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vendredi 10 mars 2023

Mais où sont les 9 Vermeer manquants ?

37 moins 28 font 9 pour la plupart des calculatrices sur internet, même pour la fameuse "intelligence artificielle ChatGPT"(*) qui pourtant aligne les erreurs monumentales (nous y reviendrons un jour, en attendant regardez cette excellente étude par Defakator)
Or l’exposition à guichet fermé consacrée à Vermeer actuellement à Amsterdam déclare montrer 28 tableaux attribués à Vermeer, sur un total de 37 dit-on. 4 ou 5 d’entre eux, s’ils sont réellement de sa main, ont certainement été peints dans un état que la morale ou la clémence nous empêche de préciser ici, mais acceptons ce nombre magique de 37

Mais alors, où se trouvent les 9 absents ?

Eh bien la réponse est simple, trop simple peut-être ! Ils ne peuvent pas être aujourd’hui dans les salles si convoitées du Rijksmuseum d’Amsterdam parce qu’ils sont actuellement exposés ici-même, dans Ce Glob, en très haute qualité, dans des conditions d’exposition autrement plus agréables, et sans aucun risque d’infection pandémique, sous l’œil d'ailleurs bienveillant de l’Organisation Mondiale de la Santé. 
Et si cette offre exceptionnelle ne suffisait pas, les plus perspicaces auront constaté qu’un Vermeer volé il y a 33 ans dans le musée Isabella-Stewart-Gardner à Boston (avec 12 autres œuvres dont la seule marine de Rembrandt), et jamais retrouvé depuis, est également dans notre exposition. Reconnaissons qu’il n’est pas dans un état très présentable après 33 ans d’occultation dans de douteuses conditions.

Alors parlez-en autour de vous, levez haut votre pouce quand vous vous trouvez en groupe, dans la rue ou les transports en commun, abonnez-vous à Ce Glob en toute confiance, vous n’y trouverez que des exclusivités présentées dans le respect des idées les plus progressistes et des dernières rectifications de l’orthographe.

Liste des tableaux exposés ici et provenance de nos aimables prêteurs (les dimensions des images - autour de 5000 pixels - et leur poids variant de 6 à 12 mégaoctets, certains affichages peuvent être un peu lents) :

1 - Art de la peinture (Vienne Kunst Historisches museum) 10,8Mo
2 - Astrologue (ou Astronome, Louvre) 8,1Mo
3 - Femme assoupie (Metropolitan New York) 8Mo
4 - Leçon de musique (Windsor castle, collection royale) 11,8Mo
5 - Portrait de jeune femme (Metropolitan New York) 5,8Mo
6 - Femme au pichet d'eau ou aiguière (Metropolitan New York) 8,7Mo
7 - 2 hommes et une femme au verre de vin et au sourire niais (HAU museum, Brunswick) 6,6Mo
8 - Joueuse de guitare (Kenwood house, collection royale) 3Mo
9 - Le concert (Mafia bostonienne depuis le 18.03.1990) 1,5Mo






(*) Verbatim d'une conversation tendue avec le robot ChatGPT.
Âmes sensibles, surtout ne lisez pas, vous allez être confrontées à votre propre avenir !

Moi : combien font 37 moins 28 ? 
ChatGPT : 37 moins 28 équivaut à 9
Moi : Merci 
ChatGPT : De rien, n'hésitez pas si vous avez d'autres questions ! 
Moi : Alors je vais me permettre, combien font 28 plus 9 ? 
ChatGPT : 28 plus 9 équivaut à 37. 
Moi : Bravo !
ChatGPT : Merci beaucoup ! N'hésitez pas si vous avez d'autres questions.

lundi 20 février 2023

Comptes de faits (6)

"6000 personnes par jour qui se bousculent pour aller voir les Vermeer… À quoi ça ressemble ? Ce sont les mêmes qui vont au salon de l’auto."
Chaval, entretiens avec Pierre Ajame, automne 1966.

Johannes Vermeer, peintre connu et apprécié à Delft de son vivant, était oublié depuis deux siècles et confondu aux peintres plus ou moins anonymes du même genre et de la même région, quand un journaliste plus curieux que les autres le distingua de ses confrères et se mit à le rechercher sans répit dans les collections et les ventes, à convaincre lentement des personnes fortunées et en vue, bientôt suivies par des écrivains, puis par les journaux, et enfin, récemment, par le cinéma populaire. Tout cela prit un bon siècle, mais depuis, le moindre barbouillage supposé de la main de Vermeer est devenu un chef-d’œuvre (pour mémoire on ne reconnait pas un chef-d’œuvre par l'objet même, qui peut être indifférent, mais par un mouvement de foule autour de lui, une onde faite d’humains attirés individuellement vers l'objet parce qu'il le croient aimé par les autres)

Et Taco Dibbits le sait bien. Directeur du Rijksmuseum d'Amsterdam, organisateur depuis 20 ans des expositions les plus courues en Hollande, détenteur d’un record personnel de 4780 visiteurs par jour autour de Rembrandt, il claironnait depuis 2021 qu’il allait exposer en 2023 à Amsterdam quasiment tous les Vermeer connus, et que personne n’en reverrait jamais autant réunis au même endroit.

Taco Dibbits savait probablement qu’en automne 1966, à Paris, l’exposition "Dans la lumière de Vermeer" à l’Orangerie, avec ses 12 Vermeer, avait accueilli (contenu) 6000 visiteurs par jour. 
Taco Dibbits savait certainement que la rétrospective de 1996 au Mauritshuis de La Haye (à 57 kilomètres d’Amsterdam), avec 23 Vermeer, avait supporté 5000 visites par jour et avait été contrainte en catastrophe de se réorganiser avec une salle supplémentaire (25% en surface), dès la première semaine. 
Taco Dibbits savait sans doute qu’en février 2017, le jour de l’ouverture de l’exposition "Vermeer et les maitres de la peinture de genre" au Louvre, les 12 Vermeer exposés avaient attiré 9400 visiteurs dont une bonne partie, munie cependant de droits d’entrée (l’impayable billet unique), avait été refoulée, créant un capharnaüm dont le musée mit des semaines à se remettre et qui reste dans les mémoires comme un des sommets de la logistique muséologique. 

Taco Dibbits savait tout cela en organisant son exposition ultime. Alors il a tout fait pour la fluidité du flux. 
(Précisons que la description qui suit ne prétend pas traduire une exacte réalité qui aurait été constatée sur place, elle n'est faite que de la lecture de la presse en ligne).

Quand le Louvre en 2017 avait regroupé 60 tableaux hollandais autour des 12 Vermeer, le Rijksmuseum en 2023 avait seulement 28 Vermeer à répartir dans 9 grandes salles, par thème, certains tableaux, comme la Femme lisant une lettre ou la Femme versant du laitse retrouvant seuls. Les vastes pièces aux murs presque vides en ont pris un aspect de salle d’attente, comme aux guichets de la poste.
Les tableaux ont été éloignés au mieux les uns des autres, les cartels explicatifs éloignés des tableaux et les articles plus longs, analytiques et biographiques, traditionnellement affichés à l’entrée de l'exposition, ont été déplacés près de la sortie. 
Pour éviter qu’on ne s’en approche trop, chaque tableau a été protégé par un arceau de sécurité autorisant "8 à 10 spectateurs simultanés" déclare Taco Dibbits, estimation optimiste, les hollandais ne souffrent peut-être pas du même embonpoint que les visiteurs du Nouveau Monde. 

Enfin la durée de l’exposition a été optimisée : 114 jours en continu, sans fermeture, 8 heures par jour du dimanche au mercredi, et 13 heures sans interruption du jeudi au samedi (avec nocturne donc). 


D’après le site de "Connaissance des Arts" Taco Dibbits pensait alors accorder un total de 350 000 entrées, en moyenne 3000 par jour. En réalité il en a distribué 450 000, soit 4000 par jour, avant de décider la fermeture définitive des guichets, et dès l’inauguration de l'exposition le site de vente de billets affichait complet, mais promettait de faire tous ses efforts pour chercher à offrir plus d’entrées.

Car le musée peut encore, en effet, ajouter 4 nocturnes hebdomadaires (Il est peut-être plus facile de négocier des heures supplémentaires avec le personnel du musée que des jours de rallonge avec les assurances et les musées prêteurs). Il passerait alors de 71 à 91 heures d'ouverture par semaine, une augmentation de 28% qui se répercuterait directement sur le nombre de visiteurs, de sorte que si Taco Dibbits réagit à temps, il pourra pulvériser son propre record d’entrées, dépasser le Graal des 5000 visites par jour, et dès lors prétendre - il est jeune encore - à la direction des musées les plus prestigieux.

Enfin, le nombre de visites n’est pas tout, et le pragmatique directeur s’est couvert, pour pondérer les effets néfastes d'éventuelles circonstances imprévues, en renforçant le prix du billet d’entrée, qui est de 30 euros ! Toutefois, ça ne met le Vermeer qu'à 1,07€, ce qui est en fin de compte assez peu. Pour mémoire les 12 Vermeer du Louvre en 2017 étaient à 17€, soit 1,42€ pièce, et même à ce prix on n’était pas certain de les voir. 

***
Pendant ce temps très à l'ouest, dans les musées des arts de Nantes et de Rennes, les deux plus beaux tableaux du monde (bon d’accord, deux des trois plus beaux), faits de la main d’un peintre du même siècle et au même destin posthume que Vermeer, voient passer, les jours de semaine, quelques dizaines de touristes égarés, parfois moins.
On ne dira bien entendu pas son nom, afin d'éviter que la trentaine de fidèles de Ce Glob ne se trouve à l’origine d’un incontrôlable mouvement de foule.

mardi 20 septembre 2022

Améliorons les chefs-d'œuvre (24)

S’il a effacé l’étagère de cruches derrière la tête de la Femme versant du lait, le minutieux Vermeer a laissé dans le mur les traces de clous.

Le Rijksmuseum, premier musée d’art d’Amsterdam, ouvre dans 4 mois la plus grande exposition Vermeer jamais réalisée, qui réunira 27 des 34 tableaux généralement acceptés dans le catalogue du peintre. "Ce sera la première et la dernière fois que le public pourra voir 27* Vermeer réunis" avertit M. Dibbits, directeur du musée, qui a déjà ouvert la vente des billets, à 1,11€ euro par tableau, mais le tarif inclut, après l’exposition, la visite des collections permanentes.

La rétrospective de 1996 au Mauritshuis de La Haye en montrait 23, et l’exposition lamentablement organisée en 2017 par le Louvre, seulement 12.

C’est l’occasion pour le musée de remettre une nouvelle fois sur la table d’opération les tableaux qu’il détient, dont la fameuse Femme versant du lait (qu’on appelle parfois impertinemment Laitière, voire yaourtière dans l’industrie agroalimentaire). 

Pour tenter de comprendre le savoir-faire si particulier du peintre, les experts ne cessent de l’éplucher avec des outils toujours plus modernes et indiscrets, et d’inventer à chaque examen un nouveau mystère que personne ne cherchait et qui trouve ainsi au même instant sa propre révélation. Les mots mystère, secret, révélation et découverte sont les moteurs de toute promotion bien pensée. 

Sous l’influence d'une lubie de l’authenticité, et parce que ces spécialistes pensent connaitre les intentions d'un peintre mort et oublié depuis 350 ans, au lieu de se contenter de remplacer un vernis un peu sombre, ils se sont mis à transformer ses tableaux, ajouter des personnages, y refaire la décoration à leur propre gout, sous prétexte que d’autres avant eux l’auraient fait au mépris de ce qu’ils estiment aujourd’hui avoir été l’inspiration originale du peintre. 

Dans le cas de la Femme lisant une lettre du musée de Dresde, persuadés que le tableau peint au fond de la pièce avait été masqué après la mort du peintre (donc sans son consentement), les experts ont restauré le Cupidon grassouillet et allégorique caché dans le mur, éliminé ainsi tout doute sur le contenu de la lettre, et surchargé le fond du tableau (ce que Vermeer, il est vrai, faisait généralement).
Dans leur élan, les experts de Dresde ont même proposé à ceux de Berlin, qui hébergent un des rares murs restés libres dans les tableaux de Vermeer, de les aider à faire réapparaitre la carte géographique dont on sait, par la radiographie, qu’elle ornait ce mur dans l’idée originale de Vermeer. 
Prudemment, Berlin a répondu que la carte n’était certainement qu’une esquisse effacée par le peintre (de son vivant, donc). 

Or cette année, en prévision de la grande rétrospective en 2023, et au moyen de la réflectance infrarouge à courte longueur d’onde (c’est nouveau, c’est militaire dit l’AFP), l’expertise vient de révéler très clairement les repentirs que recouvre le mur blanc derrière la dame versant du lait et au sol au fond de la pièce, et qui en deviennent ainsi terriblement énigmatiques. En réalité on en connaissait l’existence, on les distingue à l’œil nu (au séchage les repentirs ressortent toujours).
Mais cette technique sophistiquée a dévoilé avec précision que le peintre avait prévu, derrière la petite chaufferette pour pieds, un grande panière de séchage du linge, et sur le mur derrière la tête de la dame, une longue étagère et des cruches suspendues.
Et le procédé technique est si puissant que M. le directeur du musée, lyrique, a distinctement entendu les paroles du peintre devant son tableau : "Après réflexion, Vermeer s'est dit - cela fait une composition trop chargée, je vais la repeindre" a-t-il déclaré. 

On remarquera donc qu’en 2022, à Amsterdam, les motivations stylistiques attribuées au peintre sont à l'exact opposé de ses intentions profondes imaginées à Dresde en 2019. Aujourd’hui, le peintre chercherait à éviter l’atmosphère intimiste et confinée, surchargée d’objets, et aspirerait à la monumentalité, à l’épure.

On ne se plaindra pas de cette interprétation. Il ne reste que 2 ou 3 intérieurs de Vermeer dont le mur du fond encore vide renforce (pour un œil moderne) la présence palpable du personnage dans la pièce, l’isole dans l’espace sans le noyer au milieu d’un assemblage d’ornements et de bibelots.


Le type d’étagère que Vermeer prévoyait derrière la dame versant du lait (modèle réduit du Rijksmuseum).

mardi 25 août 2020

En vrac, mais en haute définition


Mad meg détaille son immense dessin Feast of fools.

D’abord, mad meg.
Il y a toujours un intérêt à retourner sur le site fabuleux de mad meg. Parce qu’elle l’enrichit de ses grouillants dessins à la plume, notamment ses Patriarches, et parce qu’elle a mis en ligne une vidéo de 50 minutes où elle présente à sa manière affranchie, drôle et instructive, son immense dessin « Feast of fools », version inouïe et entomologique de la Cène de Léonard de Vinci (l'image de la vidéo est insuffisante, aussi est-il conseillé d'ouvrir simultanément une autre fenêtre du navigateur avec le dessin, pour y suivre ses commentaires).
 
Puis Van Eyck.
Après 6 siècles, son polyptyque de l’Agneau mystique n’est toujours pas sec et sent le vernis frais. Depuis 2012, il est entre les mains des restauratrices du musée de Gand, pour 5 ans, disait-on. Elles ont un peu débordé, mais ne les harcelons pas, c’est une œuvre gigantesque de près de 25 mètres carrés de surface peinte (loi Carrez).
Le site surnaturel CloserToVanEyck a changé d’adresse. Il montre désormais l’avancement des travaux, et ainsi, à peine sec, le panneau central, avec, entre autres, la reconstruction du paysage urbain, à l’horizon sous la colombe (illustration ci-dessous), et l’agneau qui a retrouvé son regard humain et perdu 2 de ses 4 oreilles.
Remarquons, sur le même panneau, que les petits prophètes de l’Ancien testament agenouillés à gauche, qu’on pensait, à leur mine attentive, captivés par la cérémonie, sont en fait de sacrés simulateurs. Pas un n’a sa bible ouverte à la même page.

Les mauvais esprits adeptes de la règle de trois auront noté qu’après 8 ans il reste à nettoyer 7 panneaux sur 24, et escompteront donc un retable remis à neuf vers la fin de 2023.
Gardons-nous de tout optimisme et pronostiquons plutôt 2025, car les derniers panneaux sont sans doute les plus périlleux, Ève, Marie, Adam, les magnifiques musiciens, et puis le Patron. Rappelons que le Louvre n’a jamais osé nettoyer son Van Eyck majeur, la Vierge et Rolin, qui ne couvre qu’à peine un demi-mètre carré (et c’est pourquoi il semble aujourd’hui sorti tout droit d’une vespasienne).

Détail du panneau central du retable de l'Agneau mystique de Van Eyck. 
À gauche, avant le retrait de la crasse et des repeints accumulés depuis des siècles. À droite, après débarbouillage.

Et, si vous n’aviez jamais vu un pastel virtuose de très près (leur fragilité fait qu’on les expose peu), la National Gallery de Londres vient d’hériter un « Petit déjeuner » de l’excentrique Liotard, suite à la mort d’un banquier collectionneur dont les héritiers n’avaient pas en poche les 8,7 millions de livres sterling des droits de succession. 
Jean-Étienne Liotard (1702-1789) était un grand voyageur. Il avait gardé d’un séjour à Constantinople des habitudes vestimentaires orientales qu’il exhiba à travers toute l’Europe, car le pastel est une technique très portable, qui ne demande pas de temps de séchage (comme les crayons de couleur). Les plus privilégiés de l’époque, reines, papes, artistes, aristocrates, en furent ainsi portraiturés, à grands frais.

La National Gallery permet la consultation du Petit déjeuner de la famille Lavergne en haute définition (6000 x 4500 pixels) mais pas le téléchargement.
Remarquez les gestes concentrés sur le café au lait sur le point de déborder de la tasse de l’enfant, et la signature du peintre, qui dépasse du tiroir « Liotard, à Lyon [a Lion], 1754 ».
 
Enfin Rembrandt, encore.
Le Rijksmuseum d’Amsterdam, qui vient de clore en 2019 les festivités du 350ème anniversaire de la mort de Rembrandt n’a pas osé lancer en 2020 le 414ème de sa naissance, mais il a lancé dès 2019 la restauration de son plus grand tableau, la « Ronde de nuit », 16 mètres carrés.
Le musée en fait des kilos sur l’opération qui prendra plusieurs années et se déroulera en public, dans une grande vitrine, comme dans les rues chaudes de la ville. À l’entendre, il serait le tableau majeur du Rijksmuseum, sans lequel, s’il était décroché, les 2 millions de visiteurs annuels ne sortiraient même pas de chez eux.
Et de fournir des anecdotes croustillantes sur les attentats à l’acide et au couteau qu’il a dû subir, et d’en rajouter sur les mystères les plus profonds qui seront nécessairement dévoilés par ce récurage. 
Est-ce que l’œil du spectateur au béret, au fond du tableau, est un autoportrait de Rembrandt ?
 
Il faut bien excuser les millions d’euros de l’opération.
Il parait qu’une webcam doit témoigner en permanence de la restauration...

Dans cette parade de la compagnie de gardes civils du maire d'Amsterdam, Frans Banning Cocq, peint par Rembrandt en 1642, il n'y aurait, à part la jeune femme au poulet dont le rôle est incertain, que des membres de la garde civile et un seul spectateur, dont on n'entrevoit que le béret et un œil indiscret.

lundi 4 mai 2020

N'allez pas à Chancelade (1 de 2)

Ce titre, un peu catégorique, ne s’adresse qu’aux amateurs de peinture. Les amateurs de tout le reste trouveront toujours de bonnes raisons d’aller à Chancelade.


Gerritt van Honthorst, Couronnement d'épines (atelier ? - copie - copie de la copie)

Lorsqu’il redécouvre un peintre oublié, le monde de l’Art, ébloui par la nouveauté et sans repères, a tendance à devenir aveugle et lui attribue n’importe quelle croute qui évoque vaguement son style. Ainsi, dans les années 1930 à 1960, toute scène nocturne de personnages éclairés à la bougie était forcément de Georges de La Tour.

Or dans l’église paroissiale d’un modeste village de Dordogne, Chancelade, trônait, très abimé et peint à la manière du Caravage, un grand Christ de douleur sous un éclairage dramatique, appelé couramment Christ aux outrages, certainement émouvant pour qui croit à ces choses, mais d’une facture assez médiocre.

Un inspecteur zélé l’attribuait à La Tour en 1942, le faisait classer monument historique, et l’emportait à Paris en 1943, « jetant ainsi sur la commune qui en est propriétaire toute la gloire du maitre lorrain », dit un fascicule érudit que lui consacrera la mairie de Chancelade en 1997 (1).
Et alors qu’il aurait pu se dégrader tranquillement sous l’effet de l’humidité naturelle du lieu, le pauvre christ subira jusqu’aujourd’hui mésaventures et déboires qui suffiraient à justifier son surnom de Christ aux outrages.

Un tableau qui un jour a été attribué à un grand nom par quelque expert respecté en portera toujours les stigmates. Dans les rares guides qui en parlent, la qualité qui distingue le christ de Chancelade est d’avoir été « longtemps attribué à Georges de La Tour ».
En réalité, pas très longtemps. À peine une décennie entre sa « découverte » et les premiers doutes sérieux des spécialistes, quand le Rijksmuseum d’Amsterdam acheta à Rome en 1948 une copie très proche, aussi médiocre mais aux formes plus douces, qu’il étiqueta « copie d’après Honthorst » (2). Le tableau dordognais ne pouvait alors plus être attribué à La Tour, il devenait l’original par Honthorst de la copie d’Amsterdam. Cette nouvelle attribution, moins flatteuse, n’avait rien de déshonorant.

Au Louvre donc depuis 1943, le tableau, restauré en 1946, restera jusqu’en 1956. Il y était entré Georges de La Tour, il en sortait Gerritt van Honthorst.
Succèderont 10 années de valse-hésitation, où le christ se promènera du musée ou de la cathédrale de Périgueux, à la mairie de Chancelade, en passant plusieurs fois par les murs de l’église d'origine dont les travaux d’assainissement étaient régulièrement reportés. Il se couvrit alors d’un voile gris, de champignons et d’autres choses inavouables et grouillantes que le Louvre éradiquera en 1966.

Revenu à Chancelade en 1967, il sera de nouveau trimbalé entre la sacristie, le presbytère et quelques interventions d’urgence, jusqu’en 1975, quand, devant l’impossibilité chronique de le conserver décemment, on le perdra dans les réserves de l’atelier de restauration des Monuments historiques à Champs-sur-Marne. Pendant 20 ans.

Régulièrement réclamé cependant, il sera enfin de retour à Chancelade en 1996, et la mairie tentera de le promouvoir en éditant sa monographie (1). Suivront une vingtaine d’années discrètes sans évènement documenté.
C’est durant cette période, pour le protéger d’une humidité décidément obstinée, et de la cambriole, qu’on le mettra sous verre et l’équipera d’un système d’alarme électronique. Était-ce nécessaire ?
Car s’il était alors décrit comme « attribué à Honthorst après l’avoir longuement été à La Tour », et si la renommée de Honthorst avait crû depuis 50 ans, un nouvel outrage l’avait entretemps atteint qui rendait cette attribution au Hollandais très discutable. 

En effet, en 1990, un grand tableau nocturne à 5 personnages, figurant le Christ couronné d’épines par des moqueurs, avait quitté une collection privée allemande pour rejoindre le musée Paul Getty de Los Angeles.
Et malgré des faiblesses dans le dessin, notamment des plis des tissus, et une rusticité de la touche qui faisait penser à un travail de l’atelier, on y voyait une composition à la manière de Honthorst, à qui il était attribué. Or le Christ, au centre de l’image, était exactement identique à ceux de Chancelade et d’Amsterdam, de même dimension (environ 130 centimètres en hauteur), avec les mêmes défauts aux mêmes endroits, si bien qu’il était devenu aisé de reconstituer une chronologie vraisemblable des trois copies :
À Rome vers 1615, Gerritt van Honthorst commençait un grand « Couronnement d’épines ». Appelé à Venise ou Florence, il en abandonnait l’exécution à l’atelier (version de Los Angeles, à gauche). Le succès de la composition engendrait une commande de copie du Christ, exécutée par l’atelier en présence de l’original (version de Chancelade, au centre). Tous les personnages sauf le Christ étant éliminés, le copiste avait remplacé la source de lumière par une bougie illogique, au fond.
Des années plus tard, toujours à Rome, on commandait une copie de la copie à un peintre qui en adoucissait les formes (la mode du réalisme cru était passée). Conscient de l’incohérence de la bougie, il la rapprochait du Christ, sans oser la supprimer (version d’Amsterdam, à droite). (3)

« Tout cela est bien palpitant » - direz-vous, non sans un soupçon d’ironie - « Alors pourquoi me déconseiller d’aller juger moi-même ce christ à Chancelade, quand la fin de la pandémie autorisera les voyages d’agrément ? »

C’est que l’histoire n’est pas finie...

***
(1) Bernard Reviriego, Le Christ aux outrages de Chancelade, 56p., 11 reprod. dont 3 coul. ed. Mairie de Chancelade 11.04.1997. C’est de ce fascicule que nous avons extrait les étapes de l’infortune du tableau.
(2) Gerritt van Honthorst était de quelques excellents peintres qui arrivèrent à Rome peu après la mort de Caravage, qui furent bouleversés par sa peinture et en diffusèrent le réalisme aux lumières brutales dans toute l’Europe du 17ème siècle, marquant définitivement Georges de La Tour, notamment.
(3) Cette reconstitution pourrait être améliorée (ou totalement remise en cause) si étaient faites un jour l’étude rapprochée des 3 tableaux et la datation des supports et des pigments.
 

dimanche 9 juin 2013

Vive Taco Dibbits !


Taco Dibbits est directeur des collections du Rijksmuseum, le musée des arts hollandais à Amsterdam. Bien qu'il ne représente qu'un microcosme restreint à l'art hollandais (à part une collection d'art oriental), et qu'il n'ait pas l'envergure internationale des plus grands temples de l'art, tout le monde pense qu'il est un des plus beaux musées du monde.

Car, comme la National Gallery de Londres ou le Prado de Madrid plus récemment, le Rijksmuseum présente depuis quelques années sur son site Internet une grande partie de ses collections dans de magnifiques reproductions en haute définition et accessibles à tous sans restriction.
Pire encore, dans une entrevue récente citée par le New York Times, Taco Dibbits persiste dans ses idéaux libertaires et encourage le téléchargement et la réutilisation à outrance dans les réseaux sociaux des splendides reproductions qu'il met à disposition gratuitement.

Ses arguments sont des plus simples. Le musée est une institution publique, ce qu'il expose appartient à tous. Et comme il est impossible de contrôler l'utilisation des reproductions qui circulent sur Internet, autant qu'elles soient de la plus haute qualité possible plutôt que les mesquines copies pisseuses qu'on y voit habituellement.
« Même sur du papier-toilette, je préfère voir une reproduction d'un Vermeer du musée en très haute qualité » déclare-t-il.

Il a raison. La renommée d'un musée ne se fait certainement pas en y interdisant toute photographie et en présentant sur son site des reproductions anémiées et affublées de droits d'auteurs illégalement accaparés. Cette méthode, choisie par le musée d'Orsay, avec la bénédiction d'un ministre qu'on dit de la culture, condamne irrémédiablement un musée. Qui peut avoir envie de faire un long voyage pour visiter un musée dont il ne connait que de tristes clichés ?

Le nouveau site du Rijksmuseum, pour marquer la réouverture du musée après dix ans de travaux, présente aujourd'hui des reproductions d'une qualité exceptionnelle et qu'on croirait repeintes pour l'occasion. Signalons aux collectionneurs de liens qu'il sera nécessaire de renouveler ceux qui pointaient auparavant vers les tableaux du musée, car ils conduisent désormais dans le vide.

Pour la plupart des touristes du monde qui n'ont pas les moyens de naviguer autrement que sur Internet et n'iront jamais à Amsterdam, le Rijksmuseum est l'un des plus beaux musées du monde, loin devant les médiocres musées français comme le Louvre et Orsay.
Et ce portrait de jeune fille en robe bleu (détail en illustration ci-dessus) peint par Johannes Cornelisz Verspronck en 1641 est certainement pour eux le plus beau tableau du monde.

Maudits soient les revendeurs de cartes postales.
Béni soit Taco Dibbits.


vendredi 7 novembre 2008

Mystère au Louvre...

Qu'est-il arrivé au musée du Louvre, au moins à son site Internet ?
Il nous avait habitués, en matière de reproductions d'images des collections publiques, à la petitesse et la mesquinerie. On croyait depuis longtemps que le musée n'exposait plus que des miniatures persanes peintes par Mantegna ou des timbres de collection gravés par Rubens tant les reproductions en sont microscopiques, les détails chichement éparpillés ou présentés sous une loupe qui masque plus qu'elle ne dévoile. Il suffisait de les comparer aux images opulentes, lumineuses et abondant de détails du site du Rijksmuseum d'Amsterdam, par exemple.

Mantegna, le Christ au jardin des oliviers (Londres national gallery) et Hergé, le sceptre d'Ottokar, page 52 (Copyright Andrea Mantegna & les héritiers d'RG)Et bien ça n'est plus vrai. Ils ont dû réaliser que montrer de belles images pourrait émerveiller le client au point de susciter son désir d'en voir plus, et consoler celui qui ne peut pas se rendre à Paris pour admirer les originaux. Ça n'est peut-être qu'un coup de folie passagère et on est encore loin des somptueuses libéralités du musée hollandais, mais on peut voir actuellement en grands formats d'excellente qualité une trentaine d'œuvres de la rétrospective Mantegna sur le «mini-site de l'exposition». Choisissez la version HTML (pas la version FLASH avec sa loupe étriquée) et vous enrichirez votre collection de luxueux fonds d'écran. Vous découvrirez également que, malgré les affirmations des encyclopédies de la bande dessinée, ce ne sont peut-être pas Hergé et Jacobs qui ont inventé ce style de dessin souple et linéaire appelé la «ligne claire».

Mantegna, la résurrection du Christ (Tours, musée des beaux-arts) et E.P. Jacobs, le secret de l'Espadon, page 23En haut, Mantegna, le Christ au jardin des oliviers (Londres national gallery) et Hergé, le sceptre d'Ottokar, page 52 (Copyright Andrea Mantegna & les héritiers d'RG). Ci-dessus, Mantegna, la résurrection du Christ (Tours, musée des beaux-arts) et E.P. Jacobs, le secret de l'Espadon, page 23. Remarquez les similitudes dans les décors, les couleurs, les personnages et la dramaturgie.