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lundi 19 juillet 2021

Discret changement de propriétaire

 
Le lorrain Georges de La Tour, qui a peint entre 1630 et 1650 une quinzaine des plus importants chefs-d’œuvre de l’histoire de la peinture occidentale (on ne reviendra pas sur ce fait), n’a pas atteint cette plénitude artistique dès son premier tableau. Dans la soixantaine qui lui sont attribués - dont la moitié connus par des copies - on constate une transition au milieu de sa carrière, qui le fait passer de portraits diurnes d’un naturalisme relativement cru, brossés d’un pinceau cursif et virtuose, à des portraits exclusivement nocturnes, dans un monde clos aux lignes sinueuses et aux formes épurées, éclairés seulement de l’intérieur.

L’unité, le trait commun aux deux périodes, c’est que La Tour n’aura peint que des êtres humains. En pied ou en buste, ils emplissent toute la surface du tableau, dans des lieux vides à la limite de l’abstraction, sans le moindre décor, et flanqués de rares objets, emblématiques ou indispensables à l’éclairage de la scène.

Si l’influence des peintres caravagesques d’Utrecht vers 1620-1630, notamment Van Honthorst, a été déterminante sur sa deuxième manière, nocturne, les spécialistes s’interrogent toujours sur l’origine de la touche si libre de sa première période, comme le sera celle de Frans Hals un peu plus tard.

AltSon effigie de l’apôtre André fait partie d’une série aujourd'hui éparpillée de 13 portraits du Christ et des apôtres, peut-être la première commande faite au jeune La Tour vers 1615-1620, devenue collection d’un abbé parisien et envoyée complète à un chanoine d’Albi en 1694.
Il n’en reste que 11, de dimensions et de format proches, d’un style assez inégal, 6 copies et 5 originaux, dont André. 
 
Ayant appartenu à une collection suisse depuis 1991 (histoire et caractéristiques sont longuement décrites sur la page de la vente), ce tableau austère et peu affriolant vient de changer de main sans faire beaucoup de bruit, aux enchères chez Christie’s à Londres le 8 juillet, contre l'équivalent de 6 millions de dollars, incluant les frais.

dimanche 10 mai 2020

N'allez pas à Chancelade (2 de 2)

Résumé de l’épisode précédent : intrigués par l’évocation d’un tableau autrefois attribué à Georges de La Tour, vous envisagiez d’aller le voir à Chancelade. Or cela vous était déconseillé ici-même. Mais vous n’avez pas vraiment confiance dans les jugements de l’auteur de ce blog. Et on ne pourra vous donner tort, vous découvrirez que l’arrogant n’a jamais vu le tableau autrement qu’en reproduction.

Reprenons donc la question laissée en suspens : pourquoi ne pas aller, quand la fin de la pandémie l’autorisera, visiter ce christ de Chancelade ?
Après tout, si le tableau a survécu en 80 ans à plus d’outrages que son sujet même n’en a subis, plusieurs fois rafistolé, trois fois restauré à fond, déchu par deux fois, du rang de chef d’œuvre à celui d’original puis de copie, pareille résilience vaut bien une visite.

Vous auriez sans doute trouvé l’occasion d’y passer, depuis son retour de captivité champenoise, voilà plus de vingt ans, mais les guides en parlaient si peu. Aujourd'hui encore le Guide vert de Michelin conseille du bout des lèvres la banale abbaye reconstituée de Chancelade, mais ignore le tableau qui s’y trouve, et quand on se renseignait il y a quelques années sur les conditions de visite, elles étaient tellement aléatoires qu’on était découragé d’entamer ce périple incertain pour un tableau probablement décevant.

Mais un jour peut-être, après des mois d’enfermement, avide d’inattendu, vous vous rappellerez la destinée fatale de ce christ aux outrages. Alors l’ennui vous poussera vers Chancelade.

Mieux vaudrait ne pas y succomber, car on ne peut que s’incliner devant les faits : le christ de Chancelade est l’objet d’une malédiction.





Cette fois, c’était en juin 2018. Dans la nuit du 10 au 11, des pluies diluviennes s’abattaient sur une partie de la France et envahissaient l’église de Chancelade, emportant tout, bancs, cierges, missels, noyant le monument historique classé sous un mètre trente d’une eau boueuse et sacrilège, comme à Florence en 1966.
On prétend que le tableau, derrière sa vitre, a peu souffert, mais que le système sophistiqué de protection électronique n’a pas supporté la submersion.

Un an et demi plus tard, sur les lieux, n’est toujours exposée qu’une sombre photographie réduite, nommée « copie de l’original » sur le mot d’excuse qui l’accompagne (notre illustration).
Où est le tableau aujourd’hui ? Peut-être au musée voisin de Périgueux, entre les mains d’une restauratrice attentionnée.

Depuis ce déluge, la plaie suivante, le virus, s’est abattue sur le monde. Personne ne peut prédire quand le christ reparaitra dans l’église de Chancelade. Mais il reviendra ; il renait toujours après chaque outrage.
Toutefois ne vous méprenez pas, il ne sera pas transfiguré en tableau de Georges de La Tour. Il n’y a pas de miracle.
 

lundi 4 mai 2020

N'allez pas à Chancelade (1 de 2)

Ce titre, un peu catégorique, ne s’adresse qu’aux amateurs de peinture. Les amateurs de tout le reste trouveront toujours de bonnes raisons d’aller à Chancelade.


Gerritt van Honthorst, Couronnement d'épines (atelier ? - copie - copie de la copie)

Lorsqu’il redécouvre un peintre oublié, le monde de l’Art, ébloui par la nouveauté et sans repères, a tendance à devenir aveugle et lui attribue n’importe quelle croute qui évoque vaguement son style. Ainsi, dans les années 1930 à 1960, toute scène nocturne de personnages éclairés à la bougie était forcément de Georges de La Tour.

Or dans l’église paroissiale d’un modeste village de Dordogne, Chancelade, trônait, très abimé et peint à la manière du Caravage, un grand Christ de douleur sous un éclairage dramatique, appelé couramment Christ aux outrages, certainement émouvant pour qui croit à ces choses, mais d’une facture assez médiocre.

Un inspecteur zélé l’attribuait à La Tour en 1942, le faisait classer monument historique, et l’emportait à Paris en 1943, « jetant ainsi sur la commune qui en est propriétaire toute la gloire du maitre lorrain », dit un fascicule érudit que lui consacrera la mairie de Chancelade en 1997 (1).
Et alors qu’il aurait pu se dégrader tranquillement sous l’effet de l’humidité naturelle du lieu, le pauvre christ subira jusqu’aujourd’hui mésaventures et déboires qui suffiraient à justifier son surnom de Christ aux outrages.

Un tableau qui un jour a été attribué à un grand nom par quelque expert respecté en portera toujours les stigmates. Dans les rares guides qui en parlent, la qualité qui distingue le christ de Chancelade est d’avoir été « longtemps attribué à Georges de La Tour ».
En réalité, pas très longtemps. À peine une décennie entre sa « découverte » et les premiers doutes sérieux des spécialistes, quand le Rijksmuseum d’Amsterdam acheta à Rome en 1948 une copie très proche, aussi médiocre mais aux formes plus douces, qu’il étiqueta « copie d’après Honthorst » (2). Le tableau dordognais ne pouvait alors plus être attribué à La Tour, il devenait l’original par Honthorst de la copie d’Amsterdam. Cette nouvelle attribution, moins flatteuse, n’avait rien de déshonorant.

Au Louvre donc depuis 1943, le tableau, restauré en 1946, restera jusqu’en 1956. Il y était entré Georges de La Tour, il en sortait Gerritt van Honthorst.
Succèderont 10 années de valse-hésitation, où le christ se promènera du musée ou de la cathédrale de Périgueux, à la mairie de Chancelade, en passant plusieurs fois par les murs de l’église d'origine dont les travaux d’assainissement étaient régulièrement reportés. Il se couvrit alors d’un voile gris, de champignons et d’autres choses inavouables et grouillantes que le Louvre éradiquera en 1966.

Revenu à Chancelade en 1967, il sera de nouveau trimbalé entre la sacristie, le presbytère et quelques interventions d’urgence, jusqu’en 1975, quand, devant l’impossibilité chronique de le conserver décemment, on le perdra dans les réserves de l’atelier de restauration des Monuments historiques à Champs-sur-Marne. Pendant 20 ans.

Régulièrement réclamé cependant, il sera enfin de retour à Chancelade en 1996, et la mairie tentera de le promouvoir en éditant sa monographie (1). Suivront une vingtaine d’années discrètes sans évènement documenté.
C’est durant cette période, pour le protéger d’une humidité décidément obstinée, et de la cambriole, qu’on le mettra sous verre et l’équipera d’un système d’alarme électronique. Était-ce nécessaire ?
Car s’il était alors décrit comme « attribué à Honthorst après l’avoir longuement été à La Tour », et si la renommée de Honthorst avait crû depuis 50 ans, un nouvel outrage l’avait entretemps atteint qui rendait cette attribution au Hollandais très discutable. 

En effet, en 1990, un grand tableau nocturne à 5 personnages, figurant le Christ couronné d’épines par des moqueurs, avait quitté une collection privée allemande pour rejoindre le musée Paul Getty de Los Angeles.
Et malgré des faiblesses dans le dessin, notamment des plis des tissus, et une rusticité de la touche qui faisait penser à un travail de l’atelier, on y voyait une composition à la manière de Honthorst, à qui il était attribué. Or le Christ, au centre de l’image, était exactement identique à ceux de Chancelade et d’Amsterdam, de même dimension (environ 130 centimètres en hauteur), avec les mêmes défauts aux mêmes endroits, si bien qu’il était devenu aisé de reconstituer une chronologie vraisemblable des trois copies :
À Rome vers 1615, Gerritt van Honthorst commençait un grand « Couronnement d’épines ». Appelé à Venise ou Florence, il en abandonnait l’exécution à l’atelier (version de Los Angeles, à gauche). Le succès de la composition engendrait une commande de copie du Christ, exécutée par l’atelier en présence de l’original (version de Chancelade, au centre). Tous les personnages sauf le Christ étant éliminés, le copiste avait remplacé la source de lumière par une bougie illogique, au fond.
Des années plus tard, toujours à Rome, on commandait une copie de la copie à un peintre qui en adoucissait les formes (la mode du réalisme cru était passée). Conscient de l’incohérence de la bougie, il la rapprochait du Christ, sans oser la supprimer (version d’Amsterdam, à droite). (3)

« Tout cela est bien palpitant » - direz-vous, non sans un soupçon d’ironie - « Alors pourquoi me déconseiller d’aller juger moi-même ce christ à Chancelade, quand la fin de la pandémie autorisera les voyages d’agrément ? »

C’est que l’histoire n’est pas finie...

***
(1) Bernard Reviriego, Le Christ aux outrages de Chancelade, 56p., 11 reprod. dont 3 coul. ed. Mairie de Chancelade 11.04.1997. C’est de ce fascicule que nous avons extrait les étapes de l’infortune du tableau.
(2) Gerritt van Honthorst était de quelques excellents peintres qui arrivèrent à Rome peu après la mort de Caravage, qui furent bouleversés par sa peinture et en diffusèrent le réalisme aux lumières brutales dans toute l’Europe du 17ème siècle, marquant définitivement Georges de La Tour, notamment.
(3) Cette reconstitution pourrait être améliorée (ou totalement remise en cause) si étaient faites un jour l’étude rapprochée des 3 tableaux et la datation des supports et des pigments.
 

mercredi 4 septembre 2019

Longue occultation au Lacma



Le LACMA (Los Angeles County Museum of Art) est un des plus beaux musées d’art au monde. C’est ce que disent les Américains, les Californiens surtout. Et c’est certainement vrai quand on constate, sur le site du musée, les collections qu’il possède, arts asiatique, africain, égyptien, européen, américain, contemporain.

Mais depuis plus d’un an, sur 105 500 œuvres cataloguées, moins de 200 sont exposées (le nombre varie en permanence). Quelques Rodin, deux ou trois Picasso et 20 tasses avec leur soucoupe. Les voyagistes restent discrets sur le sujet.
Les voyageurs se montrent contrariés, voire amers. Car les grands peintres américains et européens d’avant le 20ème siècle, qui font une part notable de la renommée du musée, au moins en Europe, sont invisibles.
Et ils le resteront certainement longtemps, plus de 4 ou 5 ans, si tout va bien et si le musée parvient à financer en totalité son vaste projet de refonte architecturale, ce qui n’est pas certain. Les futures surfaces d’exposition ont déjà été révisées à la baisse après la crise financière de 2008.

Par chance, le LACMA est un musée américain moderne, et comme son proche voisin le musée Getty, il présente l’intégralité de sa collection sur un site internet où chaque œuvre peut être consultée et téléchargée, souvent en haute qualité (1). Naturellement, aucune image des œuvres qui ont moins de 100 ans ne peut être vue en grand format, ni téléchargée. C’est l’Amérique.

Voici, pour mettre en appétit, dans le désordre alphabétique et chronologique, un petit florilège des merveilles des siècles passés qui ne sont plus visibles que dans le nuage électronique.

Pour la peinture américaine (dont un seul tableau est exposé sur 372), le portrait de sa femme par JW. Alexander, Rhode Island shore par MJ. Heade, Boston Harbor de FH. Lane, Alas poor Yorick de WM. Harnett, Cliff dwellers par George Bellows.

Pour la peinture européenne (dont aucun tableau n’est exposé sur 418), escalier et fontaines dans un parc d’Hubert Robert (2), le lac de Genève par Turner, la Madeleine à la flamme fumante de Georges de la Tour, un champ de céréales de Ruisdael, la pourvoïeuse, un trompe-l’œil de Moulinneuf, une vierge priant de l’atelier de Massys, trois musiciennes par le Maitre des demi-figures, un intérieur d'église de nuit par De Lorme et De Jongh, un Christ moqué de Van Honthorst, la plage de Scheveningen par Adriaen van de Velde, sainte Cécile de Saraceni, la résurrection de Lazare de Rembrandt, le souffleur de bulles de savon de Chardin, de Rorbye (Rørbye) l’entrée d’une auberge et une admirable nature morte de Willem Kalf.

***
(1) Pour télécharger les images, cliquez sur « Download image », puis choisissez la qualité JPEG ou TIFF. Attention, les fichiers TIFF pèsent de 15 à 300 mégaoctets pour certains !
(2) Les illustrations de cette chronique sont des détails de certains tableaux cités dans ce florilège européen, dans l’ordre Kalf (en haut), puis ci-dessous Adriaen Van de velde, Jacob Ruisdael, Hubert Robert, Rorbye, De Lorme & de Jongh, le maitre des demi-figures, Georges de la Tour et Rembrandt.

                      

mercredi 20 novembre 2013

Parabole ligure

L'amateur de vieilles croutes qui déambule dans les musées de Gênes, déserts, ou de Florence, surpeuplés, sera probablement attiré par quelques peintures nocturnes et religieuses de la main d'un certain Luca Cambiaso.
Des formes épurées, des volumes simplifiés parfois jusqu'à la raideur géométrique, presque cubiste, et une lumière brutale qui découpe l'ombre comme au couteau.

Ce Cambiaso aura bien retenu les leçons de Caravage et de ses suiveurs, Honthorst d'Utrecht, La Tour de Lunéville, Trophime Bigot d'Arles. Il a d'ailleurs comme ce dernier le trait un peu fruste, la manière un peu naïve.

À gauche, Luca Cambiaso, le Christ devant Caïphe, musée de l'académie ligure des beaux-arts, Gênes piazza De Ferrari. 
En haut, Vierge à l'enfant, musée de l'académie ligure des beaux-arts (une version proche se trouve au musée des Offices de Florence).
En bas, Vierge à la chandelle, Musei di Strada Nuova, Palazzo Bianco, Gênes.


Et l'amateur de vieux tableaux se penche alors vers le cartel et y lit :
« Cambiaso Luca, né à Moneglia (près de Gênes) en 1527, mort à San Lorenzo de El Escorial en 1585 ».

Ainsi, quand Cambiaso peignait ces scènes éclairées à la bougie, dans les années 1570, Honthorst, La Tour ou Bigot n'étaient pas nés, et Michelangelo Merisi, qu'on nommera plus tard Le Caravage, courait encore après les lézards, en culottes courtes, dans la campagne Milanaise, au nord de Gênes.

 















La ville de Gênes a érigé en 1935, dans l'entrée de l'académie ligure, un hommage au grand artiste. Équipé de culottes bouffantes et d'un gros pinceau de peintre en bâtiments, Cambiaso scrute le ciel et semble s'inquiéter de l'immensité de la tâche et de la quantité requise de peinture bleue.