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lundi 27 mars 2017

Cueco, la fin d'un homme discret

Henri Cueco - Brûlures du paulownia été 2003, détail.

Que reste-t-il sur internet d’un peintre relativement inconnu ?

Henri Cueco vient de mourir le 13 mars 2017.
Peintre des collections obsessionnelles, écrivain, philosophe facétieux, on l’avait beaucoup entendu dans les émissions oulipiennes de « divertissements littéraires à contraintes » de Bertrand Jérôme sur la radio France culture, « Les décraqués », quotidiens, et « Les papous dans la tête », hebdomadaires. C’était l’époque, avant 2004, où on y entendait encore Roland Dubillard, Georges Perec, Hervé Le Tellier, Roland Topor, Christian Zeimert, et le génial Jacques Rouxel, émissions d’anthologie conservées jalousement dans les immenses archives de la radio, et rarement partagées.

Il reste un réjouissant abécédaire réalisé en 2010 par Pascal Lièvre et financé par le musée Ingres de Montauban. En 26 entretiens de 2 à 3 minutes, Cueco improvise sur un mot, qu’il découvre à chaque séance, à la fois avec gravité et légèreté.
C’est une leçon de liberté de pensée, qu’on peut prendre à petite dose, une lettre par jour par exemple, sans respecter l’ordre alphabétique, en commençant par dieu, puis yeux, géométrie, vérité, humour, mémoire, quête, toile, peuple, web… On pourra aussi écouter les autres lettres, animal, beauté, couleur, espace, figure, idéologie, joie, kaléidoscope, lumière, narration, organisme, raison, série, utopie, X, et zéro.
L’ensemble complet ordonné se trouve sur le site de Pascal Lièvre.

On trouvera enfin sur Youtube un petit entretien rural de 13 minutes, et quelques tableaux montrés furtivement, comme l’aura été l’existence de cet homme discret.

samedi 20 février 2016

Le Mètre a pensé (l'orthographe)

Mais les générations prochaines
Qui n'mettront plus d'accent à chaines
Jugeront que leurs ainés
Les ont longtemps trainées
Pierre Perret 1992, La réforme de l'orthographe, dans l'album Bercy Madeleine
Je ne me mesle ny d’ortografe, et ordonne seulement qu’ils [les imprimeurs] suivent l’ancienne, ny de la punctuation. 
Montaigne, Essais Livre 3, chapitre 9, de la vanité (vers 1588)

Les réseaux sociaux, dont l’orthographe n’est pourtant pas le souci majeur, frétillent depuis deux semaines, scandalisés par la nouvelle d’une réforme arbitraire et soudaine de l’orthographe imposée par le gouvernement français.
La vérification de l’information ne semble pas non plus être de leurs soucis.

On attendait en revanche plus de circonspection de la part de celui qui est depuis quelques années l’autre philosophe le plus médiatisé, le libertaire, le subversif de la Contre-histoire de la philosophie qu’on écoutait en extase quand il nous contait en 2003 ou 2005 les mésaventures de Démocrite, de Lucrèce ou de Spinoza.
Mais Onfray a vendu tant de livres où il pense, que les médias l’ont couronné spécialiste en idées sur les choses du monde (il ne les a pas contredits) et l’invitent sans discernement dès qu’il est question de penser. Jusqu’à la radio France Culture qui comme pour dire l’oracle à Delphes a créé une émission qu’elle a intitulée « Le Monde selon Michel Onfray », avec une majuscule à Monde. Tous les samedis de 12h45 à 12h50, l’auditeur ingurgite les sentences du prophète avec des cuillérées de ragout.

Fatalement, le Maitre a été consulté le 6 février sur le sujet brulant de la « réforme de l’orthographe ». Mais, alors que les grandes philosophies murissent lentement, durant des siècles, de leur confrontation à la réalité, Onfray n’a eu que trois jours pour y penser. Dès lors il en parle sans réfléchir.

Avant de recevoir l’augure, et pour résumer succinctement l'affaire, personne n’est mieux placé que Michel Rocard alors Premier ministre et coordinateur de l’entreprise de simplification de l’orthographe (car ces rectifications que tous découvrent aujourd’hui datent en fait de 1990), simplification présidée et validée par l’Académie française et annexée à la 9ème édition du Dictionnaire en 1992, contrairement aux récentes dénégations d’académiciens alors somnolents ou devenus depuis oublieux par la force des choses.
Rocard en fait le récit pittoresque au cours d’un entretien « À voix nue » sur France culture en 2013 (13 minutes savoureuses à écouter ici). Il en avait déjà discuté avec brio en 2000, notamment du traitement informatisé de la langue française et de la conservation et la diffusion du patrimoine.

À présent observons quelques extraits de la pensée de Maitre MO (certaines phrases ont été regroupées par thème, dans un ordre logique).

Le journaliste lui demande d’abord s’il est pour ou contre la « réforme » de l’orthographe. « J’ai presque pas envie de répondre à la question pour ou contre » répond MO. On constatera néanmoins dans 5 minutes qu’il y aura répondu, par la négative, mais peut-être est-ce difficile à avouer immédiatement quand on est un rebelle certifié. Ou peut-être veut-il nous dire ici que la vérité est ailleurs, et qu'il sait où elle se trouve.

Il part alors dans une envolée vibrante sur la nécessité d’apprendre par cœur. « L’apprentissage concerne le cerveau, moins on apprend, moins on sait de choses c'est une évidence, mais moins on fait fonctionner son cerveau, moins le cerveau fonctionne, ça parait évident. […] Dans notre civilisation il n'y a plus d'apprentissage par cœur, on passe aujourd'hui l'épreuve de mathématiques du bac avec une calculette. […] Et on va avoir aujourd'hui une orthographe qui est une espèce de vanne ouverte […] Il faut apprendre du par cœur, et parfois même du par cœur pour du par cœur, on sait bien que plus on apprend de choses par cœur, plus le cerveau devient efficace, mais dans une civilisation où on nous invite à ne pas penser, à ne pas réfléchir, à ne pas poser la question du pourquoi parce que après on aura un comment et que expliquer c'est déjà tout justifier […] Je crains qu'avec la disparition de l'orthographe, de la grammaire, du calcul, de l'apprentissage du par cœur, on fabrique un cerveau facile à gouverner. »

On devine ici la réaction de qui a surmonté la souffrance d’apprendre une orthographe absurdement compliquée, sans la comprendre ni la remettre en question et qui aimerait inconsciemment que les autres en souffrent, désir masqué par un argumentaire dont la cohérence défaille sérieusement.
Résumons sa pensée : l’apprentissage par cœur fait travailler le cerveau et le rend efficace, mais notre civilisation, pour nous soumettre encore plus, nous invite à ne pas réfléchir en n'imposant plus d'orthographe au point que nos encéphales ne fonctionnent plus. MO est bien le dernier à croire que l’apprentissage par cœur fait progresser l’intelligence, alors qu’il fait surtout travailler la mémoire aux dépens de la réflexion, car il évite d’avoir à réfléchir à la méthode ou aux outils qui permettraient de reconstituer les mêmes données.
Maitre MO accuse la civilisation, par sa complaisance, de nous empêcher de poser des questions, quand c'est au contraire le résultat du « par cœur », car apprendre par automatisme revient à renoncer à comprendre les règles, et à rendre ainsi les cerveaux faciles à gouverner, l'inverse de ce qu'affirme MO.

Puis il poursuit. « La simplification n’est pas une bonne raison, simplifier nénuphar qui est un mot qu'on n'utilise pas, pourquoi pas changer les mots qu'on utilise plus souvent, et avoir le courage de tout écrire en phonétique, ce qui est une manière de simplifier, donc de massacrer. […] C’est dommage qu'on ne se permette pas cet apprentissage de la règle (il accentue le mot), parce que la vie en communauté ça suppose des règles (il accentue le mot), parce que la république dont tout le monde se gausse aujourd'hui ça suppose des règles (il accentue le mot) et là on dit bah finalement y'a plus de règles, y'a la règle qu'on voudra, on aura des orthographes diverses et multiples, on n’est plus capable aujourd'hui de proposer une règle en disant c'est la même pour tout le monde. »

Ici Maitre MO a peut-être écouté les réactions indignées des réseaux sociaux et des journaux réactionnaires sans s’informer sur les raisons et le périmètre de ces simplifications de l'orthographie, puisqu’elles visent principalement la rectification d’exceptions, d’anomalies qui n’étaient pas fondées, et qui justement ne respectaient pas les règles.

Quand il dit qu’il n’y a plus de règle, il vise également le caractère facultatif des rectifications. En effet, et ce depuis 1990, les diverses directives de l’Éducation nationale ont toujours affirmé, sur les conseils impérieux de l’Académie, que les deux orthographes étaient autorisées et donc non fautives, même si la nouvelle devait être préférée.

Et si l’affaire ne survient qu’aujourd’hui c’est parce que les éditeurs scolaires profitent de la très discutée réforme du collège et des contenus de la rentrée 2016, qui les oblige à remanier les manuels, pour intégrer à moindre frais les rectifications préconisées en 1990 et qu’ils avaient jusqu’à présent mises au placard.
Seuls les principaux dictionnaires électroniques (Antidote, Robert) et les correcteurs orthographiques des traitements de texte (notamment l’omniprésent Microsoft) les avaient intégrées. Ils acceptent les deux orthographes depuis 2008 au moins. Vous écrivez probablement ainsi les mots « règlementaire, relai, chaine, weekend, évènement, piqure » depuis des années sans savoir que vous appliquez les rectifications de 1990 car les correcteurs d’orthographe ne les soulignent plus d’un pointillé rouge accusateur.

Sur ce point Maitre MO a raison, l’Académie et l’Éducation nationale n’ont pas osé imposer une graphie, attendant sagement que la force de l’usage s’en charge. Mais ce laisser-faire ne concerne finalement que 1300 mots. Le cas du mot nénufar est anecdotique mais exemplaire. D’origine arabe et non grecque, il s’écrivait nénufar au 18ème siècle quand on lui imposa le « ph » car on le pensait par erreur d’origine hellénique.

Le journaliste s’étonne ensuite de cette défense éperdue de la norme et lui oppose le besoin de créativité face à des règles bien souvent arbitraires.

Maitre MO rétorque. « Quand je prends la voiture je suis très heureux qu'il y ait un code de la route, chacun convient qu'il faut des règles [...], je dis que ce refus de la règle est semble-t-il généralisé, mais on ne prend jamais un avion qui est piloté par quelqu'un qui n'a pas son brevet de pilote. [...] La république c'est l'idée qu'une multiplicité d'individus consentent à une règle commune. La liberté n'est pas la licence, ça se construit avec de l'intelligence, de la mémoire, avec de l'histoire, avec du patrimoine, avec bien sûr de l'invention et de la créativité, je ne suis pas sûr qu'avec la licence on invente beaucoup plus qu'avec la liberté. »

Là encore Maitre MO se laisse emporter par l'élan de son exaltation originelle, et compare les règles orthographiques à celles qui contrôlent la circulation aérienne. Subtile analogie qui insinue ainsi que les risques en sont comparables. 
Car pour lui les choses sont limpides, la rectification de l'orthographe est du laxisme, de la licence, c'est à dire le dérèglement des mœurs, le désordre moral, l'anarchie.
Ainsi avec le temps, comme sous l’effet de la cuisine normande, l’homme des envolées libertaires s’est naturellement épaissi, et sa pensée aussi. Il est devenu ce qu’il condamnait. Il est prêt pour un ministère.

Décidément, ce sujet pourtant prosaïque et futile a fait dépasser toute mesure aux réseaux sociaux, aux journaux, à l’Académie des Immortels et aux plus grands philosophes vivants. Mais ces débordements nous auront finalement confirmé que les ruminations de nos penseurs appointés ne nous paraissent perspicaces qu’à la mesure de notre méconnaissance du sujet.

samedi 30 janvier 2016

La maladie de l'immortalité

Le prophète de LA civilisation, le résistant contre l’anti-France, l’expert en idées générales et en opinions sur tout, bref, pour le spectateur du journal télévisé, l’archétype du philosophe français a fait jeudi la lecture de son discours protocolaire de réception solennelle à l’Académie française, devant le Premier pitre du gouvernement et un parterre de momies.

Il est ainsi devenu gardien de la langue française, Immortel parmi les Immortels, seizième postérieur à occuper le fauteuil numéro 21 de l'auguste institution.
En fait parmi les 731 fessiers qui ont pensé sur les fauteuils de l’Académie française depuis 1634, bien peu ont survécu, même dans les mémoires. Citons cependant Honorat de Porchères Laugier, Népomucène Lemercier, Hardouin de Péréfixe, Désiré Nizard ou Esprit Fléchier.

Enfin reconnaissons dans le discours de remerciement du 731ème un maniement maitrisé de la langue française et célébrons cet évènement en citant une des sentences les plus visionnaires de son auteur, du 18 décembre 2009, afin de l’immortaliser plus encore, si la chose était concevable.

« Internet, cette poubelle, ce lieu d'anarchie est en train de contaminer les médias traditionnels civilisés » Alain Finkielkraut.


 




Illiers-Combray en Eure-et-Loir, devant la maison de la tante de Marcel Proust. On notera sur la pancarte les accents sur les majuscules qui non seulement facilitent la lecture et la compréhension du texte mais sont défendus avec conviction par l’Académie française, Académie qui n’aura pourtant jamais intronisé Proust.

dimanche 20 décembre 2015

Les animaux à carreaux de Gilles Aillaud

Gilles Aillaud, Otarie et jet d'eau, 1971, détail (collection M. & M.B.)


Un peu philosophe, un peu décorateur de théâtre, un peu écrivain, Gilles Aillaud était né à Paris en 1928.

En octobre 1965, avec deux amis agitateurs politiques (1) et l'aide de trois autres peintres (2), il assassinait Marcel Duchamp, l'artiste le plus important du 20ème siècle, le fondateur de l'art conceptuel, en l’étranglant et le précipitant nu et émasculé du haut d'un escalier.
La suite des huit toiles qui narrent l’évènement est aujourd'hui au musée de la reine Sofia, à Madrid. Duchamp mourra trois ans plus tard, cette fois réellement.

À l'époque Aillaud fréquentait déjà la ménagerie du Jardin des plantes et le zoo de Vincennes. Il avait été marqué, enfant, par le décor des jardins zoologiques et ne s’en était jamais remis. Fasciné par les grillages, les carrelages, les mosaïques, les plans d’eau, les barreaux dont les ombres formaient des motifs géométriques obsédants, il s’était mis à les peindre à l’huile sur des toiles de grand format.
De temps en temps apparaissaient une forme vague et molle, des taches indistinctes, des zébrures, des ocelles, c’était un animal.
Il représenta ainsi pendant plus de vingt ans des coins de ce monde en miniature, avec une neutralité distante.

Plus tard, dans les années 1980, apprenant que des animaux se trouvaient encore en liberté dans la nature, il s'envola pour le désert africain où il peignit alors les sables, les maigres herbes, les cailloux, les ondulations du sol et du ciel, et parfois un animal.
« Je peins des choses, je suis absolument incapable de peindre une idée. Je peins des choses parce que la force des choses me parait plus forte que toute idée. Pour nier une chose il faut la détruire, tandis qu’une idée, c’est du vent… » disait-il.

Il avait une passion pour Vermeer et pour Spinoza.
Puis il mourut à Paris en 2005.

Le Fonds régional d’art contemporain d'Auvergne à Clermont-Ferrand, après Rennes et Saint-Rémy-de-Provence, lui consacre une modeste et fascinante rétrospective jusqu’au 17 janvier 2016.
Vous regretterez un jour de ne pas y être allé.

***
1. Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati (avec Aillaud) ont peint et figuré sur 5 toiles.
2. Fromanger, Biras et Rieti ont exécuté les copies des 3 œuvres de Duchamp.

 


FRAC de Clermont-Ferrand, exposition Gilles Aillaud, décembre 2015.
 

dimanche 25 octobre 2015

Mais pourquoi tant de haine ?

Mark Antokolski, Socrate mourant, 1875, parc municipal de Lugano, Suisse.


Mark Antokolski était un sculpteur lituanien de la fin du 19ème siècle, donc russe, et croyant aux idéaux du naturalisme ou du vérisme, bref du réalisme.

Ainsi quand il décida de représenter la mort de Socrate, sujet émouvant qui avait inspiré tant d’artistes avant lui, au lieu de l’imaginer traditionnellement buvant la cigüe dans une grande scène théâtrale où le philosophe entouré de ses amis en larmes désignerait le ciel d’un geste grandiloquent, il choisit de le représenter mort, avachi comme un ivrogne endormi, et seul.

Il exposa le résultat à Paris en 1878, en obtint un succès certain, une médaille d’or et quelques commandes. Le marbre original est au Musée russe de Saint-Pétersbourg, et une des répliques qu’il en fit repose aujourd’hui à l’ombre d’un bosquet dans le parc municipal de Lugano, offerte à la ville par la famille de l’acquéreur en 1917.

En 1881, Antokolski qui décidément aimait à déshonorer les plus grands philosophes représentait Baruch Spinoza comme une vieille femme impotente et transie.

dimanche 19 janvier 2014

Des vérités intemporelles

Ce Glob est Plat affirmait jadis des vérités définitives sur la notion de vérité. Il était temps après de longues années et une visite instructive au musée d'Archéologie nationale du château de Saint-Germain-en-Laye, de faire le point sur cette question essentielle.

Entre 1850 et 1860, alors que les plus hautes autorités ecclésiastiques et les livres d'histoire les mieux documentés affirmaient que la création de la Terre et donc des hommes datait de 6000 ans (doctrine partagée par une bonne part des Américains ou des Turcs encore aujourd'hui), une sorte d'illuminé français, Jacques Boucher de Perthes, inventait la Préhistoire, prétendant preuves à l'appui que des hommes et des animaux étranges, exhumés des couches géologiques, avaient vécu des dizaines ou centaines de milliers d'années avant le Déluge.

La création du musée de Saint-Germain-en-Laye en 1866 consacra, peu avant sa mort, la reconnaissance des magistrales déductions de Boucher de Perthes, en exposant sa collection d'antiquités antédiluviennes.
Et l'esprit curieux qui cherche aujourd'hui les traces de son propre passé ne sera pas déçu de sa visite. Il remontera, au long des vitrines et des couloirs, les âges du fer, du bronze, de l'agriculture et des pierres polies, et atteindra l'époque lointaine et mystérieuse des pierres taillées, des premières traces d'humanité.

Étreint par tant de millénaires, touché par tant d'antiquité, ému par les réalisations de son ancêtre comme devant un enfant qui fait ses premiers pas, il s'assiéra, pensif.
Fatale erreur ! Laissant errer sans but son regard désœuvré, il examinera machinalement les légendes des cartouches qui commentent les objets exposés. Mal lui en prendra ! On ne devrait jamais lire les étiquettes dans les vitrines des musées. Combien de rêves brisés par la connaissance des terribles informations qu'elles recèlent ?
Car il découvrira alors qu'un grand nombre de pièces exposées, notamment les plus émouvantes, sont des reproductions moulées et peintes. Et il aura soudain la sensation que le musée est un vaste facsimilé, un Disneyland de la préhistoire, une boutique du Louvre pleine de répliques pour cadeaux de Noël, et que ce troublant voyage dans le temps n'était en fait qu'une mystification.

Un fidèle lecteur de Sénèque ou d'Épicure lui dirait certainement « Pourquoi te tourmenter ainsi pour un fait révolu, tu aurais pu ne jamais connaitre ce qui maintenant te peine ? », car le docte ami des philosophes tutoie toujours son interlocuteur.
L'impertinent visiteur pourrait bien sûr lui rétorquer « Vous précipiteriez-vous pour admirer une exposition de photographies, même fidèles, des tableaux d'un peintre que vous vénérez ? »

Et si le sage métaphysicien, pour avoir le dernier mot, lui répliquait « Ce moment était agréable quand tu l'as vécu, il est gravé ainsi dans ta mémoire », le touriste déçu pourrait encore lui objecter quelque chose comme ...

Le concept de vérité ne s'en trouverait pas vraiment éclairci.


La Dame à la capuche, provenant de la grotte de Brassempouy (Landes), premier portrait connu, ivoire sculpté il y a 25 000 ans, haute de 3,65 cm. Laquelle, à gauche ou à droite, est la copie exposée à Saint-Germain-en-Laye ? (certaines différences de forme peuvent être dues aux déformations de l'objectif photographique).
 

lundi 19 décembre 2011

Platon est un con

Tragédie grecque inspirée d'une remarque sur Platon (1) d'André Brahic (qui n'est pas la moitié d'un astrophysicien) proférée à la 17ème minute d'une conférence échevelée pour l'Université de Tous Les Savoirs.


La scène se passe à l'agora d'Athènes

Platon : Le monde sensible, celui qui est perçu par nos sens, est changeant selon les témoins et les opinions. Il n'est que l'ombre du monde parfait des idées, qui est la seule réalité.

Le chœur : Platon est un con !

Platon : Si le monde sensible n'est qu'un simulacre du vrai monde des idées, c'est parce que nos sens nous trompent, et non parce que les idées seraient fausses.

Le chœur : Quel con ce Platon !

Platon : Les idées, les formes ne peuvent être fausses puisqu'elles ne proviennent pas de nos sens. Ce sont des modèles indépendants de toute pensée, et donc les seules réalités susceptibles d'une étude objective. Le monde sensible, subjectif, ne peut pas faire l'objet de connaissances.

Le chœur : Ce Platon, quelle tache !

Platon : Avant d'être prisonnière d'un corps, notre âme immortelle faisait partie du même monde que les idées. C'est pourquoi les idées nous arrivent par réminiscence, et par une laborieuse gymnastique philosophique.

Le chœur : Platon est vraiment très con !

Platon : Seul le philosophe, capable de se défaire des idées reçues et des apparences, sait manipuler les idées vraies pures et éternelles et peut ainsi diriger la cité.

Le chœur : Sacré Platon, il ne pense qu'avec ses pieds !

Le coryphée : Et les conceptions de Platon, l'existence de deux mondes, un monde corrompu, physique, opposé au monde pur des idées et des formes, guideront l'humanité, ses pensées, ses croyances, pendant des millénaires.

Platon : Eh, j'avais pas trop le choix, mon avenir, avec mon physique, c'était lutteur de foire ou phare de l'Humanité, vous auriez fait quoi à ma place ?

Le chœur : Platon est un con !



Sculptures romaines, copies de caricatures grecques. On reconnait sur l'image de gauche le grand Platon écervelé, et à droite le Platon qui ne pense qu'avec les pieds (Naples, musée national d'archéologie).

***

(1) Extrait de L'observation de l'univers a-t-elle encore un sens aujourd'hui : «Platon disait que la pensée pure était la vérité, et c'est la source de tous les massacres de l'humanité, l'inquisition des chrétiens, le fondamentalisme musulman, les camps nazis, les camps sibériens, des gens ont une idée, ils ne la confrontent pas à la réalité et massacrent leurs semblables sous prétexte de les rendre plus heureux.»


dimanche 3 juillet 2011

Culture et élevage

L'arrivée du soleil inspire régulièrement au salarié un appétit irraisonné de dépaysement, qu'il n'a souvent pas le temps d'organiser. Il s'adresse alors à l'agence de voyage, qui profite de cette imprévoyance pour abuser de sa confiance.
Et la tromperie tient à peu de choses. Une seule lettre substituée dans un dépliant et le brave touriste qui pensait s'extasier aux pieds de l'immémorial temple du Parthénon, sur l'Acropole d'Athènes, se retrouve à l'Agropole d'Asciano, exploitation agroalimentaire dans la campagne toscane.
On dit que nombreux ne voient pas la supercherie.

Extrait du dépliant touristique de l'agence Un grand plaisir dans la culture :
« L'Agropole est l'un des sites les plus renommés de l'histoire de l'humanité. C'est un plateau rocheux naturel sur lequel les grecs antiques construisirent, voici 2400 ans sur les conseils du grand Platon, les plus immenses hangars à céréales et fourrage de l'antiquité. Édifiés sur une hauteur presque inaccessible, ils étaient protégés contre la rapacité des barbares qui s'impatientaient aux frontières de la glorieuse cité. Hélas la défense du site et l'approvisionnement des habitants étaient rendus très difficiles pour les mêmes raisons. Les barbares n'eurent aucune difficulté à brûler l'ensemble à l'aide de flèches enflammées et quasiment tous les grecs moururent de la famine. On demanda à Platon de ne plus s'occuper que de philosophie. Ce fut la fin de la grande époque classique. »

dimanche 4 octobre 2009

L'athéisme n'existe pas

Depuis maintenant sept ans reviennent chaque été les réjouissances hédonistes (1) du mois d'aout. Pendant tout le mois, chaque jour de la semaine un peu avant 18 heures, on s'installe confortablement au fond du jardin, à l'ombre, pour écouter Michel Onfray, sur les ondes radiophoniques de France-Culture. Il nous raconte les récits merveilleux d'un monde idéal où on peut remettre en cause ce qu'affirment parents et professeurs, ne pas aimer le travail, ou désirer la femme de son voisin (ou le mari de sa voisine, ou toute autre combinaison).

Il appelle ça une «contre-histoire de la philosophie» mais on sent bien que c'est notre véritable histoire, et qu'il est comme un frère instruit qui nous relate la vie de vieux oncles éloignés et savants. On ressent de l'affection pour ces ancêtres qui ont pensé, longtemps avant nous, qu'il n'y a rien au-delà de la réalité, et qu'être matérialiste n'est pas une maladie honteuse mais plutôt la manifestation d'une certaine lucidité.
Et parce qu'au fond du jardin flotte pendant une heure un air de liberté, on oublie les tics de langage du narrateur, ses hapax, ses oxymores et cette manie de truffer son discours de mots en «...isme» et de qualificatifs en «...iste».

Mais il y a un hic dans ce tableau idyllique, car Michel Onfray est atteint d'une maladie grave : il est athée. Et il a écrit des pages et des pages, des conférences, des traités sur cet athéisme.


Naples, deux points de vue sur la religion : la Vierge au néon, preuve incontestable de l'existence de l'électricité, et un graffiti subversif dont le personnage s'exclame «Arrêtez la plaisanterie, enlevez le bandeau et rendez-moi mon cerveau!»

Or qu'est-ce qu'être athée ? Étymologiquement c'est être sans dieu (avec le «a» privatif). Comme l'anorexique a perdu le désir de nourriture, l'athée a perdu Dieu. On frémit. L'athéisme est donc une maladie de l'absence, comme l'anémie, l'achondroplasie, l'agénésie, l'anencéphalie. Mais si on peut comprendre et constater facilement l'absence d'une fonction vitale, d'un membre, d'un cerveau, on a plus de mal à se représenter l'absence de quelque chose qui n'existe pas.

Simple question de logique direz-vous. Les croyants, incapables de démontrer ce qu'ils affirment autrement que par un vent de rhétorique, ont souvent exigé de leurs contradicteurs qu'ils produisent la preuve du contraire, et on sait que la torture parvient à résoudre bien des problèmes de logique.
Il serait judicieux, afin d'éviter ces incohérences et ces dérèglements, de nommer asensés, aréalistes, ou alucides les porteurs d'une croyance quelconque, car ils ont perdu l'usage d'une partie de leur raisonnement. Ce sont les vrais malades, ils souffrent d'un dysfonctionnement psychophysiologique comme l'atteste wikipedia qui ne ment jamais. Mais n'accablons pas ces pauvres gens qui ont besoin de jolies légendes (2) pour supporter la réalité. Le qualificatif «croyant» leur convient. Clair et explicite.

La croyance est la valeur par défaut parce que l'autorité de quelques-uns sur tous les autres est également une valeur par défaut des sociétés humaines. L'une et l'autre, croyance et pouvoir, ont probablement la même origine. Croire c'est se soumettre.
Mais dans le monde réfléchi et réaliste de Démocrite, d'Épicure, de Spinoza et de Nietzsche, les athées sont les gens normaux et l'athéisme est un mot vide de sens. Et la véritable magie de ce monde, plus belle que toutes les chimères de toutes les religions, c'est que les paroles bienfaisantes de Michel Onfray parviennent au fond du jardin sur des ondes invisibles qui ont traversé l'espace et le temps, comme par miracle.

***
(1) Rappelons que le véritable hédonisme n'est pas la recherche sans frein du plaisir mais une philosophie plus frugale qui poursuit le bien-être dans l'évitement de la souffrance, du déplaisir et de l'ennui.
(2) La religion de la Licorne Rose Invisible (et de l'Huitre Violette de la Damnation) possède son Livre Sacré, dont les premiers mots, la Genèse, sont ainsi :
«Au commencement, la réalité créa les cieux et la terre,
Ce qui fut fut, et ce qui ne fut pas ne fut pas,
L'obscurité enveloppa ce que la lumière n'enveloppa pas,
Et ce qui ne fut ni lumière ni obscurité fut Elle, la Licorne Rose...»

vendredi 12 janvier 2001

Peintures fraiches


Rosebud - Venise San Michele, 2025 - hst 70x70cm
De rose sale à jaune pisseux, pas un écran sur la planète et pas un œil regardant cet écran ne verra ce mur de la même couleur. En réalité il est orange, "brique un peu ensoleillée". "Ça dépend du taux de fer dans l'argile" ironiserez-vous. Alors choisissez vous-même votre taux de fer parmi 7 tonalités en descendant à la fin de cette page. 


2025, l'odyssée de l'espace vert - Blaye, 2025 - hst 70x70cm
(Oui, la blague du titre n'est pas bien fine, mais il fallait bien un titre ? Vous auriez préféré "45.1313, -0.6666", peut-être ?



La réponse à la grande question - Saint-Germain-en-Laye
2024, hst 55x46cm
Contrairement à ce qu'ont avancé nombre de scientifiques après D. Adams, la réponse à la grande question de la Vie, de l'Univers et du Reste n'était pas "42" mais "68333", plus précisément le dodécaèdre gallo-romain "MAN68333".
Voir une reproduction plus bleutée, ou plus sombre, ou plus claire.



Orage - Vers l'Aisne 2024, hst 60x60cm
(La tonalité du champ est malaisée à reproduire, vous en trouverez des variations peut-être mieux adaptées à votre écran à la fin de la page de mosaïque des peintures) 



Les 17 signes de l’égalité - Jumièges 2024, hst 65x92cm
N’y cherchez pas de métaphysique, il n'y en a que 17.
(N’ayant pas de bonne photo du tableau, celle ci-dessus en restitue assez bien l’ambiance, mais sans les détails, cette autre en lien est plus précise mais exagère les détails et déforme un peu la géométrie. Faites votre choix) 



Fauteuil à fleurs et aux deux hommages - Tours, Dresde, Nantes, Paris 2023, hst 65x92cm



47.2602, -2.4365 (coordonnées) 2023, hst 80x80cm



Eppur si muove, Fontfroide 16.09 10h23 2023, hst 60x60cm






hst 60x60cm - Coll. CFP
Vers 330 avant l’ère actuelle, Pythéas, astronome à Marseille alors grecque, emmène une expédition maritime autour de l’Europe, par l’Atlantique, jusqu’à l’Islande. Il écrira y avoir vu quelque chose comme de la terre, de l’eau et de l’air ensemble en suspension, dans un mélange où on ne peut ni marcher ni naviguer, et qu’il comparera assez justement à des méduses (poumons de mer). Ératosthène, puis Hipparque le croiront, pour ses découvertes en astronomie. Plus tard le géographe grec Strabon le traitera de menteur parce qu’aucun peuple ne peut vivre dans ces contrées septentrionales. 
Le fortuné Strabon, le Loucheur, n’aura jamais dépassé, au nord, les frontières de la Gaule, parce que ses amis les Romains n’y voyaient pas de peuples assez riches pour qu'ils les soumettent, et n’y avaient pas de résidence de luxe car il y faisait trop froid. 
Pourtant sa célèbre Géographie en 17 livres sera la vérité pendant des siècles, 1000 ans peut-être. Il y cite quelques fois Pythéas, pour s'en moquer. Aucune copie du véritable récit de Pythéas, "De l'Océan", n’a été retrouvée jusqu’à présent.



Test d'aéronef anonyme (anagramme du lieu, et Limoges)
2022 - hst 80x80cm






Crédit social épuisé - Venise 2021 - hst 70x70cm



Le cri (ceci n'est pas un Magritte) - Briare 2021 - hst 60x81cm - Coll. AL



Machine à remonter le temps
Appelée également Cléopatreur parce que sa technologie primitive ne permet pas de remonter plus loin que l’époque de la dernière reine d’Égypte, ni d’en revenir, d’ailleurs.
La Bussière 2020 - hst 60x60cm



Copie d'après Jeune fille à la perle, de Vermeer, au Mauritshuis de La Haye.
Sait-on si on reverra un jour ces tableaux ? Alors tous les 2 ou 3 tableaux, je ferai sans doute une petite copie pour m'entourer de mon musée imaginaire.
La Haye 2020 - hst 50x50cm - Coll. PLSR (détail du visage)



Et une douzaine de vanités... - Grenade 2020 - hst 70x70



Le retour des extraterrestres - Meung-sur-Loire 2020
hst 92x65 - Coll. CJWL



Copie du Songe de Joseph, de Georges de La Tour, vers 1640, au musée des Arts de Nantes.
C'est le plus beau tableau du monde. Ces choses ne se discutent pas. 
À présent invisible, et massacré sur internet, il était temps de s'en faire un double permanent.
Nantes 2020 - hst 60x60cm



Les philosophes - Gênes 2020 - hst 60x60cm - Coll. PCCB



Le journal de 20 heures - Venise 2019 - hst 81x60cm



Le printemps de Louis Convers - Paris 2019 - hst 50x50cm



Colloque sentimental (*) - Ravello 2019 - hst 81x60cm coll. BR



La baleine et le lapin - Praslin 2018 - hst 70x70cm - Coll. ABW



Au zoo d'Orvieto - Orvieto 2018 - hst 61x46cm



L'anagramme (atelier ou réalité) - N'importe où 2018 - hst 70x70cm



La sélection naturelle - Stresa 2018 - hst 60x60cm - Coll. DC



La conclusion du Procès - Normandie 2018 - hst 60x60cm



La maladie de Vermeer - Bruges 2017 - hst 65x81cm



Pareil Dolly - Penmarch 2017 - hst 70x70cm - Coll. NTJFP



À Bruges - Bruges 2017 - hst 50x50cm - Coll. JLG



Le dinosaure - Briare 2015 - hst 81x60cm - Coll. JBW