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dimanche 7 septembre 2025

Sargent, l’exposition furtive de l’année

Sargent J.S., portrait des 4 filles Boit, Paris 1882. Malheureusement la meilleure reproduction trouvée sur internet, de faible résolution et sans doute remaniée d’après celle encore plus réduite du musée de Boston.


Préambule
Sargent était un peintre pour peintres, de ces peintres admirés et enviés des autres peintres, virtuose comme le furent Hals, Sorolla, Velázquez, Zorn, parce qu’il savait rendre d’un seul geste impulsif, d’un trait définitif du pinceau sur la toile, un effet qu’eux-mêmes, les autres peintres, ne réussissent qu’au prix de dizaines de touches réfléchies et précautionneuses.

***

Une chronique sur l’exposition Georges de La Tour à Paris cet automne se plaignait naguère du peu d’informations données au public sur le contenu précis de ce qu’on l’exhortait à visiter. Par espièglerie nous avions glissé un lien vers le traitement inverse du public, la mise en libre disposition sur internet du contenu détaillé intégral d’une exposition sur Sargent, alors en cours au Metropolitan museum de New York, et qui présentait plus précisément la période parisienne du peintre (sa période de formation - et de quelques chefs-d’œuvre mondains), de 1874 à 1884.

Et comme par hasard, cette exposition débarque à Paris, clefs en main, au musée d’Orsay à partir du 23 septembre 2025 pour 3 mois et demi (9h30-18h, fermé le lundi).   
Et quand on écrit clefs en main, à l’exception du modeste titre "Sargent and Paris" de New York qui devient "John Singer Sargent, Éblouir Paris" en traversant l’Atlantique, Orsay, d’après les descriptions plus que succinctes qu’il en fait, semble n’avoir rien changé à l’exposition originale, ni rien apporté non plus, sinon le prêt d’un tableau.

D’ailleurs Orsay, à deux semaines seulement de l’exposition, s’embarrasse encore moins à nous montrer ce que nous pourrions voir en la visitant que ne l’a fait le musée Jacquemart pour La Tour : dans le chapitre Œuvres de l’exposition dont le pluriel devient inutile, il n’y a qu’une petite reproduction.

Quant au texte de présentation, qui réserve, comme l’exposition, une place de choix au sublime portrait de Madame X, parce qu’il fit à paris en 1884 un microscopique scandale mondain (une bretelle de la robe, rectifiée depuis, était tombée), ce texte pourtant court met en valeur une grossière erreur factuelle, mais "fondée sur un travail de recherche poussé" précise le musée. 
Il affirme que le tableau n’a jamais été exposé à Paris depuis …1884 ! Avec les points de suspension et d’exclamation, car c’est l’évènement de l’exposition. Affirmée par l’expertise d’Orsay, la chose est reprise par les médias, comme la revue Arts in the City (n°94 p.22) qui en fait tonner tambours et sonner buccins : "Et en point d'orgue ? Le retour à Paris de Madame X, prêtée par le Met pour la première fois depuis le jour du scandale. Un face-à-face historique, glaçant et somptueux."

Mensonge délibéré ou banale incompétence ? C’est effarant comme le monde des expositions réécrit systématiquement l’histoire. En vérité ce portrait a été exposé durant plusieurs mois au Grand palais de Paris au printemps 1984, avec deux autres Sargent (voir le catalogue de l’exposition d’alors, "Un nouveau monde" pp.153 & 317, disponible sur eBay).

Ainsi, comme il est hasardeux de se fier au laisser-aller du musée d’Orsay, retournons vers les informations généreuses et abondantes du créateur de l’exposition, le Metropolitan museum (Orsay n’en souffle pas un mot) :

Une vidéo de 22 minutes faite par le Metropolitan (en anglais), superbe par ses beaux détails des principales œuvres, pas pour les commentaires anglais si insignifiants qu'ils pourraient accompagner un documentaire sur un autre peintre, ni pour leur traduction française inexpressive (vidéo néanmoins à déconseiller à qui souhaiterait aller les voir sur place et préserver la fraicheur des découvertes esthétiques, si l’affluence le permet). 

Le texte intégral des commentaires qui accompagnent chaque œuvre (PDF anglais), avec les liens vers la version audio anglaise et sa transcription (aisément traduisible en automatique), le tout illustré !

Enfin l'intégrale de l'exposition en images, avec les liens vers les commentaires de chaque œuvre.

Limitations : Toutes les images de l’exposition n’existent que dans un format très modeste que vous ne pourrez ni agrandir ni télécharger. Sargent est mort il y a exactement 100 ans, et il est partout dans le domaine public, donc reproductible librement sans limitation, même pour le musée américain, qui le reconnait officiellement.
Mais, s’agissant d’un des artistes les plus prisés aux USA, le musée, qui en possède beaucoup, s'est autoproclamé référence sur Sargent, et en profite pour se réserver une exclusivité institutionnelle et commerciale en bridant les reproductions libres de droits, au mépris de ses engagements pour le domaine public. Et il y a fort à parier que le musée d’Orsay, qui a derrière lui un historique de violation du domaine public (rappelez-vous sa tentative pour vendre plus de cartes postales, lire ici et ), en profitera pour prétexter des exigences américaines et interdire la photographie au sein de l’exposition.

Contournements : Les reproductions des chefs-d’œuvre de l’exposition sont souvent disponibles ailleurs en bonne qualité, parfois en très haute résolution, sur les sites des musées prêteurs autres que le Metropolitan. Mais la collecte en est laborieuse, aussi nous vous proposons ci-après quelques belles reproductions des œuvres majeures de l’exposition, au moins celles qui devraient vous encourager à aller les voir sur place. 
N’oubliez pas, comme le sous-entendent les sornettes d’Orsay, que vous ne les reverrez plus avant 2084, quasiment la fin du monde.  

• Fumée d'ambre gris 1880 163cm (Clark Art museum Williamstown)
• Dr Pozzi 1881 202cm (Hammer museum Los Angeles)
• Portraits de M.E.P. et Mlle L.P. 1881 175cm (Des Moines Art Center)
• Louise Lefèvre 1882 130cm (Art Institute Chicago)
• Intérieur vénitien 1882 87cm (Carnegie museum of Art Pittsburg)
• Fin de repas 1884 67cm (San Francisco Fine Arts)
• Anniversaire 1885 74cm (Minneapolis Institute of art)
• Les filles Boit à Paris 1882 222cm (Boston museum of fine arts)
Tableau exceptionnel, très librement inspiré par les Ménines de Velázquez, considéré par beaucoup comme un chef-d’œuvre "définitif", objet de nombreuses vidéos, d’articles détaillés passionnants, des livres lui sont consacrés et pourtant le musée de Boston le reproduit très modestement et aucune très bonne reproduction ne semble exister.  
• Madame X 1884 209cm (Metropolitan museum New York) vignette du musée, reproduction plus détaillée que la vignette
Chef-d’œuvre de jeunesse effectivement, hélas possédé par un musée qui n’en diffuse qu’une vignette, on en trouve quelques reproductions plus détaillées mais jamais fidèles aux couleurs réelles, que le ridicule timbre-poste du Met, lui, respecte.


Ces informations ne sont justes que si toutes ces œuvres traversent l’Atlantique, ce qu’Orsay se garde bien de préciser, puisqu’il ne dévoile pas le contenu de l'exposition. Il écrit cependant qu'elle présente 90 œuvres, ce qui était le cas de celle de New York. Évidemment, comme pour l'exposition De La Tour (dont deux grosses mises à jour pourraient bien modifier votre envie de la visiter), Orsay peut encore se réveiller d’ici l’ouverture et nous faire la charité de quelques informations. En revanche il sait déjà que l'exposition fera l'objet d'une grosse affluence et recommande dès aujourd'hui la réservation d'un horaire de visite. Notons que les amateurs de sculpture sont encore plus mal lotis, le musée, qui organise en parallèle une exposition sur le sculpteur Troubetzkoy en montre encore moins.

jeudi 15 mai 2025

Célébrons un bicentenaire (2 de 2)

La Vierge et l'Enfant avec les saints Louis et Marguerite (peintre inconnu néerlandais ou français)
Constituée de 31 mégapixels (pour 15 mégaoctets), l’image peut demander quelques secondes de chargement. Le panneau original est large de 106 cm, la reproduction fait 163 cm, donc affichez l’image à 65% pour visualiser le panneau dans ses dimensions réelles.


Tout ce que nous pensions découvrir sur les célébrations du bicentenaire de la National Gallery de Londres grâce à la tenace perspicacité des médias (on comprend qu’ils demandent une cotisation pour ça) était en réalité décrit en détail, mot pour mot, et directement accessible sur le site du musée, sous un petit lien perdu en bas de page, parmi les communiqués de presse. 

Pareillement, nous avions apprécié la discrétion du musée sur l’invité(e) tiré(e) au sort qui passerait la nuit dans le musée et ferait gratuitement la publicité de la literie des magasins Marks & Spencer et des croissants du chef étoilé. Eh bien un autre communiqué de presse nous décrivait déjà sa biographie : conférencière, gérante d'associations caritatives et surtout artiste, mère et grand-mère de 10 enfants, élue parmi 22 000 admissibles et souriante (photo à l’appui).   
Les images de son réveil au cœur du musée couverte de miettes de croissant dans son lit fastueux de marque M&S ne sont pas encore publiques. Espérons qu’on lui aura fourni un peigne et une brosse à dents avant la conférence de presse du soir.

Quasi seule dans la nouvelle salle 54 du musée, la bienheureuse aura tout de même rencontré la Vierge, avec l’Enfant et les saints, Louis, roi de France, et Marguerite, sur ce panneau étrange, anonyme, ayant appartenu à une famille anglaise du Dorset, convoité depuis des décennies par la National Gallery, négocié en vente privée début 2025 par Sotheby’s au prix spécial, insiste le musée, de 22 millions de dollars (après conversion), et décrit dans un autre communiqué de presse

Aucune expertise n’a jusqu’à présent réussi à l’attribuer à un peintre connu. Il faut dire qu’il n’a pas été exposé depuis 65 ans et qu’il est pour la première fois publié en couleurs. Documenté dès 1602 à Gand, en Belgique, il est peint à l’huile sur des planches d’un chêne de la Baltique abattu en 1483. Les spécialistes le datent entre 1500 et 1510 et lui trouvent des ressemblances de style avec Jan Gossaert (Mabuse) et Jean Hey (Maitre de Moulins). On pourrait leur objecter qu’aucun des deux n’a jamais succombé, comme ce peintre anonyme le fait ici sur les visages de la sainte, de l’ange à droite et surtout de l’Enfant, à la difficulté qu’éprouvent même de bons dessinateurs à placer correctement et aligner les yeux sur des visages vus de trois-quarts. 
Erreurs de dessin qui s'effacent devant les qualités de rendu et de présence des matières, la bizarrerie singulière, voire unique, et humoristique de l’iconographie, et l’atmosphère étrange pour une scène religieuse. 

Quelques excentricités notables

✵  l’Enfant torture un chardonneret, 
✵  le trône de la Vierge repose sur des planches brutes clouées,
✵  la posture douloureuse du dragon bavant, et ses oreilles en forme de nageoires, 
✵  l’ange de gauche joue de la guimbarde (instrument qui produit le son d’un ressort métallique quand il se détend), 
✵  toutes les figurines sculptées sur les chapiteaux des pilastres et jusqu’au sceptre du roi sont nues, parfois dans des attitudes curieuses, comme celles qui s’enlacent aux pieds d'un singe, ou cette autre, un angelot peut-être, qui exhibe un anus ostentatoire.

lundi 17 avril 2023

Mais où est l'erreur ?

À qui sont ces pieds ?
 
Comme nous venons de le voir avec l’Étalon de Vitruve, célèbre dessin de Léonard de Vinci, l’art est une chose mentale, et l’artiste parfait sait dessiner des personnages aux proportions parfaites. 
Mais ça, c’est la théorie. Dans la vraie vie la plupart des peintres, et pas des plus manchots, font couramment des erreurs dans leurs anatomies. Pourtant l’enseignement classique ne lésinait pas sur le nombre d’heures que passait l’apprenti artiste à reproduire l’anatomie des modèles vivants ou de pierre, non que le corps humain fût plus difficile à dessiner que celui d’une girafe ou d’un tardigrade, mais parce que l’œil humain repère instantanément le plus petit défaut physique chez un congénère, quand il ne ferait même pas la différence entre un tardigrade au long cou et une girafe asthénique.
Or, la faiblesse de la peinture réaliste, c’est qu’à la moindre erreur, à la première infidélité envers la réalité, l’ensemble soudain sonne faux, se révèle fabriqué. Qui découvre ce type de défaut dans un tableau pourtant admiré depuis des années ne pourra plus le regarder sans trouble et maudira le peintre pour cette trahison.

Par exemple, pouvez-vous désormais regarder sans malaise l’apôtre de Caravage à la National Gallery depuis qu’on vous a charitablement signalé cette disproportion de sa main droite ?
C’est pourquoi, pour ne pas gâcher vos futurs plaisirs dans les grands musées du monde nous illustrons aujourd'hui cette leçon sur les problèmes d’anatomie par un exemple inoffensif, une badinerie de Jean-François de Troy. 

Quelle capitale dans le monde, quel musée de la province française, n’a pas son tableau de Jean-François de Troy ? Cependant il est probable qu’ils ne les exposent pas. Le Louvre en montre 2 sur 28 (et en prête 11).
Serait-il exposé qu’on le regarderait à peine, ou alors avec dédain. On a soupé de ses quelques 200 ennuyeuses scènes de mythologie grecque, romaine, chrétienne, molles et sans invention, de ses piqueniques élégants, de ses bombances d’huitres, et même de ses 11 "tableaux de mode" qui décrivent avec force soieries, fanfreluches, falbalas et porcelaines les divertissements délicats de l’aristocratie et qui eurent leur petit succès (auprès de l'aristocratie) dans les Salons des arts autour de 1730.

La maison d’enchères Christie’s vient malgré cela de dénicher un millionnaire décidé à débourser 3,6 millions de dollars pour un de ces tableaux de mode, la Partie de lecture de 1735, 65 centimètres par 82 (détail en vignette)

Alors, de votre point de vue, à qui sont les deux pieds et les mules à talon brodées qui les chaussent, au centre du tableau ?
À la lectrice, dites-vous ? Admettons. On sait que l’anatomie, comme l’inspiration, n’était pas la spécialité de De Troy.
Ne riez pas, c’est beaucoup plus fréquent que vous ne le pensez ! 
Ah non, on ne dénoncera personne, n’insistez pas.

À moins que… On pourrait inaugurer un jeu des erreurs dans la grande peinture réaliste. Dénicher les fautes de perspective, d’ombres, d’anatomie, les incohérences en tout genre…


mardi 28 septembre 2021

Français, encore un effort…

« Français, je vous le répète, l’Europe attend de vous d’être à la fois délivrée du sceptre et de l’encensoir […] Encore un effort ; puisque vous travaillez à détruire tous les préjugés, n’en laissez subsister aucun […] pulvérisons à jamais les idoles […] nous ne voulons plus d’un dieu sans étendue et qui pourtant remplit tout de son immensité, d’un être souverainement bon et qui ne fait que des mécontents […] »

Parmi les conseils que le marquis Donatien de Sade prodiguait aux Français en 1795 dans « La philosophie dans le boudoir - Dialogues destinés à l'éducation des jeunes demoiselles », ceux qui fustigeaient les religions étaient sans équivoque.  
Mais assourdis par les délires de brutalité érotomane de l’auteur, et la rareté des éditions longtemps clandestines, ces conseils ont été largement ignorés.
On le constate 226 ans plus tard ; malgré un effort évident, près de la moitié des Français sont encore croyants. C’est ce qu’affirme un récent sondage.

Plus ou moins régulièrement, quand l’actualité se calme ou se répète trop et que les organismes de sondage s’ennuient, paraissent des chiffres sans intérêt sur lesquels se précipitent mollement les grands médias ou les blogs en manque d’inspiration. En ce début d’automne, c’est la croyance des Français en Dieu (la majuscule de Dieu vient des rédacteurs du rapport et des médias respectueux). 

En 10 ans, les non croyants en France seraient donc devenus majoritaires, passant de 44 à 51% des sondés (page 12 du rapport). Si la tendance reste linéaire le pays ne croira plus en dieu en 2091 exactement. Les pessimistes objecteront que les Français, s’il en reste alors, seront surtout concentrés sur les oracles de la météo nationale et la courbe des températures.

Le Dieu incarné de la religion chrétienne, pétrifié en pierre calcaire cette fois par Michel-Pascal en 1856 sur le tympan externe de la basilique de Vézelay, dans un pastiche assez élégant du style roman sous la direction de Viollet-le-Duc.
 

En réalité, le rapport du sondage d’opinion présente, en préambule page 3, le degré de confiance qu’on peut lui accorder, en raison du nombre d’individus sondés, soit 1018. Et là où les médias annoncent 51% de mécréants, il faut comprendre un nombre compris entre 48% et 54% des Français ne croient pas, ou encore un nombre compris entre 46% et 52% des Français croient. La différence est subtile. Imaginez la même fourchette d’imprécision dans les prévisions d’un sujet moins futile !
 
Et le rapport illustre cet à-peu-près dès la page 5, dans un tableau relatif à la fréquence des discussions sur la religion. Dans une opération périlleuse, le sondage additionne 7 à 29 et trouve résolument 38, ce qui implique que pour l'institut de sondage 38 + 64 = 100, à 2% près, ce qui reste inférieur à la marge d'erreur autorisée.
Évidemment, ce genre d’approximation trouble la confiance. 
Et finalement, la seule certitude qui résultera de ce sujet d'automne frelaté et creux, c’est qu’en France aujourd’hui, exactement 519 personnes ne croient en aucun dieu et très précisément 499 croient. Ce sont les seules données obtenues sans biais, directement à la source. Reste à en interroger encore 57 millions de plus de 18 ans (car les mineurs ont été exclus). 

Notons enfin que dans le même sondage, décidément très inspiré, on estime page 19 que 18,5 à 23,5% des Français ont ressenti l’éveil d’un sentiment religieux ou d’une fibre spirituelle devant le spectacle de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame à Paris en avril 2019. 
Admettons, mais rappelons que cette exaltation qu’on croit métaphysique se produit également quand l’équipe nationale de football enlève une victoire déterminante ou quand l’armée défile au pas cadencé sur une grande avenue ; on se met à imaginer qu’existent réellement des entités abstraites comme la nation ou la patrie. C’est un phénomène grégaire assez commun propre à l’espèce humaine.
 

vendredi 15 novembre 2019

La vie des cimetières (91)

Avant la fin du siècle dernier, le sculpteur Del Debbio, déjà âgé, déposait un buste de Joconde sculpté de sa main sur la stèle dédiée à sa famille dans le cimetière du Montparnasse, et en profitait pour y faire graver quelques informations personnelles, ses civilités et notamment le lieu de son décès, Paris.
Toutefois il ne faisait pas inscrire la date prémonitoire correspondante, comme on le voit parfois, au moins pour le millénaire et le siècle, suivis de deux espaces blanches pour signifier que la décennie et l’année ne sont pas encore connues.
Il faisait bien. Né en 1908 et mort en 2010, il aurait alors commis une erreur sur le siècle et sur le millénaire, impair délicat à corriger sur du marbre ou du granite, et hors de prix.
Mais il s’est éteint à Nogent-sur-Marne ; il s’était trompé sur le lieu.

Pourquoi graver ces informations incertaines quand la mort n’a pas encore fait son office ?
Pour claironner qu’on n’est pas naïf, qu’on sait bien que tout a une fin ? Pour être sûr de ne pas se faire chaparder la place ? Certains prétendent que c’est par mesure d’économie, pour bénéficier d’un effet d’échelle. Mais les prix se calculent à la lettre, et à raison de 5 à 15 euros l’unité, la cagnotte serait maigre.
Invoquons des sentiments plus nobles, et supposons que c’est plutôt pour se persuader, au plus fort de la douleur, qu’on rejoindra bientôt l’être disparu. Une forme d'autosuggestion.

Et l’actualité vient de nous rappeler, il y a quelques jours, que Lucie Almansor, mue par le profond sentiment qui l’attachait à son mari Louis-Ferdinand Céline, avait fait inscrire à l’avance sur leur pierre tombale commune au cimetière de Meudon, à la mort de l’écrivain en 1961, le millénaire et le siècle de sa propre disparition, « 1912 • 19    »

En 2018 à 106 ans, n’ayant plus les moyens de payer ses aides médicales (malgré les droits d’auteur des millions d’exemplaires vendus ?), elle cédait en viager leur maison décrépite de Meudon.

Lucie Almansor est morte le 8 novembre 2019.
Ainsi les deux chiffres présumés sur la pierre tombale étaient les bons, mais pas à la bonne position. Une simulation (notre illustration), montre qu’il serait possible, pour limiter les frais de gravure, sans avoir à refaire la dalle, d’inscrire le millénaire et le siècle à la gauche du 19 providentiel. Le résultat serait légèrement déséquilibré mais parfaitement lisible.

mardi 21 février 2017

Erratum et autres précisions

À la lumière d’un article de fraiche date du journal Le Monde, revenons brièvement sur le problème de la fréquentation des musées et monuments parisiens et franciliens en 2016.

Notre dernière chronique sur le sujet avait laissé une désagréable impression d’inachevé. Nous n’avions pas trouvé d’explication au succès à contre-courant du Centre Pompidou face à l’effondrement de la fréquentation des autres institutions incontournables que sont le Louvre, le musée d’Orsay et le château de Versailles.
Or le journal Le Monde, très informé, connait les raisons de cette réussite du Centre Pompidou. C’est grâce à « une belle programmation » écrit-il, en citant quelqu’un qu’il ne nomme pas, mais qui ne peut être qu’un responsable directement concerné par l’organisation des expositions du Centre Pompidou, et qui tape allègrement sur ses collègues des autres musées, sous-entendant que s’ils avaient organisé de belles expositions, ils n’en seraient pas là.
Alors est-ce qu’exposer Paul Klee et Gérard Fromanger à Beaubourg est plus méritoire qu’Hubert Robert et Bouchardon au Louvre, ou le Douanier Rousseau et Charles Gleyre au musée d’Orsay ? On laissera le lecteur en juger. 
(ajouté le 10.01.2022 : avec l'expérience de la pandémie depuis 2020, il semble que le paramètre essentiel ici est le fait que Beaubourg dépend très peu des visiteurs étrangers contrairement aux autres grands musées, 70% pour le Louvre ou Versailles).

Et puis, appréciable consolation puisqu’il représente 20% du marché, le tourisme d’affaires, curieusement insensible à la crise et aux menaces du terrorisme aura explosé tous ses records en 2016. On attend la perspicacité du Monde pour en déchiffrer les raisons les plus secrètes.

Enfin corrigeons une erreur de notre chronique de janvier. Versailles n’aurait perdu que 10% de ses visiteurs, alors que nous avions annoncé 15%. Ce qui rend d’autant plus méritoire la mesure, prise dès le 1er janvier 2017 par l’établissement public, d’augmenter les tarifs d’entrée de 20%. C’est ce qu’on appelle une sage prudence.


Exposée dans la vitrine d’un sombre couloir du Louvre, cette sainte sculptée dans l’atelier de Charles Hoyau vers 1640 voit rarement s’arrêter un visiteur, malgré de visibles attraits. Et on ne peut  que compatir à la mélancolie de son regard désabusé en songeant que Mona Lisa, la Joconde, à quelques mètres de là, a été aperçue, derrière sa vitre blindée et sa distance de sécurité, plus de 7 millions de fois en 2016. 
Le site du musée déclare que la pauvre sainte n’est plus exposée aujourd’hui. Il ne serait pas surprenant qu’elle en soit arrivée à un geste désespéré.

samedi 20 février 2016

Le Mètre a pensé (l'orthographe)

Mais les générations prochaines
Qui n'mettront plus d'accent à chaines
Jugeront que leurs ainés
Les ont longtemps trainées
Pierre Perret 1992, La réforme de l'orthographe, dans l'album Bercy Madeleine
Je ne me mesle ny d’ortografe, et ordonne seulement qu’ils [les imprimeurs] suivent l’ancienne, ny de la punctuation. 
Montaigne, Essais Livre 3, chapitre 9, de la vanité (vers 1588)

Les réseaux sociaux, dont l’orthographe n’est pourtant pas le souci majeur, frétillent depuis deux semaines, scandalisés par la nouvelle d’une réforme arbitraire et soudaine de l’orthographe imposée par le gouvernement français.
La vérification de l’information ne semble pas non plus être de leurs soucis.

On attendait en revanche plus de circonspection de la part de celui qui est depuis quelques années l’autre philosophe le plus médiatisé, le libertaire, le subversif de la Contre-histoire de la philosophie qu’on écoutait en extase quand il nous contait en 2003 ou 2005 les mésaventures de Démocrite, de Lucrèce ou de Spinoza.
Mais Onfray a vendu tant de livres où il pense, que les médias l’ont couronné spécialiste en idées sur les choses du monde (il ne les a pas contredits) et l’invitent sans discernement dès qu’il est question de penser. Jusqu’à la radio France Culture qui comme pour dire l’oracle à Delphes a créé une émission qu’elle a intitulée « Le Monde selon Michel Onfray », avec une majuscule à Monde. Tous les samedis de 12h45 à 12h50, l’auditeur ingurgite les sentences du prophète avec des cuillérées de ragout.

Fatalement, le Maitre a été consulté le 6 février sur le sujet brulant de la « réforme de l’orthographe ». Mais, alors que les grandes philosophies murissent lentement, durant des siècles, de leur confrontation à la réalité, Onfray n’a eu que trois jours pour y penser. Dès lors il en parle sans réfléchir.

Avant de recevoir l’augure, et pour résumer succinctement l'affaire, personne n’est mieux placé que Michel Rocard alors Premier ministre et coordinateur de l’entreprise de simplification de l’orthographe (car ces rectifications que tous découvrent aujourd’hui datent en fait de 1990), simplification présidée et validée par l’Académie française et annexée à la 9ème édition du Dictionnaire en 1992, contrairement aux récentes dénégations d’académiciens alors somnolents ou devenus depuis oublieux par la force des choses.
Rocard en fait le récit pittoresque au cours d’un entretien « À voix nue » sur France culture en 2013 (13 minutes savoureuses à écouter ici). Il en avait déjà discuté avec brio en 2000, notamment du traitement informatisé de la langue française et de la conservation et la diffusion du patrimoine.

À présent observons quelques extraits de la pensée de Maitre MO (certaines phrases ont été regroupées par thème, dans un ordre logique).

Le journaliste lui demande d’abord s’il est pour ou contre la « réforme » de l’orthographe. « J’ai presque pas envie de répondre à la question pour ou contre » répond MO. On constatera néanmoins dans 5 minutes qu’il y aura répondu, par la négative, mais peut-être est-ce difficile à avouer immédiatement quand on est un rebelle certifié. Ou peut-être veut-il nous dire ici que la vérité est ailleurs, et qu'il sait où elle se trouve.

Il part alors dans une envolée vibrante sur la nécessité d’apprendre par cœur. « L’apprentissage concerne le cerveau, moins on apprend, moins on sait de choses c'est une évidence, mais moins on fait fonctionner son cerveau, moins le cerveau fonctionne, ça parait évident. […] Dans notre civilisation il n'y a plus d'apprentissage par cœur, on passe aujourd'hui l'épreuve de mathématiques du bac avec une calculette. […] Et on va avoir aujourd'hui une orthographe qui est une espèce de vanne ouverte […] Il faut apprendre du par cœur, et parfois même du par cœur pour du par cœur, on sait bien que plus on apprend de choses par cœur, plus le cerveau devient efficace, mais dans une civilisation où on nous invite à ne pas penser, à ne pas réfléchir, à ne pas poser la question du pourquoi parce que après on aura un comment et que expliquer c'est déjà tout justifier […] Je crains qu'avec la disparition de l'orthographe, de la grammaire, du calcul, de l'apprentissage du par cœur, on fabrique un cerveau facile à gouverner. »

On devine ici la réaction de qui a surmonté la souffrance d’apprendre une orthographe absurdement compliquée, sans la comprendre ni la remettre en question et qui aimerait inconsciemment que les autres en souffrent, désir masqué par un argumentaire dont la cohérence défaille sérieusement.
Résumons sa pensée : l’apprentissage par cœur fait travailler le cerveau et le rend efficace, mais notre civilisation, pour nous soumettre encore plus, nous invite à ne pas réfléchir en n'imposant plus d'orthographe au point que nos encéphales ne fonctionnent plus. MO est bien le dernier à croire que l’apprentissage par cœur fait progresser l’intelligence, alors qu’il fait surtout travailler la mémoire aux dépens de la réflexion, car il évite d’avoir à réfléchir à la méthode ou aux outils qui permettraient de reconstituer les mêmes données.
Maitre MO accuse la civilisation, par sa complaisance, de nous empêcher de poser des questions, quand c'est au contraire le résultat du « par cœur », car apprendre par automatisme revient à renoncer à comprendre les règles, et à rendre ainsi les cerveaux faciles à gouverner, l'inverse de ce qu'affirme MO.

Puis il poursuit. « La simplification n’est pas une bonne raison, simplifier nénuphar qui est un mot qu'on n'utilise pas, pourquoi pas changer les mots qu'on utilise plus souvent, et avoir le courage de tout écrire en phonétique, ce qui est une manière de simplifier, donc de massacrer. […] C’est dommage qu'on ne se permette pas cet apprentissage de la règle (il accentue le mot), parce que la vie en communauté ça suppose des règles (il accentue le mot), parce que la république dont tout le monde se gausse aujourd'hui ça suppose des règles (il accentue le mot) et là on dit bah finalement y'a plus de règles, y'a la règle qu'on voudra, on aura des orthographes diverses et multiples, on n’est plus capable aujourd'hui de proposer une règle en disant c'est la même pour tout le monde. »

Ici Maitre MO a peut-être écouté les réactions indignées des réseaux sociaux et des journaux réactionnaires sans s’informer sur les raisons et le périmètre de ces simplifications de l'orthographie, puisqu’elles visent principalement la rectification d’exceptions, d’anomalies qui n’étaient pas fondées, et qui justement ne respectaient pas les règles.

Quand il dit qu’il n’y a plus de règle, il vise également le caractère facultatif des rectifications. En effet, et ce depuis 1990, les diverses directives de l’Éducation nationale ont toujours affirmé, sur les conseils impérieux de l’Académie, que les deux orthographes étaient autorisées et donc non fautives, même si la nouvelle devait être préférée.

Et si l’affaire ne survient qu’aujourd’hui c’est parce que les éditeurs scolaires profitent de la très discutée réforme du collège et des contenus de la rentrée 2016, qui les oblige à remanier les manuels, pour intégrer à moindre frais les rectifications préconisées en 1990 et qu’ils avaient jusqu’à présent mises au placard.
Seuls les principaux dictionnaires électroniques (Antidote, Robert) et les correcteurs orthographiques des traitements de texte (notamment l’omniprésent Microsoft) les avaient intégrées. Ils acceptent les deux orthographes depuis 2008 au moins. Vous écrivez probablement ainsi les mots « règlementaire, relai, chaine, weekend, évènement, piqure » depuis des années sans savoir que vous appliquez les rectifications de 1990 car les correcteurs d’orthographe ne les soulignent plus d’un pointillé rouge accusateur.

Sur ce point Maitre MO a raison, l’Académie et l’Éducation nationale n’ont pas osé imposer une graphie, attendant sagement que la force de l’usage s’en charge. Mais ce laisser-faire ne concerne finalement que 1300 mots. Le cas du mot nénufar est anecdotique mais exemplaire. D’origine arabe et non grecque, il s’écrivait nénufar au 18ème siècle quand on lui imposa le « ph » car on le pensait par erreur d’origine hellénique.

Le journaliste s’étonne ensuite de cette défense éperdue de la norme et lui oppose le besoin de créativité face à des règles bien souvent arbitraires.

Maitre MO rétorque. « Quand je prends la voiture je suis très heureux qu'il y ait un code de la route, chacun convient qu'il faut des règles [...], je dis que ce refus de la règle est semble-t-il généralisé, mais on ne prend jamais un avion qui est piloté par quelqu'un qui n'a pas son brevet de pilote. [...] La république c'est l'idée qu'une multiplicité d'individus consentent à une règle commune. La liberté n'est pas la licence, ça se construit avec de l'intelligence, de la mémoire, avec de l'histoire, avec du patrimoine, avec bien sûr de l'invention et de la créativité, je ne suis pas sûr qu'avec la licence on invente beaucoup plus qu'avec la liberté. »

Là encore Maitre MO se laisse emporter par l'élan de son exaltation originelle, et compare les règles orthographiques à celles qui contrôlent la circulation aérienne. Subtile analogie qui insinue ainsi que les risques en sont comparables. 
Car pour lui les choses sont limpides, la rectification de l'orthographe est du laxisme, de la licence, c'est à dire le dérèglement des mœurs, le désordre moral, l'anarchie.
Ainsi avec le temps, comme sous l’effet de la cuisine normande, l’homme des envolées libertaires s’est naturellement épaissi, et sa pensée aussi. Il est devenu ce qu’il condamnait. Il est prêt pour un ministère.

Décidément, ce sujet pourtant prosaïque et futile a fait dépasser toute mesure aux réseaux sociaux, aux journaux, à l’Académie des Immortels et aux plus grands philosophes vivants. Mais ces débordements nous auront finalement confirmé que les ruminations de nos penseurs appointés ne nous paraissent perspicaces qu’à la mesure de notre méconnaissance du sujet.

dimanche 8 novembre 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (8)

Depuis que Marcel Duchamp a tenté d’exposer sa première pissotière industrielle en porcelaine (la Fontaine) au salon des artistes indépendants de New York en avril 1917, tout le monde devrait savoir qu’un objet quelconque peut devenir une œuvre d’art et définir une nouvelle valeur si une personnalité en vue l’a décidé.

Mais cette évidence culturelle s’est imposée lentement. Elle n’a pris son essor qu’avec la floraison de l’art conceptuel dans les années 1960, quand Duchamp qui avait égaré les œuvres dadaïstes de sa jeunesse en certifia quelques répliques antidatées.
Et on constate aujourd’hui que certains milieux sociaux sont encore imperméables à cette idée progressiste de l’art.

Le drame s'est produit au Museion de Bolzano, musée consacré à l'art d'aujourd'hui, dans le nord de l’Italie.

Deux jeunes artistes italiennes, qui voulaient exprimer leur réprobation envers la corruption et les orgies organisées par les politiciens socialistes italiens dans les années 1980, avaient empli une pièce du musée de restes de bombance, cadavres de bouteilles, cotillons et mégots. On pourrait douter de la modernité du propos, mais gardons-nous de tout jugement esthétique à priori.
L’œuvre s’appelait « Où allons-nous danser ce soir ? ».

La suite de l'histoire était écrite, car il n’y a pas un mois sans qu’un scandale ménager n’agite dans les médias le monde de l’art contemporain et de ses détracteurs.

En effet le lendemain de l’installation de l’œuvre, le personnel d’entretien nécessairement matinal découvrait l’état de dégradation de la salle et s’affairait pour tout débarrasser avant l’ouverture du musée.
Quand les visiteurs arrivèrent, la pièce était immaculée. Dans de grands sacs de plastique noir reposaient les reliques de l’exposition triées par type de déchet, chacun dans sa poubelle dédiée, bouteilles, confettis et serpentins…

En quelques jours l’œuvre fut reconstituée et exposée de nouveau. C’est la grande force de l’art conceptuel que de s’adapter sans effort à toutes les conditions matérielles.

Les artistes voient dans cet accident la « preuve de la vitalité et de l’irrémédiable nouveauté de l’art contemporain », « s’il a été jeté comme des ordures c’est qu’il est toujours radical et subversif ».
N’exagérons pas, il s’agit ici d’un banal défaut d’information, d’une méprise que n’importe qui d’insuffisamment aguerri aux raisonnements conceptuels de l'art moderne aurait commise.

On devrait d’ailleurs récompenser les gens du ménage pour avoir porté cette œuvre d’art vers une sorte d’accomplissement. Par leur rafraichissante ingénuité, ils sont allés plus loin dans le concept, et plus radicalement que ne l’avaient osé les artistes qui s’étaient frileusement limitées à exposer les ordures sous les couleurs vives et les jolis scintillements d’une lumière de cabaret.

Homme de ménage en train de remettre de l’ordre dans les salles d'art contemporain du musée des beaux-arts de Nantes, ou bien sculpture de Daniel Firman intitulée Gathering exposée en 2003 ? Cette vertigineuse mise en abyme conceptuelle pourrait, au premier faux pas, se terminer par la réquisition en urgence du personnel d’entretien du musée.

dimanche 27 janvier 2013

Le monde leur appartient

Le domaine Public est l'ensemble des biens matériels et immatériels mis à la disposition du public ou d'un service public, et qui ne peuvent pas faire l'objet d'une appropriation privée. Ils appartiennent à la collectivité (et pas à l'État).
L'objectif de tout pouvoir politique est d'utiliser les biens publics (du Domaine ou non) pour en tirer des avantages personnels, électoraux ou matériels. L'affirmation est démagogique, mais les exemples sont quotidiens.

Aujourd'hui, c'est la Bibliothèque Nationale de France.
Comment profiter d'une révolution technologique pour faire passer le domaine public dans des mains privées ? Fastoche. Au lieu d'utiliser l'impôt pour numériser méthodiquement les livres et enregistrements du domaine public et les mettre ainsi à la disposition de tous, on paie (au rabais) des entreprises pour le faire, qui se rémunèreront alors avec un droit exclusif de commercialisation des œuvres numérisées (en définitive cette solution serait plus couteuse).
La BNF vient de le faire pour 70 000 livres et 200 000 enregistrements. On dit que la période n'est que de dix ans après laquelle les œuvres seront libres d'accès. Mais tous savent que c'est faux. On prolongera l'exclusivité pour financer la maintenance et le renouvellement des équipements. Ça se fait d'ordinaire. Et dans dix ans tout aura tellement changé, les responsables de cette braderie seront oubliés.

Le monde du livre s'en émeut fort sur Internet.

Cependant tout l'avenir n'est pas noir. Ainsi vous ne verrez peut-être bientôt plus aucune interdiction d'enregistrer images et sons dans les lieux publics comme privés, y compris d'œuvres qui ne sont pas dans le domaine public. Cette liberté devient concevable grâce à des brevets déposés en 2008 par Apple et Microsoft, dont ont sait qu'ils cherchent avant tout le bien de l'Humanité. Ces brevets prévoient d'intégrer dans nos appareils électroniques des dispositifs bloquant automatiquement les fonctions indésirables. Par exemple, des bornes savamment disposées dans une salle de concert ou un musée rendraient inactives les fonctions d'enregistrement d'images et de sons.

Mais pourrons-nous réellement profiter de tous ces progrès dans nos loisirs ? Les politiques d'austérité qui glacent actuellement l'Europe du sud paralyseront bientôt le continent entier.
Pourtant d'éminents économistes du Fonds Monétaire International viennent de reconnaitre une énorme faute de calcul. C'est pour un bête paramètre multiplicateur mal estimé qu'on enterre par erreur l'Europe dans une récession sans issue.
En fait, erreur ou justesse du calcul, tous les décideurs en économie étaient déjà persuadés, pour des raisons dogmatiques, des bienfaits du sacrifice. Et comme tous les politiciens impliqués dans cette plaisanterie funèbre sont encore au pouvoir, nationaux comme européens, ils ne reconnaitront leur méprise que lorsque la misère et le chômage viendront sous leurs fenêtres menacer leurs privilèges.

On voit comme les puissants concourent en chœur à notre bonheur futur. Il serait peut-être temps de faire quelque chose pour les remercier.



vendredi 31 août 2012

Améliorons les chefs-d'œuvre (3)

Décidément, le mot d'ordre libertaire de Ce Glob est Plat, « Améliorons les chefs-d'œuvre », a fait en quelques mois beaucoup d'émules. Pour preuve cette mésaventure qui fait actuellement scandale à Borja près de Saragosse, dans le nord de l'Espagne, et dans le monde entier.

Vous connaissez certainement l'histoire. Accoutumée aux petits travaux que nécessite régulièrement l'église du Sanctuaire de Notre-Dame de la Miséricorde dans les faubourgs de Borja, une très vieille femme dévote avait décidé de sauver le Christ d'une dégradation déjà bien avancée. C'était un portrait médiocre peint à la fresque par Elias Garcia Martinez, obscur décorateur et professeur à Saragosse, mort en 1934. La vieille dame avait déjà repeint la tunique pourpre du Christ en faisant au passage une grossière erreur de perspective, avec la bénédiction du prêtre de la paroisse.

Forte de cette approbation, elle s'est donc attaquée au visage qui se décomposait. Emportée par une indéfectible foi chrétienne et des limites techniques incontestables, elle transforma la mauvaise croute en un étrange pâté, dans le style d'un Georges Rouault ou Modigliani terminé au chiffon par Francis Bacon.
Plus de 20 000 internautes déjà ont néanmoins trouvé du charme à ce Christ zombi au point de signer une pétition pour sa préservation.


Soyons modestes, Ce Glob est Plat n'est pas l'inventeur de ce concept prometteur d'amélioration des chefs-d'œuvre du passé. L'archétype, le modèle indépassable, c'est le Spéléo-Club albigeois qui le 5 mars 1992, aidé d'un groupe d'Éclaireurs de France adolescents et filmé par la télévision régionale, effaçait soigneusement, à la lessive et la brosse dure, deux bisons maladroitement dessinés par un peintre inconnu il y a au moins 20 000 ans dans la grotte de Mayrière à Bruniquel.
C'était une méprise, l'intention était bonne, la grotte était aussi couverte de graffitis récents. Ils en obtinrent le prix igNobel d'archéologie en 1992.
Ironie, la peinture rupestre avait été découverte par le même club de spéléologie 40 ans plus tôt. Ce qui prouve bien qu'en matière d'art le progrès n'existe pas.

Mise à jour du 20.09.2012 : la suite devient lamentable, naturellement. La Fondation propriétaire de l'église prélève un euro par visiteur. La vieille dame va demander à la Justice sa part des milliers d'euros, en droits d'auteur. 

samedi 17 mars 2012

Nouvelles du monde en vrac

Tandis que, langue pendante et remuant la queue, les Français sont essentiellement affairés à se choisir un nouveau maitre, des évènements fondamentaux s'obstinent à survenir, un peu n'importe où, et ils sont parfois le résultat d'erreurs humaines.

En Allemagne, la nation est en deuil. Til, le petit lapin né sans oreilles, devait être exhibé lors d'une conférence de presse. L'homme de l'art venu le filmer lui a marché dessus par erreur. Il sera certainement empaillé. La Fontaine ou Anouilh en auraient fait une fable.


En Suisse, au Centre de Recherche Nucléaire, une connexion mal fichue entre le système de positionnement et un ordinateur était responsable de ce qui aurait pu être un bouleversement scientifique. Des neutrinos dépassaient la vitesse de la lumière dans le vide
. Albert Einstein aux orties. Finalement les scientifiques reconnaissent timidement l'erreur, compensée en partie, disent-ils, par une autre erreur, histoire de faire encore de longues vérifications, le temps d'oublier cette étourderie.

En Suède, où la liberté de penser est vénérée, on officialise les religions à la pelle. Paganisme, Christianisme, Scientologie sont des religions officiellement reconnues avec une vingtaine d'autres. Elles acquièrent ainsi respectabilité, protection juridique, avantages fiscaux, subventions.
Considérant, avec la science contemporaine, que la vie n'existe que par un processus de reproduction de l'information (l'ADN) et en concluant que l'information est sacrée et la copie un sacrement, une nouvelle religion, l'église missionnaire du Kopimisme, vient d'obtenir de l'administration suédoise le statut de religion officielle.La nouvelle religion nie toute filiation avec le Parti Pirate suédois dont elle partage néanmoins les idéaux. Le sens de la vie est de copier, mixer éventuellement, et distribuer librement l'information. C'est son Credo. Kopimisme vient de l'anglais «Copy me - Copiez-moi» (*).

On le voit, l'actualité ne manque pas d'éventualités qui se sont réalisées.


Toute religion est admise en Suède, mais il faut un nombre minimum d’adhérents pour devenir un culte certifié. On ne dénombre pas encore assez d'adorateurs du crabe géant, qui n'a pourtant pas démérité. Contrairement aux prophètes des religions monothéistes, on le trouve dans tous les musées d'histoire naturelle. Ici dans celui de Gênes en Italie.

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(*) Ce Glob est Plat qui milite depuis des années pour la diffusion libre de l'information ajoute à son habituel message de reproduction autorisée (colonne de droite) la marque de son respect pour cette nouvelle religion, en reproduisant (vaguement) son logo.