre, disait de lui dans son grand dictionnaire du 19e siècle "tout est si vaporeux […] c’est le rêve d’une ombre […] des compositions d’une grâce quelque peu nébuleuse, à notre sens un peu puérile, que néanmoins la gravure et la lithographie ont popularisées […] des œuvres à peine intelligibles et exécutées avec une telle sobriété de couleur, qu’elles ont à peine une apparence matérielle"

On n'a pas trouvé de reproduction acceptable des tableaux de Hamon sur internet (sauf son autoportrait du musée Magnin de Dijon, photo personnelle). Orsay en possède un de 3,15m qu’il expose. Nantes également (et un autre plus petit). Pour être sincère, même de cette dimension, on peut passer à côté sans les remarquer.
Le musée de Cleveland détient une curiosité, les 4 saisons, une pochade de la main des 4 fondateurs, Picou, Gérôme, Boulanger, et le mélancolique Hamon qui s’est vu attribuer l’hiver. 

En 1857 donc, année féconde, Hamon expose au Salon 9 tableaux avec des jeunes filles, des fleurs, des papillons, et sa Cantharide esclave. 
Sa peinture, qui n'a pas évolué, est jugée souffreteuse, hésitante, et surtout sibylline, indéchiffrable pour les salonniers qui ont mis une dizaine d’années à réaliser que ce qui rassemblait ces peintres néo-grecs, à part des ateliers communs, était uniquement leur penchant pour l’anecdotique et le sentimental. Cette école ne saurait jamais s’affirmer et affronter la crudité naturaliste de monsieur CourbetÇa n’était pas un mouvement, seulement un regroupement contingent d’individualités, qui s’est d’ailleurs effiloché quand Gérôme l’a quitté pour se marier avec une des filles d’Adolphe Goupil, le grand marchand et éditeur d’art international, et que les prix de ses tableaux devenaient indécents au point que seuls les américains pouvaient désormais les acheter.
À part Gérôme - et encore son renouveau est-il récent en France - tous ces néo-grecs ont été oubliés. On en rencontre parfois par hasard dans les musées de province, qui sont bien obligés, pour occuper leurs cimaises, d’accepter les aumônes que le Louvre leur concéde.

Or quand la critique s’aperçoit qu’elle s’est trompée, elle devient hargneuse. Et en 1857 elle s’est acharnée particulièrement sur Hamon et son coléoptère. Hélène Jagot rapporte dans sa thèse, par de nombreux extraits de presse, l’entêtement des critiques et des caricaturistes :
"La peinture hiéroglyphique de Jean-Louis Hamon”, sa "macédoine philosophique", "D’une nature très distinguée, très ingénieuse et très fine : il a toutes les qualités du monde ; il ne lui reste qu’à devenir peintre", "Hamon se creuse la tête et il invente la cantharide grand format, la cantharide grosse comme un bouledogue et enchaînée dans une niche à chiens.", "Ce n’est pas un jury de peintres qui aurait dû se prononcer sur un pareil cas d’aliénation mentale [...]. Le hanneton que M. Hamon, lui, a dans le plafond…", [On lui recommande] "un régime alimentaire plus riche [et plus loin un stage chez M. Courbet] pour être enfin en mesure de peindre correctement et d’abandonner les sujets trop enfantins"…

Deux ans plus tard, au salon de 1859Nous avertissions, il y a deux ans, M. Hamon qu’il allait se perdre. C’est fait. Il ne reste rien de M. Hamon. On ne peut imaginer un tableau plus vulgairement nul, plus lourdement insignifiant que son Amour en visite. Comme sujet, c’est toujours une pauvre petite charade bien prétentieuse; comme peinture, cela fait presque regretter ses anciens tableaux, qui n’étaient pas peints du tout, et qui n’existaient que par le contour.Et Daumier d'en faire alors une caricature où on voit l’Amour ailé pris d’embarras gastriques s’impatienter devant la porte des cabinets.

On peut effectivement déplorer l’inspiration doucereuse de Hamon et son talent de peintre limité, quand Gérôme, au moins, savait rendre spectaculaire n’importe quelle anecdote. Et la déception de la critique était peut-être attisée par la réception plutôt favorable de Hamon par la bourgeoisie aisée, et par l'État qui lui avait acheté plusieurs tableaux, dont les plus grands, Ma sœur n'y est pas de 1852 (Compiègne 1,56m.)la Comédie humaine de 1852 (Orsay), l’Escamoteur de 1861 (Nantes), et lui avait même accordé la croix de la Légion d'honneur en 1855. 
Malgré cela, Mme Jagot précise "Hamon, ne supportant plus les quolibets et voyant sa réputation – et sa situation financière – en pleine déroute, quitte la France quelques années plus tard". 
Il voyagera alors en orient, puis à Rome en 1863, et enfin s'installera à Capri - il est des exils plus cruels - et continuera à exposer irrégulièrement au Salon, toujours avec un petit succès, en ne perdant rien de son inspiration bisounours. Il mourra à 53 ans en 1874.

Hamon aura malgré tout vécu de sa peinture. Nombre des tableaux qu'il a vendus ne sont pas connus, ou sont dits de localisation inconnue quand on en a le titre par un catalogue ou par une reproduction en gravure. Comme la Cantharide esclave ils peuvent réapparaitre un jour, par exemple à l'occasion d'un héritage.

La véhémence de la critique envers la Cantharide esclave était exagérée. Ce petit tableau a quelque attrait.
La cantharide est une de ces pauvres bêtes prétendues aphrodisiaques depuis l’antiquité. Même Wiki, l’encyclopédie des familles, se garde de donner un avis médical, mais écrit immédiatement après, phrase ambigüe, que l’efficacité de la cantharide est douteuse et (mais !?) qu’elle peut entrainer de douloureux priapismes, urines sanglantes, vomissements, et la mort en cas de surdose ! À lire ses citations émoustillantes, de Sade à Mistral, on se demande comment l’espèce n'a pas déjà disparu, pour les mêmes raisons que le rhinocéros.
Le point de vue du peintre semble plus retenu. On soupçonne, à l’abandon mélancolique de la jeune femme, que la cantharide réduite en poudre, même à l'aide d’une dose démesurée, ne parviendra pas à susciter le désir de l’être qui la fait soupirer, ni à lui faire oublier sa propre langueur. 

Pour un regard contemporain qui a vu les centaines de milliers d’élytres de scarabée collées par Jan Fabre dans la Salle des glaces du palais royal de Bruxelles (retournez-vous et zoomez, ou levez le nez et zoomez sur le plafond et le lustre central), pour un regard submergé par ces surenchères du 3ème millénaire, cette petite scène languissante et énigmatique, imaginée par Hamon avant même les écoles symboliste et surréaliste, exhale une fraicheur un peu fanée méritant bien la préemption par les musées de Compiègne, qui emportèrent ainsi l'enchère du 31 mai 2024 contre 10 400€ frais compris.

Épilogue 

En réalité, le 31 mai, pour tous les amateurs et experts, la curiosité de cette vente inattendue n’était pas le discret n°51, mais le lot suivant, le n°52, surprise de la vacation, un tableau du meneur malgré lui de la classe des néo-grecs, Jean-Léon Gérôme. Un tableau découvert à cette occasion, inconnu même du catalogue raisonné du peintre, et en outre réellement singulier dans son œuvre, un tableau presque vide (comme la mort du maréchal Ney, ou Ils conspirent).
Il représente une petite barque de naufragés dans une mer d’un mètre sur 70 centimètres, d’un mouvement et d’un bleu franchement ratés (Gérôme n’a jamais été un coloriste très raffiné), peinte vers 1901, et que tout le monde appelle sottement "une épave". Il est parti contre 593 000$ frais compris, probablement pour l'étranger puisque le polémiste M. Rykner en réclame, après la vente, la préemption par le musée d'Orsay.

Peu importe, on l'aura oublié dans quelques mois, quand le délicat tableau de la Cantharide esclave, rafraichi, dans son joli cadre doré à festons ciselés, agrémentera peut-être un des somptueux salons déserts du château de Compiègne ou de son musée, sous les ors du Second Empire, précisément l’époque où le neurasthénique Jean-Louis Hamon dessinait ce songe singulier sur une feuille de papier et le coloriait légèrement à l’huile.


mercredi 27 avril 2022

Un autre fruit

On trouve parfois, ornementant des vases ou des meubles "art nouveau", ou sur des natures mortes hollandaises du 17ème siècle, et même dans un autoportrait d’Egon Schiele, le physalis, cette curieuse plante au fruit comme une cerise enfermée dans un calice de feuilles orangées ou jaunes, qui se transforme en cage, et dont on prétend parfois qu’il viendrait des Incas, de la colonisation espagnole du Pérou au 16ème siècle ; mais Wikipedia en aurait trouvé des traces de cueillette et de consommation déjà au néolithique, il y a 6000 ans, dans l’Ain.

 
Pendant que les grandes maisons d’enchères survendent leurs fonds de tiroir de Basquiat ou Monet ratés (ici l'estimation est indécente. On ne nous la dit qu'en privé), Dorotheum, l’antique maison viennoise, entretient son petit gagne-pain régulier en écoulant des tableaux de qualité généralement discutable, fin de siècle (le 19ème), mais à des prix très bas. Elle vend parfois des pépites aussi, un peu plus cher, mais pas au point de ne plus pouvoir compter les zéros comme chez les confrères chics. 

Et justement le 11 mai, Dorotheum vend une Arrestation du Christ, par Frans Francken 2, superbe et presque romantique (on est au début du 17ème siècle et on entend déjà les cuivres tonitruants d’un Richard Wagner), puis un beau et rare paysage de déforestation par Claude Gellée, et qui semble bien de la main du lorrain, et enfin, pour le prix d’un bel appartement en province, des physalis par Abraham Mignon, accompagnés de raisins, de pêches et de 7 insectes et un arachnide. Comme toujours chez Mignon, ça n’est fait que pour le régal des yeux et une douce somnolence de l’esprit. C’est le principal.

Pour mémoire, chez Dorotheum, on peut encore télécharger de magnifiques reproductions en haute définition. Ici pour Mignon, elle fait à l'écran 5 fois les dimensions réelles du tableau. De quoi s’émerveiller.

jeudi 4 juillet 2019

HEY! 4, l’apothéose de mad meg

mad meg, Patriarche n°40, Le conservateur - détail (dessin à la plume, 2016). Notez, dans le bocal, l'élégance raffinée de la langue française.

Il existe des artistes pour qui la création est un soulagement.

On les rencontre dans la Halle Saint Pierre, 2 rue Ronsard, à Montmartre, où les créateurs de la revue d’art HEY! exposent pour la 4ème fois après 2011, 2013 et 2015, une trentaine de ces artistes inclassables affublés de qualificatifs qui ne les définissent pas, mais les excluent : en marge, outsiders, contre-culture, figuratifs hors-norme, art brut populaire.

Leur point commun est de fabriquer leur œuvre dans un état obsessionnel qu’ils ne savent pas contenir, et souvent avec un humour (un peu funèbre) qu’on pressent au bord de la crise d'angoisse.

Cette année, et jusqu’au 2 aout encore, voisinent rue Ronsard, les dessins macabres et pointilleux de Lizz Lopez, les troublants masques taxidermistes du duo Mothmeister, les délires en bandes dessinées du québécois Henriette Valium, et surtout trois immenses dessins à la plume de mad meg ; mad meg (les minuscules sont délibérées), Dülle Griet en néerlandais, Margot la folle (référence au tableau de Brueghel), est un peu une Laurie Lipton à la française.

Comme Lipton, fascinée par les miniaturistes flamands, Bosch, Brueghel, Van Eyck, elle besogne des mois durant, parfois des années, sur de gigantesques dessins satiriques.

Alt Quand Lipton couvre, pour chaque dessin, plusieurs mètres carrés de fins traits de crayon noir (plus ou moins denses pour faire des gris, mais jamais estompés), mad meg les remplit de petits traits d’encre noire, plus ou moins courts ou rapprochés, avec une plume Sergent-Major.

Quand Lipton invente des architectures grouillantes de fils électriques, de curseurs et de boutons, au service d’êtres humains rendus à l’état de squelette ou de spectre, mad meg caricature les grandes œuvres de l’art occidental qu’elle fait pulluler de scènes qui parodient toutes les outrances de notre civilisation, patriarcale (*), inhumaine et suicidaire.

Leurs idées se rejoignent dans un dessin de 2 mètres intitulé Zuckerberk réalisé par mad meg en 2017.

Toutes deux dessinent de la main gauche.

Féministe militante, mad meg a commencé, vers 2001, en traçant sur des petits carnets de minutieux squelettes d’animaux du Muséum d’histoire naturelle de Paris, et des scènes goyesques tourmentées par ses indignations politiques.
Et comme ses protestations étaient inaudibles, elle a peu à peu agrandi ses formats jusqu’à la démesure. Aujourd’hui elle crie, sur 20 mètres carrés dans la Halle Saint Pierre.

En est-elle plus écoutée ? Au moins ses cris la soulagent-ils sans doute un peu.

Dans sa spectaculaire parodie de la Cène de Léonard de Vinci et ses insectes en costume de banquier, apothéose de l’exposition qui mesure presque 9 mètres, plus intense que l’original, le fin motif de la nappe est fait de la recopie manuscrite de plus de la moitié du Talon de fer, roman révolutionnaire de Jack London.

Et pour que ses sortilèges vous poursuivent longtemps après la visite de l’exposition, le site de mad meg est un des plus beaux d’internet, un délice de navigation, un modèle d’interface. Tout mad meg s’y révèle, au moyen seulement de la souris, les détails les plus infimes des dessins, les textes, les références (sauf la reproduction intégrale de ses carnets de dessin, hélas en petit format).

Les voyageurs immobiles y passeront des jours d'investigation et de vagabondage.

***
(*) Les Patriarches est une série depuis 2004 de 20 grands dessins de personnages en pied.
« Les patriarches ne sont pas des hommes déguisés en insectes, ce sont des insectes qui essayent de se faire passer pour des hommes. Ils n’ont pas de nom, ils n’ont qu’un numéro et un titre. Ils ont abdiqué toute humanité afin de servir la fonction que leur confère le système patriarcal. Ils sont leur carrière, leur situation, leur rôle… […] Leur ministère est d’anéantir. Leur vocation est de faire de nous de la viande, du profit, de la productivité, de la statistique. Ce sont des thanatocrates. Des psychopompes qui fauchent la vie… »
mad meg
(citée dans le catalogue HEY! #4)



mad meg, Le phoque mort - détail (dessin à la plume, 2014).

mercredi 27 mars 2019

Tableaux singuliers (12)

Abraham Mignon, Chat renversant un vase, détail (Lyon, musée des beaux-arts).


Abraham Mignon, qui peignait des fleurs, était très recherché dans les cours du nord de l’Europe du 17ème siècle, de la Hollande à la collection du roi Louis 14. Durant sa courte période d’activité d’une vingtaine d'années, il ne fera que cela. Il avait appris auprès de Jan Davidsz de Heem, qui ne peignait également que des fleurs.

Ce genre de la peinture souvent surchargée a de nos jours encore des amateurs, et des vertus décoratives, mais son aspect de démonstration de virtuosité ennuie généralement.
Or, pour ennuyer moins, Mignon le minutieux insérait des détails moins attendus, des fruits ou des petits animaux, que souvent le badaud ne remarque pas, fatigué à la perspective d’avoir à détailler un énième tableau mal éclairé.

Le musée des beaux-arts de Lyon expose le plus bizarre des tableaux de Mignon, reproduit depuis peu en très haute définition (mais absent du catalogue des collections en ligne), chat renversant un vase de fleurs.
On y voit un vase de grosses fleurs surtout rouges et une vingtaine d’insectes discrètement distribués. En bas à gauche, une sorte de chat effrayé par une chenille renverse à la fois le vase et un piège. Retourné, le piège libère une souris ou un rat dont Mignon n’a peint que la silhouette et l’œil noir. Peut-être aurait-il dû, de la même façon, ne peindre que l’ombre du chat, parce qu’il manquait manifestement de modèle de chat stupéfait. Il l’a affublé d’un nez et d’une bouche étrangement humains. À droite du tableau, l’eau du vase penché jaillit et se répand.

On peut voir des œuvres de Mignon dans les plus grands musées, à Paris, Amsterdam (qui a une réplique parfaite du chat de Lyon), La Haye, Dresde ou Saint-Pétersbourg. Et quand les reproductions, comme sur le site du musée de l’Hermitage, permettent de fouiller les tableaux, on constate que le Mignon de Lyon n’est peut-être pas si singulier que cela. Dans le tableau de Saint-Pétersbourg, un écureuil captif et qui a fait deux tours d’un vase, tire sur sa chaine, ce qui renverse le vase et déverse son eau. Et l’anatomie de l’écureuil, notamment affublé d’un museau pointu de renard, semble aussi approximative que celle du chat de Lyon.


dimanche 28 juillet 2013

Poisson de juillet, poison d'avril

C'est à condition de paraitre anonyme que ce pauvre animal méconnaissable, abimé par les conditions de vie en mer, a accepté de témoigner masqué et constituer l'essentiel de ce reportage.


Dans notre série « Aimons les animaux, serait-ce en sauce » nous rendrons aujourd'hui hommage au saumon, animal apprécié des gourmets, et des poux de mer.

On dit qu'à la création du monde les saumons batifolaient dans les sources fraiches des torrents où ils naissaient, qu'adultes ils abandonnaient l'eau douce natale pour aller découvrir les Amériques et rapporter des océans lointains de palpitants récits de voyage, et que le jour de leur retour, comme plus personne ne les attendait, la surprise déclenchait liesse, agapes et festoiements. Il en naissait alors toute une génération nouvelle.
Mais on sait aujourd'hui, grâce au progrès de la science, que tout cela n'est qu'un mythe.

En réalité les saumons naissent et vivent dans de grands parcs marins, enfermés dans des cages bondées, gavés de produits chimiques qui les font ressembler à de vieux sachets de plastique informes, minés par des maladies qu'ils transmettent par inadvertance aux quelques congénères libres qui survivent dans les eaux voisines.

Mais ce monde idyllique est menacé par le pou de mer, une sale bestiole minuscule qui s'accroche au saumon et le ronge en lui faisant des trous partout. Le saumon alors se dégonfle, flotte par conséquent moins bien et se retourne sur le dos.
Depuis vingt ans on se débarrassait du problème en nourrissant le saumon d'antibiotiques. Or il advint qu'un jour le pou s'y habitua, menaçant de culbuter l'économie des pays producteurs dans le chaos. Mais qui connait les limites du génie humain quand on touche à ses bénéfices ?
Ainsi la Norvège, depuis quelques années, fait ingurgiter au brave saumon un poison pesticide, prévu normalement pour l'application externe et interdit en Europe dans les milieux marins. Certains en meurent, dont le pou. D'autres s'en accommodent. Pour le consommateur final, on ne sait pas encore.

La Norvège sait que ses saumons sont bourrés de pesticide et puis d'arsenic, de dioxines, de cadmium, de plomb, mais elle préfère par discrétion le taire, fausser les expertises et leurrer les journalistes paresseux et complaisants. On dit que là-bas les ministères de la pêche, de la santé, et leurs organismes de contrôles sont dirigés par des gros actionnaires de l'industrie du saumon.
Les instances européennes déconseillent depuis longtemps (et interdisent parfois) l'exportation des espèces pêchées ou élevées dans la mer Baltique, qui est devenue un dépotoir stagnant de produits toxiques. Certains pays dont la Russie (qui s'y connait en pollution des mers) ou la Chine ont interdit l'importation des saumons norvégiens (certainement plus pour des raisons concurrentielles que sanitaires). Malgré cela la France en est devenue depuis quelques années la plus fervente importatrice (70% de sa consommation totale).
Et les scandales s'accumulent et deviennent difficiles à dissimuler (voir la récente affaire du saumon suédois aux dioxines ou la criminelle corruption de la ministre norvégienne).

Alors le gouvernement français faisant preuve d'un courage exemplaire a publié le 11 juillet 2013 dans la plus grande discrétion un ensemble de recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur la consommation de poisson.
Il y est fortement conseillé, pour empêcher la surexposition aux contaminants chimiques, de se limiter désormais à deux portions par semaine, d'alterner poisson gras et poisson maigre, d'alterner également poisson d'élevage et poisson sauvage et par dessus cela de panacher les différents lieux d'origine du poisson, en excluant absolument de manger bar, dorade, thon, espadon, et quelques autres si vous êtes femme enceinte ou enfant de moins de trois ans.

Ainsi la consommation de poisson nécessitera dorénavant des gouts forcément éclectiques, de longues recherches sur l'origine de chaque bouchée et un bon algorithme de calcul à qui souhaiterait ralentir l'inéluctable abrègement de son espérance de vie en bonne santé.

Attention cependant, le lecteur impulsif qui a déjà cessé viandes et charcuterie depuis quelques scandales célèbres, et qui déciderait aujourd'hui d'arrêter poisson et fruits de mer et de tourner son appétit vers les millions de variétés d'insectes, croustillants et riches en protéines, ce lecteur devra les choisir avec prudence. Car les abeilles, par exemple, sont également gorgées de pesticides et menacées de disparition.

mardi 4 septembre 2012

L'état des cieux

Un important sondage de l'institut Win Gallup (52 000 sondés dans 57 pays), cité par le Courrier International, affirmait récemment que le nombre de personnes qui croient qu'il existe un autre monde (qui sont religieuses) a chuté de 9% en 7 ans, passant de 68% à 59% de la population mondiale. À ce rythme, plus personne ne croirait aux alentours de l'an 2050. Ne rêvons pas. 
Le sondage confirme que la majorité des croyants se trouve dans les populations pauvres et peu éduquées (pour supporter une vie opprimée il faut bien se persuader qu'il y aura un jour une solution).

Et les Français seraient passés durant la même période de 14% d'athées déclarés à 29%. Une personne sur trois. De là à faire un lien avec l'état dans lequel sont laissées les 4 000 statues qui ornent les flancs de la cathédrale de Chartres, décapitées pour décorer musées et collections privées, abandonnées à la morsure des intempéries et de la vermine...





dimanche 23 octobre 2011

Cafardez ce blog...

Dessin extrait de Palepoli (1996), manga d'Usamaru FURUYA, hétéroclite, obscur et plein d'idées fulgurantes.
















Vous êtes certainement las des pitreries du blog que vous avez sous les yeux, de ses remarques péremptoires sur des artistes démodés, de sa philosophie de comptoir, de ses incessants blasphèmes.

Alors ne perdez pas de temps, rendez-vous sur le site Point de Contact, de l'AFA, l'Association des fournisseurs d'accès, et signalez un contenu odieux ou des propos suspects.
Point de contact est le site qu'il vous faut. Pour dénoncer une infraction attentatoire à la dignité humaine, allez sur cette page et laissez-vous guider par les instructions. On ne vous obligera pas à fournir votre identité, ni évidemment à prouver l'infraction. Vous y trouverez également des liens vers les organismes officiels de délation.
Et avec un peu de chance l'AFA se jugera compétente et interdira tout accès au blog.

Laissez-vous aller...


lundi 5 septembre 2011

C'est beau, la nature


Le morpho, papillon bleu iridescent qui batifole imprudemment dans les forêts d'Amérique du sud n'a décidément pas de chance. La nature l'a doté, dans sa dernière métamorphose, de couleurs si précieuses, comme un métal enchanté dans un film de Walt Disney, que collectionneurs et naturalistes n'ont jamais pu se retenir d'en décorer à profusion vitrines et musées.
Et tandis qu'un brave papillon commun flanqué de couleurs vulgaires prend tous les matins le chemin du bureau, vit paisiblement ses quelques mois d'existence, butine au passage et se reproduit comme tout le monde en dizaines de petits papillons également communs, l'éblouissant morpho quant à lui finit généralement jeune, épinglé dans une boite poussiéreuse, au dessus d'une étiquette qui précise, d'une écriture cursive et appliquée, le petit nom de l'animal et le paradis où il a été chassé, agrémentés d'un commentaire affligé sur la disparition de l'espèce.

Moralité : il n'y en a pas.



vendredi 17 octobre 2008

Nuages (12)

Ça faisait déjà quelques heures que je marchais sur la route déserte, en plein soleil, quand je sentis au dessus de moi la présence rafraîchissante d'un nuage bienveillant. Je pouvais me reposer un peu, j'étais maintenant certain d'avoir échappé aux sauterelles végétales géantes. Je levai alors les yeux vers le ciel...

C'est la guerre des mondes !

samedi 30 août 2008

Jusqu'où ira la civilisation ?

Cette image figure l'élan inéluctable vers l'avenir de la science et du progrès. Les mauvais esprits feront remarquer qu'ils écrasent un peu le parterre de fleurs au passage. C'est un hommage à M. Binocle à qui je dois la révélation de la technique des commentaires flottants sur les images. Que la déesse Gougueule le bénisse. Si les ours-momies, les masques respiratoires USB ou les mille-pattes géants vous passionnent, vous serez divertis par son blog où pétillent l'ingéniosité de l'espèce humaine et les excentricités de la nature. (pour exemple cliquez son nom sous l'image).Le progrès chevauchant la science sur un parterre de fleurs jaunes
Hommage à Paul Binocle (voir le commentaire flottant sur la photo).