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mardi 3 septembre 2024

La renaissance de la peinture française

Thomas Lévy-Lasne, À Auschwitz 2020, huile sur toile, 194cm 
(Reproduite avec l'autorisation du peintre) 

Bien avant de savoir écrire, et peut-être de pouvoir parler, les humains ont échangé leur vision du monde au moyen de formes et de couleurs. Les résultats variaient du plus réaliste, pour les imitateurs et les minutieux, au plus abstrait, pour les décorateurs et les visionnaires. On appela ça la peinture.


Et puis au vingtième siècle de l'ère actuelle, vers les années 70 ou 80, après des dizaines de millénaires de patouille jubilatoire et sans histoire avec la couleur, quelques intellectuels influents décrétèrent que l’histoire de l’art était une perpétuelle évolution et qu'elle progresserait désormais sans la peinture. Ça se passait en France. Dorénavant on n’enseignerait plus la peinture dans la plupart des écoles d’art, notamment aux Beaux-Arts. On tolérait encore un peu la peinture abstraite quand elle était mélangée à des matériaux grossiers, et ne ressemblait plus à de la peinture. On exposait encore les vieux peintres morts ou presque, dans de rares galeries, comme au zoo, pour attester qu’il y avait bien eu une histoire de la peinture et qu’on venait de l’enterrer. On l’aura compris, le cerveau de ces penseurs, dont les fusibles avaient sauté de ravissement quand Marcel Duchamp avait exposé son urinoir, s’était enrayé et n’avait jamais pu redémarrer.


Cette histoire de cerveaux qui se coincent aurait pu nous faire rigoler, si le virus n’avait été transmis aux décideurs politiques. Il y eut d’ailleurs à la même époque en France bien d’autres milieux touchés par la maladie, dont certains plus gravement encore, pour ne citer que la catastrophique méthode globale d’enseignement de la lecture, la confiscation de la création musicale par le maitre de l'IRCAM et son idéologie réactionnaire, les enregistrements "historiquement informés" de la musique ancienne dans les grincements des instruments d’époque, la mainmise de la psychanalyse sur la médecine et l’impact catastrophique de cette pseudo-science dans les traitements de l’autisme, par exemple…


Mais par chance, si la vérité ne triomphe jamais, ses adversaires finissent par mourir un jour, disait Max Planck, et la bonne nouvelle, au moins dans le domaine de la peinture, est que le bon sens serait revenu, depuis une dizaine d’années, et que les institutions en France auraient repris l’enseignement de la technique de la peinture et du métier de peintre. On se demande avec quels professeurs, mais peut-être n’étaient-ils pas tous morts, certains ont sans doute résisté dans la clandestinité.


Thomas Lévy-Lasne, qui est un de ces résistants, clame sur tous les réseaux que la peinture est renée en France. Il a appris à peindre dans les livres et sous les quolibets, pendant plus de 20 ans, et à force de persévérance, d’enthousiasme, d’éloquence et d’entregent, il n’est plus aujourd’hui clandestin et vit de sa peinture, dit-il.


En 2021 il organisait à Perpignan l’exposition "Les apparences", un succès local, de 50 peintres contemporains essentiellement figuratifs (ou réalistes) et jeunes (sauf Gilles Aillaud mort en 2005).

À la même époque il commençait à enregistrer des entretiens d’une heure en vidéo avec ces peintres vivants, qui parlent de leur métier et de leurs œuvres. On les trouve sur la chaine Youtube Les apparences, avec la vidéo d’une visite de l'exposition personnelle de Lévy-Lasne à la galerie "Les filles du calvaire" en 2020, commentée par le peintre, masqué et passionné.

On trouve ses projets et ses peintures sur son site personnel, sur internet, où il existe également des conférences et entretiens dont un récent de 54 minutes plein de verve et des plus réjouissants (on notera dans toutes ces vidéos que ses convictions et sa faconde font paraitre ses vis-à-vis un peu insignifiants).  


Alors, où voir cette renaissance de la peinture française ?


Dans une impressionnante exposition organisée par Lévy-Lasne, "Le jour des peintres", dans la nef du musée d’Orsay le 19 septembre 2024 uniquement, de 14h à 21h30, où seront présents 80 peintres de ce renouveau et 80 tableaux.

On y verra que la jeune peinture a peut-être encore à apprendre, puisqu’elle renait de rien, et qu’il ne nait pas un Rembrandt toutes les semaines, mais pour avoir une chance de le découvrir il faudra y aller. Peut-être s’appellera-t-il (ou elle), Cyril Duret, Miranda Webster, Guillaume Bresson, Henni Alftan, Bilal Hamdad ou Thomas Lévy-Lasne. 


Et puis Lévy-Lasne fait une exposition personnelle, "La fin du banal" au Centre d’art Les églises, à Chelles, en Seine-et-Marne, du 14 septembre au 17 novembre 2024. 

Ses peintures sont de plus en plus ironiques, voire cyniques, et minutieuses. Comme l’homme est volubile à l'écran, il l’est devant un chevalet, et comme il ne connait que le réel, il le montre exactement. Comme l'écrit Rosset dans Le démon de la tautologie, dit-il en entretien, "le meilleur moyen de raconter le monde c'est de dire que A égal A".


Il faut dire que Lévy-Lasne cite souvent Spinoza, et Clément Rosset qu’il a connu. Et quelqu’un qui a lu tout Rosset - trois fois dit-il - ne peut être que digne d’intérêt.


dimanche 25 décembre 2022

La vie des cimetières (106)

Sempé, En double file (détail, dans Des hauts et des bas, 1970)

On disait à D…, médecin mesmériste : 
— Eh bien ! M. de B... est mort, malgré la promesse que vous aviez faite de le guérir.
— Vous avez, dit-il, été absent ; vous n'avez pas suivi les progrès de la cure : il est mort guéri.
Nicolas Chamfort, Caractères et anecdotes, 1795

Comme tous les ans maintenant, alors que l’année n’était révolue qu’à 95%, Le Journal des Arts a supposé que plus aucun nom célèbre ne mourrait d’ici le 31 décembre et a publié dès le 13 un florilège des personnalités du monde de l’art disparues en 2022

Il y en aurait eu 39, dont 15% de femmes, faible pourcentage, mais en constante progression, ce qui est encourageant.
La moyenne d’âge au moment du décès a considérablement augmenté, passant de 80 à presque 85 ans, mais n’allons pas en déduire qu’il suffit de dissuader les vieillards de sortir, de les masquer quand ils le font, et de les vacciner souvent, pour que leur espérance de vie bondisse, n’oubliez pas qu’il ne s’agit que de 39 personnalités choisies parmi les mieux nanties, autrement dit peu représentatives. 

Parmi elles retenons Antonio Recalcati, peintre, sculpteur, graveur, qui fut un des assassins de Marcel Duchamp en 1965 (l’affaire était relatée ici), et mort le 4 décembre, juste à temps pour participer à ce florilège du Journal des Arts. 
Retenons également Pierre Soulages, évidemment, grand peintre officiel aux funérailles nationales, dont nous avions parlé alors

Mais surtout il y eut la disparition, le 11 aout, de l’inoubliable Jean-Jacques Sempé, peut-être inconnu des jeunes générations parce que ses années les plus fécondes sont déjà loin, autour de 1970 et 1980. 

Génie inclassable, rangé à l'étroit parmi les auteurs de dessins d’humour, il réussissait, sur une grande page d’un dessin incertain accompagné d’un court monologue, à exprimer sur la destinée humaine ce que les meilleurs écrivains parviennent difficilement à dire au long de centaines de pages. 
C’était La Bruyère, ou Pascal, en moins sentencieux et beaucoup plus drôle.

(les 3 dessins de Sempé reproduits ou en lien sont extraits de l’album "Des hauts et des bas" publié en 1970 par les éditions Denoël)

samedi 5 février 2022

Le retour des joyeux blagueurs nihilistes

Un rendez-vous au pont Royal par Le Roy Saint-Laurent (médium non précisé)illustration gravée dans le catalogue d'exposition du 3ème salon des Arts incohérents en 1884, galerie Vivienne à Paris.

Entre 1870 et 1900, alors que s’insultaient dans les salons parisiens les partisans des peintures académiques, impressionnistes et leurs succédanés, un air moqueur, iconoclaste, anarchiste, soufflait sur les arts. Balayant le sérieux et la mièvrerie bien-pensante des mouvements artistiques du temps débarquèrent Fumistes, Jemenfoutistes (revue d'un seul numéro), Zutistes, Hydropathes ou Hirsutes, courants d’abord littéraires, à la suite d’Alfred Jarry, Alphonse Allais, Érik Satie, Félix Fénéon, Tristan Bernard, Jean Richepin et d'autres.

De 1882 à 1893, Jules Lévy, éditeur hydropathe, exposait au long de 7 anti-salons plus ou moins annuels, sous le nom d’Arts incohérents, des œuvres créées par des « gens ne sachant pas dessiner », notamment le célèbre tableau-calembour titré combat de nègres la nuit, toile uniformément noire du poète Paul Bilhaud, mais aussi des pieds sculptés en marbre de gruyère, un bas de femme collé sur une planche intitulé Bas-relief, des objets quotidiens détournés, des tableaux vivants… 
Succès immédiat, 20 000 entrées payantes en 1883 annonce l’amusant avant-propos du catalogue de 1884.

On a souvent lu que ces manifestations n'étaient que les déconnades de provocateurs qui ne prennent rien au sérieux, et que leurs divagations ne constituaient pas des œuvres d’art.
Sans doute, et la preuve de cet esprit réellement libertaire est qu’on ne trouve d’œuvre des Arts incohérents dans aucun musée, alors qu’on y sacralise le moindre objet dadaïste, suprématiste ou surréaliste des Tzara, Picabia, Malevich, Duchamp ou Breton, qui suivirent leurs traces 30 ou 40 ans plus tard, mais en se prenant cette fois au sérieux.

Or cette absence des musées sera peut-être bientôt comblée, car en 2018, J. Naldi, galeriste marchand et expert, découvrait miraculeusement dans une malle chez d’innocents propriétaires de la banlieue parisienne, 17 objets qui figurent dans les catalogues d'exposition des Arts incohérents, dont le tableau noir de Paul Bilhaud, numéro 15 du premier salon en octobre 1882.

Ces objets pourraient bien être des reconstitutions forgées d’après les catalogues subsistants, mais le marchand et les spécialistes des plus grands musées n’ont aucun doute sur les nombreux indices d’authenticité. Et ils ont expertisé le tableau noir, qui s’est révélé peint avec des ingrédients de l'époque. Le musée d’Orsay n'a pas caché sa convoitise.
Le marchand en a profité pour rajouter 44 pièces, soit un total de 61 objets qu’il a déclarés inséparables, dit Le Monde, et arrondir la facture de l’ensemble à 10 millions d’euros, précisément. Enfin pour hâter la transaction et cimenter le poids historique du lot, il a demandé au ministère de la Culture son autorisation de sortie du territoire français. 
Suite logique, ce dernier qualifiait un sous-ensemble de 19 pièces de Trésor national le 7 mai 2021 (AFP), réservant ainsi au musée d’Orsay jusqu’en décembre 2023 la priorité sur son acquisition.

Une enquête sur le voyage fait par cette malle et ses reliques en 140 ans aurait été captivante, mais le marchand a désapprouvé, déclarant que c'était une impasse…

Et si tout cela n’était pourtant qu’un canular néo-jemenfoutiste ?
Quel esprit farceur ne se verrait pas avec délices entrant dans une salle de musée, à côté de touristes émerveillés venus exprès de Chine ou du Japon, et admirant religieusement dans une vitrine chichement éclairée trois ou quatre objets épars, étiquetés Salon des Arts incohérents 188…, mais qu’il aurait confectionnés lui-même il y a peu dans son garage, à partir d'ustensiles ayant appartenu à une grand-mère ?

Mais n’allons pas troubler cette entente harmonieuse, si rare, entre un vendeur persuadé et un acheteur convaincu.

jeudi 7 novembre 2019

L’art de la rayure verticale



Pour nombre de raisons dont l'énumération ici ennuierait certainement, les œuvres d’art ont toujours attiré outrages et dégradations.

Rappelons-nous cette militante inflexible, Mary Richardson, qui lacérait au hachoir le dos nu de la Vénus de Velázquez, le 10 mars 1914 à Londres, et Laszlo Toth qui défigurait avec un marteau de géologue la vierge de la Pietà de Michel-Ange, et lui arrachait l’avant-bras, dans la basilique Saint-Pierre à Rome le 21 mai 1972, et dont certains réclamèrent la mise à mort mais qui passa deux ans en asile psychiatrique.
Souvenons-nous également de Pierre Pinoncelli, qui s’était soulagé dans l’urinoir de Marcel Duchamp (enfin, dans un des nombreux exemplaires en circulation), le 25 aout 1993 à Nîmes, d’un geste artistique qu’il pensait être l’aboutissement de l’œuvre du célèbre dadaïste, mais geste inconséquent car l’appareil exposé n’avait pas été branché à un réseau d’évacuation.
Plus récemment, et abordés ici-même, les cas du tableau blanc de Twombly à Avignon en 2007, de la tasse volante et de la Joconde en 2009, de la Liberté de Delacroix à Lens en 2013, du Monet de Dublin en 2014, montrent que le sport de l’iconoclasme revendicatif se pratique toujours, et avec succès puisque les gazettes en parlent, ce qui est son but.

L’activité vise toujours les œuvres qui ont acquis un caractère officiel, qui représentent un pouvoir, une forme d'autorité au moins dans l’esprit des profanateurs.
Ainsi Daniel Buren, artiste décorateur contemporain engagé, représentant régulièrement la France officielle, soutenu par des politiciens influents et de prospères capitaines d'industrie, devait-il fatalement en souffrir un jour.

C’est arrivé le 13 septembre dernier, dans le musée du Centre Pompidou à Paris, où une toile emblématique de Buren, « Peinture [Manifestation 3] » a été balafrée de plusieurs entailles au cutter par un homme qui avait abusé les contrôles de sécurité et s’est dirigé directement vers l’objet de son méfait.
Le musée n’a pas diffusé de photographie ni encore évalué l’importance des dégâts. La presse s’en est chargée, l’estimant potentiellement à plus d’un million d’euros. Quant aux motivations et au sort du visiteur, le scénario habituel est en marche, l’individu tenait des propos incohérents et a été transféré à l’institut psychiatrique de la Préfecture de police. Il y a une logique à placer dans une « institution » les malheureux qui agressent les Institutions.

Le musée a immédiatement remplacé l’œuvre. On comprend sa discrétion, en lisant les réactions hostiles du public dans les journaux qui ont relaté la chose (essentiellement le Figaro). Habituellement, ces dégradations font l’objet d’une vindicte unanime des éditorialistes et des commentateurs contre le coupable, mais ici, c’est une averse de saillies qu’on pourrait résumer par ce commentaire « le vrai scandale, c'est pas un coup de cutter dans le papier peint Castorama, c'est que ça soit exposé dans un musée ».
Car Buren est depuis 50 ans un « artiste controversé », c’est à dire globalement vilipendé par les conservateurs et encensé par les progressistes, quoi qu’il produise. Constat simpliste, mais les productions de l’artiste ne le sont pas moins.

Pour qui ne le connait pas encore, il est aisé de présenter Daniel Buren, car son site officiel est très abondamment illustré et fort bien classé.
On y ressent l’impression poignante d’un être soumis à une fixation morbide pour les rayures verticales.
Adolescent, il aura certainement été traumatisé par l’apparition des dentifrices à rayures qui ont troublé plus d’un enfant intelligent à l’heure où se forme la compréhension du monde. Comment une pâte pouvait-elle sortir d’un tube sous la forme d’un boudin à bandes longitudinales alternées blanches et rouges ? Comment les rayures étaient-elles rangées à l’intérieur du tube ?
On n’ose imaginer ce que serait devenue la destinée de l’artiste si les rayures avaient été transversales. Même les religions les plus respectables sont fondées sur des phénomènes moins prodigieux.

Vous noterez peut-être, feuilletant son inépuisable catalogue, qu’il n’est pas toujours aisé d’identifier sur chaque photographie où se trouve l’œuvre de Buren, et il arrive qu’elle ne soit pas celle qu’on pense : petit moment de détente, saurez-vous repérer où est l’œuvre de Buren, sur les deux photos en lien ? Attention, il y a un piège !

Lucide, Buren se nomme lui-même décorateur in situ, parce que ses productions sont intégrées au décor et aux objets, dans les lieux publics ou privés. Réaliste, il les qualifie parfois de degré zéro de la peinture.
Mais on dit qu’il y réfléchit beaucoup. L’encyclopédie Wikipedia, informée de tout, précise que « ses interventions in situ jouent sur les points de vue, les espaces, les couleurs, la lumière, le mouvement, l’environnement, […] assumant leur pouvoir décoratif ou transformant radicalement les lieux, mais surtout interrogeant les passants et spectateurs. », description consensuelle qui peut aussi bien qualifier l’architecture fameuse de Phidias et Callicratès que le mobilier urbain de l’entreprise Decaux et fils.

Ajoutons pour la rigueur scientifique de l’exposé, que l’artiste est aussi atteint, depuis une vingtaine d'années, d’une pathologie assez fréquente dans sa tranche d'âge, une manie pour les grossiers effets lumineux diffusés par des vitres teintées aux couleurs primaires. Nous ne l’illustrerons pas ici, d'abord pour de sordides histoires de droits d’auteur, et pour ne pas accabler le créateur. Ce blog n’est pas de cette presse qui se nourrit de l’infortune des gens fortunés.

Concluons un peu légèrement cet épisode lamentable de la vie des musées par la citation d’un commentaire, somme toute très raisonnable, de Mme de La Motte, sur le site du Figaro du 19 septembre à 22h21, à propos de la toile désormais tailladée de Buren : « Il n'y a qu'à la présenter comme un Lucio Fontana»

lundi 26 août 2019

La fondation du doute




« Il faut toujours avoir deux idées, l’une pour tuer l’autre ». 
 Georges Braque (cité sur un mur de la Fondation)

Le doute est un produit de luxe, apparu tardivement dans l’évolution. Devant un prédateur résolu, hésiter entre plusieurs directions où fuir n’offrait pas les meilleurs résultats évolutifs.
Et comme le doute sollicite l’encéphale et réclame de l’énergie inoccupée, il fallut attendre l’heureux temps des grandes philosophies, quand sirotant un ouzo servi par un esclave dans la fraicheur de la brise ionienne, le sage grec s’interrogea sur les raisons de son bonheur.
Il commença alors à douter de sa perception, puis de ce qu’affirmaient les autres, enfin de son entendement même.
Le fruit était gâté. Les plus malins s’y insinuèrent l’un après l’autre, Aristarque de Samos, Galilée, Spinoza, Newton, Darwin, Einstein, de Broglie… Et enfin Ben (Benjamin Vautier pour les familiers).

Né en 1935, émule du Dadaïsme et de Marcel Duchamp, Ben a toujours douté de l’art et de ses propres talents, mais pas de ses idées qu’il prodigua toujours de manière généreuse et désordonnée.

Au tournant des années 1950 et 1960, entre canulars et ruminations narcissiques, il signait tout ce qu’il rencontrait, abstractions, objets, personnes, lieux, des villes entières et même la mort, qui est alors devenue une œuvre d’art. Il vendait Dieu, en boites de quelques centimètres cubes.
Il inventait chaque semaine une nouvelle esthétique, et tant d’idées qu’il ne pouvait toutes les réaliser, comme le dessein de bruler le Louvre, en 1962. La moins spectaculaire fut l’inactivité, en 1961, concrétisée dans le projet de ne rien faire, constaté par huissier toutes les fins de mois.
Ben était alors porte-parole en français d’une sorte de mouvement artistique généraliste, conceptuel et informel appelé Fluxus.

 

Dans les années 1970-1980, plus modestement, Ben signait des mots, seuls, ou des phrases courtes, banales, des platitudes, des dictons, parfois cocasses en situation, d’une écriture arrondie et enfantine, blanche sur un fond noir. Il commença alors à intéresser les markéteurs, les imitateurs et quelques fariboles sociologiques.
Aujourd’hui, sa signature, comme celle des grandes marques, est devenue un phénomène publicitaire, elle prolifère dans les catalogues en ligne d’Amazon à CDiscount, au rayon des fournitures de bureau, agendas, cahiers d’écolier, affiches, tee-shirts.

Puis vint le temps des commandes officielles et des rétrospectives.
En 1995, le maire de Blois et ministre de la Culture lui commandait son œuvre la plus monumentale, le Mur des mots, 313 plaques émaillées de ses dictons les plus fameux, disposées sur les 360 mètres carrés de la façade de l’école d’art et conservatoire départemental.

Mur des mots (presque tous les textes sont lisibles en zoomant sur l'image en lien)

Enfin, au début du 3ème millénaire, encouragé par ce portail géant et la sympathie de la municipalité de Blois, et arrivé à un âge où l’avenir ne fait plus de doute, Ben qui avait affirmé en 1974 dans la revue Art press « toute rétrospective de Fluxus est une fossilisation », proposait d’installer dans les lieux, qu’il appellerait « Fondation du doute, Ben - Fluxus & Co », un musée du mouvement Fluxus (à moitié pourvu par sa propre collection), avec un café, une boutique et des lieux d’exposition, de création et de non création permanentes.

À l’inauguration, en 2013, il résumait Fluxus à France-Info « […] c'est la vie des ratés, […] l’amateurisme, le non-art, j’aime les types qui ont des idées, qui veulent changer le monde mais restent au bistrot à boire des bières ».
Il écrivait le 23 février 2013 sur son site (1) « L’esprit compte plus que les œuvres, il faut faire de la Fondation et du Centre Mondial du Questionnement quelque chose de totalement différent et nouveau, poser d’autres questions, douter de tout ».

Ainsi alléché, on se rend à la Fondation, à Blois, en pleine période touristique, pour constater que Ben avait raison en 1974.
Dans un musée, le doute, consacré, devient institution, comme une certitude, la subversion s'empoussière, les objets du quotidien ne sont plus que les articles d’un magasin de bricolage.

Finalement, Ben doute peut-être avec trop de conviction. Déclarer « tout est art » n’avance pas à grand chose, cela revient à dire « rien n’est art ». C’est tout.

Le musée est désert.

On se revigore en imaginant les activités de création du Centre international du Questionnement.
Mais le doute est certainement en vacances pendant l’été, lui aussi. La non création, la chaleur et le silence paralysent tout.

Trois touristes se rafraichissent au café Fluxus. Ils chuchotent, dans une langue inconnue.
Ne rien faire, c'est aussi créer (2).



 
(1) Le site de Ben est un monument, une caverne au trésor où ruisselle et se répand son extraordinaire logorrhée, et scintille tout ce qui lui est passé par la tête depuis plus de 50 ans. Il semble figé depuis 2013, année rétrospective, mais on y déniche en creusant un peu, la liste de ses projets (moi Ben je signe), ses enregistrements de Nice démangeaison, ses livres et manifestes au format PDF, et ses 701 longues Newsletters, jusqu'en mars 2019, sorte de journal personnel, spontané, attachant.
(2) Une des 30 questions (affirmations ?) que Ben omniprésent soumet au passant dans les rues de Blois.

dimanche 20 décembre 2015

Les animaux à carreaux de Gilles Aillaud

Gilles Aillaud, Otarie et jet d'eau, 1971, détail (collection M. & M.B.)


Un peu philosophe, un peu décorateur de théâtre, un peu écrivain, Gilles Aillaud était né à Paris en 1928.

En octobre 1965, avec deux amis agitateurs politiques (1) et l'aide de trois autres peintres (2), il assassinait Marcel Duchamp, l'artiste le plus important du 20ème siècle, le fondateur de l'art conceptuel, en l’étranglant et le précipitant nu et émasculé du haut d'un escalier.
La suite des huit toiles qui narrent l’évènement est aujourd'hui au musée de la reine Sofia, à Madrid. Duchamp mourra trois ans plus tard, cette fois réellement.

À l'époque Aillaud fréquentait déjà la ménagerie du Jardin des plantes et le zoo de Vincennes. Il avait été marqué, enfant, par le décor des jardins zoologiques et ne s’en était jamais remis. Fasciné par les grillages, les carrelages, les mosaïques, les plans d’eau, les barreaux dont les ombres formaient des motifs géométriques obsédants, il s’était mis à les peindre à l’huile sur des toiles de grand format.
De temps en temps apparaissaient une forme vague et molle, des taches indistinctes, des zébrures, des ocelles, c’était un animal.
Il représenta ainsi pendant plus de vingt ans des coins de ce monde en miniature, avec une neutralité distante.

Plus tard, dans les années 1980, apprenant que des animaux se trouvaient encore en liberté dans la nature, il s'envola pour le désert africain où il peignit alors les sables, les maigres herbes, les cailloux, les ondulations du sol et du ciel, et parfois un animal.
« Je peins des choses, je suis absolument incapable de peindre une idée. Je peins des choses parce que la force des choses me parait plus forte que toute idée. Pour nier une chose il faut la détruire, tandis qu’une idée, c’est du vent… » disait-il.

Il avait une passion pour Vermeer et pour Spinoza.
Puis il mourut à Paris en 2005.

Le Fonds régional d’art contemporain d'Auvergne à Clermont-Ferrand, après Rennes et Saint-Rémy-de-Provence, lui consacre une modeste et fascinante rétrospective jusqu’au 17 janvier 2016.
Vous regretterez un jour de ne pas y être allé.

***
1. Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati (avec Aillaud) ont peint et figuré sur 5 toiles.
2. Fromanger, Biras et Rieti ont exécuté les copies des 3 œuvres de Duchamp.

 


FRAC de Clermont-Ferrand, exposition Gilles Aillaud, décembre 2015.
 

dimanche 8 novembre 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (8)

Depuis que Marcel Duchamp a tenté d’exposer sa première pissotière industrielle en porcelaine (la Fontaine) au salon des artistes indépendants de New York en avril 1917, tout le monde devrait savoir qu’un objet quelconque peut devenir une œuvre d’art et définir une nouvelle valeur si une personnalité en vue l’a décidé.

Mais cette évidence culturelle s’est imposée lentement. Elle n’a pris son essor qu’avec la floraison de l’art conceptuel dans les années 1960, quand Duchamp qui avait égaré les œuvres dadaïstes de sa jeunesse en certifia quelques répliques antidatées.
Et on constate aujourd’hui que certains milieux sociaux sont encore imperméables à cette idée progressiste de l’art.

Le drame s'est produit au Museion de Bolzano, musée consacré à l'art d'aujourd'hui, dans le nord de l’Italie.

Deux jeunes artistes italiennes, qui voulaient exprimer leur réprobation envers la corruption et les orgies organisées par les politiciens socialistes italiens dans les années 1980, avaient empli une pièce du musée de restes de bombance, cadavres de bouteilles, cotillons et mégots. On pourrait douter de la modernité du propos, mais gardons-nous de tout jugement esthétique à priori.
L’œuvre s’appelait « Où allons-nous danser ce soir ? ».

La suite de l'histoire était écrite, car il n’y a pas un mois sans qu’un scandale ménager n’agite dans les médias le monde de l’art contemporain et de ses détracteurs.

En effet le lendemain de l’installation de l’œuvre, le personnel d’entretien nécessairement matinal découvrait l’état de dégradation de la salle et s’affairait pour tout débarrasser avant l’ouverture du musée.
Quand les visiteurs arrivèrent, la pièce était immaculée. Dans de grands sacs de plastique noir reposaient les reliques de l’exposition triées par type de déchet, chacun dans sa poubelle dédiée, bouteilles, confettis et serpentins…

En quelques jours l’œuvre fut reconstituée et exposée de nouveau. C’est la grande force de l’art conceptuel que de s’adapter sans effort à toutes les conditions matérielles.

Les artistes voient dans cet accident la « preuve de la vitalité et de l’irrémédiable nouveauté de l’art contemporain », « s’il a été jeté comme des ordures c’est qu’il est toujours radical et subversif ».
N’exagérons pas, il s’agit ici d’un banal défaut d’information, d’une méprise que n’importe qui d’insuffisamment aguerri aux raisonnements conceptuels de l'art moderne aurait commise.

On devrait d’ailleurs récompenser les gens du ménage pour avoir porté cette œuvre d’art vers une sorte d’accomplissement. Par leur rafraichissante ingénuité, ils sont allés plus loin dans le concept, et plus radicalement que ne l’avaient osé les artistes qui s’étaient frileusement limitées à exposer les ordures sous les couleurs vives et les jolis scintillements d’une lumière de cabaret.

Homme de ménage en train de remettre de l’ordre dans les salles d'art contemporain du musée des beaux-arts de Nantes, ou bien sculpture de Daniel Firman intitulée Gathering exposée en 2003 ? Cette vertigineuse mise en abyme conceptuelle pourrait, au premier faux pas, se terminer par la réquisition en urgence du personnel d’entretien du musée.

mardi 19 janvier 2010

Guide de la Venise secrète

Pourquoi ce guide ?
Souvent Ce Glob Est Plat s'est plaint (ici ou ) des gardiens français de la culture qui s'approprient des droits sur le bien public, en interdisent les photographies et parfois s'en réservent l'accès. Ces déboires ne sont rien face à ceux du malheureux qui visite Venise, car si les musées français respectent moyennement le quidam, les vénitiens s'en moquent comme de leur premier Carpaccio. Tous leurs musées interdisent la photographie, et on trouve toujours un surveillant zélé pour vous le rappeler en aboyant dans une langue indéchiffrable. Dans ces conditions, il était impensable, sans une image, de réaliser le rêve de tout blog qui se veut cultivé, faire une chronique sur la peinture vénitienne.
Aussi avons-nous demandé à notre reporter, afin de rentabiliser malgré tout les frais engagés, de confectionner le seul guide illustré que les musées vénitiens permettent au blog impécunieux, le guide de leurs toilettes, de leurs lieux d'aisances.
L'amateur averti d'art moderne, le spécialiste de Marcel Duchamp et son urinoir, ou de Piero Manzoni et ses conserves, y trouvera son avantage, et sans conteste un côté pratique. Il y constatera également que le musée le plus désuet n'a pas nécessairement les commodités les moins accueillantes.

Cliquez sur le plan de Venise pour en découvrir tous les détails.


LISTE DES PRINCIPALES CURIOSITÉS
(classées dans l'ordre d'intérêt décroissant)


VAUT LE VOYAGE : Ca' Rezzonico, musée du 18ème siècle vénitien (œuvres (1) de Longhi, Tiepolo, Guardi, Canaletto).
Chaque cabine, spacieuse, propose à l'usager tous les outils nécessaires aux ablutions les plus complètes, et la vétusté relative de l'ensemble ne nuit pas à l'indéniable convivialité des lieux. Enfin, c'est le seul établissement à fournir de l'eau chaude.



VAUT LE DÉTOUR : Collection Pinault, Palais Grassi et bâtiment de la Douane de mer (œuvres de Jake & Dinos Chapman, Fucking Hell, 80 caprices de Goya rectifiés, Murakami, personnages de mangas hypertrophiés, Maurizio Cattelan, trophée de cheval).

D'une propreté engageante mais d'une hygiène qui n'est pas à la hauteur d'une fondation qui se dit moderne (toutes les commandes sont à contact manuel). Notez toutefois la conception bien venue de la balayette brosse, «à la Morandi». Enfin, opportunité dont il convient de profiter sans retenue, c'est le seul service dont l'usage est gratuit dans la visite de cette collection où il faut presque payer pour respirer (2).


INTÉRESSANT : Accademia, Peinture vénitienne du 14 au 18ème (œuvres de Bellini, Giorgione, Carpaccio, Tintoret, Tiepolo, Previtali). L'hygiène générale du lieu et l'ascétisme de l'outillage sont assez peu encourageants, mais certains apprécieront l'atmosphère distante et sans passion, digne des tableaux de Vittore Carpaccio ou de Benedetto Diana.


INTÉRESSANT : Palais des doges, demeure historique des gouvernements de Venise. Spartiates, minimalistes, et désagréables à cause du manque de confort et d'une agressive et persistante odeur d'eau de Javel, les lieux bénéficient cependant d'un cadre unique couvert d'histoire et de toiles du Tintoret (1) et méritent une courte halte.


INTÉRESSANT : Ca' Pesaro, Musée d'art moderne et d'art oriental (œuvres (1) de Morbelli, Khnopff, Medardo Rosso, Caffi, Sorola, Bonnard, Hokusai).
Ensemble d'un abord un peu froid, qui ne manque pas de style mais commence malheureusement à afficher les stigmates du temps.


À ÉVITER : Collection Peggy Guggenheim (œuvres de Magritte, Ernst, Dali, Giacometti, Miro, Duchamp, Kandinsky) et Musée Correr (sorte de musée napoléonien, œuvres (1) de Canova, Antonello, Carpaccio, Bellini, Bissolo).
De ces deux établissements, nous resterons discrets sur les toilettes qu'il sera prudent d'ignorer.


Enfin, le véritable amateur de sanitaires couronnera son voyage dans les toilettes hospitalières de l'Aéroport Marco Polo de Venise où tout est démesuré, le rouleau de papier d'une dimension déconcertante, et où les opérations se font avec un salubre minimum de contacts manuels. Seul l'environnement culturel y est un peu déficient, quoique les plus grandes marques de vêtements, de cosmétiques et d'objets de luxe y rivalisent d'élégance et de chic.
Nous n'illustrerons pas cette étape dans ce guide, afin de préserver, pour le pèlerin blasé, un peu du plaisir de la découverte et la fraicheur de la première impression.

Notez : 7 somptueuses sérigraphies numérotées, imprimées sur papier spécial de luxe double épaisseur molletonnée, représentant le plan de Venise et les plus belles vues de ce guide, sont en vente dans les principaux kiosques et musées de la ville ou auprès de Ce Glob Est Plat (à partir de 699 euros l'unité).


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(1) Sélectionnez le bouton «cerca» pour obtenir la liste complète en italien des œuvres du musée.
(2) À titre de comparaison, les prix d'entrée dans les musées vénitiens se situent entre 6 et 12 euros. Pour visiter cette collection astucieusement partagée dans deux lieux, il faudra débourser 20 euros, sans compter deux fois 3 euros pour les vestiaires (les seuls payants de tout Venise) quasi obligatoires (on vous impose sinon, pour de mystérieux motifs, de tenir votre sac à dos à bout de bras...), sans oublier le prix du transport par vaporetto entre les deux lieux.

samedi 15 août 2009

Léonard et la tasse volante

On apprend par les journaux les plus sérieux que la République a récemment vacillé. Peut-être même la civilisation. Le secret a resisté une semaine, mais on ne trompe pas facilement la perspicacité des grands journaux français, surtout pendant la semaine la plus calme de l'année médiatique, et la révélation (1) tombait le 11 aout, après un communiqué de l'Agence France Presse.
Le 2 aout 2009, alors que l'entrée au musée du Louvre était gratuite, une jeune femme profitait de l'immense libéralité de l'État Français pour pénétrer dans le temple du bon goût officiel et, devant les touristes médusés, lançait violemment une tasse à thé en porcelaine contre l'épaisse vitrine blindée à l'épreuve des balles qui protège une célèbre italienne grassouillette, surnommée «Madame Lise», qui jaunit lentement dans son bocal depuis cinq siècles que Léonard de Vinci l'a peinte.
La tasse fut brisée.
Les agents d'accueil du Louvre ont immédiatement neutralisé la personne et l'on remise au commissariat de l'arrondissement. Elle tenait des propos confus dans une langue étrangère et ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales. On remarquera que les personnes confiées aux forces de l'ordre sont toujours fortement déséquilibrées mentalement, psychologiquement frustrées ou imbibées d'alcool. Le psychiatre du commissariat déclara la dame atteinte de troubles psychiques susceptibles d'un internement à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police.
Le tableau n'a évidemment absolument rien subi, et le public a été à peine perturbé, mais une analyse approfondie au microscope à balayage électronique et à gicleur à pédale a révélé une très légère éraflure sur la vitrine, afin de justifier le dépôt de plainte et l'internement psychiatrique. L'éraflure sera rapidement effacée.

On peut s'inquiéter de l'augmentation des tarifs répressifs, quand on se souvient de l'épisode du vol du même tableau, le 21 aout 1911 par Vincenzo Perruggia, qui l'a gardé presque deux ans dans son appartement parisien, sous son lit, avant de tenter de le revendre en Italie et d'être dénoncé le 13 décembre 1913. Sauvé par son patriotisme feint et par la guerre de 1914, il ne fera que quelques mois de prison.

En juillet 2007, une jeune femme avait déposé un baiser de ses lèvres maquillées sur une toile uniformément blanche de 6 mètres carrés du peintre Cy Twombly, à Avignon. La toile appartenait à un triptyque estimé deux millions d'euros dirent les assureurs. Et c'était consternant de voir les journaux et les blogs réclamer en chœur une sanction exemplaire et démesurée ou s'extasier du génie avant-gardiste du geste. La femme fut condamnée très sévèrement, financièrement. Les assureurs étaient ravis. Une petite retouche de peinture blanche suffit pour effacer le blasphème.

La toile outragée de Cy Twombly, après remise en état.

Tout cela n'a plus rien à voir avec le plaisir esthétique. On ne voit pas les œuvres d'art pour ce qu'elles sont. Elle sont devenues des emblèmes de ce qu'on ne comprend pas, comme des divinités. Absurde et vaine sacralisation. On sait, depuis que Marcel Duchamp a exposé avec succès un urinoir manufacturé, qu'un objet devient une œuvre d'art quand quelqu'un le décide. Alors que croient donc ces autorités pensantes qui ont idéalisé la Joconde ou le tableau de Twombly ? Ont-elles oublié la leçon de Duchamp (2) ? Ont-elles oublié que ce ne sont que des objets, qui périront bientôt, comme le reste ?

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(1) Les textes en italiques sont des citations des journaux du web Le Monde, le Nouvel Obs, le Parisien, Le Post, Aujourd'hui en France. Elles sont la vérité, bien que leurs informations ne concordent pas toujours très bien, notamment le fait de savoir si la jeune femme a été hospitalisée ou non. Le reste est supposé.
(2) On remarquera que désacraliser l'objet pour statufier son auteur (l'Artiste) n'est pas vraiment plus malin.