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lundi 25 novembre 2019

Clichés de Conques


Conques [kɔ̃k] (prononcer konk) est un joli petit village de l’Aveyron, certains diront du Rouergue, ou du Midi-Pyrénées, voire de l’Occitanie, bref, du sud de la France, mais alors très au nord de tout cela, à peu de chose près en Auvergne, dans une vallée boisée.

Jadis florissante et fréquentée par les pèlerins qui partaient du Puy-en-Velay vers Compostelle, Conques était une ville. Si la tendance démographique, régulière depuis 1900, persiste, elle sera vide vers 2045, et seulement ouverte à heures fixes, comme un parc d’attractions.
Les employés et commerçants arriveront le matin en camionnette, un peu avant les touristes, rinceront les rues, rempliront les distributeurs de cartes postales, et aéreront l’abbatiale classée au Patrimoine mondial de l’humanité où parfois, en fin d’après-midi, seront données des pièces de musique baroque. 

Intérieur de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, transept nord et ambulatoire. Le piano à gauche qui parait plus récent que le petit orgue positif, à droite, ne l’est probablement pas. L’orgue a été créé en 2000 par J. Boissonnade.
Il parait que les vitraux sont du grand peintre abstrait Pierre Soulages. Leur vertu essentielle est de ne pas le faire remarquer.


AltL’abbatiale est célèbre pour les sculptures débridées du tympan de sa façade ouest, qui représentent un Jugement dernier. On nous informe, sur sa moitié droite, que « Les injustes sont tourmentés de supplices, brulés dans les flammes, ils tremblent devant les démons et gémissent sans fin. Les voleurs, les menteurs, les trompeurs et les rapaces avides, les voilà tous condamnés ainsi, de même que les criminels. Ô pécheurs, à moins que vous ne changiez de vie, sachez que le jugement sera rude pour vous ».
Mais pas d’affolement, ce sera après la mort, et les textes ne sont pas vraiment limpides sur l'échéance. Actuellement, on peut se gaver et profiter de tout et de tous.
Les textes gravés seraient truffés de jeux de mots et de finesses oulipesques. Tout cela est analysé avec beaucoup de sérieux dans le site définitif et d'une captivante érudition de P. Séguret.

À l'époque, on aimait aussi les couleurs vives. La pierre calcaire, après 800 ou 900 ans, en a conservé de nombreuses traces. Les couleurs d’alors ont d'ailleurs été extrapolées dans des spectacles lumineux, peut-être immodérément.
Il n’est pas impossible que l’engouement contemporain pour l’authenticité, et l'attrait pour les coloriages tapageurs, finissent par faire un jour de Conques un petit Disneyland de l’art roman.



mercredi 5 décembre 2018

Les pantoufles de Caravage

Il y avait, dans un quartier riche de Paris, près de l’Arc de triomphe de l’Étoile, un opulent hôtel particulier qu’un public clairsemé visitait en déambulant paisiblement. On y retrouvait, dans des salons surchargés de meubles, de tapisseries, de bas-reliefs, et de statues, de vieilles connaissances fidèles et silencieuses : le plus beau Rembrandt en France, un Ruisdael délicat, et une vierge sculpturale de Giovanni Bellini, sans oublier Uccello, Botticelli, Tiepolo…

À peine avait-on passé le portail sur le grand boulevard, et gravi les marches de marbre qu’on entrait dans un petit musée de province. On troublait le silence en faisant légèrement craquer le plancher d’où s’exhalait le parfum persistant de la cire.
C’était au siècle dernier. Le musée Jacquemart-André était alors administré avec routine par une fondation créée par les académiciens moribonds de l’Institut de France.

En 1995, l’Institut se débarrassait du musée, comme d’autres institutions publiques, au profit des intérêts privés de l’entreprise Culturespaces, filiale de Gaz de France (aujourd’hui Engie).

Et le musée s’est depuis transmué par magie en un Disneyland de la culture bourgeoise.
Un budget considérable est consacré à la promotion d’expositions anémiques avec un zeste de prestige, comme pratiquait la feue et interlope Pinacothèque de Paris.
Des économies aussi considérables sont faites sur l’accueil, le confort et l’information du visiteur. Aucune consigne de sécurité n’est respectée, pas de surveillance de l’entrée et des vestiaires, pas de fouille visuelle.
Les salles d’exposition sont si petites et le public si nombreux qu’il est impossible de contempler un tableau plus de 30 secondes sans qu’une oppression panique vous saisisse et le besoin de respirer vous précipite vers la sortie.

Par bonheur, la boutique du musée dont la visite est forcée au moyen d’un parcours tortueux unique, abonde en produits culturels, figurines de plastique, maillots imprimés et minuscules reproductions aimantées. On recommandera particulièrement le torchon « Mary Cassatt », 100% coton, qui montre qu’au-delà de certaines revendications un peu radicales, les meilleures peintres américaines savaient soigner leur linge de maison. On dit que les pantoufles de Caravage sont attendues.
Et puis on peut feuilleter les catalogues d’exposition, encombrants et exorbitants, et y voir enfin les tableaux dans leur entier.

Le torchon de Mary Cassatt, peintre impressionniste américaine, est en vente dans la boutique du musée Jacquemart-André. À l’occasion de l'exposition actuelle, on espère la commercialisation des pantoufles de Caravage. 


Allez donc voir l’exposition « Caravage à Rome ». Même si le peintre y est peu représenté, 9 tableaux dont au moins un faux (l’Ecce homo de Gênes), quelques copies, et trois magnifiques (de Milan la Cène à Emmaüs, et de Rome, le Saint Jérôme de la galerie Borghese et la Judith décapitant Holopherne, au palais Barberini), elle bat déjà des records de fréquentation. Vous y battrez sans doute un record personnel de la visite la plus courte, vu le nombre d’œuvres au catalogue et l’impossibilité de les approcher.
Mais vous pourrez, plus tard, toute amertume digérée, affirmer avec fierté « j’ai fait l’exposition Caravage au Jacquemart, en 18 ». La preuve définitive, à défaut d'agrémenter vos souvenirs, sera sur la porte de votre réfrigérateur.