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samedi 1 juin 2024

C’est le printemps, allons tous à Giverny

Monet, Matinée près de Giverny, 1888, 80 x 74cm, Cat.W1205, Vente Christie’s 2015, 4,5M$. Cette prairie au sud de la propriété de Monet dans la plaine des Essarts est le sujet d’une douzaine de tableaux de 1888 (Cat.W1194-1208). Elle ferait un beau terrain pour le parking géant d’un parc d’attraction Monet-Land.



Y a-t-il chose plus agréable que la perspective d’une suite de jours sans aller au travail, que de partir flâner dans des jardins parfumés par la venue du printemps, s’asseoir à l’ombre et se faire lire Le droit à la paresse de Paul Lafargue, ou l’Éloge de l’oisiveté de Bertrand Russell, et à la question de savoir s’il y aurait une quelconque noblesse dans le travail, s’assoupir ?

Pour cela le créateur de toutes choses nous a offert le mois de mai. Il l’a généreusement fleuri de jours fériés parfois agrémentés de ponts (japonais) et n’a pas manqué d’en avertir les poètes et les peintres, puis la presse et les médias, qui se sont empressés de monter tout cela en mayonnaise et de fabriquer chaque année pour l'occasion un nouvel évènement impressionniste.
Cette année c’était le 150ème anniversaire de l’exposition à Paris, chez le photographe Nadar, parmi 200 tableaux refusés au Salon officiel, du célèbre Impression, soleil levant de Monet, qui deviendra le fanion de l’école impressionniste.

Forcément les gens lisent les journaux, regardent la télévision, et se disent "Si nous allions voir ce jardin de Claude Monet ? Il l’aurait conçu pour avoir quelque chose à peindre sans se déplacer, entre deux apéros, le petit malin". Alors par curiosité ils prennent l’automobile et la route de Giverny.

C’est à Giverny, en effet, entre Paris et Rouen, que Monet a passé les deux tiers de sa vie de peintre, de 1883 à 1926, sur 1,7 hectare, et que l’Académie a soigneusement reconstitué, depuis les années 1980, la grande maison et le vaste jardin - on dit désormais "les jardins" - afin qu’ils ressemblent aux tableaux qui y furent peints. Pour mémoire la maison et les jardins de Monet, avec 70 hectares acquis alentour, appartiennent à l’une des 5 académies de l’Institut de France, celle des beaux-arts, constituée de personnalités importantes qu’on dit immortelles, quoique souvent un peu oubliées déjà de leur vivant. 

Hélas les voies du Créateur sont impénétrables, particulièrement l’autoroute A13 qui relie Rouen et Paris à l’occasion des weekends providentiels de mai.
Et ça n’a pas raté cette année encore, entre le 8 et le 12 mai. Présage évident, les réservations en ligne pour Giverny avaient été closes bien avant. 
On parle de 3000 visiteurs dès le premier jour, dont une partie n’aura vu de Monet que le nom sur la plaque de la rue où ils patientèrent, pour certains pendant 3 à 4 heures, pour acheter un billet, et parfois pour rien, la caisse fermant à 17h30.

Sans connaitre la jauge de visiteurs admis dans l’enceinte du musée, on n’essaiera même pas d’imaginer combien peuvent se tenir simultanément sur les quelques centaines de mètres des étroites allées qui sillonnent le jardin.

Le musée de la fondation Claude Monet en quelques chiffres

0 (zéro) : c’est le nombre de peintres ou même de dessinateurs que vous verrez dans les allées du jardin. Ils sont interdits. Comme les photographes dans un musée moderne, ce sont des grumeaux dans le flux de touristes.
500 : c’est le nombre d’habitants de la commune de Giverny (en réalité de moins en moins).
1000 : c’est le nombre de places des trois grands parkings actuels consacrés à Claude Monet dans Giverny.
1840 : c’est en mètres la longueur de la rue Claude Monet qui traverse le village et où se trouve l'entrée du musée, ce qui permet d’envisager sereinement des files d’attente d’un bon millier de visiteurs sans billet.
700 000 : c’est en mètres carrés la surface de terrain devenue propriété de l’Académie des beaux-arts dans le but de préserver l’environnement qui a fait le cadre de vie du peintre. En respectant les normes actuelles on pourrait y ranger 20 000 voitures et il resterait 20 hectares, 10 fois le jardin actuel, pour un parc d’attraction horticole qu’on appellerait Monet-Land.

*** Nécrologie *** 
Le directeur de la Maison et des jardins Claude Monet, académicien qui avait beaucoup fait pour la reconstitution et l’essor du musée, vient de mourir le 25 mai 2024.

samedi 13 mai 2023

Ce monde est disparu (1)


Avant-propos 

C’est entendu, tout doit disparaitre, toutes choses auxquelles on s’était habitués, des plus grandes aux plus petites, de la reine d’Angleterre au climat raisonnable de la planète, nous rappelle la science dans ce petit article sur le "point de non retour".
Et chaque jour des mondes qu’on ne connaissait pas - il y en a eu tellement de peints ou de dessinés - apparaissent et s’évanouissent en quelques heures. Cela se passe dans les salles de vente aux enchères, par centaines. 

À peine découverts on sait qu’on ne les reverra jamais. Ils iront s’abimer dans les réserves ordinairement invisibles de quelque musée obsédé de sa collection, s’enterrer hors taxes au fond du coffre-fort d’un port franc au cœur de la Confédération helvétique, parfois se voiler lentement de poussière et de fumée de cigare dans le salon privé d’une famille bourgeoise. 

Ce court moment d’existence publique est un prodige. Les salles de ventes ne les exposent dans leurs locaux, n’en publient les catalogues papier, ne les présentent en ligne sur internet, qu’afin de vanter le produit et d’encourager ce miracle des marchands qu’est la fixation du prix par le plus offrant, sans régulation ni retenue.
Après quoi, en quelques jours, ces mondes retrouveront le silence et l'obscurité, où les belles reproductions ne sont généralement pas maintenues.

Voilà quelques années nous conseillions ici-même aux amateurs d’art abstrait, tellement frustrés sur internet à cause de l’absurdité toujours croissante des principes des droits d’auteur, de hanter les sites de vente aux enchères, d’en copier les images (par tous les moyens) et de se constituer ainsi des pinacothèques personnalisées, uniques (mais qu’ils ne pourraient jamais rendre publiques, ou seulement 70 ans après la mort des auteurs !)

Aussi inaugurons-nous aujourd’hui, afin de prolonger un peu la vie de ces mondes éphémères (au moins ceux du domaine public), une rubrique "Ce monde est disparu" où nous publierons régulièrement de belles reproductions de ces mondes passés en vente publique et bientôt invisibles.

Quant au titre de cette rubrique, entre la 8ème de 1935 et la 9ème édition du dictionnaire de l’Académie française, l’usage rare mais subtil (oiseux diront certains) de l’auxiliaire être avec le verbe disparaitre a disparu. On ne peut plus constater qu’une chose est disparue mais seulement affirmer qu’elle a commis l'acte de disparaitre (Victor Hugo dans "Oceano Nox" distinguait les deux emplois). Cependant l'édition du Dictionnaire, actuellement suspendue autour des mots somme, somnifère, somnolence, n’est pas complète. Sera-t-elle un jour achevée ou les immortels seront-ils tous disparus avant la fin de la fatidique lettre Z ?

________________________

Jan Siberechts était un peintre flamand durant la seconde moitié du 17ème siècle, d’abord à Anvers, puis en Angleterre pendant les 30 dernières années de sa vie. Toujours original et minutieux (dans les arbres notamment) il avait un fort faible pour les personnages passant un gué, qui font peut-être la moitié de sa production (4 à Anvers, 3 (?) à Lille, à Cleveland, à Denver…)

Le 24 mai 2023 un peu avant 17 heures chez Christie’s à New York (23 heures à Paris), ce paysage de voyageurs, ce curieux escalier que descend un eau paresseuse sous l’arche d’un pont et cette fin d’après-midi automnale disparaitront.

dimanche 4 juillet 2021

Rien ne va plus ?

Des enchères irréelles voire féériques de ces dernières années ont pu faire croire aux sociétés de vente d’objets d’art qu’elles pouvaient fourguer n’importe quoi, si la publicité en était convenablement optimisée.
En effet, 450 millions de dollars contre un Léonard de Vinci moche et douteux en 2017, ou 69 millions en 2021 contre un certificat d’authenticité et de propriété (NFT ou jeton numérique non fongible) sur un fichier JPG du dessinateur numérique Beeple, images virtuelles qu’on trouve gratuitement sur internet, suggéraient que la surenchère dans le domaine n’avait pas de limite.

Deux cas de fraiche date illustrent cette outrance des maisons de vente.

Christie’s proposait le 24 mai à Hong-Kong un grand tableau (1,53m.) de 1924 de Xu Beijong, intitulé L’esclave et le lion, précédemment vendu 5 millions de dollars en 2006. Il était présenté comme une œuvre de « qualité muséale », importante au point de la vendre seule dans une vacation particulière, estimée cette fois-ci 40 à 60 millions de dollars, et accompagnée d’un somptueux catalogue illustré de 70 pages. Le peintre y est présenté comme « un des plus grands du 20ème siècle, pionnier du réalisme chinois, notamment grâce à ce tableau, la plus haute estimation d’une œuvre d’art asiatique sur le marché ».

Xu Beihong, mort en 1953, était un peintre trois fois académique de la première moitié du 20ème siècle. Il ne peignait quasiment que des animaux, et toujours le même cheval à la manière traditionnelle chinoise, en gracieuses trainées d’encre noire. Ayant appris l’huile à Paris, il en a aussi fait quelques scènes édifiantes lourdement symboliques avec des personnages, dans le style académique du 19ème siècle en occident. Enfin il fut responsable de nombreuses institutions en Chine dont l’Académie des beaux-arts de Pékin, au début de la dictature de Mao Zedong.  
L'esclave et le lion, prototype de son style occidental allégorique, sentimental, pâteux, pour tout dire indigeste, méritait à ce titre tous les superlatifs. 
Remarquez, dans la vidéo promotionnelle, le détail du sang qui dégoutte de l’écharde dans la patte du lion implorant l'esclave apeuré.

Peu après, la maison Rouillac proposait, le 6 juin dans une garden-partie au château d’Artigny en Indre-et-Loire, une vue de Dieppe en 1882 par Claude Monet. Le tableau venait d'essuyer quantité d'éloges.
Le fils Rouillac annonçait, lors de la vente « un tableau qui a eu une couverture de presse fantastique, la une de la Gazette de Drouot, une présentation au Musée des beaux-arts de Tours… ». Il aurait pu ajouter l’unanimité de la presse locale, et une exposition à Dieppe, où était filmée la complainte du conservateur en chef de l’impécunieux Château-Musée et des visiteurs autochtones, qui rêvaient d'un retour de cette vue de Dieppe auprès de l’endroit où elle a été peinte (dans cette vidéo couleurs et détails sont bien reproduits).
 
Ajoutons que le tableau, bien que non signé, bénéficie d’un pédigrée solide, sous le numéro 707 au catalogue de Wildenstein.
Le hic est qu’il est médiocre, et que ça n’est certainement pas parce que « Monet l’a tellement aimé qu’il l’a gardé jusqu’à la fin de sa vie », comme le déclare le fils Rouillac, mais sans doute parce qu’il le pensait inachevé, sinon raté, qu’il ne l’a jamais signé et l'a définitivement oublié au fond de son atelier.


Garden-partie, petits fours, chocolats et raffinement. Qui aura remarqué, sur les masques sanitaires portés par l’ensemble du personnel de la maison Rouillac, la reproduction du tableau de Monet ?
 

Vous l’aurez deviné, les deux chefs-d’œuvre sont restés invendus.
 
Sur le site de Christie’s, pas un mot sur le résultat. L’épisode sera absent de l’historique du tableau. Cependant l’élogieux article promotionnel est toujours dans les archives et le glorieux catalogue hagiographique abondamment illustré de détails saisissants est encore disponible. Il resservira un jour.

L’échec de la vente du Monet par la maison Rouillac est plus divertissant, parce que le film de la vacation, qui dure 3h40, est visible sur le réseau Facebook.
C’est une vente locale, brouillonne et folklorique, où tout le monde parle en même temps, notamment le père Rouillac qui ne cesse de perturber les enchères, mais si vous n’avez jamais assisté à une vente publique, vous ne regretterez pas de découvrir ce spectacle en regardant au moins l’apogée pathétique, entre 1h47 et 2h19. Vous y verrez des êtres humains, approximatifs, bonimenteurs, et finalement grandioses dans la déconfiture, comme au moment théâtral où, après de longues minutes de malaise, on apprend que le seul acheteur à enchérir sur le Monet s’était trompé et avait fait une offre à 100 000 euros, qui avait été interprétée comme une enchère à 1,1 million puisque le prix de départ était établi à 1 million.

Finalement, le « tableau que vous attendez tous du peintre préféré des français, des Chinois et des Américains » sera retiré de la vente. Le père Rouillac, dans une longue péroraison, accusera le coronavirus d’avoir empêché les vrais acheteurs, chinois, de venir voir le tableau en France, puis prédira « qu’il y aurait des rebondissements », appelant le public de bonne volonté, la ville de Dieppe, la région, les instances supérieures, à se cotiser pour que le Monet reste en Normandie (et accessoirement lui permette de toucher ses 20% de la vente).  

On sait, depuis la folie des ognons de tulipe au 17ème siècle, que le cerveau humain est si compliqué, au moins vu de ce même cerveau humain, qu’absolument n’importe quoi peut faire l’objet de désir, d’obsession, de collections et de commerce. Le gagne-pain des maisons de vente est de faire monter les prix. Dans l'exercice, l'enthousiasme l'emporte parfois sur la rigueur. On oubliera vite ces deux péripéties printanières.
 

mardi 10 décembre 2019

Un portrait de Friant



Reconnaissons-le, s’il faut payer les tubes de toutes les couleurs, le charbon pour réchauffer l’atelier et les modèles, l’habit de soie vert, et les plumes d’autruche qui siéent au costume d’académicien, et puis la précieuse épée ouvragée, et toutes les réceptions d’amis influents pour s’élever dans les grades de la Légion d’honneur, s’il faut payer tout cela, qui est tout de même le minimum vital de l’artiste, un peintre ambitieux se devra de convenir exactement aux gouts de son temps.
Et entre 1880 et 1920, si l’impressionnisme ou le fauvisme éclairaient parfois la vitrine de rares galeries parisiennes, l’époque était plutôt aux grands tableaux charbonneux, sentimentaux et moralisateurs.

Or Émile Friant était naturellement enclin au pathétique quotidien. On l’appelait parfois le « pompier photographe » ou le « peintre des cimetières » (pompier au sens de pompeux, bien entendu).
Alors, tout se fit naturellement ; médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1889 à 26 ans, avec Légion d’honneur et achat de La Toussaint par le musée du Luxembourg, biographie éditée à 36 ans, médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1900, élu à l’Académie des beaux-arts en 1923, à l’Institut de France en 1924, pour finir Commandeur de la légion d’Honneur en 1931.

Une vie réussie donc, globalement heureuse, on le suppose. Et peu importe que ses tableaux fleur bleue, moralisateurs, voire mythologiques, soient aujourd’hui regardés avec dédain et échangés contre quelques milliers d’euros seulement dans les enchères publiques.

On aurait pu ainsi oublier Friant, invendu dans quelque salle des ventes de province.
Mais le marché de l’art, qui ne peut pas se tromper tout le temps, ne serait-ce que statistiquement, montre depuis un certain temps, bien avant la superbe rétrospective de Nancy en 2016, une attirance sensible vers ses portraits.
Et Friant a sans doute peint parmi les plus beaux portraits de son temps, souvent plus expressifs que ceux des messieurs Bonnat, Cabanel et autre Bouguereau qui ne figuraient en général que de belles enveloppes creuses.
D’ailleurs Friant ne s’intéressait foncièrement qu’à l’humain qu’il représentait. Le fond l’ennuyait. Il torchait ses décors en trois coups de pinceau délavés, ce qui est astucieux, l’œil se concentre alors sur ce qui reste net, le visage.

Une vente récente est venue confirmer brillamment cet engouement des amateurs, le 29 novembre, au 9 rue Drouot, à Paris.
Quatre portraits par Friant étaient mis aux enchères, timidement estimés, une petite aquarelle à 3000€, un pastel à 4000 (notre illustration), une petite toile à 8000, et une toile moyenne à petit pédigrée, à 15 000 (estimations hautes).

Et les résultats de la vente alimenteront les annales. L'aquarelle, un portrait raté, est partie pour 7700€, les deux huiles pour 84 000 et 122 000 (pour le portrait de madame Paul, à la mise en scène si originale). Pour les deux toiles, c'était 10 fois les estimations. Quant au pastel, magnifique portrait, il frôlait 100 fois les estimations à 324 000€ (1).

Double record, pour les chasseurs de superlatifs, parce qu’aucune œuvre de Friant, sauf erreur, n’avait atteint un tel prix, certainement même du vivant à succès du peintre (2), et parce que, sauf exception, le prix des pastels, médium extrêmement fragile et déconsidéré, est habituellement très largement inférieur au prix des huiles.

 *** 

(1) Le titre du pastel, « La modiste », attribué sur le catalogue de la vente, est assez inapproprié. « Chez la modiste » aurait mieux convenu. La scène se passe effectivement dans un magasin de mode, mais la jeune femme est habillée chaudement comme une cliente, et elle tient à la main un petit pain et un maigre bouquet d’œillets blancs. On retrouve ici la tendance à la sensiblerie d’Émile Friant. La jeune femme, habillée avec un soin discret, vient d’entrer dans le magasin, mais son regard rêveur et un peu triste et ses modestes courses suggèrent qu’elle ne fera qu’admirer les présentoirs de la modiste. 
(2) Grossièrement calculé, 300 000€ aujourd’hui feraient 100 000F en 1890, c’est à dire le prix que Bouguereau demandait pour les immenses pensums cuisinés particulièrement pour les musées et qu’il ne parvenait pas toujours à vendre.

mercredi 5 décembre 2018

Les pantoufles de Caravage

Il y avait, dans un quartier riche de Paris, près de l’Arc de triomphe de l’Étoile, un opulent hôtel particulier qu’un public clairsemé visitait en déambulant paisiblement. On y retrouvait, dans des salons surchargés de meubles, de tapisseries, de bas-reliefs, et de statues, de vieilles connaissances fidèles et silencieuses : le plus beau Rembrandt en France, un Ruisdael délicat, et une vierge sculpturale de Giovanni Bellini, sans oublier Uccello, Botticelli, Tiepolo…

À peine avait-on passé le portail sur le grand boulevard, et gravi les marches de marbre qu’on entrait dans un petit musée de province. On troublait le silence en faisant légèrement craquer le plancher d’où s’exhalait le parfum persistant de la cire.
C’était au siècle dernier. Le musée Jacquemart-André était alors administré avec routine par une fondation créée par les académiciens moribonds de l’Institut de France.

En 1995, l’Institut se débarrassait du musée, comme d’autres institutions publiques, au profit des intérêts privés de l’entreprise Culturespaces, filiale de Gaz de France (aujourd’hui Engie).

Et le musée s’est depuis transmué par magie en un Disneyland de la culture bourgeoise.
Un budget considérable est consacré à la promotion d’expositions anémiques avec un zeste de prestige, comme pratiquait la feue et interlope Pinacothèque de Paris.
Des économies aussi considérables sont faites sur l’accueil, le confort et l’information du visiteur. Aucune consigne de sécurité n’est respectée, pas de surveillance de l’entrée et des vestiaires, pas de fouille visuelle.
Les salles d’exposition sont si petites et le public si nombreux qu’il est impossible de contempler un tableau plus de 30 secondes sans qu’une oppression panique vous saisisse et le besoin de respirer vous précipite vers la sortie.

Par bonheur, la boutique du musée dont la visite est forcée au moyen d’un parcours tortueux unique, abonde en produits culturels, figurines de plastique, maillots imprimés et minuscules reproductions aimantées. On recommandera particulièrement le torchon « Mary Cassatt », 100% coton, qui montre qu’au-delà de certaines revendications un peu radicales, les meilleures peintres américaines savaient soigner leur linge de maison. On dit que les pantoufles de Caravage sont attendues.
Et puis on peut feuilleter les catalogues d’exposition, encombrants et exorbitants, et y voir enfin les tableaux dans leur entier.

Le torchon de Mary Cassatt, peintre impressionniste américaine, est en vente dans la boutique du musée Jacquemart-André. À l’occasion de l'exposition actuelle, on espère la commercialisation des pantoufles de Caravage. 


Allez donc voir l’exposition « Caravage à Rome ». Même si le peintre y est peu représenté, 9 tableaux dont au moins un faux (l’Ecce homo de Gênes), quelques copies, et trois magnifiques (de Milan la Cène à Emmaüs, et de Rome, le Saint Jérôme de la galerie Borghese et la Judith décapitant Holopherne, au palais Barberini), elle bat déjà des records de fréquentation. Vous y battrez sans doute un record personnel de la visite la plus courte, vu le nombre d’œuvres au catalogue et l’impossibilité de les approcher.
Mais vous pourrez, plus tard, toute amertume digérée, affirmer avec fierté « j’ai fait l’exposition Caravage au Jacquemart, en 18 ». La preuve définitive, à défaut d'agrémenter vos souvenirs, sera sur la porte de votre réfrigérateur.

samedi 23 décembre 2017

Tableaux singuliers (7)

Après une averse, une dame vêtue de rouge vif et au bas de robe crotté déambule dans une rue sans doute fréquentée par des messieurs. Au même instant deux bourgeoises sortent du porche imposant d’une maison au hautes fenêtres protégées par d’épais barreaux et s’apprêtent à entrer dans un fiacre. La scène est peinte à la manière d’une indiscrétion, surprise par un passant.

Raffaello Sorbi, Le fiacre, 1872 (28x35cm, Vente Sotheby 16.12.2015, 31k£)

Né à Florence en 1844, Raffaello Sorbi y apprend la peinture, y obtient des prix, y peint sur commande pour des amateurs anglais et américains, fait peut-être un aller-retour à Rome, revient à Florence, y peint des tableaux de genre historique et vaguement folklorique, des portraits nettement pompéiens, et de guillerettes scènes de village. Il est élu à l’Académie des beaux-arts de Florence, où il meurt en 1931.

À peine mort Sorbi est oublié, en bon peintre académique, à l’image d’un Ernest Meissonnier moins martial et plus rural, et comme tant d’autres son nom se perd, et refait surface de temps en temps dans une salle des ventes, quand une famille en difficulté en espère une embellie.
Notons qu’il inspire encore de nos jours les fabricants de puzzles de 2000 pièces, comme les plus grands !

Ses tableaux ne brillent pas, d’ordinaire, par un sens particulier de la mise en page, elle est plate et frontale, ni des couleurs, elles sont insipides, ni de « l’intériorité », son point de vue est toujours superficiel. Mais, comme dit le proverbe congolais « il y a toujours quelque chose de bon dans le plus mauvais des peintres », et on trouve quelquefois dans la production de Sorbi un tableau inattendu, insolite, plaisant, dont cette singulière scène de fiacre.
Quelle idée, quel sentiment auront incité Sorbi, expert en félicité villageoise et en festivités toscanes, à peindre ce curieux instantané clandestin ?















Une jolie toile originale de Raffaello Sorbi, l’étendage du linge blanc (Panni Stesi, v.1895, 12x18cm, vente Florence 20.04.2013, 9k€)

dimanche 28 août 2016

Les saisons de Houdon

Ce n’est peut-être pas un hasard si les deux grands portraitistes de la fin du 18ème siècle, les sculpteurs Houdon et Pajou membres de la très respectueuse Académie royale, après avoir réalisé de magnifiques bustes de l’aristocratie de l’Ancien Régime, ont traversé sains et saufs les tempêtes de la Révolution française et de l’Empire.
Ils étaient tous deux membres de la progressiste et influente loge maçonnique des « Neuf Sœurs », qui joua un rôle important dans la lutte des colons américains pour l’indépendance et la propagation des idéaux républicains, et ils y côtoyèrent Lalande, Helvetius, Benjamin Franklin, Thomas Jefferson, et même Voltaire et Joseph Ignace Guillotin.

Le musée Fabre de Montpellier expose une exceptionnelle collection permanente de très beaux bustes de Pajou, et de chefs d’œuvres de Houdon, dont les marbres originaux de l’Hiver, superbe espièglerie callipyge réalisée en 1783, et de l’Été sculpté en 1785, remarquable par son naturel (notamment dans le traitement du regard), naturalisme avant l’heure qui émerveillera bien plus tard Carpeaux et Rodin.

Houdon Jean-Antoine, l'Hiver (Montpellier musée Fabre)

Houdon Jean-Antoine, l'Été - détail (Montpellier musée Fabre)

samedi 20 février 2016

Le Mètre a pensé (l'orthographe)

Mais les générations prochaines
Qui n'mettront plus d'accent à chaines
Jugeront que leurs ainés
Les ont longtemps trainées
Pierre Perret 1992, La réforme de l'orthographe, dans l'album Bercy Madeleine
Je ne me mesle ny d’ortografe, et ordonne seulement qu’ils [les imprimeurs] suivent l’ancienne, ny de la punctuation. 
Montaigne, Essais Livre 3, chapitre 9, de la vanité (vers 1588)

Les réseaux sociaux, dont l’orthographe n’est pourtant pas le souci majeur, frétillent depuis deux semaines, scandalisés par la nouvelle d’une réforme arbitraire et soudaine de l’orthographe imposée par le gouvernement français.
La vérification de l’information ne semble pas non plus être de leurs soucis.

On attendait en revanche plus de circonspection de la part de celui qui est depuis quelques années l’autre philosophe le plus médiatisé, le libertaire, le subversif de la Contre-histoire de la philosophie qu’on écoutait en extase quand il nous contait en 2003 ou 2005 les mésaventures de Démocrite, de Lucrèce ou de Spinoza.
Mais Onfray a vendu tant de livres où il pense, que les médias l’ont couronné spécialiste en idées sur les choses du monde (il ne les a pas contredits) et l’invitent sans discernement dès qu’il est question de penser. Jusqu’à la radio France Culture qui comme pour dire l’oracle à Delphes a créé une émission qu’elle a intitulée « Le Monde selon Michel Onfray », avec une majuscule à Monde. Tous les samedis de 12h45 à 12h50, l’auditeur ingurgite les sentences du prophète avec des cuillérées de ragout.

Fatalement, le Maitre a été consulté le 6 février sur le sujet brulant de la « réforme de l’orthographe ». Mais, alors que les grandes philosophies murissent lentement, durant des siècles, de leur confrontation à la réalité, Onfray n’a eu que trois jours pour y penser. Dès lors il en parle sans réfléchir.

Avant de recevoir l’augure, et pour résumer succinctement l'affaire, personne n’est mieux placé que Michel Rocard alors Premier ministre et coordinateur de l’entreprise de simplification de l’orthographe (car ces rectifications que tous découvrent aujourd’hui datent en fait de 1990), simplification présidée et validée par l’Académie française et annexée à la 9ème édition du Dictionnaire en 1992, contrairement aux récentes dénégations d’académiciens alors somnolents ou devenus depuis oublieux par la force des choses.
Rocard en fait le récit pittoresque au cours d’un entretien « À voix nue » sur France culture en 2013 (13 minutes savoureuses à écouter ici). Il en avait déjà discuté avec brio en 2000, notamment du traitement informatisé de la langue française et de la conservation et la diffusion du patrimoine.

À présent observons quelques extraits de la pensée de Maitre MO (certaines phrases ont été regroupées par thème, dans un ordre logique).

Le journaliste lui demande d’abord s’il est pour ou contre la « réforme » de l’orthographe. « J’ai presque pas envie de répondre à la question pour ou contre » répond MO. On constatera néanmoins dans 5 minutes qu’il y aura répondu, par la négative, mais peut-être est-ce difficile à avouer immédiatement quand on est un rebelle certifié. Ou peut-être veut-il nous dire ici que la vérité est ailleurs, et qu'il sait où elle se trouve.

Il part alors dans une envolée vibrante sur la nécessité d’apprendre par cœur. « L’apprentissage concerne le cerveau, moins on apprend, moins on sait de choses c'est une évidence, mais moins on fait fonctionner son cerveau, moins le cerveau fonctionne, ça parait évident. […] Dans notre civilisation il n'y a plus d'apprentissage par cœur, on passe aujourd'hui l'épreuve de mathématiques du bac avec une calculette. […] Et on va avoir aujourd'hui une orthographe qui est une espèce de vanne ouverte […] Il faut apprendre du par cœur, et parfois même du par cœur pour du par cœur, on sait bien que plus on apprend de choses par cœur, plus le cerveau devient efficace, mais dans une civilisation où on nous invite à ne pas penser, à ne pas réfléchir, à ne pas poser la question du pourquoi parce que après on aura un comment et que expliquer c'est déjà tout justifier […] Je crains qu'avec la disparition de l'orthographe, de la grammaire, du calcul, de l'apprentissage du par cœur, on fabrique un cerveau facile à gouverner. »

On devine ici la réaction de qui a surmonté la souffrance d’apprendre une orthographe absurdement compliquée, sans la comprendre ni la remettre en question et qui aimerait inconsciemment que les autres en souffrent, désir masqué par un argumentaire dont la cohérence défaille sérieusement.
Résumons sa pensée : l’apprentissage par cœur fait travailler le cerveau et le rend efficace, mais notre civilisation, pour nous soumettre encore plus, nous invite à ne pas réfléchir en n'imposant plus d'orthographe au point que nos encéphales ne fonctionnent plus. MO est bien le dernier à croire que l’apprentissage par cœur fait progresser l’intelligence, alors qu’il fait surtout travailler la mémoire aux dépens de la réflexion, car il évite d’avoir à réfléchir à la méthode ou aux outils qui permettraient de reconstituer les mêmes données.
Maitre MO accuse la civilisation, par sa complaisance, de nous empêcher de poser des questions, quand c'est au contraire le résultat du « par cœur », car apprendre par automatisme revient à renoncer à comprendre les règles, et à rendre ainsi les cerveaux faciles à gouverner, l'inverse de ce qu'affirme MO.

Puis il poursuit. « La simplification n’est pas une bonne raison, simplifier nénuphar qui est un mot qu'on n'utilise pas, pourquoi pas changer les mots qu'on utilise plus souvent, et avoir le courage de tout écrire en phonétique, ce qui est une manière de simplifier, donc de massacrer. […] C’est dommage qu'on ne se permette pas cet apprentissage de la règle (il accentue le mot), parce que la vie en communauté ça suppose des règles (il accentue le mot), parce que la république dont tout le monde se gausse aujourd'hui ça suppose des règles (il accentue le mot) et là on dit bah finalement y'a plus de règles, y'a la règle qu'on voudra, on aura des orthographes diverses et multiples, on n’est plus capable aujourd'hui de proposer une règle en disant c'est la même pour tout le monde. »

Ici Maitre MO a peut-être écouté les réactions indignées des réseaux sociaux et des journaux réactionnaires sans s’informer sur les raisons et le périmètre de ces simplifications de l'orthographie, puisqu’elles visent principalement la rectification d’exceptions, d’anomalies qui n’étaient pas fondées, et qui justement ne respectaient pas les règles.

Quand il dit qu’il n’y a plus de règle, il vise également le caractère facultatif des rectifications. En effet, et ce depuis 1990, les diverses directives de l’Éducation nationale ont toujours affirmé, sur les conseils impérieux de l’Académie, que les deux orthographes étaient autorisées et donc non fautives, même si la nouvelle devait être préférée.

Et si l’affaire ne survient qu’aujourd’hui c’est parce que les éditeurs scolaires profitent de la très discutée réforme du collège et des contenus de la rentrée 2016, qui les oblige à remanier les manuels, pour intégrer à moindre frais les rectifications préconisées en 1990 et qu’ils avaient jusqu’à présent mises au placard.
Seuls les principaux dictionnaires électroniques (Antidote, Robert) et les correcteurs orthographiques des traitements de texte (notamment l’omniprésent Microsoft) les avaient intégrées. Ils acceptent les deux orthographes depuis 2008 au moins. Vous écrivez probablement ainsi les mots « règlementaire, relai, chaine, weekend, évènement, piqure » depuis des années sans savoir que vous appliquez les rectifications de 1990 car les correcteurs d’orthographe ne les soulignent plus d’un pointillé rouge accusateur.

Sur ce point Maitre MO a raison, l’Académie et l’Éducation nationale n’ont pas osé imposer une graphie, attendant sagement que la force de l’usage s’en charge. Mais ce laisser-faire ne concerne finalement que 1300 mots. Le cas du mot nénufar est anecdotique mais exemplaire. D’origine arabe et non grecque, il s’écrivait nénufar au 18ème siècle quand on lui imposa le « ph » car on le pensait par erreur d’origine hellénique.

Le journaliste s’étonne ensuite de cette défense éperdue de la norme et lui oppose le besoin de créativité face à des règles bien souvent arbitraires.

Maitre MO rétorque. « Quand je prends la voiture je suis très heureux qu'il y ait un code de la route, chacun convient qu'il faut des règles [...], je dis que ce refus de la règle est semble-t-il généralisé, mais on ne prend jamais un avion qui est piloté par quelqu'un qui n'a pas son brevet de pilote. [...] La république c'est l'idée qu'une multiplicité d'individus consentent à une règle commune. La liberté n'est pas la licence, ça se construit avec de l'intelligence, de la mémoire, avec de l'histoire, avec du patrimoine, avec bien sûr de l'invention et de la créativité, je ne suis pas sûr qu'avec la licence on invente beaucoup plus qu'avec la liberté. »

Là encore Maitre MO se laisse emporter par l'élan de son exaltation originelle, et compare les règles orthographiques à celles qui contrôlent la circulation aérienne. Subtile analogie qui insinue ainsi que les risques en sont comparables. 
Car pour lui les choses sont limpides, la rectification de l'orthographe est du laxisme, de la licence, c'est à dire le dérèglement des mœurs, le désordre moral, l'anarchie.
Ainsi avec le temps, comme sous l’effet de la cuisine normande, l’homme des envolées libertaires s’est naturellement épaissi, et sa pensée aussi. Il est devenu ce qu’il condamnait. Il est prêt pour un ministère.

Décidément, ce sujet pourtant prosaïque et futile a fait dépasser toute mesure aux réseaux sociaux, aux journaux, à l’Académie des Immortels et aux plus grands philosophes vivants. Mais ces débordements nous auront finalement confirmé que les ruminations de nos penseurs appointés ne nous paraissent perspicaces qu’à la mesure de notre méconnaissance du sujet.

samedi 30 janvier 2016

La maladie de l'immortalité

Le prophète de LA civilisation, le résistant contre l’anti-France, l’expert en idées générales et en opinions sur tout, bref, pour le spectateur du journal télévisé, l’archétype du philosophe français a fait jeudi la lecture de son discours protocolaire de réception solennelle à l’Académie française, devant le Premier pitre du gouvernement et un parterre de momies.

Il est ainsi devenu gardien de la langue française, Immortel parmi les Immortels, seizième postérieur à occuper le fauteuil numéro 21 de l'auguste institution.
En fait parmi les 731 fessiers qui ont pensé sur les fauteuils de l’Académie française depuis 1634, bien peu ont survécu, même dans les mémoires. Citons cependant Honorat de Porchères Laugier, Népomucène Lemercier, Hardouin de Péréfixe, Désiré Nizard ou Esprit Fléchier.

Enfin reconnaissons dans le discours de remerciement du 731ème un maniement maitrisé de la langue française et célébrons cet évènement en citant une des sentences les plus visionnaires de son auteur, du 18 décembre 2009, afin de l’immortaliser plus encore, si la chose était concevable.

« Internet, cette poubelle, ce lieu d'anarchie est en train de contaminer les médias traditionnels civilisés » Alain Finkielkraut.


 




Illiers-Combray en Eure-et-Loir, devant la maison de la tante de Marcel Proust. On notera sur la pancarte les accents sur les majuscules qui non seulement facilitent la lecture et la compréhension du texte mais sont défendus avec conviction par l’Académie française, Académie qui n’aura pourtant jamais intronisé Proust.

samedi 24 août 2013

Il y a réalisme et réalisme

En réaction contre la peinture imaginaire, religieuse, morale, historique de leur pères prescrite par les académies, de nombreux courants picturaux réalistes, naturalistes, véristes, impressionnistes traversèrent l'Europe dans la seconde moitié du 19ème siècle.
C'est le prix même de la vie que de devoir se séparer du passé. De grandes théories furent imaginées à l'appui de cette réaction naturelle. Il fallait alors montrer le monde comme on le voyait, comme on le ressentait, sans l'idéaliser.

Telemaco Signorini (1835-1901) est un intellectuel florentin, légèrement excentrique et dandy. Il fréquente un cercle de peintres à la recherche de thèmes réalistes et de changements formels, les Macchiaioli, s'engage quelques temps comme nombre d'autres peintres auprès de Garibaldi, côtoie certains peintres français, Corot, Degas, théorise un peu et fonde une revue artistique éphèmère.

Au milieu des années 60 Signorini peint quelques tableaux au thème social, comme la célèbre Salle des agitées à l'asile San Bonifazio de Florence, en 1865, admirée par Degas, exposée aujourd'hui au musée Ca' Pesaro de Venise, ou comme l'Alzaia en 1864.


L'Alzaia (le chemin de halage) représente une scène de halage dans le parc Cascine à Florence, sur les rives de l'Arno, en fin de journée. La scène est reconstituée en atelier d'après des poses photographiées par Cristiano Banti, un collègue.
Cinq hommes peinent, tirant au bout d'une corde une charge qu'on ne voit pas. Le point de vue au ras du sol découpe sur le ciel leurs silhouettes sombres et leur donne un aspect menaçant, pour le petit chien qui aboie, et la fillette inquiète qui se protège dans la redingote de son père indifférent, le dos tourné.
L'étrangeté de la situation, la monumentalité du tableau (1,73 mètre), la pose sculpturale des personnages comme sur la frise d'un temple, donnent à cette scène un aspect irréel, symbolique (voire moralisateur). Récemment redécouvert et exposé au musée de l'Orangerie de Paris, le tableau est actuellement sur le marché de l'art.

Ilia Répine (1844-1930) est un peintre russe très réaliste, d'un réalisme cru, brutal, qui ne se pose pas vraiment de questions stylistiques. Et un réalisme littéral devient inévitablement une critique sociale quand il s'intéresse aux gens modestes.
Un temps membre du groupe des Peredvijniki (peintres ambulants) qui fuient l'académisme, Répine devient très vite renommé pour ses représentations fidèles de la réalité et un portraitiste recherché. Comme Rembrandt qu'il admire, il n'y met aucune manière et ne recherche que le naturel des modèles.
Très courtisé par Lénine qui le juge fondateur du réalisme soviétique il reste néanmoins jusqu'à sa mort dans sa propriété du golfe de Finlande sur les bords de la mer Baltique (aujourd'hui Répino, en Russie).


Entre 1870 et 1873, jeune médaillé de l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, Répine passe des mois sur les bords du fleuve Volga, auprès des travailleurs de force qui remorquent les bateaux. Il y réalise son premier chef-d'œuvre, Bourlaki na Volguié (haleurs sur la Volga), aujourd'hui au Musée russe de Saint-Pétersbourg. 3,7 mètres carrés de réalisme vériste à la force du pinceau.
Depuis, le tableau est devenu le symbole de l'oppression dans la Russie tsariste. On le trouve reproduit dans les manuels d'histoire du monde entier.
 

jeudi 19 février 2009

La raiforme de l'ortografe

Dans les sous-sols du palais du CNIT, à La Défense, on n'apprend l'alphabet que jusqu'à la lettre DManet a peint un piquenique empreint d'ambigüité, Monet des amoncèlements de nénufars, Gauguin les iles, et Van Gogh des potpourris d'ognons bien murs, de cèleris et de giroles. Bosch a peint un charriot de foin, Vermeer une dentelière, Harnett un révolver pas complètement règlementaire, Samuel Van Hoogstraten des enfilades de pièces dont chacune doit sans doute recéler pêlemêle un porteclé, un tirebouchon, une serpillère, un faitout voire un curedent. Goya a certainement imaginé une chauvesouris et un millepatte dansant une valse douçâtre devant un parterre de cent-dix-sept sconses, sous les notes suraigües de quelques jazzmans atteints d'exéma, ou d'autres scénarios aussi infernaux où l'abime côtoie la voute étoilée. Ces peintres ont libéré leurs fantasmes, leurs tocades, les ont laissé faire et ont ainsi créé cette pagaille d'artéfacts qui hante désormais notre imaginaire.

Arrêtons-là cette énumération de quincailler et dont vous soupçonnez surement l'apriori : c'était une espèce de gageüre, enchainer un grand nombre d'embuches du français en respectant les prescriptions de la «rectification» de l'orthographe de 1990.

Si, pris d'un doute abyssal, vous avez demandé au hautparleur de votre ordinateur de sonner chaque faute d'orthographe de ce mémento (dont on conçoit que la sècheresse ne vous plait guère), il est probable qu'il n'aura pas cessé de sonner indument. C'est que vous ne l'avez pas autorisé à tenir compte de cette évolution de l'orthographe. Certains correcteurs le permettent.

Depuis bientôt vingt ans ces rectifications ont peu subi le véto des médias ou la piqure des boutentrains des chaines de télévision, et si elles n'ont pas atteint les maximums de protestation ou de haine qu'on aurait pu prévoir, c'est parce qu'elles sont des recommandations, certes appuyées, mais autorisant l'alternative. Et si la dictée de votre enfant est sanctionnée pour avoir employé l'une des deux orthographes admises, vous pouvez être surs de votre droit et assoir votre protestation sur un texte officiel dument estampillé.

Sauf erreur cette chronique contient allègrement 60 mots dont l'orthographe a été modifiée en 1990. Regrettons de ne pas avoir pu y placer «diésel, ponch, placébo ou relai».
Vous trouverez derrière l'icône ci-contre le corrigé de l'exercice. Après cela les plus inconscients s'aventureront sous ce lien et y dénicheront plus de 1300 mots rectifiés supplémentaires, parait-il.

dimanche 22 juillet 2007

La vie des cimetières (8)

« NE DÉPOSEZ RIEN SUR LA VOIE PUBLIQUE
TRIEZ VOS DÉCHETS
UTILISEZ LE BAC APPROPRIÉ *»

* Ce Glob Est Plat s'est permis de corriger légèrement l'orthographe du message sur la poubelle, et signale à la Mairie de Paris qu'en français les majuscules devraient comporter les accents, comme le conseille ce texte limpide de l'Académie française.