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mardi 12 novembre 2024

Sur les remparts de Blaye

Le champ de tir de la forteresse de Blaye sur la Gironde


Conçue par Vauban et construite sur la rive droite de l’estuaire de la Gironde à la fin du 17ème siècle pour éviter que la ville de Bordeaux ne se vende au premier venu anglais ou espagnol, la Citadelle de Blaye aurait dit-on fort peu servi.
Elle a vécu au long des siècles le sort de ce genre d’édifice, d’abord caserne, puis prison pour deux ou trois nobles en disgrâce, geôle pour une poignée de prêtres, légèrement bombardée tout de même en 1814, enfin monument historique, patrimoine mondial de l’UNESCO et attraction touristique modérée (60 000 visites par an, soit un weekend ordinaire pour le Louvre). 
Ceux qui vivent de la sécurité diront qu’elle a joué le rôle essentiel d’une forteresse, qui est de dissuader, et ainsi protégé le florissant commerce de Bordeaux avec les colonies, sucre, café, tabac, épices, esclaves africains.
Sur les remparts qui longent le fleuve quelques canons faisaient semblant de menacer les vaisseaux importuns. Leur portée, insuffisante pour les 3 kilomètres de l’estuaire, avait nécessité la construction de deux autres forts, sur l’autre rive et sur un ilot central, également équipés de canons et parfaitement alignés sur la citadelle histoire de se bombarder mutuellement. En réalité ils n’ont jamais servi. 
Si on voit à peu près le genre de boulet que pouvaient postillonner ces bouches à feu (ci-dessous à  gauche, la batterie des matelots, allée de la poudrière), on s’interroge encore sur les projectiles lâchés sur les assaillants à travers ces grilles qui jouxtent les canons (ci-dessous à droite).

 

mercredi 23 octobre 2024

Tableaux singuliers (21)

Connaissez-vous Alfred Smith, peintre français d’origine bordelaise, auteur de paysages qu'on dit postimpressionnistes, au style plutôt retenu, à la limite parfois de l’originalité, qu’on ne doit pas confondre avec Alfred Carlton Smith (1853-1946), peintre anglais de jeunes filles (toujours habillées) dans des activités modestes de la vie, ni avec Alfred Everett Smith (1863-1955), peintre américain sans intérêt, mais qu’on peut facilement confondre avec Alfred Aloysius Smith, peintre anglais qui peignait exactement les mêmes paysages que le premier Alfred Smith, et qui en est une sorte de double ?


Les sites spécialisés, bien informés, font généralement naitre l’Alfred Smith anglais, Aloysius, en 1854 et mourir en 1927. Son double approximatif, sans deuxième prénom, est né à Bordeaux en 1853 (d’un père gallois) et mort en 1932 pour artnet, site de référence du marché de l’art, mais pas pour le musée des beaux-arts de Bordeaux, dans la notice de ses œuvres, pour qui il nait en 1854 (le 30 juillet) et meurt en 1936 (le 5 décembre, mais certains disent le 3 novembre), sauf sur le cartouche fixé sur le cadre ancien du tableau Le quai de la Grave, dans le même musée, qui le fait mourir en 1937. 

Notons aussi qu’il est parfois appelé André-Alfred Smith de Strnburg (sic) sans dates, chez Sotheby’s par exemple. 

Tous les trois sont certainement le même peintre, qui signe généralement ses toiles d’un "Bx F Alf(red) Smith" un peu oblique qu’il souligne d’un trait.


Ce peintre donc multiple aura représenté les grands boulevards de Paris sous la pluie, des scènes en forêt, des vues anodines de Venise, des sujets très communs de son temps, mais aussi beaucoup de vues de Bordeaux et sa région, jusqu'à la Creuse dans sa dernière période plus colorée.

Juste retour, le musée de Bordeaux (MusBa) possède une petite collection de ses paysages urbains et régionaux, grâce aux prix modestes de ses œuvres sur le marché de l’art, entre 1000 et 10 000€, comme ce brumeux Quai de la bourse à Bordeaux en 1883, parti contre 8 600€ en 2023.


Le Quai de la Grave à Bordeaux en 1884 (notre illustration), actuellement exposé, avec à gauche la flèche de la Basilique Saint-Michel, le Pont de pierre à droite, et en haut l’ombre du cadre ouvragé du tableau, est peut-être sa toile la plus réussie, par la fraicheur de sa lumière matinale, rare chez Smith qui préférait alors les brouillards et les grisailles, et la belle singularité du banal motif central, citerne rouille et pavés de calcaire. 


Mise à jour du 24.10.2024 : Et voilà, par manque de confiance dans le médiocre catalogue des collections du musée d'Orsay (et la mauvaise qualité de ses reproductions), on oublie de le consulter avant de rédiger une chronique ! Résultat, on passe à côté de jolies perles.
On a vu que l'identité même d'Alfred Smith comportait beaucoup d'approximations. Orsay en ajoute une dose avec ce portrait de la mère de l'artiste (qu'il n'expose pas). On y lit dans les détails du peintre qu'il ne serait pas du tout né à Bordeaux mais à Paris (75) où il serait mort itou. On y lit aussi que la date de réalisation du portrait est estimée entre 1854 (la naissance d'Alfred) et 1913. Le commentateur, expert paresseux, avait ainsi peu de chance de se tromper. En réalité, la modèle était née en 1830 et morte en 1910. On peut donc dater le tableau autour de 1880. Jeanne Amazélie avait alors 50 ans et son fils le peintre 26 ans. Et on apprend incidemment dans l'arbre généalogique une nouvelle date de décès pour Alfred, 1933. 

dimanche 11 décembre 2022

Améliorons les chefs-d’œuvre (25)



L’église Saint-Vincent du Mas d’Agenais, village sur la Garonne entre Bordeaux et Agen, abritait, depuis le don en 1805 d’un officier de l’armée napoléonienne, un tableau sombre de taille moyenne, accroché à plus de 3 mètres de hauteur et figurant le prophète de la religion chrétienne, dans une situation manifestement douloureuse au moment le plus désagréable de son histoire, "chétif et misérable" dit la conservatrice des Monuments historiques. 

En 1959 un restaurateur découvrait au centre du tableau, peint sur le bois au pied de la croix, un paraphe illustre, les lettres RHL imbriquées pour "Rembrandt fils d’Harmens, de Leyde" et une date, 1631.
Sans aucune protection mais jamais volé pendant 200 ans, à peine mieux protégé derrière une vitre de 2002 à 2016, le tableau vient de séjourner 6 ans dans la salle sécurisée du trésor de la cathédrale de Bordeaux, le temps de lui construire dans l’église Saint-Vincent un écrin blindé et vidéo-surveillé à outrance, avec des petits trous pour l’hygrométrie, homologué par les instances.  

Son retour au Mas d’Agenais le 24 mai 2022 fut une fête. Sur le site de la mairie la revue de presse en est impressionnante. La planète entière sait maintenant que le village possède, dans l'église accessible tous les jours pour des repérages, une chose invendable mais estimée 90 millions d’euros (ou "70 ans de budget de la commune"). De quoi donner des démangeaisons à tous les monte-en-l’air amateurs d’art et de sensations. On sait que l’épithète "invendable" ne les arrête plus.

Le 7 aout, dans l’église romane renaissante, une messe filmée par la télévision néerlandaise (Rembrandt est la fierté des Pays-Bas à l’égal de leur fromage) se concluait par une scène irréelle qui mérite d’être relatée (à 13:45 sur la vidéo) : un homme âgé couvert d’une cape vert-olive et d’une jolie petite calotte fuchsia au sommet du crâne, faisait vers la vitre qui protège le tableau des gestes mystérieux avec un petit marteau de métal argenté, puis balançait dans la même direction un appareil précieusement ciselé suspendu à une chainette et qui fumait un peu. Le commentaire en hollandais ne permet pas de savoir ce qu’il se passait mais la ferveur des chœurs en fond sonore soulignait l’importance de cet étrange cérémonial.

Importance au moins économique, car cet été, aux dires d’une commerçante du bourg, il fallait presque réserver pour aller prendre un café au Bistro de la Halle, et l’église voyait alors passer pas loin de 100 touristes par jour, "essentiellement des cyclistes", y compris en semaine. 
On entend même qu’un boulanger s’installerait dans le village. Il semble pourtant y en avoir déjà un, discret, au bout de la rue du beurre, et une boulangerie sans boulanger, abandonnée au coin de la Grand-Rue. L’euphorie et les micros-trottoirs font parfois dire n’importe quoi.
  

mercredi 9 octobre 2019

Mohlitz éparpillé

Juxtaposition de 6 dessins originaux parmi 206 mis en vente le 12 octobre 2019 à la dispersion de l'atelier de Mohlitz après décès.


Mohlitz - c’est un pseudonyme - est mort en mars, discrètement. Il était né en 1941 à Saint-André-de-Cubzac, près de Bordeaux, y a travaillé, et y est mort, donc, au printemps 2019.
Alors on disperse le contenu de son atelier et de sa modeste collection de gravures du fabuleux Bresdin, qu’il admirait. On vend tout ça en ligne, sur internet, le 12 octobre 2019.
206 extraordinaires dessins originaux, 196 tirages de gravures au burin, et 12 petites sculptures.

Mohlitz était graveur. Artisan minutieux, il passait des semaines, parfois des mois sur une plaque de cuivre de 25 à 35 centimètres, dont on pressait ensuite exactement 100 épreuves, inversées comme dans un miroir, naturellement.
On le disait renommé chez les amateurs de gravure. Cependant les estimations des experts dépassent rarement 5 ou 600 euros. Le dessin original d’une de ses plus célèbres gravures, « Le ministère de la santé », est estimé pour 1000 euros. C’est peu.

Alt Les 7 œuvres illustrant cette chronique font partie des 428 lots de la vente, reproduits sur le site en ligne dans une définition lisible mais moyenne. On trouvera également 104 gravures dans un ordre chronologique sur la page « engravings » d'un site qui les vend. L’ergonomie en est assez désagréable, et une petite loupe frustrante permet d’agrandir localement les images.

Alors qu’il aura passé sa vie à en prévoir tous les détails à la pointe ironique de son burin, Mohlitz n’assistera donc pas à la ruine de notre civilisation.
Mais samedi prochain, quelques bienheureux enchérisseurs emporteront ses visions fantastiques et les accrocheront sobrement encadrées sur un mur de leur salon. Et un jour, en levant les yeux sur elles, ils constateront qu’elles ressemblent de plus en plus à la réalité.


Mise à jour le 18.10.2019 : Tous les lots ont été vendus, pour un total de 500 000 euros, souvent au dessus des estimations. Pour les records, l'exil (dessin à la plume) partait à 7500 et l'Âge d'or (gravure) à 2625. Deux dessins de Bresdin dépassaient les 20 000 euros (Source Gazette Drouot 35-2019).