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samedi 5 février 2022

Le retour des joyeux blagueurs nihilistes

Un rendez-vous au pont Royal par Le Roy Saint-Laurent (médium non précisé)illustration gravée dans le catalogue d'exposition du 3ème salon des Arts incohérents en 1884, galerie Vivienne à Paris.

Entre 1870 et 1900, alors que s’insultaient dans les salons parisiens les partisans des peintures académiques, impressionnistes et leurs succédanés, un air moqueur, iconoclaste, anarchiste, soufflait sur les arts. Balayant le sérieux et la mièvrerie bien-pensante des mouvements artistiques du temps débarquèrent Fumistes, Jemenfoutistes (revue d'un seul numéro), Zutistes, Hydropathes ou Hirsutes, courants d’abord littéraires, à la suite d’Alfred Jarry, Alphonse Allais, Érik Satie, Félix Fénéon, Tristan Bernard, Jean Richepin et d'autres.

De 1882 à 1893, Jules Lévy, éditeur hydropathe, exposait au long de 7 anti-salons plus ou moins annuels, sous le nom d’Arts incohérents, des œuvres créées par des « gens ne sachant pas dessiner », notamment le célèbre tableau-calembour titré combat de nègres la nuit, toile uniformément noire du poète Paul Bilhaud, mais aussi des pieds sculptés en marbre de gruyère, un bas de femme collé sur une planche intitulé Bas-relief, des objets quotidiens détournés, des tableaux vivants… 
Succès immédiat, 20 000 entrées payantes en 1883 annonce l’amusant avant-propos du catalogue de 1884.

On a souvent lu que ces manifestations n'étaient que les déconnades de provocateurs qui ne prennent rien au sérieux, et que leurs divagations ne constituaient pas des œuvres d’art.
Sans doute, et la preuve de cet esprit réellement libertaire est qu’on ne trouve d’œuvre des Arts incohérents dans aucun musée, alors qu’on y sacralise le moindre objet dadaïste, suprématiste ou surréaliste des Tzara, Picabia, Malevich, Duchamp ou Breton, qui suivirent leurs traces 30 ou 40 ans plus tard, mais en se prenant cette fois au sérieux.

Or cette absence des musées sera peut-être bientôt comblée, car en 2018, J. Naldi, galeriste marchand et expert, découvrait miraculeusement dans une malle chez d’innocents propriétaires de la banlieue parisienne, 17 objets qui figurent dans les catalogues d'exposition des Arts incohérents, dont le tableau noir de Paul Bilhaud, numéro 15 du premier salon en octobre 1882.

Ces objets pourraient bien être des reconstitutions forgées d’après les catalogues subsistants, mais le marchand et les spécialistes des plus grands musées n’ont aucun doute sur les nombreux indices d’authenticité. Et ils ont expertisé le tableau noir, qui s’est révélé peint avec des ingrédients de l'époque. Le musée d’Orsay n'a pas caché sa convoitise.
Le marchand en a profité pour rajouter 44 pièces, soit un total de 61 objets qu’il a déclarés inséparables, dit Le Monde, et arrondir la facture de l’ensemble à 10 millions d’euros, précisément. Enfin pour hâter la transaction et cimenter le poids historique du lot, il a demandé au ministère de la Culture son autorisation de sortie du territoire français. 
Suite logique, ce dernier qualifiait un sous-ensemble de 19 pièces de Trésor national le 7 mai 2021 (AFP), réservant ainsi au musée d’Orsay jusqu’en décembre 2023 la priorité sur son acquisition.

Une enquête sur le voyage fait par cette malle et ses reliques en 140 ans aurait été captivante, mais le marchand a désapprouvé, déclarant que c'était une impasse…

Et si tout cela n’était pourtant qu’un canular néo-jemenfoutiste ?
Quel esprit farceur ne se verrait pas avec délices entrant dans une salle de musée, à côté de touristes émerveillés venus exprès de Chine ou du Japon, et admirant religieusement dans une vitrine chichement éclairée trois ou quatre objets épars, étiquetés Salon des Arts incohérents 188…, mais qu’il aurait confectionnés lui-même il y a peu dans son garage, à partir d'ustensiles ayant appartenu à une grand-mère ?

Mais n’allons pas troubler cette entente harmonieuse, si rare, entre un vendeur persuadé et un acheteur convaincu.

lundi 10 janvier 2022

Et l’art contemporain, dans tout ça ?

MSCHF Product Studio Inc (prononcez MiSCHieF, signifiant SoTTiSeS ou eSPièGLeRie), une jeune entreprise de New York, se dit collectif d’artistes activistes, et crée des évènements culturels, disons des canulars, à base d’objets d’art ou de produits de l’industrie.

Sa méthode est de profiter de la notoriété d’un artiste ou d’une marque fameuse en détournant de manière insolente et tapageuse un de leurs produits, et en le vendant plus cher que l’original. Le bourgeois jobard est convaincu d’acheter de l’art et se risque à un placement avant-gardiste.

Ainsi en 2019 MiSCHieF vendait des baskets de la marque Nike « customisées Jesus Shoes », avec en imprimé des références à la Bible, de l’eau du Jourdain dans les semelles et un crucifix suspendu aux lacets, 6 fois le prix d’achat, soit 1250$. 
La marque ne dit rien, mais elle portait plainte en 2020 quand MiSCHieF récidivait, cette fois avec les « Satan Shoes », garnies d’un pentagramme et du sang d’un rappeur à la mode. La quantité limitée, 666 à 1000$, disparaissait en quelques minutes sur internet.
Le juge en exigea la récupération auprès des clients, et leur remboursement. MiSCHieF y consentit avec le sourire. Elle savait que personne, après avoir acheté un objet maintenant renommé, revalorisé par un scandale mondain et devenu œuvre d'art, ne les retournerait.


En 2020 MiSCHieF achetait 30.000$ un multiple de la série Spots de Damien Hirst (la centaine d'employés de l’atelier Hirst en a produit des milliers), en découpait soigneusement les 88 ronds colorés, les écoulait promptement sur internet à 480$ pièce, et vendait le reste (illustration ci-contre) 172.000$ aux enchères.

Fin 2021 elle achetait contre 20.000$ un dessin d’Andy Warhol, Fairies, en faisait 999 facsimilés pratiquement indétectables dit-elle, les mélangeait et vendait en un instant les 1000 à 250$ la pièce. Outrée, la Fondation Warhol va sans doute réagir.

Si les principes moraux libertaires dont MiSCHieF enjolive ses actions, remise en cause de l’idée d’authenticité, rupture de la chaine de confiance, réappropriation (mot magique), paraissent flous et bien sympathiques, on rappellera néanmoins qu’ils ont été invoqués par quantité d’artistes depuis bientôt 100 ans sans que l’objet de leur anathème, le marché de l’art, n’en ait jamais ressenti le moindre frisson. Au contraire, rajeuni, revigoré, il repart à chaque fois de plus belle. La rhétorique est réchauffée et banale, en stigmatisant le marché, elle l'alimente, et profite largement et en toute conscience des travers qu’elle dénonce (sauf Banksy, peut-être)

Reste qu'il est rigolo de railler l'art établi et de voir comme il est simple de découper les pois colorés de Damien Hirst et de revendre l’œuvre en pièces détachées, « éparpillée par petits bouts façon puzzle » comme disait Bernard Blier.

lundi 26 août 2019

La fondation du doute




« Il faut toujours avoir deux idées, l’une pour tuer l’autre ». 
 Georges Braque (cité sur un mur de la Fondation)

Le doute est un produit de luxe, apparu tardivement dans l’évolution. Devant un prédateur résolu, hésiter entre plusieurs directions où fuir n’offrait pas les meilleurs résultats évolutifs.
Et comme le doute sollicite l’encéphale et réclame de l’énergie inoccupée, il fallut attendre l’heureux temps des grandes philosophies, quand sirotant un ouzo servi par un esclave dans la fraicheur de la brise ionienne, le sage grec s’interrogea sur les raisons de son bonheur.
Il commença alors à douter de sa perception, puis de ce qu’affirmaient les autres, enfin de son entendement même.
Le fruit était gâté. Les plus malins s’y insinuèrent l’un après l’autre, Aristarque de Samos, Galilée, Spinoza, Newton, Darwin, Einstein, de Broglie… Et enfin Ben (Benjamin Vautier pour les familiers).

Né en 1935, émule du Dadaïsme et de Marcel Duchamp, Ben a toujours douté de l’art et de ses propres talents, mais pas de ses idées qu’il prodigua toujours de manière généreuse et désordonnée.

Au tournant des années 1950 et 1960, entre canulars et ruminations narcissiques, il signait tout ce qu’il rencontrait, abstractions, objets, personnes, lieux, des villes entières et même la mort, qui est alors devenue une œuvre d’art. Il vendait Dieu, en boites de quelques centimètres cubes.
Il inventait chaque semaine une nouvelle esthétique, et tant d’idées qu’il ne pouvait toutes les réaliser, comme le dessein de bruler le Louvre, en 1962. La moins spectaculaire fut l’inactivité, en 1961, concrétisée dans le projet de ne rien faire, constaté par huissier toutes les fins de mois.
Ben était alors porte-parole en français d’une sorte de mouvement artistique généraliste, conceptuel et informel appelé Fluxus.

 

Dans les années 1970-1980, plus modestement, Ben signait des mots, seuls, ou des phrases courtes, banales, des platitudes, des dictons, parfois cocasses en situation, d’une écriture arrondie et enfantine, blanche sur un fond noir. Il commença alors à intéresser les markéteurs, les imitateurs et quelques fariboles sociologiques.
Aujourd’hui, sa signature, comme celle des grandes marques, est devenue un phénomène publicitaire, elle prolifère dans les catalogues en ligne d’Amazon à CDiscount, au rayon des fournitures de bureau, agendas, cahiers d’écolier, affiches, tee-shirts.

Puis vint le temps des commandes officielles et des rétrospectives.
En 1995, le maire de Blois et ministre de la Culture lui commandait son œuvre la plus monumentale, le Mur des mots, 313 plaques émaillées de ses dictons les plus fameux, disposées sur les 360 mètres carrés de la façade de l’école d’art et conservatoire départemental.

Mur des mots (presque tous les textes sont lisibles en zoomant sur l'image en lien)

Enfin, au début du 3ème millénaire, encouragé par ce portail géant et la sympathie de la municipalité de Blois, et arrivé à un âge où l’avenir ne fait plus de doute, Ben qui avait affirmé en 1974 dans la revue Art press « toute rétrospective de Fluxus est une fossilisation », proposait d’installer dans les lieux, qu’il appellerait « Fondation du doute, Ben - Fluxus & Co », un musée du mouvement Fluxus (à moitié pourvu par sa propre collection), avec un café, une boutique et des lieux d’exposition, de création et de non création permanentes.

À l’inauguration, en 2013, il résumait Fluxus à France-Info « […] c'est la vie des ratés, […] l’amateurisme, le non-art, j’aime les types qui ont des idées, qui veulent changer le monde mais restent au bistrot à boire des bières ».
Il écrivait le 23 février 2013 sur son site (1) « L’esprit compte plus que les œuvres, il faut faire de la Fondation et du Centre Mondial du Questionnement quelque chose de totalement différent et nouveau, poser d’autres questions, douter de tout ».

Ainsi alléché, on se rend à la Fondation, à Blois, en pleine période touristique, pour constater que Ben avait raison en 1974.
Dans un musée, le doute, consacré, devient institution, comme une certitude, la subversion s'empoussière, les objets du quotidien ne sont plus que les articles d’un magasin de bricolage.

Finalement, Ben doute peut-être avec trop de conviction. Déclarer « tout est art » n’avance pas à grand chose, cela revient à dire « rien n’est art ». C’est tout.

Le musée est désert.

On se revigore en imaginant les activités de création du Centre international du Questionnement.
Mais le doute est certainement en vacances pendant l’été, lui aussi. La non création, la chaleur et le silence paralysent tout.

Trois touristes se rafraichissent au café Fluxus. Ils chuchotent, dans une langue inconnue.
Ne rien faire, c'est aussi créer (2).



 
(1) Le site de Ben est un monument, une caverne au trésor où ruisselle et se répand son extraordinaire logorrhée, et scintille tout ce qui lui est passé par la tête depuis plus de 50 ans. Il semble figé depuis 2013, année rétrospective, mais on y déniche en creusant un peu, la liste de ses projets (moi Ben je signe), ses enregistrements de Nice démangeaison, ses livres et manifestes au format PDF, et ses 701 longues Newsletters, jusqu'en mars 2019, sorte de journal personnel, spontané, attachant.
(2) Une des 30 questions (affirmations ?) que Ben omniprésent soumet au passant dans les rues de Blois.

dimanche 23 décembre 2018

Banksy crache dans la soupe

Toute génération a ses pasticheurs, qui s’emparent des icônes de l'époque et les recyclent en les parodiant. Ils justifient ce détournement par des revendications politiques ou humanitaires. Comme les personnages et les logos qu’ils caricaturent sont fameux, ils héritent une part de leur notoriété. 
Erró (1), Lichtenstein, Warhol notamment, illustraient ainsi les années 1960 et 1970 dans les galeries d’art et les musées.

La génération suivante, empiffrée de réclames sous toute forme, découvrait un moyen de communication plus immédiat et épicé d’un dose d’interdit. Elle exposait directement sur les murs de la ville et les panneaux publicitaires, furtivement. C’était l’art urbain ou Street art.

Ron English exerçait alors ses talents d’affichiste et sa conscience sociale dans les rues, d’abord du Texas, dans les années 1980 et 1990, en stigmatisant surtout les entreprises qui incitent massivement à la consommation de cigarettes et de nourriture bourrée de sucre et de graisse (2).

Reconnu, il expose aujourd’hui comme ses maitres, dans les galeries et les musées, des tableaux peints avec beaucoup de minutie, de couleurs et d’exubérance, voire d’incontinence (détail ci-contre), et dénonce les valeurs consuméristes en se montrant omniprésent dans les médias et en vendant force affiches, vêtements, albums et figurines des personnages qu’il a « détournés dans le but d’éveiller la conscience populaire ».
Tout cela est certainement profitable, car il vient d’emporter aux enchères une œuvre réputée de Banksy, un jeune confrère, pour 730 000 dollars.
 
Banksy, de la dernière génération de l’art urbain, semble être l’inverse de Ron English.
Anglais de Bristol, discret, préservant (avec difficulté) son anonymat depuis 20 ans, il peint au pochoir des silhouettes en noir et blanc. S’ils partagent les mêmes idéaux généreux et simplistes, Banksy, malgré un sentimentalisme un peu facile, affiche un humour nettement plus subtil que celui d'English et un véritable esprit libertaire (3).

Sa technique et son graphisme, sans originalité, doivent tout au français Blek le rat et à travers lui à Ernest Pignon-Ernest, mais ses actions de rue et la mise en scène de ses canulars sont d’une ironie et d’une ingéniosité réjouissantes. La lecture de la liste incomplète de ses faits et gestes dans L’encyclopédie Wikipedia (l’article anglais est plus fourni), donne déjà le frisson de la poésie, d'une sorte de dadaïsme humanitaire.

Qui ne connait pas ce qu’est Banksy, et la frénésie qu’engendrent ses productions dans le public, peut les découvrir dans le chef-d’œuvre documentaire de Chris Moukarbel, « Banksy does New York » (4).
Le film relate en détail les réactions des New-yorkais dans la recherche et la découverte, à l’aide d’indices diffusés sur internet la veille, d’une œuvre nouvelle dissimulée par Banksy chaque jour du mois d’octobre 2013.
Adorateurs, profiteurs, policiers, badauds, finissent généralement par trouver, et détruire ou voler l’œuvre du jour. L’art des rues est éphémère.

La journée du dimanche 13 octobre, en particulier, est un chef-d’œuvre. Dans la matinée à Central Park, un vieil homme installe un stand au milieu d’autres marchands de reproductions. Il propose pour 60$ pièce 34 toiles peintes au pochoir, reconnaissables, signées (au dos ?). Quand il remballe à 18h, il en a vendu 8 dont 2 négociées à 30$. Les chasseurs de trésor, déconfits, apprendront le lendemain que les toiles étaient d’authentiques Banksy. Elles se vendent habituellement plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers de dollars aux enchères.

La dernière opération retentissante (*) de Banksy était, en salle des ventes chez Sotheby’s à Londres, le 5 octobre 2018, le découpage rocambolesque d’un de ses tableaux par une broyeuse télécommandée cachée dans le cadre, quelques secondes après son adjudication pour plus d'un million de livres sterling. L’œuvre était un exemplaire de son dessin au pochoir le plus célèbre, la fillette au ballon rouge, sujet mièvre et très consensuel car sans véritable sens. L’évènement a beaucoup ému les médias.
Il reste néanmoins controversé et entouré de commentaires sarcastiques sur l’intégrité de l’artiste parce qu’ayant, bien que démenti, évidemment bénéficié de complicités chez Sotheby’s (c'était le dernier lot de la soirée). La vente n’a pas été annulée et le commissaire-priseur a immédiatement prétendu que la valeur de l’œuvre (ce qu’il en reste) s’en trouverait doublée.

Aujourd’hui le moindre geste de Banksy fait grimper le cours de Banksy, et provoque jalousies et inimitiés, notamment chez les confrères moins renommés, qui se disent alors défenseurs d’un art urbain vertueux et incorruptible.
Ainsi Ron English, peintre du plastique et de la guimauve qui aimerait être le Salvador Dalí de l’art populaire, a clamé qu’il sauverait l’honneur de l’art éphémère en couvrant le Banksy qu’il vient d’acheter de peinture blanche, afin de lui rendre son état de mur originel, puis qu’il le vendrait un million de dollars, histoire de rentabiliser l’opération.

Peintes illégalement et volées sur les murs, même signées, ces œuvres n’ont pas d’auteur légal, c’est pourquoi les musées ne les achètent pas (pour le moment). Les seules preuves de leur authenticité sont des déclarations et des clichés déposés par un certain Banksy sur un site internet ou sur Instagram. Pourrait-il s’opposer à cette dégradation, par l’intermédiaire d’un prête-nom et d’un quelconque artifice juridique, que Banksy n’y trouverait pas d’intérêt. Ses œuvres au pochoir sont reproductibles sans effort et la fanfaronnade d’English ne fera, une fois réalisée, qu’amplifier la réputation du nom Banksy.
D’ailleurs, les notoires rivalités claniques dans le milieu de l’art urbain ne sont peut-être qu’une façade (5). Il est possible que Banksy et English soient de connivence.

Peu importe, si cela les incite à rappeler à chaque coin de rue qu’il existe un autre monde, flottant au dessus de la réalité, qui parle et décide au nom de l’espèce humaine, et qui prétend savoir conduire sa destinée quand c'est vers le chaos qu'il l'entraine, que ce monde n’est pas intouchable, et qu’il s'agit de le faire taire en prenant la parole à sa place, sans en demander l’autorisation.

Mise à jour le 15 octobre 2021 : La fade fillette au ballon rouge, la version du happening du 5 octobre 2018 qui pendouille à moitié déchiquetée sous son cadre retors (*), vient de constituer un nouveau record de vente aux enchères pour un Banksy (25,5 millions de dollars, 17 fois l'enchère de 2018).


*** 
(1) Le lecteur et la lectrice excuseront le nombre considérable de liens dans cette chronique, le sujet étant si riche. Ils en profiteront pour excuser les liens vers les longues vidéos en anglais et sans sous-titres (voir ci-dessous), l'internet en français étant toujours aussi pauvre.
(2) Voir « POPaganda: The Art and Crimes of Ron English », documentaire de Pedro Carvajal (en anglais, 74 minutes), qui retrace les années d'English dans la rue.
(3) Voir « The Antics Roadshow », le documentaire cocasse et fourretout qu’il a réalisé en 2011 sur le thème de la désobéissance civile (vidéo en anglais, 47 minutes), et aussi « Who is Banksy », courte vidéo de 14 minutes en anglais (mais Youtube crée les sous-titres anglais approximatifs à la volée). Son rythme épileptique vous obligera à faire de fréquents retours en arrière et son orientation « people » insiste sur l'identité de Banksy, mais il résume tout son art en images de très bonne qualité.
(4) On trouve le film « Banksy does New York » en version originale anglaise sur Youtube (80 minutes), et sous-titré en français sur certain site de partage illégal et torrentueux.
(5) Le film « Robbo vs Banksy, Graffiti war », en version originale anglaise sur Youtube (47 minutes), est la relation nettement orientée d'un combat de palimpsestes entre un obscur graffeur médiocre mais légendaire et Banksy, considéré comme un usurpateur vendu aux forces du mal.

dimanche 22 août 2010

Mars, ou la blague du 27 aout

Ce mois-ci, le 27 à minuit-trente, dans le ciel nocturne s'il est bienveillant, au lieu d'une, vous verrez deux lunes. La deuxième sera la planète Mars, exceptionnellement proche de la Terre par une rarissime concordance des effets de la gravitation. C'est ce que prédit un courrier électronique que vous avez nécessairement reçu ou que vous recevrez bientôt (1), car on a toujours autour de soi des amis sympathiques et peu rigoureux.

Cette histoire est une blague, un bobard, une sottise. Elle se répand sur l'internet dès que l'été arrive, régulièrement depuis 2003. La petite histoire dit que l'origine en est un texte d'astronomie spécialisé, érudit, qui décrivait un fait absolument authentique : le 27 aout 2003 Mars était effectivement au plus près de la Terre, comme elle ne l'avait pas été depuis des milliers d'années et comme elle ne le sera plus avant longtemps. Le texte aurait été tronqué, par erreur peut-être, puis interprété par une personne prévenante, probablement sympathique et peu rigoureuse.

Image très légèrement arrangée, mais entièrement de bonne foi.Une vérification sommaire (par exemple avec le logiciel Stellarium encensé ici) suffisait à démontrer que la Lune serait cette nuit-là totalement invisible, trop proche du soleil sous l'horizon, et que Mars brillerait seule, du crépuscule à l'aube, minuscule point rougeoyant, comme une étoile, un peu plus brillante qu'à l'habitude.
Et si un jour l'Humanité voyait Mars aussi grosse que la Lune, c'est qu'elle contemplerait sa propre fin. Mars ne serait alors qu'à deux fois la distance actuelle de la Lune, le système solaire aurait subi de telles perturbations gravitationnelles que Mars percuterait bientôt la Terre. Déjà, raz-de-marée et déformations de l'écorce terrestres auraient certainement anéanti toute espèce vivante évoluée.

Vous vous exclamerez certainement, outré, « Cuistre ! Pédant ! Tout le monde n'a pas la chance de savoir. Et puis, c'est aimer bien peu l'espèce humaine que de mettre en doute systématiquement les choses merveilleuses que nous annoncent les gens bienveillants, qui n'en retirent ni intérêt ni prestige, et qui ne nous informent que par altruisme ! »
Sur la question de la connaissance, c'est juste, et Ce Glob Est Plat, trop incompétent lui-même, ne s'amusera jamais de l'ignorance d'autrui (sauf négligence). L'innocent, le candide, l'ingénu, le crédule ne peuvent pas se douter que la Terre tourne autour du Soleil, quand l'évidence leur montre l'inverse. D'ailleurs 56% du public invité sur la première chaine de télévision française ne s'y sont pas trompés et l'ont affirmé en chœur lors d'une émission mémorable.

Mais il faut cependant se demander quel est ce besoin vital de merveilleux qui empêche l'humain de se satisfaire d'un monde avec une seule Lune. Serait-il contenté avec une deuxième que le besoin d'une troisième surgirait. Puis il réclamerait des anneaux autour, quelques comètes à heures fixes, des éclipses tous les jours. Il convoite tant ce qu'il n'a pas, qu'il désire même ce qui n'existe pas. Trop d'imagination, trop peu de discernement. En fait il ne désire que désirer. Une question d'hormones sans doute.
Méfions-nous donc des informations amicales. Remettons-les en question, et dès lors fâchons nos amis à l'esprit critique engourdi.


***
1. Voici un des modèles du message qui envahit les boites électroniques de la planète : «Le 27 août prochain, à 0:30 minutes, regardez dans le ciel. La planète Mars sera la plus brillante dans le ciel étoilé. Elle sera aussi grosse que la pleine Lune. Mars sera à 34,65 millions de miles de la Terre. Cela nous apparaîtra aux yeux nus, comme si la Terre possédait 2 Lunes. La prochaine fois cet événement se reproduira l’année 2287, puis l'année 25695. Partagez cette information avec tous vos amis car PERSONNE en vie aujourd'hui ne pourra voir cela, une seconde fois.»