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samedi 7 décembre 2024

Le singe d'Oloron


Dans une récente chronique illustrée sur le portail de la cathédrale d’Oloron, on a passé un peu vite sur les reliefs de la voussure intérieure, 26 personnages occupés à des activités quotidiennes - anecdotiques dit Wikipedia - qui semblent suivre une chronologie, peut-être la préparation d’une festin.
L’hypothèse du banquet est confirmée par le très averti Office du tourisme d’Oloron, qui dit dans un dépliant érudit "préparatifs d’un festin […] scènes de la vie locale : ainsi, la chasse aux sangliers, la pêche au saumon, le découpage des boules de pain et de fromage [… ] témoignages de la vie béarnaise au XIIe siècle", ou comme on peut le lire ailleurs "c’est toute la vie paysanne de l'époque que le sculpteur a représentée : chasse au sanglier, pêche et fumage du saumon, fabrication du fromage, préparation du jambon, travail de la vigne."

M. Leduc, passionné magnanime de nature et d’architecture, armé du fameux objectif Summarit de 75 mm monté sur le non moins célèbre appareil Leica-M et ses innombrables pixels, profitait du soleil d'aout 2019 pour scruter le tympan et en partager les images sur le site Flickr. Ce sont les photos les plus détaillées de la voussure trouvées sur internet. On y reconnait toutes les activités alimentaires décrites plus haut, chasse, vendanges, pêche, préparations diverses - pas toujours claires malgré la précision des détails - mais distinctement culinaires.
On ne les détaillera pas ici. Le jeu est aussi de deviner l’activité des figures, par exemple que fait cet homme avec une sorte de crochet, aiguise-t-il un couteau ? 
- Liens vers les détails de la voussure par C. Leduc, de gauche à droite : un, deux, trois, quatre, cinq, six. Certains détails manquants sont disponibles ici, en moins précis, ou là). 

Des 26 personnages sculptés, 24 sont donc occupés à des activités culinaires. Personne ne consomme. Notons en passant - sans savoir pourquoi - qu’ils ne sont figurés que par des hommes, et tous barbus. 
Un 25ème personnage, à gauche, entouré de deux chasseurs et d’un dépeceur, joue malgré lui le rôle principal de ces préparatifs culinaires : c’est le sanglier. 

Y a-t-il un message chrétien dans ces scènes alimentaires à priori profanes ? La question semble encore intriguer les spécialistes de l’iconographie chrétienne. Gageons qu’on a plutôt ici affaire à une publicité sculptée dans le but d’allécher, par les meilleurs produits de la gastronomie locale, le pèlerin affamé par son long périple. 

Mais alors, que vient faire, dans ces cuisines sculptées sur le fronton d’une cathédrale béarnaise, le 26ème personnage ?
Généralement caché, sur les photos, derrière la sculpture en ronde-bosse du lion anthropophage, à l’extrême gauche, vous l’avez certainement remarqué (nos illustrations). Alors que les 25 autres figures se tiennent debout sur l’arc de la voussure, il est dans un autre référentiel de l’espace, sur un balcon d’où il semble s’adresser aux spectateurs. Et c’est un singe, vraisemblablement.  

Le singe n’est pas rare sur les portails, les frontons et les chapiteaux du moyen-âge. Il symbolise souvent le diable, le païen, la luxure (en Auvergne le singe cordé, tenu en laisse par son maitre, montreur ou baladin, exhibe habituellement son anatomie).  
Ici à Oloron, cette ridicule imitation de l’homme, comme disait Galien, semble plutôt prêcher ou racoler le spectateur du haut de sa chaire. Sans doute vante-t-il aux croyants, en bon crieur public, la chère préparée par tous ces cuisiniers affairés sur l'arc de pierre.

Toute autre interprétation crédible et argumentée du rôle de cette figure sera examinée avec enthousiasme.

 

dimanche 11 décembre 2022

Améliorons les chefs-d’œuvre (25)



L’église Saint-Vincent du Mas d’Agenais, village sur la Garonne entre Bordeaux et Agen, abritait, depuis le don en 1805 d’un officier de l’armée napoléonienne, un tableau sombre de taille moyenne, accroché à plus de 3 mètres de hauteur et figurant le prophète de la religion chrétienne, dans une situation manifestement douloureuse au moment le plus désagréable de son histoire, "chétif et misérable" dit la conservatrice des Monuments historiques. 

En 1959 un restaurateur découvrait au centre du tableau, peint sur le bois au pied de la croix, un paraphe illustre, les lettres RHL imbriquées pour "Rembrandt fils d’Harmens, de Leyde" et une date, 1631.
Sans aucune protection mais jamais volé pendant 200 ans, à peine mieux protégé derrière une vitre de 2002 à 2016, le tableau vient de séjourner 6 ans dans la salle sécurisée du trésor de la cathédrale de Bordeaux, le temps de lui construire dans l’église Saint-Vincent un écrin blindé et vidéo-surveillé à outrance, avec des petits trous pour l’hygrométrie, homologué par les instances.  

Son retour au Mas d’Agenais le 24 mai 2022 fut une fête. Sur le site de la mairie la revue de presse en est impressionnante. La planète entière sait maintenant que le village possède, dans l'église accessible tous les jours pour des repérages, une chose invendable mais estimée 90 millions d’euros (ou "70 ans de budget de la commune"). De quoi donner des démangeaisons à tous les monte-en-l’air amateurs d’art et de sensations. On sait que l’épithète "invendable" ne les arrête plus.

Le 7 aout, dans l’église romane renaissante, une messe filmée par la télévision néerlandaise (Rembrandt est la fierté des Pays-Bas à l’égal de leur fromage) se concluait par une scène irréelle qui mérite d’être relatée (à 13:45 sur la vidéo) : un homme âgé couvert d’une cape vert-olive et d’une jolie petite calotte fuchsia au sommet du crâne, faisait vers la vitre qui protège le tableau des gestes mystérieux avec un petit marteau de métal argenté, puis balançait dans la même direction un appareil précieusement ciselé suspendu à une chainette et qui fumait un peu. Le commentaire en hollandais ne permet pas de savoir ce qu’il se passait mais la ferveur des chœurs en fond sonore soulignait l’importance de cet étrange cérémonial.

Importance au moins économique, car cet été, aux dires d’une commerçante du bourg, il fallait presque réserver pour aller prendre un café au Bistro de la Halle, et l’église voyait alors passer pas loin de 100 touristes par jour, "essentiellement des cyclistes", y compris en semaine. 
On entend même qu’un boulanger s’installerait dans le village. Il semble pourtant y en avoir déjà un, discret, au bout de la rue du beurre, et une boulangerie sans boulanger, abandonnée au coin de la Grand-Rue. L’euphorie et les micros-trottoirs font parfois dire n’importe quoi.
  

mercredi 4 mai 2022

Mais comment diable m’abonner à ce blog ?

Si l’informatique n'est pour vous qu'un brouillard, si vous vous perdez dans ces innombrables systèmes qui font tourner, sur des appareils disparates, des milliers de logiciels difficilement compatibles entre eux, il faut vous en prendre à l’Éternel. Les livres les mieux documentés l'ont dit depuis des siècles : c’est parce que l’humain, qui avait la ferme intention de reprendre ses turpitudes d’avant le Déluge, a construit une tour qui dépassait largement la hauteur d’eau atteinte par la crue biblique, grâce à quoi il pensait pouvoir forniquer, violenter, assassiner et blasphémer à profusion, persuadé que le niveau de la prochaine punition divine ne pourrait pas l’atteindre. L’histoire se passait à Babel. Mais l’Éternel, malin, changea de tactique, et alors qu’à l’époque l’informatique se résumait à un système unique et un seul logiciel sur un seul type d’appareil, on se retrouve aujourd’hui avec des milliers de marques, de normes, de standards, de particularités nationales, de langues, le tout si bien combiné qu’on ne sait même pas comment s’abonner à un simple blog.
(La tour de Babel © Pieter Brueghel l'ancien, musée Boijmans, Rotterdam).

 
Presque chaque année une personne au moins annonce à l’auteur de ce blog, animée d’une feinte confusion « mais comment être prévenue quand vous publiez une chronique ? », pensant ainsi lui faire avaler qu’un petit obstacle technique l’a empêchée de jamais lire sa prose, qui pourtant promettait des sujets si alléchants, dit-elle. L’auteur, bien élevé, se garde de lui rappeler que ses chroniques sont quasiment hebdomadaires.

Naguère Gougueule, à qui Ce Glob est Plat appartient corps donc âme, proposait gratuitement une fonction qui enregistrait les adresses de courriel des volontaires souhaitant recevoir un avertissement dès la parution d’un nouvel article de blog. Ce Glob est Plat n’y a jamais souscrit. Il a bien fait car la firme vient de supprimer cette fonction en 2021, laissant les auteurétrices de blog se dépatouiller avec une liste d’adresses courriel d’abonnés abandonnés désormais sans nouvelles.

Or il a toujours existé une solution idéale à ce problème : un petit logiciel qui prévient quand les sites que vous lui avez demandé de surveiller postent un nouvel article sur internet (*). Ce logiciel existe, en divers modèles, sur toutes les machines, tablettes, téléphones et systèmes d’exploitation, souvent gratuit ou pour quelques euros (éliminez d’emblée ceux qu’on paye par abonnement, vous en devenez le pigeon).  

(*) Certains navigateurs internet remplissent cet office en regroupant dans un menu les nouveautés des sites suivis, mais la solution n’alerte pas l’utilisateur, et semble assez mal maintenue. Par ailleurs, Il existe fort probablement un moyen de créer un lien dynamique vers un blog, quelque part sur la page d’accueil de votre résossossiot préféré. Mais n’ayant aucune science de ces logiciels bouffeurs de cervelle, l’auteur ne vous sera là d’aucun secours. 

Cette solution est si peu connue de l’internaute ordinaire que ce type de logiciel avertisseur n’a pas trouvé de nom simple et évocateur. On l’appelle Lecteur de flux RSS (Really Simple Syndication), parfois Agrégateur de flux, ou Abonnement à des contenus, ou le poétique Lecteur de syndication de contenu au format RSS-XML.
L’encyclopédie Wikipedia en dit "Bref, un moyen idéal de survoler l'actualité lorsqu'on n'a pas le temps de parcourir un site, ou afin de faire un tri parmi les informations qui nous intéressent."

Vous fournissez au logiciel l’adresse des flux d’abonnement (**) des sites que vous souhaitez suivre, et il vous avertira et présentera à tout moment la liste des nouveaux articles. Vous éliminez alors d’un doigt les articles qui vous ennuient et lancez directement la lecture de la dernière chronique de Ce Glob est Plat. Et tout en la cherchant éperdument, parcourant d’un œil distrait les titres récents des médias conventionnels que vous suivez aussi, vous vous serez informés sur le sort de notre planète, et ainsi serez parmi les premiers à savoir si on doit désormais, par rigueur grammaticale, appeler "deuxième" ce qui était hier encore la "seconde" guerre mondiale, ce qui n’est pas un mince avantage.
   
(**) L'adresse du flux RSS n’est pas l’adresse du site. On la trouve en cherchant Flux RSS, ou Feeds sur le site, ou une icône orange ; certains lecteurs de flux la dénichent automatiquement à partir de l’adresse du site. C’est https://ostarc.blogspot.com/feeds/posts/default pour Ce Glob.
 

Mais alors, pensez-vous déjà, pourquoi n’en parle-t-on jamais, si c’est la manière idéale d'être informés seulement de ce qu’on a demandé, sans être pollués par tout ce qui est inutile ?

Vous avez peut-être répondu ! Les médias cherchent à vous vendre tout ce qui vous est inutile, le vent autour des émissions de radio ou de télévision, les publicités surgissantes et les animations qui détournent votre attention sur les pages internet. Or, comme tout système destiné à revoir ou réécouter une émission de télévision ou de radio (replay, podcast), et qui permet d’éviter aisément toutes ces incommodités, les lecteurs de flux RSS savent, soit présenter les articles désinfectés dans leur propre éditeur, soit vous emmener directement à l’article voulu, en esquivant toutes les nuisances et tentations intempestives, comme un service à domicile.  

POUR ALLER PLUS LOIN : Afin de trouver le logiciel avertisseur qui correspondrait à votre idiosyncrasie technique, toutes les questions seront traitées dans les commentaires de la présente page avec les plus parfaites rigueur, objectivité, honnêteté, franchise, et certainement incompétence, car les appareils, systèmes d’exploitation, et logiciels sont nettement plus nombreux qu’à l’époque sacrée de la tour de Babel.

vendredi 11 décembre 2020

Améliorons les chefs-d’œuvre (17)


Dans une revue spécialisée dans les ventes aux enchères (1), on lisait il y a peu, sur une pleine page illustrée d’une très mauvaise reproduction rouge sang, une longue annonce où résonnaient les mots suivants :

« chef-d’œuvre du ténébrisme […] dernière scène nocturne de Georges de La Tour encore en mains privées […] une de ses rares toiles signées […] issue de la prestigieuse collection Machin […] »
Et « Le public connaît bien cette jeune fille […] dans des dizaines de publications, aussi bien qu’au musée Machin en 1948, au musée Truc en 1955, […] en 1958, […] entre 1976 et 1980, […] 1997 et 2005, en 2012 […] »
Et encore « Le maître du clair-obscur, oublié pendant des siècles, avait été ramené à la lumière au début de la décennie (2) par le travail de recherche mené par Pierre R... et Jacques T..., lesquels s’accordent à placer la Fillette au brasier parmi les chefs-d’œuvre de fin de carrière du peintre, sa production aujourd’hui la plus appréciée des collectionneurs et du public. »

Impressionnant, non ? Une vente qui devrait faire un carton

On nous affirme, en préambule et en gras, qu'il s'agit d'un chef d’œuvre. Pour un commissaire-priseur, c’est le montant du gain estimé qui fait d’un objet quelconque un chef-d’œuvre. Ici, pas d’hésitation, on en attend au moins 3 ou 4 millions d’euros. Cette « fillette au braisier » (3) de 55 cm par 76 est le summum d'une vente de 22 tableaux d’un collectionneur renommé.
Cependant, l’habitué effaré qui a vu adjuger en 2017 un Léonard de Vinci médiocre et sans doute pas de sa main, contre 450 millions d’euros, sait bien qu’un véritable chef-d’œuvre de Georges de La Tour, peintre aussi rare et incomparable que Vermeer, serait évalué au moins 10 à 20 fois l’estimation actuelle (4).

Ensuite, l’annonce nous informe que c’est « une de ses rares toiles signées ». N’exagérons pas. Au moins 15 toiles de La Tour sur environ 45 sont signées, essentiellement les nocturnes, pas toujours de manière lisible, et justement la Fillette au braisier est de celles dont la signature, presque invisible, reste controversée (sauf sur le marché de l’art, semble-t-il).
Et que vaut une signature, qui peut-être contrefaite beaucoup plus aisément que le style d’un peintre ? 
 
À propos d'authenticité et de tableaux signés, faisons un petit jeu. Parmi ces 6 portraits de la maturité de La Tour (ci-dessous), des plus beaux de l’histoire de la peinture occidentale, ceux du rang haut ne sont pas signés et ceux du rang bas le sont. Un seul des 6 a été peint avec les pieds. Saurez-vous le reconnaitre (5) ?

 
Puis on nous raconte que le public connait parfaitement ce portrait de jeune fille, régulièrement exposé dans les musées les plus sérieux depuis 70 ans. C’est juste, les prêts d’œuvres majeures sont difficiles et couteux à organiser, si bien que les expositions s’étoffent de plus en plus avec des fonds de tiroir, qui en acquièrent ainsi un pédigrée plus respectable. 
La « Fillette au braisier » est de ces bouche-trous. Le dessin en est incertain, globalement immature, la mise en scène plate et grossière. 
Mais tout n’y est pas raté, et deux détails (distingués en couleur dans l’illustration en haut), la face de la jeune fille et le braisier, avec les doigts de la main droite, pourraient être de la main de Georges.

Enfin, dans une phrase bancale qui mélange décennies et siècles, le rédacteur appelle en secours deux experts renommés, qui ont effectivement beaucoup fait pour la reconnaissance de La Tour dans les années 1970-1980. Mais s’ils l’ont ramené à la lumière, ils n’ont pas allumé la lampe, et ce ne sont après tout que des experts, âgés, parfois académiciens de surcroit, et qui peuvent donc se tromper.
Ils sont associés ici malgré eux à des soi-disant « chefs-d’œuvre de fin de carrière de La Tour », notion qui ne recouvre en réalité qu’un ensemble d’œuvres incertaines, souvent médiocres, que les spécialistes hésitent encore à attribuer au fils du peintre, Étienne, ou à des copistes ou suiveurs anonymes.
Quant à affirmer qu’ils constituent « la production la plus appréciée des collectionneurs et du public », ça n’est que la rhétorique promotionnelle courante du représentant de commerce.
 
***
La vacation avait lieu à Cologne le 8 décembre 2020, en direct sur le site internet de la salle des ventes, Lempertz. L’image ci-dessous illustre le déroulement des enchères du La Tour, le numéro 11, entre 17h30 et 17h33. 
Le cadrage de la vidéo  restera immuable durant toute l’heure de la vacation (la salle est probablement vide de public), rien ne semble se passer. Le vase de fleurs au premier plan ne manifeste aucune émotion, et le monsieur de la vidéo égrène des enchères en allemand et en anglais, parfois en retard sur l’affichage des montants, notamment au moment de l’adjudication, quand le montant adjugé s’affiche  avant que le marteau s’abaisse, si bien qu’on se demande si tout cela n’est pas automatisé, et un peu désynchronisé. Impression vaguement démentie quand surgissent des erreurs de saisie, comme cette enchère-lapsus de départ à 24 millions pour le La Tour, rapidement corrigée en 2,4 millions .


En 3 minutes et seulement 6 enchères, le « La Tour » est parti un peu au dessus de l’estimation basse, furtivement, dans un grand silence. Rappelons que le vendeur touchera 3,6 millions d'euros, mais l'acheteur en paiera 4,34 millions, taxes et commission comprises.

En fin de compte, un bien beau moment qui a fait palpiter le cœur de tous les amateurs de belle peinture classique, écriront les chroniqueurs.
 
***
(1) Gazette Drouot 43-2020 page 255
(2) Quelle décennie ? On devrait sans doute remplacer par « début du siècle », la découverte de La Tour par Herman Voss datant de 1915, mais R... et T... n’étaient pas nés.
(3) On disait « brasero » au 20ème siècle.
(4) Le saint Jean-Baptiste de La Tour découvert en 1992 était préempté par l’État en 1994, suite à un imbroglio politique, pour l’équivalent de 20 millions d’euros d’aujourd’hui - mais estimé le double si la vente avait été régulière.
(5) Petit indice, « Le souffleur au tison » du musée des beaux-arts de Dijon, signé « De La Tour f » (rang bas au centre), est unanimement reconnu comme un original de la maturité du peintre.


Mise à jour le 21.02.2022 : le tableau a probablement été acheté par un des Émirats arabes unis. Il est actuellement exposé dans le musée du Louvre Abu-Dabi.  

samedi 19 septembre 2020

Un peu de pub

M. Rykner, journaliste éminent et combattif dévoué aux choses de l'art (de certaines époques seulement), laissait libres d'accès, sur son site « La Tribune de l'Art », les articles généralistes importants. Les plus spécialisés étant réservés à ses abonnés payants. Connaisseur pertinent, il a souvent été référencé ici-même (7 fois en 10 ans).
 
Hélas le virus ayant fait fuir de son site, annulation après annulation, dit-il, les publicités lucratives, il en profita, dès le début du confinement, pour rendre tous les articles payants, sur abonnement donc.

Il s’en explique dans un article promotionnel où il sollicite des abonnements. On croit comprendre, à la lecture des premières lignes, qu'il se félicite de cette suppression totale de la gratuité (sauf de rares articles polémiques qu'il veut universels) puisqu'il estime que son chiffre d'affaire en 2020 sera supérieur à 2019, ce qui est bien la légitime aspiration de tout bon père de famille.


Peut-être est-il allé un peu loin dans la mise en œuvre de ce raisonnement gagnant puisque l’article, où l'on devine qu'il va justifier et promouvoir les avantages d'un abonnement, est hélas limité à quelques lignes, le reste étant réservé aux abonnés, ce qui est cocasse.

On dira que c'est une erreur due à l'empressement pour faire face à une recrudescence d'activité. Soulignons que cet accroissement n’est pas vraiment sensible pour l’utilisateur qui a plutôt noté dans le pays, à l’inverse, une importante régression et une grande complication d’accès aux évènements artistiques.
 
Ce petit incident met en lumière une question plus générale, l’angoisse devenue quotidienne de l’usager de la Culture. Car il est de bonne composition, l’usager, il aimerait bien s’abonner à tous ces sites passionnants, à tous ces services qui enrichiraient son esprit, mais son banquier l’observe, bienveillant.
 
Et ce modèle économique de prolifération des abonnements, s’il tranquillise les bienheureux bénéficiaires, ne fait qu’embrouiller la vie de l’usager de base. 
C’est l’exemple des logiciels de la société Adobe (Photoshop, etc), et de tant d’autres maintenant. Quand en 2014 elle cessa de vendre ses logiciels qu’elle transmua en « droit d’utilisation par abonnement », le cout et les désagréments pour bon nombre d’usagers furent multipliés par 2 ou 3.
Pour que d’aucuns prospèrent, il faut bien que d’autres y perdent, auraient dit Lavoisier ou carnot, même si d’incurables utopistes pensent que tout le monde pourrait y gagner, les lois de la thermodynamique ne sont plus si optimistes.

Naturellement M. Rykner n’y est pour rien. Il essaie de vivre dans ces circonstances hostiles, comme tous. Et son offre est alléchante, à 5 euros par mois pour les 10 ans à venir, au lieu de bientôt 8 euros. 10 ans ! Quelle curieuse promesse, romanesque.
 
Enfin, l’essentiel est que M. Rykner soit satisfait, visible par moins de lecteurs, certainement, mais content.
Nous suivrons désormais avec intérêt son humeur à la lecture des titres de ses chroniques.
 
***
L'illustration, copyright La Tribune de l'Art, est l'extrait lisible de l'article réservé aux abonnés.

vendredi 1 novembre 2019

La Presse s'est un peu oubliée

Le lecteur régulier du blog depuis au moins 2012 pourrait ne pas lire ce qui suit, car on y relate encore une fois, toujours avec la même intrigue, un épisode de la comédie des frères siamois, Pouvoir et Argent, qui se jalousent publiquement mais ne seront jamais séparés.

Résumons la situation par un petit apologue.

Imaginons le modeste artisan d’une petite fabrication d’articles de presse sur internet, qui consiste dans la recopie tels quels, mais enrichis, des communiqués de l’Agence de presse d’État (pour le néophyte, enrichis signifie entourés de jolis encarts publicitaires voyants, tentateurs et rétribués).
Il confie la promotion de ses articulets et la recherche du lecteur optimal à une Multinationale de l’analyse des données, qui a mis en œuvre d’énormes moyens afin de tout savoir sur les désirs et le comportement du public.
Il en ressent rapidement une agréable augmentation de son lectorat.
Mais il a l’arrogance de croire (ou faire croire), que ce petit succès est dû à la qualité de ses médiocres photocopiages enluminés, et emporté par le vertige de la cupidité, il fait voter par toute l’Europe, une loi qui instaure une obligation, pour la Multinationale et ses consœurs, de payer un droit d’affichage des éléments qu’il leur fournit pour attirer le lecteur. Comme si l’épicier demandait des honoraires au taxi qui connait son adresse et lui amène des clients.
Cette rémunération privée, doublement immorale, n’est motivée par rien d’objectif, sinon par la convoitise qu’éprouve le modeste artisan pour l’indécente richesse que la Multinationale a amassée en usant des lois mises en place par la corporation de l’artisan même afin d’éviter l’imposition de ses propres bénéfices.

Cette fable n’en est pas une, évidemment. La recommandation européenne faisant payer aux moteurs de recherche les liens qu’ils affichent vers les articles de presse entrait en application en France le 24 octobre 2019. Google avait annoncé qu’il indexerait alors les articles des organes de presse comme pour des simples particuliers (un titre et un lien), et que les journaux et sites qui voudraient être mis en avant par des images, extraits d’article et positionnements et signes distinctifs destinés à attirer l’œil de l’internaute, seraient les bienvenus s’ils acceptaient, par un accord, de fournir tout cela gratuitement. Le réseau social Facebook a depuis, d’une manière nettement plus équivoque, adopté la même position.

Chapiteau sur la façade de l’église Saint-Jacques d’Aubeterre-sur-Dronne, vers 1170. Les sculpteurs de l’époque avaient bien compris les liens troubles, fratricides mais infrangibles qui unissent Google, Facebook, et leurs obligés, puisqu'ils partagent le même organisme. 


Tous savaient que les multinationales ne fléchiraient pas. Qu’est-ce qui peut aveugler ainsi une corporation qu’on dit bien informée ? L’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, même la France, qui ont tenté depuis une dizaine d’années de s’approprier ainsi une part des bénéfices de Google, se sont toujours ridiculisés en tentant des procédés de « récupération détournée », qui n’ont jamais résisté plus de quelques jours à la menace de ne plus être favorisés, voire ne plus être indexés, et devenir invisibles au regard des lecteurs. 

Le 24 octobre résonna pourtant dans la presse unanime - à l’exception de Numérama qui explique clairement sa divergence - le chœur des journaux indignés, qui s’étaient pour l’occasion regroupés en une sorte de syndicat, APIG (Alliance de la Presse d’Information Générale) et couinaient « C’est intolérable, Google ne respecte pas la loi ! » Mais quelle loi ? Celle d’un minimum d’équité dans le partage privé du gâteau ?
Ils ont alors collectivement décidé de porter plainte auprès de l’Autorité de la concurrence.

Ne vous lamentez pas sur le sort des éplorés. Les principaux ont reconnu avoir déjà consenti à la convention de Google, et lui envoient toujours gratuitement, comme auparavant, les éléments d’information qui les mettent en évidence.

Ils ont eu une grosse frayeur, ont vagi un peu fort, mais c’est passé. Une couche propre, un peu de talc, et ils dorment en paix en attendant la décision de l’Autorité de la concurrence et ses inévitables suites judiciaires, pendant que leurs automates continuent d’enjoliver les communiqués de l’Agence France Presse.

lundi 14 janvier 2019

Publicité inactuelle

La Seille, un beau jour à Vic-sur-Seille.

Ce blog s’est quelquefois amusé des turpitudes du monde de l’art, des experts aux faussaires, des commissaires aux gestionnaires de musée. Le profane pourrait croire, au ton ironique employé, ici, et puis , ou encore , que ces choses sont très exagérées, que le trait est grossi pour la beauté de la caricature.

Eh bien qu’il se détrompe. Car Vincent Noce (c’est un pseudonyme), spécialiste du marché de l’art et du patrimoine, qu’on rencontre fréquemment dans les médias, interrogé sur les radios nationales, et dont on lit régulièrement, la prose dans les principaux journaux et revues d’art, de Libération à Beaux Arts, et les billets d’humeur dans la Gazette de Drouot, Vincent Noce donc, vient de publier un livre captivant qui fourmille d’anecdotes et d’histoires navrantes sur le milieu des ventes aux enchères.
Il l’a intitulé avec esprit « Descente aux enchères, les coulisses du marché de l'art » (1). Sous une plume limpide et pondérée, on y retrouve, dans des situations très délicates, les plus grands noms d’experts et de commissaires-priseurs qui ont fait la renommée de l’Hôtel des ventes de la rue Drouot, fortement impliqués dans des affaires de détournement et des malversations variées, voire les organisant eux-mêmes.
Ces histoires sont véridiques, palpitantes et l’auteur est espiègle. Il définit par exemple ainsi la Valeur, dans un petit glossaire des ventes publiques : « VALEUR : d'éminents scientifiques ont élaboré des modèles prédictifs sur les variations de la valeur de l'art, qui ont le grand mérite d'expliquer le passé. »

Et puis, un auteur qui raconte, dans son chapitre 15, en quelques pages trop courtes, l’aventure de la découverte en 1993 d’un saint jean-Baptiste, peut-être le dernier tableau de Georges de la Tour (oublié depuis dans une salle sombre du musée de Vic-sur-Seille, sa ville natale), mérite inévitablement la curiosité de tous.

***
(1). Vincent Noce, Descente aux enchères, JC Lattès éditeur,  2002 (2), disponible en ePub, moins cher et moins nocif qu’un paquet de 20 cigarettes.
(2). Oui, déclarer que Noce vient de publier ce livre, alors qu’il date de 17 ans, est un peu désinvolte, mais il est toujours disponible, et toujours d’actualité, la fascination de l’humain pour l’argent et l’accumulation des possessions n’ayant apparemment pas disparu entre 2002 et 2019.

dimanche 23 décembre 2018

Banksy crache dans la soupe

Toute génération a ses pasticheurs, qui s’emparent des icônes de l'époque et les recyclent en les parodiant. Ils justifient ce détournement par des revendications politiques ou humanitaires. Comme les personnages et les logos qu’ils caricaturent sont fameux, ils héritent une part de leur notoriété. 
Erró (1), Lichtenstein, Warhol notamment, illustraient ainsi les années 1960 et 1970 dans les galeries d’art et les musées.

La génération suivante, empiffrée de réclames sous toute forme, découvrait un moyen de communication plus immédiat et épicé d’un dose d’interdit. Elle exposait directement sur les murs de la ville et les panneaux publicitaires, furtivement. C’était l’art urbain ou Street art.

Ron English exerçait alors ses talents d’affichiste et sa conscience sociale dans les rues, d’abord du Texas, dans les années 1980 et 1990, en stigmatisant surtout les entreprises qui incitent massivement à la consommation de cigarettes et de nourriture bourrée de sucre et de graisse (2).

Reconnu, il expose aujourd’hui comme ses maitres, dans les galeries et les musées, des tableaux peints avec beaucoup de minutie, de couleurs et d’exubérance, voire d’incontinence (détail ci-contre), et dénonce les valeurs consuméristes en se montrant omniprésent dans les médias et en vendant force affiches, vêtements, albums et figurines des personnages qu’il a « détournés dans le but d’éveiller la conscience populaire ».
Tout cela est certainement profitable, car il vient d’emporter aux enchères une œuvre réputée de Banksy, un jeune confrère, pour 730 000 dollars.
 
Banksy, de la dernière génération de l’art urbain, semble être l’inverse de Ron English.
Anglais de Bristol, discret, préservant (avec difficulté) son anonymat depuis 20 ans, il peint au pochoir des silhouettes en noir et blanc. S’ils partagent les mêmes idéaux généreux et simplistes, Banksy, malgré un sentimentalisme un peu facile, affiche un humour nettement plus subtil que celui d'English et un véritable esprit libertaire (3).

Sa technique et son graphisme, sans originalité, doivent tout au français Blek le rat et à travers lui à Ernest Pignon-Ernest, mais ses actions de rue et la mise en scène de ses canulars sont d’une ironie et d’une ingéniosité réjouissantes. La lecture de la liste incomplète de ses faits et gestes dans L’encyclopédie Wikipedia (l’article anglais est plus fourni), donne déjà le frisson de la poésie, d'une sorte de dadaïsme humanitaire.

Qui ne connait pas ce qu’est Banksy, et la frénésie qu’engendrent ses productions dans le public, peut les découvrir dans le chef-d’œuvre documentaire de Chris Moukarbel, « Banksy does New York » (4).
Le film relate en détail les réactions des New-yorkais dans la recherche et la découverte, à l’aide d’indices diffusés sur internet la veille, d’une œuvre nouvelle dissimulée par Banksy chaque jour du mois d’octobre 2013.
Adorateurs, profiteurs, policiers, badauds, finissent généralement par trouver, et détruire ou voler l’œuvre du jour. L’art des rues est éphémère.

La journée du dimanche 13 octobre, en particulier, est un chef-d’œuvre. Dans la matinée à Central Park, un vieil homme installe un stand au milieu d’autres marchands de reproductions. Il propose pour 60$ pièce 34 toiles peintes au pochoir, reconnaissables, signées (au dos ?). Quand il remballe à 18h, il en a vendu 8 dont 2 négociées à 30$. Les chasseurs de trésor, déconfits, apprendront le lendemain que les toiles étaient d’authentiques Banksy. Elles se vendent habituellement plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers de dollars aux enchères.

La dernière opération retentissante (*) de Banksy était, en salle des ventes chez Sotheby’s à Londres, le 5 octobre 2018, le découpage rocambolesque d’un de ses tableaux par une broyeuse télécommandée cachée dans le cadre, quelques secondes après son adjudication pour plus d'un million de livres sterling. L’œuvre était un exemplaire de son dessin au pochoir le plus célèbre, la fillette au ballon rouge, sujet mièvre et très consensuel car sans véritable sens. L’évènement a beaucoup ému les médias.
Il reste néanmoins controversé et entouré de commentaires sarcastiques sur l’intégrité de l’artiste parce qu’ayant, bien que démenti, évidemment bénéficié de complicités chez Sotheby’s (c'était le dernier lot de la soirée). La vente n’a pas été annulée et le commissaire-priseur a immédiatement prétendu que la valeur de l’œuvre (ce qu’il en reste) s’en trouverait doublée.

Aujourd’hui le moindre geste de Banksy fait grimper le cours de Banksy, et provoque jalousies et inimitiés, notamment chez les confrères moins renommés, qui se disent alors défenseurs d’un art urbain vertueux et incorruptible.
Ainsi Ron English, peintre du plastique et de la guimauve qui aimerait être le Salvador Dalí de l’art populaire, a clamé qu’il sauverait l’honneur de l’art éphémère en couvrant le Banksy qu’il vient d’acheter de peinture blanche, afin de lui rendre son état de mur originel, puis qu’il le vendrait un million de dollars, histoire de rentabiliser l’opération.

Peintes illégalement et volées sur les murs, même signées, ces œuvres n’ont pas d’auteur légal, c’est pourquoi les musées ne les achètent pas (pour le moment). Les seules preuves de leur authenticité sont des déclarations et des clichés déposés par un certain Banksy sur un site internet ou sur Instagram. Pourrait-il s’opposer à cette dégradation, par l’intermédiaire d’un prête-nom et d’un quelconque artifice juridique, que Banksy n’y trouverait pas d’intérêt. Ses œuvres au pochoir sont reproductibles sans effort et la fanfaronnade d’English ne fera, une fois réalisée, qu’amplifier la réputation du nom Banksy.
D’ailleurs, les notoires rivalités claniques dans le milieu de l’art urbain ne sont peut-être qu’une façade (5). Il est possible que Banksy et English soient de connivence.

Peu importe, si cela les incite à rappeler à chaque coin de rue qu’il existe un autre monde, flottant au dessus de la réalité, qui parle et décide au nom de l’espèce humaine, et qui prétend savoir conduire sa destinée quand c'est vers le chaos qu'il l'entraine, que ce monde n’est pas intouchable, et qu’il s'agit de le faire taire en prenant la parole à sa place, sans en demander l’autorisation.

Mise à jour le 15 octobre 2021 : La fade fillette au ballon rouge, la version du happening du 5 octobre 2018 qui pendouille à moitié déchiquetée sous son cadre retors (*), vient de constituer un nouveau record de vente aux enchères pour un Banksy (25,5 millions de dollars, 17 fois l'enchère de 2018).


*** 
(1) Le lecteur et la lectrice excuseront le nombre considérable de liens dans cette chronique, le sujet étant si riche. Ils en profiteront pour excuser les liens vers les longues vidéos en anglais et sans sous-titres (voir ci-dessous), l'internet en français étant toujours aussi pauvre.
(2) Voir « POPaganda: The Art and Crimes of Ron English », documentaire de Pedro Carvajal (en anglais, 74 minutes), qui retrace les années d'English dans la rue.
(3) Voir « The Antics Roadshow », le documentaire cocasse et fourretout qu’il a réalisé en 2011 sur le thème de la désobéissance civile (vidéo en anglais, 47 minutes), et aussi « Who is Banksy », courte vidéo de 14 minutes en anglais (mais Youtube crée les sous-titres anglais approximatifs à la volée). Son rythme épileptique vous obligera à faire de fréquents retours en arrière et son orientation « people » insiste sur l'identité de Banksy, mais il résume tout son art en images de très bonne qualité.
(4) On trouve le film « Banksy does New York » en version originale anglaise sur Youtube (80 minutes), et sous-titré en français sur certain site de partage illégal et torrentueux.
(5) Le film « Robbo vs Banksy, Graffiti war », en version originale anglaise sur Youtube (47 minutes), est la relation nettement orientée d'un combat de palimpsestes entre un obscur graffeur médiocre mais légendaire et Banksy, considéré comme un usurpateur vendu aux forces du mal.

vendredi 18 mai 2018

Broutilles

Imaginez dans une petite ville endormie très éloignée de la capitale, au pied d’une montagne, un petit musée qui ressemble un peu à une école désaffectée, dédié à un peintre local presque inconnu, et qui reçoit quelques dizaines de visiteurs par mois, qui recherchent surtout une peu d’ombre.
Débarque dans cette solitude un expert mandaté par la mairie pour inventorier les dernières acquisitions et organiser une rétrospective du peintre, à l’occasion de la réouverture du musée.

La ville d’Elne, en Occitanie, n’aurait peut-être pas dû s’y risquer.
Commençant l’étude des peintures et aquarelles du peintre Étienne Terrus, l’expert était surpris d’identifier, dessiné sur une vue de la ville, un bâtiment construit quelques dizaines d’années après la mort du peintre, ce qui le fit tiquer. Puis, certaines signatures s’effaçant en y passant le doigt, son expertise concluait rapidement que 82 des 140 œuvres du musée (58,6%) étaient « non authentiques ».

L’antiphrase déclenchait des remous bien justifiés, un maire outragé, un dépôt de plainte, une effervescence chez les collectionneurs locaux, l’émergence d’une théorie sur un marché régional de faussaires, des regards suspicieux sur les antiquaires et les autres musées de la région, quelques dépêches des agences de presse, reprises par tous les grands journaux nationaux, 2 minutes sur BBC News, un article dans le Guardian et dans le New York Times, pour se limiter à la Planète.
Sauf en Suisse, dans les laboratoires d'expertise du port franc de Genève, où on ne doit pas être très surpris. Le directeur affirme qu'une bonne moitié des œuvres d'art en circulation dans le monde sont des faux.

Étienne Terrus était doublement méritant, parce qu’il n’était pas moins bon peintre que beaucoup de ses collègues de l’époque, et parce que malgré de solides relations amicales avec des artistes reconnus comme Maillol et Matisse, il resta obstinément taciturne à peindre sa province lointaine quand les autres s’affichaient avec succès dans les fructueux salons de la capitale. Sa cote s’en ressent toujours. Ainsi, le montant total de la « perte » pour la ville d’Elne est estimé à 160 000 euros. Pas même le prix de l’étiquette sur un tableau de Modigliani.

Alors pourquoi tant de bruit ? Peut-être justement pour faire du bruit. Qui avait entendu parler d’Étienne Terrus ? Aujourd’hui, cette modeste exposition estivale, certes amputée, mais désinfectée, aura bénéficié d’une campagne publicitaire internationale tous frais payés. Et l’histoire n’est pas finie, car la justice est maintenant en quête de coupables.

Et puisqu’on a parlé de Modigliani et de ses tarifs, Le Journal des Arts nous signale que la maison Sotheby’s vient de vendre un beau nu féminin couché, vu de dos (certainement de la main du peintre), pour 157 millions de dollars, ce qui en fait le 4ème tableau le plus cher en enchères publiques. Mais il n’a pas atteint, dit le Journal, et on sent ici l’amertume du commentateur, les 170 millions d’un autre de ses nus féminins, vu de face celui-là, vendu par la maison concurrente Christie’s en 2015. L’acquéreur du nu vu de dos a voulu rester anonyme, honteux de n’avoir pas battu le record, peut-être, ou de peur d’afficher publiquement des pulsions subversives.




L’internet ne proposant pas de reproductions vraiment intéressantes et certifiées d’œuvres de Terrus, nous illustrons cette chronique avec un détail d'un tableau de ce peintre étrange qu'était Ter Brugghen, qui n’a rien à voir avec le sujet, mais qui n’est pas si éloigné de Terrus, au moins dans le dictionnaire alphabétique des peintres. 
Si vous voulez voir d’authentiques tableaux de Terrus, essayez de les identifier dans cette promotion de la télévision FR3 pour une souscription en 2016, suivie d’une vidéo d'une quarantaine « de ces œuvres retrouvées récemment » et acquises par la ville. Petit indice, il est bien possible qu’aucune ne soit authentique.

lundi 5 mars 2018

Magritte l'imaginaire

Que feriez-vous, tombant de la lune et entendant parler avec enthousiasme d’un certain René Magritte, pour vous informer en un clin d’œil sur un artiste dont on vous affirme qu’il a enrichi l’imaginaire de l’humanité de délicieux paradoxes autour des représentations de la gravité, des reflets, des ombres, des mots ?
« Internet, évidemment » répondrez-vous.

Le premier lien proposé par le moteur de recherche pointe vers l’article de l’inévitable encyclopédie Wikipedia, dont on dit tant de mal, mais qui est souvent moins approximative et complaisante que 99% des autres sources d’information.
Vous voilà devant un long article aux illustrations rares et rébarbatives, et parcourir cette quinzaine de pages vous décourage un peu, mais consciencieux, vous lisez la première phrase de l’article et savez désormais que Magritte était peintre.

On vous a cité les noms de Jérôme Bosch, de Lewis Carroll, et vous auriez aimé vous faire une idée rapide sur le « non-sens » tant vanté du peintre, or les seules images de l’article montrent sa tombe, un billet de banque à son effigie, un bâtiment derrière une statue équestre de Godefroid de Bouillon, et un avion Airbus A320 repeint.
Vous pensez que c’est peut-être là le véritable esprit surréaliste, la juxtaposition absurde de choses hétéroclites dans le but de vous faire prendre conscience des pièges de votre perception, et anticonformiste dans l’âme, vous appréciez. Mais, sans reproduction de tableau, vous ne savez toujours pas ce qu’est le style de Magritte.

Alors vous persévérez. Votre regard s’illumine quand vous apercevez, dans les liens suivants, qu’il existe un site du peintre « René Magritte – Site Officiel – Copyright © Fondation Magritte… » En fait l’artiste mort en 1967 a confié son héritage à un seul ayant droit, qui a créé la fondation en 1998.

Mais vous constatez vite que vous êtes arrivé dans un site de façade, creux et probablement commercial. Vous y trouvez des publicités (expositions, galeries, et toujours l’envahissant Airbus), et vous vous jetez sur un lien prometteur « Le Catalogue Magritte » sans même en lire l’exergue « Découvrez toute une gamme de produits raffinés. Visitez notre boutique en ligne. » De toute manière vous tombez sur une page vide informant que le « shop » n’est pas disponible.

D’ailleurs, le site dans son ensemble est un grand vide que personne ne visite, plein de liens morts et d'erreurs inaperçues. La Fondation Magritte se décrit, par exemple, comme une association « sans but non lucratif (sic) qui a pour objet d’assurer la pérennité et la protection de l’œuvre et de la renommée de René Magritte ». Le but mercantile serait ainsi établi, par négligence, ou est-ce vraiment une erreur ?

La page consacrée à la vie et l’œuvre du peintre, lacunaire et incohérente est un désert d’images. Elle décrit donc les tableaux par des mots. Il est savoureux d’y lire ce truisme rudimentaire qu’on pourrait appliquer à tout peintre « La peinture n’est jamais une représentation d’un objet réel, mais l’action de la pensée du peintre sur cet objet. »

Enfin, de retour sur l’écran d’ouverture du site, en bas de page, sous le titre « Oeuvre de Magritte - Les grands classics de son oeuvre » (sic) vous serez tout de même récompensé pour votre persévérance  ; 12 petites vignettes (parfois accompagnées d’un commentaire bâclé) sont les seules reproductions de tableaux du peintre que vous verrez sur son site officiel.

Vous avez évidemment compris le problème. Il faut qu’un artiste soit mort depuis une bonne centaine d’années (selon les juridictions nationales) pour que ses œuvres, textes, sons ou images, soient reproduites relativement librement.
Il y a peu, les photographies des œuvres de Magritte étaient prohibées dans le musée Magritte de Bruxelles et il était même interdit de « copier » une œuvre au crayon ou de noter une impression sur un carnet dans l’enceinte du musée.

L’espèce humaine considère qu’en matière artistique, le talent voire le génie sont transmissibles, déteignent pendant 50 à 100 ans sur les descendants et peuvent être cédés moyennant finances.
Alors l’internet libre, celui que visitent les internautes les moins favorisés, contient surtout des choses périmées, anachroniques, désuètes, poussiéreuses depuis des décennies. Heureusement, c’est aussi un repaire de pirates sans moralité ni foi ni loi, et on y trouve quelques bonnes reproductions « illicites » de Magritte.
Et puis le Canada, dont la législation des droits d’auteur est la moins mesquine, considère que les radiations du génie se désactivent 50 ans après le décès. Des quantités de reproductions devraient donc commencer à apparaitre, depuis janvier 2018, sur les sites canadiens. Sous la protection d’un VPN, on y accèdera aisément.

Ou alors, histoire d'adoucir les 20 années que réclame encore la loi française, on s'amusera au jeu des objets invisibles représentés (parait-il) sur les tableaux de Magritte en furetant dans la base de données mise au point par une équipe de chercheurs canadiens, qui, s’ils n’ont pas trouvé l’autorisation de reproduire les vignettes des œuvres, en ont décrit en détail le contenu en constituant la liste de tout ce qui y était figuré.
Et ils en déduisent des statistiques étourdissantes et de peu d’intérêt qui peuvent composer de jolis tableaux que le facétieux Magritte n’aurait sans doute pas reniés.  


Ceci n’est pas un Magritte, mais quand même…
À la quantité de cailloux, de chapeaux et de tubas, on voit nettement se dessiner une personnalité.

samedi 14 octobre 2017

Un lapsus imaginis

NPF Sotsium [APF Social] est un fonds de pension russe (non étatique est-il précisé) très respectable qui propose tous les services d’un organisme de retraites par capitalisation et publie ses comptes avec ponctualité sur un site internet exemplaire.
Comme tous les organismes de ce type, sa préoccupation est de faire fructifier l’épargne de ses sociétaires.

Voici quelques mois les réseaux sociaux se sont émus d’une affiche publicitaire au slogan « Nous créons le futur ensemble » d’une audacieuse originalité, souligné d’une illustration non moins hardie (ci-dessous dans le métro de Moscou).

(© inconnu)

Si la métaphore du casque censé protéger contre les aléas de la vie et assurer un avenir radieux aux jeunes générations est très classique, voire convenue, celle du clou sur le point d’être enfoncé dans la cuisse de l’enfant, et contre lequel casques et grands sourires confiants sont inefficaces, est plus subtile.
Elle serait l’allégorie inconsciente d’une sorte de justice redistributive darwinienne qu’on pourrait lire ainsi :

« Le chaland est exhorté à investir dans l’achat de jolis casques colorés qui ne servent à rien (ils évoquent la forme d’une bulle - financière évidemment), et à ne pas s’inquiéter de ce qui se passe plus bas, sur la planche, dans le monde du travail. 
Sur l’image suivante, laissée à la perspicacité du spectateur, le clou blessera l’enfant qui sera transporté d’urgence dans une clinique où il mourra d’une infection, car les services y seront désorganisés par une réduction du personnel, contrainte par les objectifs de rentabilité imposés par les actionnaires, sociétaires dudit fonds de pension. »