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samedi 19 septembre 2020

Un peu de pub

M. Rykner, journaliste éminent et combattif dévoué aux choses de l'art (de certaines époques seulement), laissait libres d'accès, sur son site « La Tribune de l'Art », les articles généralistes importants. Les plus spécialisés étant réservés à ses abonnés payants. Connaisseur pertinent, il a souvent été référencé ici-même (7 fois en 10 ans).
 
Hélas le virus ayant fait fuir de son site, annulation après annulation, dit-il, les publicités lucratives, il en profita, dès le début du confinement, pour rendre tous les articles payants, sur abonnement donc.

Il s’en explique dans un article promotionnel où il sollicite des abonnements. On croit comprendre, à la lecture des premières lignes, qu'il se félicite de cette suppression totale de la gratuité (sauf de rares articles polémiques qu'il veut universels) puisqu'il estime que son chiffre d'affaire en 2020 sera supérieur à 2019, ce qui est bien la légitime aspiration de tout bon père de famille.


Peut-être est-il allé un peu loin dans la mise en œuvre de ce raisonnement gagnant puisque l’article, où l'on devine qu'il va justifier et promouvoir les avantages d'un abonnement, est hélas limité à quelques lignes, le reste étant réservé aux abonnés, ce qui est cocasse.

On dira que c'est une erreur due à l'empressement pour faire face à une recrudescence d'activité. Soulignons que cet accroissement n’est pas vraiment sensible pour l’utilisateur qui a plutôt noté dans le pays, à l’inverse, une importante régression et une grande complication d’accès aux évènements artistiques.
 
Ce petit incident met en lumière une question plus générale, l’angoisse devenue quotidienne de l’usager de la Culture. Car il est de bonne composition, l’usager, il aimerait bien s’abonner à tous ces sites passionnants, à tous ces services qui enrichiraient son esprit, mais son banquier l’observe, bienveillant.
 
Et ce modèle économique de prolifération des abonnements, s’il tranquillise les bienheureux bénéficiaires, ne fait qu’embrouiller la vie de l’usager de base. 
C’est l’exemple des logiciels de la société Adobe (Photoshop, etc), et de tant d’autres maintenant. Quand en 2014 elle cessa de vendre ses logiciels qu’elle transmua en « droit d’utilisation par abonnement », le cout et les désagréments pour bon nombre d’usagers furent multipliés par 2 ou 3.
Pour que d’aucuns prospèrent, il faut bien que d’autres y perdent, auraient dit Lavoisier ou carnot, même si d’incurables utopistes pensent que tout le monde pourrait y gagner, les lois de la thermodynamique ne sont plus si optimistes.

Naturellement M. Rykner n’y est pour rien. Il essaie de vivre dans ces circonstances hostiles, comme tous. Et son offre est alléchante, à 5 euros par mois pour les 10 ans à venir, au lieu de bientôt 8 euros. 10 ans ! Quelle curieuse promesse, romanesque.
 
Enfin, l’essentiel est que M. Rykner soit satisfait, visible par moins de lecteurs, certainement, mais content.
Nous suivrons désormais avec intérêt son humeur à la lecture des titres de ses chroniques.
 
***
L'illustration, copyright La Tribune de l'Art, est l'extrait lisible de l'article réservé aux abonnés.

vendredi 8 avril 2022

Améliorons les chefs-d’œuvre (21)

On oublie trop souvent que le jeune Claude Monet apprit à peindre sur des albums de coloriage que lui préparait Eugène Boudin. Il avait beaucoup de mérite, parce que Boudin ne s’embêtait pas à inscrire sur chaque pièce le numéro de la couleur à appliquer.  Monet se perdait alors dans des nuances très raffinées auxquelles Boudin mit bon ordre en lui interdisant d'utiliser plus de 6 couleurs par tableau. On mesure mal les souffrances qui ont fait les grands génies, et les obstacles qu’ils ont eu à franchir pour atteindre ces sommets, pour avoir un jour un album de coloriage à leur nom.


Dérèglement climatique, épidémies, menaces de conflit mondial et atomique, hystérie générale, l’époque est aux causes planétaires. On en oublierait les scandales français.
Mais M. Rykner veille. La Tribune de l’Art vient de publier un de ses articles accessibles sans abonnement. C’est que la cause lui semble plus grande que le fragile équilibre financier de son site.

Toute personne qui est entrée dans une église catholique sait que sont accrochées, le plus souvent très haut et dans la pénombre, de grandes toiles sombres qu’on devine abimées, lâches, maculées de traces blanches, de reflets douteux, et dont les guides racontent qu’elles dépeignent les épisodes caractéristiques des récits fabuleux qu’enseigne cette religion. Parmi les raisons d’un tel délaissement citons la nationalisation des biens de l’Église et le dépérissement des pratiques religieuses dû à l’amélioration des conditions de la vie quotidienne.

L’histoire, relatée par M. Rykner, révolté, mais aussi par le Figaro, pondéré, et par La Voix de la Haute-Marne et FR3 Grand Est, admiratives, se passe dans l’église du village de Chatonrupt-Sommermont. Pour les fervents de minutie cartographique, c’est entre Toul et Troyes, à peu près.

Là, en haut du clocher, couvertes par près de 50 années de poussière, de moisissures et de fientes, se décomposaient dans leur cadre, disposées comme des livres sur une étagère, 14 toiles peintes d’un Chemin de croix, les 14 stations traditionnelles de la Passion du sauveur des chrétiens, chacune haute d’un mètre.

Comment tout est advenu serait trop long à conter, le lectorat chicaneur se reportera à l’article exhaustif, tempéré, limpide, illustré et d’accès libre de Simon Cherner sur le site du Figaro Culture cité plus haut, et au reportage bariolé de la chaine FR3 (2 minutes 20)
Toujours est-il qu’on se retrouve aujourd’hui avec 11 toiles et demie ressuscitées, pimpantes, bigarrées, rose fuchsia (c’est la couleur de la tunique du Christ) et mauves (c’est la couleur du ciel ténébreux), prêtes à retrouver le chemin des bas-côtés de l’église et le regard émerveillé des derniers fidèles survivants. Le demi-tableau, c’est parce que la Direction régionale des affaires culturelles, réveillée à temps, a sommé le responsable d’arrêter immédiatement, alors qu'il réanimait la 12ème station.

L’artiste responsable de ces restaurations miraculeuses n’est autre que le mari de l’adjointe au maire, anciennement météorologue et libre penseur dans l’armée de l’air, bénévole, passionné de peinture, mais un peu débutant. C’est pourquoi il est resté, par respect, fidèle au dessin des scènes bibliques, comme on suit soigneusement les lignes préimprimées dans un album de coloriage. Pour les couleurs, il s’est approché au plus près des tons originaux, les ravivant évidemment, conscient que les intempéries les avaient éteints, et le choix des teintes s’est fait en fonction des tubes disponibles à la quincaillerie de Joinville.

Depuis, les arguments volent en tout sens.

Pour faire bref, le village défend, solidaire et admiratif, le travail du bénévole, avec enthousiasme mais toutefois un peu penaud des réprimandes à peine voilées du monde de la culture. Pour sa défense, les tableaux, faits à la chaine au 19e siècle par des ateliers locaux (affirmation qui reste à vérifier), ignorés même par un très officiel inventaire du Patrimoine en 2006, appartenaient à la commune qui n’a pas les moyens de financer la moindre opération de restauration et qui les aurait bientôt abandonnés au ramassage des déchets encombrants, ce qu’aucune loi n’interdit.

De son côté, M. Rykner reconnait qu’aucune loi ou procédure n’a été déshonorée dans l’affaire, et que les suspects intervenants n’y ont fait preuve que de bienveillance et de générosité.
Mais on le sent chagrin, peut-être même grognon, à certains termes qui ponctuent discrètement sa chronique, comme barbouillages, technique redoutable, tableaux massacrés, absence de culture artistique historique et juridique, obscurantisme, vandalisme, destruction du patrimoine, couleurs psychédéliques
Il sait que ces pratiques sont régulièrement attestées et craint qu’elles s’attaquent, sans qu’on le sache jamais, à des chefs-d’œuvre méconnus, alors il en appelle au ministre, aux maires de France, à la Nation. Il compte faire changer la loi et éduquer les curés et les maires à la compréhension de ce qu’est une œuvre d’art.

Le brave militaire, restaurateur volontaire, doit s'en morfondre dans son atelier. Il regarde les deux ruines et demie encore à ressusciter. La 12ème station surtout, qui commence à sécher, à moitié renée, à moitié zombie, n’est pas belle à voir. 
Il se demande ce qu’il va faire pour occuper les centaines d’heures de peinture, 200 ou 300, qui devaient encore réjouir ses semaines à venir.
Mais c’est une personne équilibrée et rationnelle, athée probablement, peut-être fataliste. Le printemps revenant, tout en raillant un peu, en pensée, ce monde lointain, toujours assis, qui parle et qui décide, il retournera pêcher dans la Marne, le gardon, l’ablette, éventuellement le sandre. À pied, c’est à peine à 650 mètres de l'église.

dimanche 26 janvier 2025

Louvre : fausse alerte

La fournaise assourdissante de l’entrée du musée du Louvre sous la pyramide de verre, telle que l’envisage la présidente du musée dans les prochaines années de dérive climatique. (Henri Met de Bles, l’Enfer, 190 x 136cm, vers 1530-1550, Venise Palais des doges)  


Alerte générale ! Le musée du Louvre agonise.

L’information était dans tous les journaux de France et de Belgique des 23 ou 24 janvier (ici, , , , et même là). Le drame a été révélé par une note confidentielle - mais généreusement diffusée - de la présidente du Louvre à la ministre de la Culture, publiée par le journal Le Parisien à la une sur trois pleines pages cauchemardesques agrémentées d’un éditorial de la directrice adjointe de la rédaction, qui suggère pour améliorer les conditions de visite - il n’est pas essentiel de réfléchir pour rédiger un journal - la dépose obligatoire des téléphones portables dans une consigne.

Mais pas d’affolement ! Depuis qu’elle a été nommée à son poste par le roi de la République en 2021, et après une année bien naturelle d’observation, la prudente présidente du Louvre ouvre régulièrement un grand parapluie médiatique et claironne que l’état de son établissement est déplorable et indigne du premier musée du monde.
En Janvier 2023 dans la presse, comme en mai 2023 dans une note confidentielle à l’ami du bon gout de la République, note qui a glissé par inadvertance dans la boite aux lettres de la rédaction du Figaro, comme en avril 2024 devant une dizaine de députés de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, et comme aujourd’hui dans cette note confidentielle à grande diffusion, les constats de la patronne du Louvre sont invariables, et ne sont d’ailleurs qu’une compilation en mieux informée des constats amers accumulés depuis belle lurette par les visiteurs mêmes.

On y retrouve l’obsolescence des équipements techniques (ascenseurs, climatisation, canalisations) accompagnée des avaries traditionnelles, comme en novembre 2023 cette fuite d’eau qui entrainait l’annulation ou l’amputation de deux expositions en cours.
Elle évoque aussi les conditions pénibles de visite et de travail, notamment sous la pyramide de verre, le manque, parfois l’absence, d’espaces de repos, de restauration et de sanitaires dans le bâtiment, et l’épreuve physique digne des jeux olympiques que constitue toute visite ("il faut 25 minutes une fois dans le musée pour atteindre un tableau de Poussin ou de De La Tour"). En effet, il y avait jadis plusieurs sorties intermédiaires disséminées qui permettaient de faire beaucoup moins de kilomètres dans le musée. Elles ont toutes été supprimées pour canaliser le client vers la zone des commerces.

La présidente propose que la Joconde, seule destination de 90% des visites, soit localisée dans un circuit isolé pour ne plus perturber la visite du reste du musée (est-ce réaliste ?), et elle réitère son grand projet de réhabilitation du bâtiment. Le nouveau Louvre et sa pyramide ayant été conçus il y a 40 ans pour accueillir 4 millions de visites l’an, il est devenu vital dit-elle d’ouvrir une autre grande entrée à l’est du bâtiment, face à la Place du Louvre, pour absorber les 5 à 6 millions de nouveaux arrivants.

Les solutions proposées, qui ne sont que surenchères, sont sans doute discutables - le vrai problème est de prétendre être le premier musée de l’univers - mais les constats ont au moins le mérite d’avoir été reconnus de l’intérieur de l’Établissement par sa présidente même.
Ils sont néanmoins bien tardifs. Les ressources du musée en fonds publics de la Culture ont fondu à la vitesse des glaciers des Pyrénées, le musée en est réduit à louer son nom à un émirat et ses espaces à des séries télévisées et des défilés de marchands de froufrous et de sacs à main. Et la période n’est pas propice aux longs investissements culturels mais plutôt aux économies inconséquentes.

Il reste les ressources inépuisables de la vanité humaine. La plupart des présidents de la République précédents ont marqué leur territoire en épinglant leur nom à un grand projet culturel, qui à un centre d’art moderne, qui à un musée des arts premiers, qui à une grande bibliothèque nationale. Il n’est pas improbable que le dernier président choisisse d’accrocher le sien à la refonte du plus grand musée du monde, au moins de son réseau d’ascenseurs et de toilettes. Ce serait bien mérité. 
On raconte, depuis 2023, qu’il est sur le point de se saisir du dossier.


Mise à jour du 27.01.2025 : M. Rykner qui, dans sa Tribune de l'Art, caresse régulièrement les gestionnaires du Louvre avec du papier de verre, et qui a une très bonne mémoire des chiffres du musée, a publié aujourd'hui en accès libre un rapide contrôle budgétaire des ambitions de la présidente. Et ça semble particulièrement pertinent. 
Mise à jour du 28.01.2025 : M. Rykner fait le compte-rendu de l'intervention du roi des Français qui vient d'annoncer devant la Joconde son petit projet de réparation et aménagement des sanitaires du Louvre. 
Et pour en finir, probablement avant des années, avec cette farce, Étienne Dumont nous donne, des hauteurs de sa Romandie, le point de vue de Sirius, et c'est très amusant. 
Mise à jour du 03.02.2025 : B. Hasquenoph, comme toujours parfaitement renseigné, s'insurge le 2 février sur son site "Louvre pour tou·te·s" contre les prétendues incuries des précédentes présidences du musée du Louvre insinuées par la présidente actuelle, et oppose au projet sommaire "Le Louvre Nouvelle renaissance" du président de la République quelques arguments, notamment le fait que l'emplacement envisagé  pour la Joconde serait en réalité situé en zone inondable.  
Mise à jour du 14.02.2025 : Vincent Noce, mieux renseigné encore que M. Hasquenoph, détaille avec une précision de comptable les dépenses d'entretien et de réfection engagées par l'administration précédente du musée, dans une chronique de la Gazette Drouot du 14 février intitulée "Tour de magie au Louvre". Peut-être a-t-il été assez malin et surtout stoïque pour : savoir où trouver les bilans annuels d'activité du musée dans le dédale du site ; conserver les bilans d'activité antérieurs à 2018 qui en ont disparu ; trouver et comparer les données comptables dans leurs présentations hétéroclites, quand elles sont disponibles...  

dimanche 18 octobre 2015

Beaucoup de bruit pour presque rien

Anonyme du 17ème siècle - Reniement de Pierre, copie d'une gravure d'après un tableau de Gérard Seghers, attribuée étourdiment à Georges de La Tour sur le nouveau site Images d'art de la Réunion des musées nationaux.

À l'heure où les grands musées de la planète partagent déjà gratuitement en ligne des reproductions de leur collection, le ministère de la Culture et de la Communication réalisant le retard de la France et les carences de ses grands musées en la matière vient de déployer son savoir-faire dans le lancement d'un site internet, Images d'art, consacré au partage des images des collections des musées français.
Et quand on se rappelle l'ingéniosité (les mauvais esprits diront l'ingénuité) avec laquelle il a récemment imposé la liberté de photographier dans les établissements publics nationaux récalcitrants, on peut s'attendre au meilleur.

Les réseaux sociaux bien dressés bruissent depuis quelques jours du slogan du ministère « Découvrez, collectionnez, partagez les œuvres des musées français. »
En arrondissant les nombres, Images d’art présente 12 000 sculptures, 22 000 gravures, 13 000 aquarelles, 85 000 dessins de toutes techniques et 21 000 peintures.

La première mission du site est de faire découvrir la richesse des collections françaises. En effet chaque lancement de la page d’accueil affiche 20 vignettes différentes, mais tirées au hasard parmi un nombre limité des grandes locomotives des musées français, si bien que pour découvrir quelque chose, mieux vaut connaitre à l’avance ce qu’on cherche.
En revanche après une recherche, quand une vignette est sélectionnée, le site détaille l’œuvre et en suggère 20 autres qu’on suppose lui être liées par de subtiles affinités. L’association d'idées qui les choisit n'est pas vraiment limpide et parfois incongrue, mais c’est peut-être cela la découverte, de ne pas connaitre les règles et de les confondre avec le hasard.

Il faudra néanmoins veiller à ne pas considérer comme des découvertes certaines attributions hasardeuses ou carrément erronées, comme ce tableau en illustration fièrement attribué sans réserve à Georges de La Tour, quand il y a bien longtemps que plus personne n’ose le lui attribuer.

La deuxième mission du site, collectionner, est facilitée par des fonctions de création d’albums personnalisés, de diaporamas, ou de téléchargements d’images. Mais elles sont soumises à la création d’un compte utilisateur et à des procédures ennuyeuses de saisie d’information. Toutefois si quelque chose ne fonctionne pas dans ces démarches (comme lors de nos tests), leur contournement est aisé car les fonctions de copier ou de glisser-déposer des images n’ont pas (encore) été inhibées.

Remarquons que les reproductions proposées gracieusement sont en basse définition (maximum 750 pixels, donc de qualité médiocre ne permettant pas d’examiner les détails des œuvres) alors qu’on peut les trouver parfois en meilleure définition sur internet.
L’achat à usage personnel de reproductions en moyenne définition (2 à 3000 pixels) est proposé, mais il n’est disponible que pour de très rares œuvres (non identifiées, il faut appuyer sur un bouton malaisé pour s’en rendre compte) et semble ne pas fonctionner non plus.

La troisième mission du site, partager, est encouragée par les divers boutons qui accompagnent chaque image, cependant la lecture des CGU (conditions générales d’utilisation) découragera certainement les élans les plus optimistes.
D’abord, tout usage commercial, avec ou sans bénéfice financier, des images d’œuvres qui sont dans le domaine public est strictement prohibé. La Réunion des musées nationaux s’arroge ici la plupart des droits d'auteur des œuvres qui sont dans le domaine public (CGU.2.4), opération illégale comme cela a été maintes fois commenté (copyfraud). Le plus cynique est que la vérification de l’appartenance des œuvres au domaine public, ou au contraire de l’existence de droits d’auteur encore actifs qui interdiraient toute publication et tout partage, est laissée à la charge de l’utilisateur, à ses risques et périls (CGU.2.1).
Petite curiosité, CGU.2.2 déclare qu’il faut avoir atteint la majorité de 18 ans pour visiter le site, ou être sous la surveillance de parents ou de responsables légaux. C’est dire la perversité des collections nationales.

Enfin, CGU.2.7 et CGU.4 interdisent à peu près toute publication sur un site ou un blog faisant preuve de la plus légère indépendance d'esprit, qui diffuserait « des propos diffamants à l'égard d'une personne morale (CGU.2.7.5) », ou « des informations polémiques ou pouvant porter atteinte à la sensibilité du plus grand nombre (CGU.4) ». Ne riez pas !

Reconnaissons tout de même que si l'interface vieillotte du site mérite corrections et améliorations, la flânerie n'y est pas désagréable, comme dans un vieux dictionnaire illustré. On se croit de retour aux débuts de l’internet, dans un musée qui sent la cire et la poussière. Certaines salles y sont fermées par manque de personnel de surveillance. On contemple de loin un panorama certes lacunaire mais évocateur.
Cependant l’amateur rigoureux, le scientifique exigeant et le journaliste intègre auront intérêt, comme le signale Didier Rykner dans la Tribune de l’art, à faire leurs recherches plutôt sur le site de l’agence photos de la Réunion des musées nationaux, l’original du site Images d’art, moins brouillon et plus complet, ou dans les collections du site Culture.fr réellement plus professionnel et exhaustif.
De son côté SavoirCom1 fait aussi une limpide revue critique d'Images d'art.

Mais c’est peut-être après tout la seule ambition du ministère, que de proposer une promenade virtuelle lénifiante au bon peuple distrait, celui qui fréquente assidument et exclusivement Facebook ou Twitter, puisque les autres réseaux sociaux sont explicitement exclus de l’autorisation de partager ses images. C’est ce que précise CGU.2.4.3.
 

vendredi 24 octobre 2014

Miracle à l'italienne

L’indispensable Monsieur Rykner, toujours au fait des informations réellement importantes, signale dans sa Tribune de l’art qu’une loi italienne sur le développement de la culture et la relance du tourisme, promulguée le 30 juillet 2014, autorise désormais la photographie dans tous les établissements culturels du pays.
Parmi beaucoup d’autres mesures, le texte déclare la photographie libre si elle est destinée à l’étude, la recherche, la libre expression, la création artistique ou la promotion non lucrative du patrimoine culturel.

Rappelons que la France venait quelques jours auparavant de faire le même geste (en plus timoré) par une directive ministérielle (Charte Tous Photographes).
Et il est bien possible que nombre de musées en Italie pratiqueront encore quelque temps l’insubordination, par habitude, ou cupidité comme en France le musée d’Orsay.

D’ailleurs, le Musée des impressionnismes de Giverny qui pratique aujourd’hui le harcèlement intensif du visiteur photographe, prétend ne pas connaitre la directive mais affirme tout de même qu’elle ne lui est pas applicable.
Au sens strict, la Charte ne lui est pas imposée, mais seulement conseillée, puisqu'il est un établissement public culturel régional (et non national). Notons cependant que son vice président se trouve être l’inévitable et constant baron G.C., actuel président récalcitrant de l'établissement public culturel national du musée d’Orsay.
 
Disons que ça ne serait pas très malin de laisser les régions de France à la traine d'un mouvement qui est de toute façon inéluctable. Cela avantagerait les 34 musées nationaux qui sont principalement parisiens.

Morren George, le verger, 1890 (collection particulière - Galerie Lancz, Bruxelles), lors de son exposition au musée des impressionnismes en octobre 2014. La photo était interdite, ce qui est une excellente précaution si on souhaite qu'un peintre inconnu ou méconnu le soit pour toujours.

jeudi 4 mai 2017

Les Le Nain et le Maitre des Jeux

Les trois toiles du mystérieux Maitre des Jeux,
à l'exposition Le Nain, Lens 2017.

On sait peu de choses des peintres des siècles passés, au moins jusqu’au 19ème. Les musées sont remplis de leurs œuvres mais leur histoire est une énigme. Il suffit d'y piocher au hasard, on n’y trouve que des mystères. Et le mystère se vend bien.
Nous parlerons donc du « Mystère Le Nain » puisque c’est le titre de la grande exposition organisée par le Louvre à Lens et consacrée à ces trois frères, peintres à Paris au milieu du 17ème siècle, et qui signaient d'un laconique « Le Nain ».

On s'attendait donc à des révélations, des découvertes sensationnelles, 39 ans après la grande rétrospective Le Nain de 1978 à Paris.
En fait, rien de bien nouveau.
Il y a dans la production des frères Le Nain, comme on le savait déjà en 1978, quelques tableaux superbes, d’une main virtuose, représentant des paysans pensifs à la pose un peu empruntée, attribués à un certain Louis mort en 1648, et puis d'autres tableaux assez moyens et parfois médiocres donnés à Antoine mort en 1648 ou à Matthieu mort en 1677. L'affaire se complique un peu quand les experts voient dans certains tableaux les mains de deux des trois frères.
Tout cela n’a pas vraiment changé et les attributions valsent encore comme elles le faisaient en 1978, au point que la même exposition présentée en 2016 aux États-Unis, à Fort Worth puis San Francisco, n'a pas fait l'objet du même catalogue qu’à Lens, tant il y avait de désaccords entre les commissaires d'exposition. Comme le raconte monsieur Rykner dans La Tribune de l’Art, nombre de tableaux on changé de prénom, voire de nom de l’auteur, en traversant l'Atlantique.

Le « mystère » de la signification de leurs tableaux n’est pas nouveau non plus. On savait que leurs représentations de paysans étaient soigneusement fabriquées en atelier, avec des modèles, des objets et des animaux qu'on retrouve au long de leurs œuvres, et qu'ils répondaient à une mode que les frères avaient sans doute créée et qui mélangeait la rigueur d’une inspiration peut-être religieuse à l’influence des peintres de paysans flamands et hollandais.

En réalité, le seul mystère un peu neuf, pour l’amateur négligent qui en était resté au catalogue de 1978, c’est l’existence et l’identité du Maitre des jeux.
En 1978, peu après la rétrospective, certains tableaux magnifiques, dont l’admirable « Danse d’enfants au joueur de pochette » et les « Joueurs de trictrac », qui étaient alors considérés comme des chefs d’œuvre des Le Nain, furent inopinément attribués à un peintre flamand et inconnu qui aurait travaillé à Paris à la même époque. En raison des thèmes de ses tableaux il fut appelé le « Maitre des jeux ».
Aujourd’hui encore, à part une poignée de tableaux au style semblable éparpillés sur la planète à Cleveland, Paris, Toledo, Cologne ou Reims, on n’en sait pas plus sur cet obscur peintre anonyme.

Les organisateurs de l’exposition ont eu l'excellente idée de consacrer une place importante à une quinzaine de tableaux donnés hier encore aux Le Nain, dont trois toiles de ce mystérieux « Maitre des jeux ».
Et on comprend, à la contemplation de ses scènes où les gestes et les regards sont suspendus, isolés, découpés dans l’espace comme dans le temps, qu’ils aient été pendant plus de deux siècles considérés parmi les plus beaux tableaux des Le Nain.

On peut les voir à Lens pendant deux mois encore.


Le Maitre des Jeux, Danse d'enfants
Cleveland museum of art (attribué au cercle des Le Nain)

Le Maitre des Jeux, Danse d'enfants au joueur de pochette
Belgique, collection particulière

Le Maitre des Jeux, Repas de famille
Toledo museum of art

mardi 27 août 2024

Tableaux singuliers (20)

JL Hamon, Cantharide esclave, 1857, huile sur papier marouflé sur toile 
(coll. musées de Compiègne)

Remerciements : la moitié des données de cette chronique proviennent de l’énorme thèse (2013) de 580p. (et les Annexes de 250Mo) de Mme Jagot (aujourd'hui directrice des musées de Tours depuis 2021), très documentée sur ce mouvement un peu fictif que fut le cénacle des peintres Néo-grecs.

Le tableau d’aujourd’hui est certes singulier pour mériter de paraitre dans cette rubrique, mais il est surtout, pour les rares spécialistes qui en avaient entendu parler, totalement inattendu. 

Ils le croyaient disparu quand Drouot annonça la vente le 31 mai 2024 "d’une collection inédite", la collection secrète d’un anonyme dont le produit serait légué à l’Institut Pasteur.
Et parmi des pièces de qualité médiocre à faible, et des estimations moyennes de quelques centaines d’euros (catalogue en PDF), il y avait cette Cantharide esclave de Jean-Louis Hamon, lot n°51, un petit tableau de 47cm, estimé 2 à 3000€.

Exposé sous le n°1297 au Salon du Louvre de 1857, où il avait été très remarqué, comme on le constatera plus loin, il n’était connu que par une gravure d’Édouard Rosotte parue dans l’Artiste (en 1859 ?) et dont on trouve des exemplaires dans de grands musées comme Philadelphie, ou pour 50€ sur eBay, preuve d’une certaine popularité. 

On (la critique, les salonniers) avait apprécié les premières œuvres de Jean-Louis Hamon, quand il exposait aux côtés de son ami Jean-Léon Gérôme qu’on découvrait alors dans son premier succès retentissant, le fameux combat de coqs du salon de 1847. On pensait que leur vie en phalanstère, avec Picou, Boulanger et quelques autres, et leurs thèmes d’inspiration antique, marqueraient les débuts d’un mouvement qui soufflerait un air frais et balaierait les derniers relents de la grandiloquente peinture d’histoire de monsieur David et du romantisme dégoulinant de Delacroix et Vernet, tout en se gardant de tomber dans les monstruosités du réalisme de monsieur Courbet.
On les appela alors les Néo-grecs, ou parfois les Étrusques, ou l’école de Gérôme, occasionnellement les Pompéiens, voire les Pompéistes, selon le degré d’appréciation.

À l’époque Hamon faisait déjà des tableaux aux couleurs douces, éteintes, aux lignes souples, aux formes parfois incertaines, et aux sujets allégoriques, tellement qu’ils en étaient nébuleux et que les critiques comprenaient peu les idées qu’ils exprimaient (on constate dans une correspondance citée par Mme Jagot que le peintre ne les comprenait pas vraiment non plus).
Monsieur Larousse, qui avouait sa faiblesse pour certaines des mièvreries du peintre, disait de lui dans son grand dictionnaire du 19e siècle "tout est si vaporeux […] c’est le rêve d’une ombre […] des compositions d’une grâce quelque peu nébuleuse, à notre sens un peu puérile, que néanmoins la gravure et la lithographie ont popularisées […] des œuvres à peine intelligibles et exécutées avec une telle sobriété de couleur, qu’elles ont à peine une apparence matérielle"

On n'a pas trouvé de reproduction acceptable des tableaux de Hamon sur internet (sauf son autoportrait du musée Magnin de Dijon, photo personnelle). Orsay en possède un de 3,15m qu’il expose. Nantes également (et un autre plus petit). Pour être sincère, même de cette dimension, on peut passer à côté sans les remarquer.
Le musée de Cleveland détient une curiosité, les 4 saisons, une pochade de la main des 4 fondateurs, Picou, Gérôme, Boulanger, et le mélancolique Hamon qui s’est vu attribuer l’hiver. 

En 1857 donc, année féconde, Hamon expose au Salon 9 tableaux avec des jeunes filles, des fleurs, des papillons, et sa Cantharide esclave. 
Sa peinture, qui n'a pas évolué, est jugée souffreteuse, hésitante, et surtout sibylline, indéchiffrable pour les salonniers qui ont mis une dizaine d’années à réaliser que ce qui rassemblait ces peintres néo-grecs, à part des ateliers communs, était uniquement leur penchant pour l’anecdotique et le sentimental. Cette école ne saurait jamais s’affirmer et affronter la crudité naturaliste de monsieur CourbetÇa n’était pas un mouvement, seulement un regroupement contingent d’individualités, qui s’est d’ailleurs effiloché quand Gérôme l’a quitté pour se marier avec une des filles d’Adolphe Goupil, le grand marchand et éditeur d’art international, et que les prix de ses tableaux devenaient indécents au point que seuls les américains pouvaient désormais les acheter.
À part Gérôme - et encore son renouveau est-il récent en France - tous ces néo-grecs ont été oubliés. On en rencontre parfois par hasard dans les musées de province, qui sont bien obligés, pour occuper leurs cimaises, d’accepter les aumônes que le Louvre leur concéde.

Or quand la critique s’aperçoit qu’elle s’est trompée, elle devient hargneuse. Et en 1857 elle s’est acharnée particulièrement sur Hamon et son coléoptère. Hélène Jagot rapporte dans sa thèse, par de nombreux extraits de presse, l’entêtement des critiques et des caricaturistes :
"La peinture hiéroglyphique de Jean-Louis Hamon”, sa "macédoine philosophique", "D’une nature très distinguée, très ingénieuse et très fine : il a toutes les qualités du monde ; il ne lui reste qu’à devenir peintre", "Hamon se creuse la tête et il invente la cantharide grand format, la cantharide grosse comme un bouledogue et enchaînée dans une niche à chiens.", "Ce n’est pas un jury de peintres qui aurait dû se prononcer sur un pareil cas d’aliénation mentale [...]. Le hanneton que M. Hamon, lui, a dans le plafond…", [On lui recommande] "un régime alimentaire plus riche [et plus loin un stage chez M. Courbet] pour être enfin en mesure de peindre correctement et d’abandonner les sujets trop enfantins"…

Deux ans plus tard, au salon de 1859Nous avertissions, il y a deux ans, M. Hamon qu’il allait se perdre. C’est fait. Il ne reste rien de M. Hamon. On ne peut imaginer un tableau plus vulgairement nul, plus lourdement insignifiant que son Amour en visite. Comme sujet, c’est toujours une pauvre petite charade bien prétentieuse; comme peinture, cela fait presque regretter ses anciens tableaux, qui n’étaient pas peints du tout, et qui n’existaient que par le contour.Et Daumier d'en faire alors une caricature où on voit l’Amour ailé pris d’embarras gastriques s’impatienter devant la porte des cabinets.

On peut effectivement déplorer l’inspiration doucereuse de Hamon et son talent de peintre limité, quand Gérôme, au moins, savait rendre spectaculaire n’importe quelle anecdote. Et la déception de la critique était peut-être attisée par la réception plutôt favorable de Hamon par la bourgeoisie aisée, et par l'État qui lui avait acheté plusieurs tableaux, dont les plus grands, Ma sœur n'y est pas de 1852 (Compiègne 1,56m.)la Comédie humaine de 1852 (Orsay), l’Escamoteur de 1861 (Nantes), et lui avait même accordé la croix de la Légion d'honneur en 1855. 
Malgré cela, Mme Jagot précise "Hamon, ne supportant plus les quolibets et voyant sa réputation – et sa situation financière – en pleine déroute, quitte la France quelques années plus tard". 
Il voyagera alors en orient, puis à Rome en 1863, et enfin s'installera à Capri - il est des exils plus cruels - et continuera à exposer irrégulièrement au Salon, toujours avec un petit succès, en ne perdant rien de son inspiration bisounours. Il mourra à 53 ans en 1874.

Hamon aura malgré tout vécu de sa peinture. Nombre des tableaux qu'il a vendus ne sont pas connus, ou sont dits de localisation inconnue quand on en a le titre par un catalogue ou par une reproduction en gravure. Comme la Cantharide esclave ils peuvent réapparaitre un jour, par exemple à l'occasion d'un héritage.

La véhémence de la critique envers la Cantharide esclave était exagérée. Ce petit tableau a quelque attrait.
La cantharide est une de ces pauvres bêtes prétendues aphrodisiaques depuis l’antiquité. Même Wiki, l’encyclopédie des familles, se garde de donner un avis médical, mais écrit immédiatement après, phrase ambigüe, que l’efficacité de la cantharide est douteuse et (mais !?) qu’elle peut entrainer de douloureux priapismes, urines sanglantes, vomissements, et la mort en cas de surdose ! À lire ses citations émoustillantes, de Sade à Mistral, on se demande comment l’espèce n'a pas déjà disparu, pour les mêmes raisons que le rhinocéros.
Le point de vue du peintre semble plus retenu. On soupçonne, à l’abandon mélancolique de la jeune femme, que la cantharide réduite en poudre, même à l'aide d’une dose démesurée, ne parviendra pas à susciter le désir de l’être qui la fait soupirer, ni à lui faire oublier sa propre langueur. 

Pour un regard contemporain qui a vu les centaines de milliers d’élytres de scarabée collées par Jan Fabre dans la Salle des glaces du palais royal de Bruxelles (retournez-vous et zoomez, ou levez le nez et zoomez sur le plafond et le lustre central), pour un regard submergé par ces surenchères du 3ème millénaire, cette petite scène languissante et énigmatique, imaginée par Hamon avant même les écoles symboliste et surréaliste, exhale une fraicheur un peu fanée méritant bien la préemption par les musées de Compiègne, qui emportèrent ainsi l'enchère du 31 mai 2024 contre 10 400€ frais compris.

Épilogue 

En réalité, le 31 mai, pour tous les amateurs et experts, la curiosité de cette vente inattendue n’était pas le discret n°51, mais le lot suivant, le n°52, surprise de la vacation, un tableau du meneur malgré lui de la classe des néo-grecs, Jean-Léon Gérôme. Un tableau découvert à cette occasion, inconnu même du catalogue raisonné du peintre, et en outre réellement singulier dans son œuvre, un tableau presque vide (comme la mort du maréchal Ney, ou Ils conspirent).
Il représente une petite barque de naufragés dans une mer d’un mètre sur 70 centimètres, d’un mouvement et d’un bleu franchement ratés (Gérôme n’a jamais été un coloriste très raffiné), peinte vers 1901, et que tout le monde appelle sottement "une épave". Il est parti contre 593 000$ frais compris, probablement pour l'étranger puisque le polémiste M. Rykner en réclame, après la vente, la préemption par le musée d'Orsay.

Peu importe, on l'aura oublié dans quelques mois, quand le délicat tableau de la Cantharide esclave, rafraichi, dans son joli cadre doré à festons ciselés, agrémentera peut-être un des somptueux salons déserts du château de Compiègne ou de son musée, sous les ors du Second Empire, précisément l’époque où le neurasthénique Jean-Louis Hamon dessinait ce songe singulier sur une feuille de papier et le coloriait légèrement à l’huile.


vendredi 25 juin 2010

Le visiteur à l'état fluide

Voilà. Dorénavant, entrant dans le musée d'Orsay (1) après avoir payé votre droit de visite et acheté une réserve de jetons d'un euro à la caisse idoine (2), vous pénétrez dans une immense galerie réaménagée et méconnaissable, baignée d'une reposante pénombre, ponctuée de petites oasis intermittentes de lumière. Les approchant, vous réalisez que ce sont les tableaux et sculptures du musée, momentanément éclairés par l'obole du visiteur précédent. Un jeton glissé dans une ingénieuse tirelire à minuterie donne droit à deux minutes d'éclairement par objet, comme cela se pratique depuis longtemps dans certaines églises richement dotées. Pour compléter le dispositif, un discret parcours lumineux au sol informe et oriente le touriste.

Florence, église Santa Felicità. Cette déposition de croix de Pontormo (ici un détail) considérée comme un de ses plus beaux tableaux, est enfermée au fond d'une petite chapelle latérale, dans le noir. Un euro versé dans une tirelire à minuterie éclaire la chapelle pour cinq minutes, mais n'ouvre pas les grilles.


Ne vous inquiétez pas, le système n'est encore qu'un projet. Ça n'est pour l'instant que l'ironique suggestion de F. P., professionnel déçu qui s'attriste dans le livre d'or du site du musée. Car une chose est en revanche certaine : les gestionnaires d'Orsay viennent soudainement d'interdire toute photographie à l'intérieur du musée, œuvres et architecture du site, sous le prétexte facilement réfutable de la fluidité du visiteur.

On ne reviendra pas sur l'illégalité du procédé, elle a largement été démontrée en 2005 lors de l'affaire de l'article 33 du règlement de visite du Louvre, où l'autorisation de photographier est encore aujourd'hui dans une situation incertaine. La photographie y est interdite mais tolérée, dans l'attente peut-être d'un incident qui justifierait alors l'application stricte du règlement.

Comme le ressent N.D. de B., un des nombreux scandalisés qui se soulagent sur le livre d'or, ne pas autoriser la photographie dans un musée, c'est comme demander au visiteur d'effacer ses souvenirs en sortant. Cette nouvelle manifestation de la longue série des petits abus de pouvoir et des détournements du bien public ne mérite que le mépris et évidemment l'irrespect.

Actualité du 05.12.2010 : Didier Rykner (La Tribune de l'Art) couvre une périlleuse manifestation pacifique dans le musée d'Orsay (15 participants) organisée avec le soutien de LouvrePourTous.fr, en protestation contre l'interdiction de photographier.
Six mois après sa publication au Journal Officiel le 22.06.2010 sous le numéro 81937, la question écrite au ministre de la Culture n'a toujours pas de réponse.
Actualité du 15.03.2011 : Le Sinistre de la culture vient de répondre à la question écrite 81937. On en parle ici, hélas !


***
(1) Célèbre établissement public parisien présentant des œuvres principalement françaises créées entre 1848 et 1914.
(2) Le maximum autorisé par visiteur est de 50 jetons, surnommés «photons» par le personnel du musée.

samedi 11 mai 2019

Deux nouvelles en passant

Le fondateur du site La tribune de l’art, monsieur Rykner, toujours à l’affut des fuites du patrimoine, signale qu’il pourrait y avoir beaucoup plus dramatique, à Paris, que l’incendie de la cathédrale. Il remarque que les 2 sapeurs-pompiers payés par la Bibliothèque nationale de France, rue de Richelieu, pour surveiller sur place les risques d’incendie, vont être supprimés pour des raisons de sous-effectif et de préparation des jeux de 2024.

L’incendie des millions de livres, de manuscrits enluminés, d’incunables, de documents uniques de la Bibliothèque nationale serait en effet plus dommageable pour la connaissance que la perte d’un pastiche de cathédrale du 19ème siècle (dont les plans de Viollet-le-Duc sont d’ailleurs peut-être conservés à la BnF)
Rappelez-vous la perte catastrophique que causait dans l’antiquité l'incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. C’est peut-être une légende, mais on en parle encore, et des responsables sont cités.

Une page du manuscrit des Pensées sur la religion, de Blaise Pascal, un des millions de trésors conservés par la BnF. On comprend qu’avec des pensées aussi désordonnées voire peu cohérentes, le pauvre homme qui promettait tant ait fini par ruiner sa santé en paris douteux. 


Et puis, il est en fin de compte assez probable qu’une exposition Léonard aura lieu cette année au Louvre.

Le Musée avoue enfin. Une page de son site annonce sobrement qu’en raison de l’affluence attendue dans le hall Napoléon pour le grand cirque Léonard de Vinci prévu du 24 octobre 2019 au 24 février 2020, toutes les visites, même gratuites, se feront avec réservation d’horaire, en ligne dès le 18 juin.
Il y aura donc une exposition. On n’en saura pas plus, sinon qu’y sera présentée « la plus grande part possible des peintures de l’artiste », et que la « Joconde n’y sera pas » (elle boude et reste dans sa cabine de douche à l’étage, dans son état elle ne veut pas être vue de trop près).

Notons qu’avec ces 4 mois d’avance, du 18 juin au 24 octobre, l’effort porte plus sur l’organisation des réservations que de l’exposition elle-même, pour ne pas reproduire le désastre Vermeer de 2017, où le système n’avait été mis en place qu’après une ouverture cafouilleuse (dans le désordre général, l’entrée était refusée aux clients qui avaient payé).
Si le visiteur, comme le musée même, ne sait pas encore ce qui sera exposé, il pourra tout de même acheter son ticket, les yeux fermés.

Pour mémoire, rappelons que le hall d’exposition Napoléon fait 1350 mètres carrés et que les normes de sécurité ne permettent pas plus de 300 visiteurs simultanés, soit environ 5000 par jour, et 600 000 en 4 mois. Record absolu pour le Louvre, que l’exposition atteindra sans doute, à la mesure du vacarme promotionnel fait autour de Léonard cette année. À ce niveau de fréquentation, dans le hall Napoléon, on ne visite plus, on est un volatile qui piétine avant l’abattage.