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jeudi 15 mai 2025

Célébrons un bicentenaire (2 de 2)

La Vierge et l'Enfant avec les saints Louis et Marguerite (peintre inconnu néerlandais ou français)
Constituée de 31 mégapixels (pour 15 mégaoctets), l’image peut demander quelques secondes de chargement. Le panneau original est large de 106 cm, la reproduction fait 163 cm, donc affichez l’image à 65% pour visualiser le panneau dans ses dimensions réelles.


Tout ce que nous pensions découvrir sur les célébrations du bicentenaire de la National Gallery de Londres grâce à la tenace perspicacité des médias (on comprend qu’ils demandent une cotisation pour ça) était en réalité décrit en détail, mot pour mot, et directement accessible sur le site du musée, sous un petit lien perdu en bas de page, parmi les communiqués de presse. 

Pareillement, nous avions apprécié la discrétion du musée sur l’invité(e) tiré(e) au sort qui passerait la nuit dans le musée et ferait gratuitement la publicité de la literie des magasins Marks & Spencer et des croissants du chef étoilé. Eh bien un autre communiqué de presse nous décrivait déjà sa biographie : conférencière, gérante d'associations caritatives et surtout artiste, mère et grand-mère de 10 enfants, élue parmi 22 000 admissibles et souriante (photo à l’appui).   
Les images de son réveil au cœur du musée couverte de miettes de croissant dans son lit fastueux de marque M&S ne sont pas encore publiques. Espérons qu’on lui aura fourni un peigne et une brosse à dents avant la conférence de presse du soir.

Quasi seule dans la nouvelle salle 54 du musée, la bienheureuse aura tout de même rencontré la Vierge, avec l’Enfant et les saints, Louis, roi de France, et Marguerite, sur ce panneau étrange, anonyme, ayant appartenu à une famille anglaise du Dorset, convoité depuis des décennies par la National Gallery, négocié en vente privée début 2025 par Sotheby’s au prix spécial, insiste le musée, de 22 millions de dollars (après conversion), et décrit dans un autre communiqué de presse

Aucune expertise n’a jusqu’à présent réussi à l’attribuer à un peintre connu. Il faut dire qu’il n’a pas été exposé depuis 65 ans et qu’il est pour la première fois publié en couleurs. Documenté dès 1602 à Gand, en Belgique, il est peint à l’huile sur des planches d’un chêne de la Baltique abattu en 1483. Les spécialistes le datent entre 1500 et 1510 et lui trouvent des ressemblances de style avec Jan Gossaert (Mabuse) et Jean Hey (Maitre de Moulins). On pourrait leur objecter qu’aucun des deux n’a jamais succombé, comme ce peintre anonyme le fait ici sur les visages de la sainte, de l’ange à droite et surtout de l’Enfant, à la difficulté qu’éprouvent même de bons dessinateurs à placer correctement et aligner les yeux sur des visages vus de trois-quarts. 
Erreurs de dessin qui s'effacent devant les qualités de rendu et de présence des matières, la bizarrerie singulière, voire unique, et humoristique de l’iconographie, et l’atmosphère étrange pour une scène religieuse. 

Quelques excentricités notables

✵  l’Enfant torture un chardonneret, 
✵  le trône de la Vierge repose sur des planches brutes clouées,
✵  la posture douloureuse du dragon bavant, et ses oreilles en forme de nageoires, 
✵  l’ange de gauche joue de la guimbarde (instrument qui produit le son d’un ressort métallique quand il se détend), 
✵  toutes les figurines sculptées sur les chapiteaux des pilastres et jusqu’au sceptre du roi sont nues, parfois dans des attitudes curieuses, comme celles qui s’enlacent aux pieds d'un singe, ou cette autre, un angelot peut-être, qui exhibe un anus ostentatoire.

dimanche 11 mai 2025

Célébrons un bicentenaire (1 de 2)


La National Gallery de Londres, le plus important musée de peintures d’Angleterre, commémore ses 200 ans d’existence, NG200. Sur l’accueil de son site, elle diffuse un slogan percutant : "rassembler les gens et les peintures" (d’accord, ça n’est que la bête définition du rôle d’un musée de peintures). Elle y met en avant la gratuité de la visite de ses collections, et en profite pour solliciter des dons. Enfin le slogan est accompagné de quelques animations banales ; hier, c’était le défilement de détails d’une nature morte aux fleurs de Ruysch.


Mais c’est à partir d'autres sources, curieusement, qu’on apprend que le musée a rouvert, depuis hier 10 mai, une aile fermée depuis deux ans où se situe désormais l'entrée de la National Gallery, qu’il a totalement réorganisé le parcours de visite et les conditions de présentation et d'éclairage d’un millier de tableaux, qu’il a choisi au hasard un de ses adhérents qui a dormi parmi les chef-d’œuvres le 9 mai au soir, a été réveillé par le petit déjeuner d’un chef étoilé, a ensuite déambulé dans un musée à l'accrochage inédit et vide de visiteurs (qui attendaient dehors l’ouverture de l'évènement, à 10h), et en a profité pour découvrir en exclusivité le fameux panneau d’un peintre inconnu acquis récemment contre 20 millions de dollars (ce dernier n’était pas vraiment un mystère, le tableau est reproduit un peu partout, mais son iconographie est réellement déconcertante et Ce Glob en publiera prochainement une version en haute définition, téléchargeable of course).


Sur internet le musée est resté discret, sinon muet, sur tout cela. Il existe bien une page, qu'on ne trouve qu'en connaissant son adresse précise, où il survole le programme des évènements de cette année anniversaire, mais vous n'y verrez que les flagorneries et les complaisances habituelles du marketing le moins subtil : "le musée est à vous... c'est vous qui avez l'imagination et le talent... 1000 tableaux rien que pour vous..."    


En attendant d’aller admirer sur place les merveilles de Van Eyck, Mabuse, Léonard et les autres dans ces nouvelles conditions, notamment de lumière, fêtons ici ces furtives festivités avec une reproduction de 2.3 fois les dimensions originales (36 x 46cm) de cette nature morte de Ruysch, distinguée sur la page d'accueil du musée (et téléchargeable ici-même, puisque la National Gallery l’interdit).


Rachel Ruysch était une des peintres de fleurs (et un peu de fruits) les plus célèbres de son temps, achetée autant que Rembrandt l’avait été dans ses années prospères, et à des tarifs comparables. Le Rijksmuseum d'Amsterdam en conserve 4.

À Londres, avec 3 tableaux exposés, elle est la reine de la salle 28 de la National Gallery consacrée aux natures mortes flamandes et hollandaises. Ce bouquet de 1716 en illustration, silencieusement explosif, est un de ses plus beaux.


Les natures mortes de fleurs, très prisées dans le nord de l’Europe aux 17ème et 18ème siècles, jugées artificielles et passées de mode aujourd'hui, gardent cependant un peu de la sympathie du grand public, qui reste confondu devant la minutie de la réalisation et la générosité des couleurs. 

Bientôt, quand la plupart des espèces de fleurs de la planète auront disparu après l’extinction des insectes et oiseaux pollinisateurs, ces tableaux que les anglais et les hollandais appellent "vies immobiles ou tranquilles" justifieront leur nom français de "natures mortes" et seront certainement de nouveau appréciés et reconnus à l'égal des tableaux des peintres de ruines.


mercredi 1 janvier 2025

Renaissance d’une Nativité

Pour celles et ceux qui, une fois adultes, ont persisté à croire aux contes de fées, la National Gallery de Londres avait prévu cette année un noël de circonstance : exposer dans toute la fraicheur d’une minutieuse restauration un des bijoux de sa collection, la nativité du Christ peinte vers 1485 par Geertgen tot Sint Jans (en français, Gérard de Saint Jean). 

Mais le projet de renaissance a un peu dérivé. La restauratrice qui en était chargée reconnait avoir été surprise par l’ampleur du travail, sur un si petit panneau large de 25 centimètres, comme elle l’explique dans une vidéo (8min.) où elle insiste sur son état de délabrement, bien dissimulé derrière des repeints et une épaisseur anormale de vernis. En 1904 à Berlin, l’incendie de l’appartement de son propriétaire d’alors avait fait bouillir la surface peinte, assombri les couleurs, provoqué des cloques jusque sur le visage de la Vierge et occasionné des soins d’urgence.

Finalement, à la date anniversaire, le panneau n’était pas exposé, mais tout de même reproduit, sans doute à la hâte, sur le site du musée, en une image très détaillée, mais couverte de reflets, de désagréables points brillants par endroits.

Le site de la National Gallery permet la consultation en haute définition mais ne permet plus les téléchargements, depuis quelques temps, qu’en basse qualité (eh oui, même cette vénérable institution dont la visite est gratuite fait la quête). Néanmoins Ce blog est plat, toujours prêt à satisfaire son lectorat le plus exigeant, a réussi par les moyens de l’intelligence naturelle à récupérer l’image et à réduire certaines brillances excessives de la photo originale (notre illustration).

À propos du peintre, Geertgen était de la deuxième génération des héritiers de Jan Van Eyck aux Pays-Bas. À peine une quinzaine d’œuvres lui sont attribuées, du bout des lèvres. Les plus belles sont sans doute à Vienne le Christ mort et les Restes de Jean-Baptiste, et à Berlin ce dernier dans le désert. Amsterdam en a trois plus ou moins attribuées, et même le Louvre en expose une, médiocrement reproduite. 

Comme chez Petrus Christus, il y a dans le style de Geertgen une raideur, une fraicheur un peu naïve, mais plus attachante que chez son ainé, par une sorte de proximité, de familiarité avec ses personnages, d’humanité dans ses portraits. Il serait mort avant 30 ans.

lundi 6 mars 2023

Comment peindre vite un Caravage

Menacé de décapitation par la justice pontificale pour avoir tué un noble influent, Caravage, fuyant Rome puis Naples, séjourne de 1607 à 1608 à La Valette, sur l’ile de Malte, où il peint 5 ou 6 tableaux dont l'immense (5,20m de large) décapitation de Jean-Baptiste (détail ci-dessus) pour la cathédrale de la ville. C’est l’un des deux seuls tableaux signés de Caravage (avec une tête de Méduse de 1597). Il s’est identifié au décapité en signant de son prénom "f michelAng…", en imitant un tracé au doigt dans le sang du saint.


Il y a quelque temps déjà nous avons dévoilé que Caravage, cet inventeur de génie qui bouleversa l’histoire de la peinture en remplaçant les douces ombres de la Renaissance par de crasseuses ténèbres, peignait de la main droite et portait donc l’épée à gauche, révélation essentielle.
Aujourd’hui nous découvrirons dans une courte vidéo de 15 minutes, que contrairement à la belle fiction qu’on raconte encore pour endormir les enfants, Caravage ne peignait pas ses grandes toiles sans dessin préparatoire.

Le site ARTEnet publie des vidéos décrivant de façon digeste, démonstrations à l’appui, les techniques picturales des peintres italiens classiques, agrémentées de force références. C’est très bien fait, mais il y a peu de versions françaises des vidéos, seulement Caravage et Léonard semble-t-il.

Comme on ne connait toujours aucun dessin sérieusement attribuable à Caravage, et que les moyens d’investigation scientifiques ne révélaient pas de traces de dessin sous les couches de pigment de ses tableaux, on accordait généralement foi à la légende et aux sources anciennes qui prétendaient qu’il peignait sans faire la moindre esquisse, sans même dessiner.
Pourtant la perfection de la mise en scène des personnages, dans la plupart des ses œuvres, où tout est calculé pour que le sujet s’inscrive parfaitement dans le cadre (en croix, en cercle, en escalier…), contredisait aisément cette prétendue improvisation. Mais Caravage comme Léonard est un génie, et un génie est capable de faire des miracles, de découvrir les lois de la gravitation des siècles avant Galilée et Newton, ou de peindre des tableaux sans les mains, avec un pinceau magique comme dans les films de Walt Disney.

En réalité, les implications de Caravage dans nombre de rixes attestent son caractère impétueux, emporté, et son credo étant de représenter strictement la réalité, sans enjolivement ni fioriture, il jugeait sans doute inutile de perdre du temps à faire des dessins préparatoires qu’il aurait fallu reporter laborieusement sur la toile, donc les dessiner une deuxième fois, et faire à nouveau poser les modèles de longues heures pendant lesquelles les mouvements et la lumière déplaceraient encore les plis et les ombres.

Ainsi s’est-il fabriqué une méthode rapide. Sans doute à partir d'un croquis jetable de la mise en place des personnages, il gravait directement sur la toile apprêtée les contours déterminants du dessin, avec un poinçon afin que la trace reste sensible malgré les couches de peintures qui les recouvriraient, contours qu’il affinait ou précisait d’un pinceau rapide au pigment noir. Il ajoutait parfois, du même pinceau, les grandes lignes d'un rare décor. 
Puis il faisait poser les modèles l’un après l’autre. Pour chacun, il dessinait le modelé directement au pinceau sur la toile, avec une seule couleur siccative plus ou moins délayée, souvent d’une manière détaillée comme il l'aurait fait sur une étude préparatoire, avant de passer au coloriage.

Les instruments d'investigation modernes - dont l’inévitable scanner à réflectographie multispectrale à infrarouge - ont montré des "traces évidentes de dessin préparatoire dans beaucoup des œuvres du peintre" (dit la vidéo à 4’05"). 

Un tableau fait à la va-vite par le peintre fuyard peu avant sa mort, lors d’une dernière étape en Sicile à Messine, l’Adoration des bergers (actuellement au musée de Messine), ressemble assez à un tableau inachevé et illustre bien les étapes de sa méthode (malgré des reproductions disponibles catastrophiques)

Cette manière accélérée de peindre occasionnait évidemment erreurs et repentirs. Chaque personnage étant réalisé séparément, en commençant curieusement par ceux du fond, d’après les examens, il arrivait que le suivant, plus proche, déborde et recouvre une partie pourtant achevée du précédent (voir la vidéo à 12’17"). L'optimisation n'était pas toujours optimisée.

Et puis les personnages couvrant souvent toute la toile, qui est grande, Caravage n’avait pas toujours le recul suffisant pour éviter certaines erreurs de proportions et de perspective. Par exemple dans les Pélerins d’Emmaüs, à la National Gallery de Londres, la main droite de l’homme à la gauche du Christ (en rouge) donne l’impression d’être, en fonction de la perspective, deux fois plus grosse que sa main gauche. 

Enfin, l'impression de collage, de juxtaposition un peu artificielle qu'on ressent souvent devant les personnages de Caravage est ici sensible avec l’extraordinaire panier de fruits, chef-d'œuvre de la nature morte, qui semble en équilibre instable et près de basculer dans le vide.

lundi 19 décembre 2022

Améliorons les chefs-d'œuvre (26)

Alternance de la nativité de Piero della Francesca avant et après restauration (cliquez pour les détails)
 
La bienpensante National Gallery de Londres sort au moment propice sa surprise de Noël. Elle expose pendant les fêtes, dans un nouveau cadre et isolée dans une petite salle, la naissance de Jésus, peinte en Toscane par Piero della Francesca vers 1480 et invisible depuis 2019 pour restauration.
Réalisée vers la fin de sa vie elle résume parfaitement le style épuré, limpide, solennel et désincarné de Piero.

Dans l’illustration animée ci-dessus (un va-et-vient de 2 secondes au format Gif), on remarquera en zoomant que les choses se déplacent légèrement entre les deux états du tableau. C’est dû aux défauts des reproductions photographiques, car en principe une restauration ne modifie un tableau que dans l’épaisseur. Mais il y a des exceptions, et c’est le cas ici. Les deux versions du tableau n’ont pas la même largeur. Elle a été augmentée de 2 ou 3 millimètres. 
La restauratrice, qui considérait que l’ovale de la rosace du luth à droite ne correspondait pas à l’orientation du reste de l’instrument, chose peu plausible chez ce mathématicien et maitre de la perspective qu’était Piero, a compris que la largeur du tableau avait été réduite. Lors de son transport au 19ème siècle le panneau de bois avait été séparé verticalement en 2 parties dans un axe passant par le visage du musicien, la rosace et les mains de l’enfant (curieux traitement pour un tableau d’à peine 123 cm ! Aurait-il voyagé en fraude ?)
À Londres, les deux parties ont été recollées, mais il manquait l’épaisseur de la lame de scie, que la restauratrice a donc recréée. Probante sur l’ovale de la rosace, sa manipulation l’est nettement moins sur la bouche et l’œil du musicien, et devient amusante quand on note que le majeur et l’index droits de l’enfant esquissent maintenant la lettre V.

Lors d’une ancienne tentative de lessivage un peu trop volontaire, les visages des deux paysans avaient presque disparu. Là encore la restauratrice les a reconstitués. Le résultat est décevant. Même s’ils sont dans l’ombre de l’auvent, Piero les aurait-il peints avec si peu de relief, si plats et aussi rouges ?
Petite remarque à l’attention des mécréants, le jeune paysan sous l’abri ne lève pas la main pour interpeler le chauffeur d’un hypothétique autobus qui parcourrait la campagne toscane. Il désigne en réalité un trou dans le toit de paille par où serait passé l’Esprit saint, ou le doigt de Dieu, ou peut-être l’enfant même. Reconnaissons que son témoignage n’est pas très clair. 

La disparition de la corne du bovin est aussi mystérieuse. Un commentaire du Giornale dell’arte affirme que Piero l’aurait peinte, puis effacée. Elle aurait donc été révélée lors d’une ancienne restauration, et enfin effacée par la restauratrice actuelle qui connaitrait les intentions du peintre ? Remarquable ! 
Il est en revanche certain que l’âne qui brait en direction du trou est un repentir de Piero (et peut-être aussi le bovin). Il l’a peint par dessus un mur de pierre achevé mais pas totalement sec, et comme toujours dans ce cas la couche supérieure a été partiellement absorbée faisant lentement réapparaitre les pierres. La restauratrice en a atténué l’effet. 

Il y a nombre d’autres détails à observer dans ce jeu des 7 erreurs, comme l’apparition d’un plectre entre les doigts du musicien à gauche, mais le plus notable cadeau de cette opération de maintenance, c’est l'illumination de l'ensemble. Un merveilleux air frais a balayé le voile d'impuretés grises et jaunes incrustées dans les couches de vernis.

On pourrait affirmer aujourd'hui, pour paraphraser Cioran à propos de Jean-Sébastien Bach, "S’il y a quelqu'un qui doit beaucoup à Piero della Francesca, c'est bien Dieu". Y a-t-il une manière plus belle de représenter la féérie, l’irrationnel, que par ces lignes pures, ces couleurs douces, ces visages distants, impassibles, ces personnages légendaires qui ne projettent pas d’ombre, cette paix ? 

En prime, en cliquant sur la vignette ci-dessus, vous pourrez télécharger (11Mo), imprimer en taille réelle et accrocher au-dessus de la cheminée ou d'un radiateur la splendide reproduction de la National Gallery. C’est gratuit (sauf l’impression).

Mise à jour le 7.01.2023 : La restauration d'une œuvre importante crée systématiquement une polémique. Dès le 17 décembre, un article du Guardian stigmatisait le nouveau Piero, insistant sur le visage repeint des deux bergers.
Mise à jour le 22.12.2023 : La polémique persiste, on demande toujours dans Il giornale dell'arte qu'une commission d'experts internationaux se prononce sur les deux paysans avinés reconstitués par la restauration de la National Gallery.

dimanche 26 juin 2022

De l’utilité de la couleur

Sur le drapeau français, y'a que le bleu qui se boit pas.
(Le grand café des brèves de comptoir 2014, JM. Gourio)

La perception de la couleur est une invention extraordinaire de la nature, elle permet à l’être vivant le plus primitif doté d’un minimum de mémoire de distinguer d’un coup d’œil le mal du bien, l’interdit du permis.

Aujourd’hui les couleurs jaune et bleu sont en vogue dans le monde politique et culturel parce qu’elles ont été agressées et envahies par le blanc, le bleu et le rouge. Attention à ne pas confondre le blanc, le bleu et le rouge avec le bleu, le blanc et le rouge. Ces dernières sont les couleurs d’un peuple pacifique mené par un autocrate crapuleux mais gentil à la télévision, alors que les premières sont d’un peuple docile dirigé par un autocrate psychopathe et méchant. Ça n’a rien à voir.

La National gallery, le grand musée londonien, révoltée par cette injustice, a recherché dans ses immenses collections tout ce qui aurait pu être étiqueté "russe" par facilité, mais qu’une analyse plus approfondie pourrait restituer à l’Ukraine.
Opportunément, elle conserve dans ses réserves un pastel d’Edgar Degas de 1899, qui figure des danseuses folkloriques russes, et sur les costumes desquelles avaient été remarqués depuis bien longtemps - déclare-t-elle - des petits rubans jaunes et d’une sorte de bleu, tressés en guirlandes.
Elles seront donc désormais appelées "danseuses ukrainiennes" dans le catalogue du musée (on les trouve néanmoins encore en cherchant "russian dancers"). Trop fragile, l'œuvre est rarement exposée.


Dans un conflit armé, il ne faut pas abuser des couleurs. Ici, dans un détail de la bataille de San Romano par Paolo Uccello, également à la National gallery de Londres, on ne parvient pas à distinguer qui est l’ennemi de qui, et on sent les combattants complètement désorientés et l’issue de la bataille incertaine.

Le catalogue de Degas en ligne dénombre 11 autres pastels* de cette série, dessinés par le peintre entre 1895 et 1905, et représentant des danseuses folkloriques**. On y voit des costumes nettement blanc, bleu et rouge dans une version du musée de Houston et dans une collection privée. Ce dernier est agrémenté de guirlandes jaune et bleu.

   * Dans le dialogue, saisir "russe" dans la rubrique "par nom de l’œuvre".
   ** L’Ukraine était alors une province dans les empires russe et autrichien.

Costumes ukrainiens ou non, l’histoire de l’art est accueillante, elle n’a jamais été regardante sur ces petits arrangements. À chaque jour sa vérité.
C’est un geste délicat de la part du musée londonien, même s’il ne changera rien au destin du peuple ukrainien, indifféremment exploité, pillé, affamé, déporté, pollué, irradié et massacré, depuis plusieurs siècles

mercredi 8 décembre 2021

Petit guide pour la perpétuité


Doubovskoï Nicolaï, berges d’une rivière en forêt, c.1900 (huile/toile 106x69cm).

Devant la profusion des reproductions d’œuvres du peintre Ilya Répine présentées dans notre dernière chronique, et à la perspective d’une nouvelle vague annoncée du coronavirus qui nous retiendra encore un long moment à voyager sans bouger de chez nous, peut-être avez-vous entrepris de visiter les autres pages de ce site prometteur et manifestement russe.

Vous avez alors dû braver ses méandres labyrinthiens, ses hiéroglyphes cyrilliques intempestifs, ses classements alphabétiques déroutants, et ses pages entières de tableaux qu’on n’oserait afficher même au-dessus de la chasse d’eau.
On vous avait dit le site monumental. Vous l’avez découvert colossal. Près de 11 000 peintres du passé, des centaines de milliers - peut-être des millions - de reproductions généralement correctes ou bonnes, et quelquefois monumentales, comme dans cette catégorie des Musées du monde où 2400 œuvres de la National Gallery de Londres sont reproduites dans des dimensions allant de 4000 à 8000 pixels. 

Créé voilà 10 ans, le site Gallerix existe en trois versions, russe, chinoise et anglaise, est libre d'accès, déclare être agréé auprès des instances de régulation les plus officielles de Russie, dit ne pas faire de bénéfices, est envahi de publicités, et reçoit en moyenne 1.000.000 de visites par mois.

Gallerix, semble avoir recueilli tout ce qui est ou a été disponible un jour en matière de peinture sur internet. Les peintres rares ou les musées pingres n’y sont donc pas représentés, ni les peintres contemporains ou à la dépouille encore fumante, peu reproduits pour des raisons de droits d’auteur. On y trouvera néanmoins, classées par période, 3600 images des productions du fameux Pablo Picasso
Peut-être êtes-vous à l’heure qu’il est encore à errer sur ses pages bariolées, complètement désorientés ?

Alors voici quelques conseils pratiques :

• D'abord, optez impérativement pour un navigateur sur internet qui traduit automatiquement les pages en les chargeant, ou traduit de manière interactive les textes que vous sélectionnerez (Chrome fait les deux). Pensez à sélectionner le drapeau français, en haut à droite, mais avec parcimonie, il vous enverra parfois vers des pages hiéroglyphiques.
• Ensuite, ne croyez pas que si le site présente une liste de peintres d’une catégorie, par exemple la page des peintres russes et soviétiques, celle-ci est nécessairement complète. Dans cet exemple, un grand nombre de peintres russes sont absents, parmi les plus importants (c’était le cas de Répine, mais aussi de Verechtchaguine, Aivazovski, Shishkine, Lagorio…), que vous ne trouverez qu’en les cherchant par leur nom ou parfois, un peu par hasard, dans les listes analphabétiques.  
• Quand, en mode recherche, il vous arrivera de tomber sur des pages en cyrillique, pensez à regarder les liens internet (en alphabet latin bleu). Leur destination est souvent explicite.
• Et si une publicité intempestive envahit l’écran, elle disparait en rechargeant la page.

Enfin, avant de vous égarer, pensez à noter ces 4 repères :

➤ Page d’ACCUEIL du site Gallerix en français :
➤ Page de RECHERCHE de peintres (partiellement en français) :
https://fr.gallerix.ru/roster/
➤ Page des peintres commençant par la LETTRE A, classés par le nombre de reproductions (choisir une lettre en haut de page) :
➤ Page d’index des visites par MUSÉE :
https://gallerix.org/album/Museums#fr

Ainsi équipés de ces instruments de navigation, vous pourrez entreprendre une odyssée qui durera des jours, des mois…
Ha ! Il peut bien venir nous submerger, ce virus de l’apocalypse et sa cinquième, sixième, ou septième vague avant le jugement dernier ! Nous sommes fin prêts pour un confinement perpétuel.

Verechtchaguine Vassilii, le Taj Mahal à Agra c.1875 (huile/toile 55x40cm)

lundi 2 août 2021

Le Vermeer nouveau arrive

 
Depuis que les amateurs de la musique du passé ont entendu arriver, dans les années 1970, les interprétations « historiquement informées », c’est à dire jouées avec des instruments datant strictement du vivant du compositeur, tous les arts ont été contaminés par cette prétention à l’authenticité qui impose de montrer les œuvres comme on imagine qu’elles ont été présentées et perçues à l'époque de leur création. 
Double illusion de croire qu’on peut reconstituer non seulement l’objet exact, mais encore, dans les mentalités d’aujourd’hui, l’état d’esprit des habitants de ce passé lointain.
 
Revenons donc sur ce gros bambin grassouillet découvert par radiographie sur le mur du fond du tableau de Vermeer conservé à Dresde, figurant une femme lisant une lettre devant une fenêtre ouverte. Un cénacle d’experts a pensé que ce Cupidon bedonnant et allégorique avait été masqué après la mort du peintre, et qu’il fallait donc le restituer comme Vermeer l’a peint (on le retrouve sur d’autres Vermeer, comme celui de la National Gallery à Londres).

AltEn juin 2019, il était à moitié dévoilé (on le découvrait ici)
La dernière photo publiée par le musée, qui en révèle 75%, est certainement ancienne puisqu'après 4 ans de restauration le tableau est au centre de « la plus importante exposition Vermeer en Allemagne », qui doit réunir à Dresde 10 tableaux du peintre, dès le 10 septembre 2021 et pour 4 mois. 

Pour susciter la curiosité et le désir, créer la surprise, et rentabiliser la dépense, le SKD (Collection d’art d’État de Dresde) se réserve l’exclusivité de l’image du nouveau Vermeer et l'escamote même dans ses publicités (note d'authenticité, constatez que le papier à lettre de l'époque était fait de caoutchouc).
 
Imaginons alors l’impression générale que ce Vermeer nouveau de 2021 devrait produire, en le simulant avec le Cupidon de Londres. Dans l’illustration en GIF ci-dessus, il apparait 5 secondes toutes les 10 secondes.

Et enterrons dignement l'ancien Vermeer, qui disparait avec un peu de notre passé, en conservant soigneusement une dernière image de bonne qualité avant restauration (la reproduction mise en ligne par le musée de Dresde est déplorable, et déjà rongée par le Vermeer nouveau).

Mise à jour le 2.09.2021 : Le SKD vient enfin de publier une petite reproduction du Vermeer nouveau (et une meilleure 2 semaines plus tard avec un dossier consultable en ligne). On notera que les murs, du fond et de dehors on été sérieusement lessivés et sont maintenant absolument blancs. Les fruits au premier plan ont pris un aspect artificiel. Quant au Cupidon, on en a suffisamment parlé.  
Mise à jour le 12.09.2021 : comme on l'avait craint en 2019, fière de son résultat, l'équipe de restauration de Dresde a proposé son aide au musée de Berlin pour effacer le mur blanc derrière la Femme au collier de perle, dernier Vermeer à résister au nettoyage forcé, derrière lequel des traces de carte géographique apparaissent en radiographie. Mais la responsable des peintures de cette époque au musée de Berlin les a remerciés poliment, affirmant qu'une étude relativement récente avait conclu que la carte recouverte était inachevée.  

mercredi 14 avril 2021

Salvator Mundi, le retour du zombi

Détail du portrait du Salvator Mundi en cours de restauration par Mme Modestini vers 2005-2006

 
Encore un épisode des tribulations du tableau le plus cher du monde !
 
Cette fois les scénaristes de la série sont en forme, ils ont même un peu fumé la moquette et proposent deux rebondissements simultanés et contradictoires dont les spectateurs ne pourront qu’attendre dans la fébrilité une éventuelle résolution. 

Ce portrait de Jésus, attribué à Léonard de Vinci par ceux qui tirent bénéfice de l’attribution, et boudé par les autres, ce visage flou et fantomatique de diseuse de bonne aventure derrière ses fumigations, ce spectre désossé comme un zombi et qui perd un peu de chair à chaque réapparition, dont on sent malgré le mot FIN qu’il bouge encore et renaitra plus décomposé dans un prochain épisode, ce chef-d’œuvre donc de la renaissance avec une minuscule vient de faire l’objet d’un documentaire récapitulatif de 95 minutes par Antoine Vitkine, diffusé en clair sur le site de France.tv du 13 avril au 12 juin 2021, « Salvator Mundi : la stupéfiante affaire du dernier Vinci ».

Pour qui connait déjà le dossier, le reportage apporte l’éclaircissement de certaines rumeurs vagues, quelques détails savoureux, et une révélation déterminante. Pour qui ne connait pas l’histoire, et pour éviter de renvoyer aux chroniques de Ce Glob qui en ont parlé depuis 2017, voici un résumé des épisodes précédents, qu’on retrouvera richement illustrés à l’écran :
 
1958 : une médiocre effigie du Christ à la boule de cristal, attribuée à Boltraffio, un élève très doué de Léonard de Vinci, est vendue aux enchères 45 livres sterling (équivalant à 1000$ d’aujourd’hui)
 
2005-2007 : le tableau acheté 1100$ est très largement restauré, voire totalement repeint dans l’esprit de Léonard, disent nombre de spécialistes dont une bonne part ne l’ont jamais vu qu’en photographie
 
2007-2010 : la maison d’enchères Christie’s entame une lourde opération de lobbying auprès de quelques experts pour qu’ils l’attribuent à Léonard de Vinci
 
2011 : la National Gallery de Londres (après une réunion informelle et sans trace avec 5 experts qui n’ont pour la plupart pas réellement confirmé) expose le tableau dans le cadre d’une grande rétrospective et l’attribue à Léonard, au mépris de toute déontologie puisqu’il se trouve alors sur le marché de l’art (ce que la National Gallery dit naïvement ne pas avoir su)
 
2012 : malgré ce pédigrée tout frais, les musées et milliardaires sollicités déclinent poliment l’offre
 
2013 : un milliardaire russe douteux, associé à un intermédiaire louche, achète le tableau 127 millions de dollars, et fait un procès à l’associé quand il apprend par la presse que l'escroc s’est réservé une commission de 35% du montant
 
2017 : après une monumentale campagne publicitaire, Christie’s vend le tableau du russe, qu'elle appelle « le dernier Léonard de Vinci », au tout nouveau petit Staline de l’Arabie saoudite (initiales MBS), pour 450 millions de dollars (2,5 fois le précédent record de Picasso en ventes publiques)
 
2018-2019 : le tableau, qu’on pensait voir exposé bientôt au Louvre Abu Dhabi, disparait de la circulation.
 
En réalité, le documentaire nous apprend que pendant que le président français négociait à l'Élysée de lucratifs contrats militaro-culturels avec MBS, le tableau était examiné en secret par la haute technicité des laboratoires du musée du Louvre.
 
Et ici se situe une des branches de l’intrigue scénaristique.
 
Un rapport d’examen aurait alors été rédigé par le musée, mais interdit de diffusion, parce que l’éthique du Louvre commanderait qu’il ne publie rien sur une œuvre qu’il n’expose pas.
Toutefois le reportage nous dévoile, dans la pénombre, la silhouette masquée d’un personnage très haut placé dans la hiérarchie de la République, qui en connait les conclusions, et qui affirme qu’elles excluent l’attribution à Léonard, ou seulement de très loin, et qu’il ne pourra pas être question dans ces conditions de satisfaire le caprice de MBS d’exposer son tableau à côté de la Joconde, à égalité d’authenticité, lors de la grande célébration par le Louvre en 2019 du cinq-centenaire de la mort de Léonard.
On sait depuis que le tableau n’a pas été montré en 2019.
 
Les pièces du puzzle se rejoignent enfin et la conclusion de l’histoire devient morale : le tableau, vaguement inspiré par Léonard, n’est pas de sa main, et la République, qui a aussi une éthique, ne peut pas se discréditer en satisfaisant toutes les lubies d’un prince saoudien (tant qu’il continue tout de même à se fournir en armements pour détruire son voisin péninsulaire).

Cependant, les scénaristes pensaient qu’il restait dans cette affaire suffisamment de potentialités dramatiques pour dévoiler l'endroit où l'intrigue pourrait prendre une autre voie. Ce qu’ils firent à la veille de la diffusion du documentaire de Vitkine.
 
Le 31 mars, un billet déconcertant dans The Art Newspaper, puis les 9 et 13 avril, 2 longs articles libres d’accès de M. Rykner dans la Tribune de l’Art, et enfin le 11 avril un article du New York Times, révélaient que le rapport d’examen du tableau avait réellement fait l’objet de l’édition, par Hazan et le Louvre, d’un livret de 46 pages très illustré, mis en vente, et retiré de la boutique du Louvre dès les premières heures, suite au refus par MBS de prêter le tableau s’il n’était pas exposé selon ses désirs.
Et au moins un exemplaire du rapport aurait été vendu et aurait circulé... Rocambolesque, non ?
 
La péripétie ne ferait pas un rebondissement bien palpitant si ces trois sources n’étaient unanimes et formelles dans leur lecture de l'analyse du musée et de ses résultats : le laboratoire du Louvre conclut son rapport sans hésiter en faveur de l’attribution du tableau à la main de Léonard, et en apporte de solides preuves !

Depuis, M. Vitkine a confirmé avec assurance l’authenticité des témoignages de son documentaire, qui attribuent le tableau à l'atelier, ajoutant qu’il en sait plus qu’il ne peut en dire pour la sécurité de ses sources, et M. Rykner, qui de son côté ne peut raisonnablement pas supposer que le rapport du Louvre est un faux, s’égare un peu, et l’admet, en hypothèses hasardeuses.

Alors qui tire les ficelles de toutes ces marionnettes ? Peut-être les scénaristes de Netflix, dont on dit qu’ils sont hautement qualifiés. Il n’est pas certain qu’on le découvrira dans la prochaine saison de la série. Depuis Ésope, le fabuliste, on ne tue plus la poule aux œufs d’or.
   

mardi 25 août 2020

En vrac, mais en haute définition


Mad meg détaille son immense dessin Feast of fools.

D’abord, mad meg.
Il y a toujours un intérêt à retourner sur le site fabuleux de mad meg. Parce qu’elle l’enrichit de ses grouillants dessins à la plume, notamment ses Patriarches, et parce qu’elle a mis en ligne une vidéo de 50 minutes où elle présente à sa manière affranchie, drôle et instructive, son immense dessin « Feast of fools », version inouïe et entomologique de la Cène de Léonard de Vinci (l'image de la vidéo est insuffisante, aussi est-il conseillé d'ouvrir simultanément une autre fenêtre du navigateur avec le dessin, pour y suivre ses commentaires).
 
Puis Van Eyck.
Après 6 siècles, son polyptyque de l’Agneau mystique n’est toujours pas sec et sent le vernis frais. Depuis 2012, il est entre les mains des restauratrices du musée de Gand, pour 5 ans, disait-on. Elles ont un peu débordé, mais ne les harcelons pas, c’est une œuvre gigantesque de près de 25 mètres carrés de surface peinte (loi Carrez).
Le site surnaturel CloserToVanEyck a changé d’adresse. Il montre désormais l’avancement des travaux, et ainsi, à peine sec, le panneau central, avec, entre autres, la reconstruction du paysage urbain, à l’horizon sous la colombe (illustration ci-dessous), et l’agneau qui a retrouvé son regard humain et perdu 2 de ses 4 oreilles.
Remarquons, sur le même panneau, que les petits prophètes de l’Ancien testament agenouillés à gauche, qu’on pensait, à leur mine attentive, captivés par la cérémonie, sont en fait de sacrés simulateurs. Pas un n’a sa bible ouverte à la même page.

Les mauvais esprits adeptes de la règle de trois auront noté qu’après 8 ans il reste à nettoyer 7 panneaux sur 24, et escompteront donc un retable remis à neuf vers la fin de 2023.
Gardons-nous de tout optimisme et pronostiquons plutôt 2025, car les derniers panneaux sont sans doute les plus périlleux, Ève, Marie, Adam, les magnifiques musiciens, et puis le Patron. Rappelons que le Louvre n’a jamais osé nettoyer son Van Eyck majeur, la Vierge et Rolin, qui ne couvre qu’à peine un demi-mètre carré (et c’est pourquoi il semble aujourd’hui sorti tout droit d’une vespasienne).

Détail du panneau central du retable de l'Agneau mystique de Van Eyck. 
À gauche, avant le retrait de la crasse et des repeints accumulés depuis des siècles. À droite, après débarbouillage.

Et, si vous n’aviez jamais vu un pastel virtuose de très près (leur fragilité fait qu’on les expose peu), la National Gallery de Londres vient d’hériter un « Petit déjeuner » de l’excentrique Liotard, suite à la mort d’un banquier collectionneur dont les héritiers n’avaient pas en poche les 8,7 millions de livres sterling des droits de succession. 
Jean-Étienne Liotard (1702-1789) était un grand voyageur. Il avait gardé d’un séjour à Constantinople des habitudes vestimentaires orientales qu’il exhiba à travers toute l’Europe, car le pastel est une technique très portable, qui ne demande pas de temps de séchage (comme les crayons de couleur). Les plus privilégiés de l’époque, reines, papes, artistes, aristocrates, en furent ainsi portraiturés, à grands frais.

La National Gallery permet la consultation du Petit déjeuner de la famille Lavergne en haute définition (6000 x 4500 pixels) mais pas le téléchargement.
Remarquez les gestes concentrés sur le café au lait sur le point de déborder de la tasse de l’enfant, et la signature du peintre, qui dépasse du tiroir « Liotard, à Lyon [a Lion], 1754 ».
 
Enfin Rembrandt, encore.
Le Rijksmuseum d’Amsterdam, qui vient de clore en 2019 les festivités du 350ème anniversaire de la mort de Rembrandt n’a pas osé lancer en 2020 le 414ème de sa naissance, mais il a lancé dès 2019 la restauration de son plus grand tableau, la « Ronde de nuit », 16 mètres carrés.
Le musée en fait des kilos sur l’opération qui prendra plusieurs années et se déroulera en public, dans une grande vitrine, comme dans les rues chaudes de la ville. À l’entendre, il serait le tableau majeur du Rijksmuseum, sans lequel, s’il était décroché, les 2 millions de visiteurs annuels ne sortiraient même pas de chez eux.
Et de fournir des anecdotes croustillantes sur les attentats à l’acide et au couteau qu’il a dû subir, et d’en rajouter sur les mystères les plus profonds qui seront nécessairement dévoilés par ce récurage. 
Est-ce que l’œil du spectateur au béret, au fond du tableau, est un autoportrait de Rembrandt ?
 
Il faut bien excuser les millions d’euros de l’opération.
Il parait qu’une webcam doit témoigner en permanence de la restauration...

Dans cette parade de la compagnie de gardes civils du maire d'Amsterdam, Frans Banning Cocq, peint par Rembrandt en 1642, il n'y aurait, à part la jeune femme au poulet dont le rôle est incertain, que des membres de la garde civile et un seul spectateur, dont on n'entrevoit que le béret et un œil indiscret.

dimanche 15 mars 2020

Le jour où la Terre s’arrêta (flash-info)


Pas d’affolement, ça n’est qu’une image, la Terre tourne encore, mais une grande part des activités humaines a soudainement cessé, comme dans le film, louable mais tellement mal réalisé, de Robert Wise en 1951.
Depuis le 13 ou le 14 mars 2020, tous les musées du monde sont fermés (1), sans date de réouverture, à cause d’un petit animal mesquin mangeur de fourmis et en voie d’extinction que l'homme transforme en bottes, en escalopes et en produits cosmétiques (2).

Raphaël Sanzio, peintre officiel des papes de la Renaissance, qu’on disait au 19ème siècle le plus grand de tous les temps et qu’on juge aujourd’hui bien mièvre, a été le premier artiste à faire les frais de cette vengeance du pangolin.
L’énorme rétrospective que Rome consacrait au cinq-centenaire de sa mort a été interrompue, sans doute définitivement, après trois jours seulement (3).

C’est le moment d’aller se promener dans l’immense parc et les jardins du château de Versailles. Vraisemblablement désertés, ils restent ouverts pendant l’épidémie, contrairement au château, et sont peut-être même gratuits tous les jours (4). La période de protection hivernale des marbres n’est pas terminée et les statues voilées y promènent sans doute encore leur silhouette fantomatique.

Et n’en parlez pas à vos voisins, histoire de ne pas créer une affluence virale exponentielle qui deviendrait rapidement coupable.

Mise à jour le 17.03.2020 à 7h30 : Mais le bonheur est éphémère. L'ensemble du domaine de Versailles vient d'être fermé, et le site internet rouvert. À Londres la National Gallery reste ouverte mais les expositions prévues pour attirer beaucoup de public sont reportées.
Mise à jour le 18.03.2020 à 8h30 : À Londres la National Gallery vient de fermer, comme le British Museum et les autres musées et spectacles.

***
(1) Sauf les musées anglais. La National Gallery de Londres, le 15 mars à 15 heures, est encore ouverte et l'affirme fièrement. 
(2) Après la chauve-souris ou le serpent, c’est maintenant le pangolin qui serait peut-être le vecteur du virus SARS‑CoV‑2 responsable de l’épidémie Covid-19. 
(3) Raphaël était mort à 37 ans à Rome, d’un organisme microscopique déjà, probablement le paludisme. 
(4) À vérifier sur place. L’entrée n’est gratuite en principe que les lundis, mercredis et jeudis, et le site internet du château est actuellement dans les choux.