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vendredi 2 août 2024

Restauration au Louvre (addendum)

"Au Louvre, oui oui, vous avez un café, en bas, sous la pyramide, vous pouvez boire un verre sans être obligé de visiter, si si, c'est très bien fait."

JM. Gourio - Nouvelles brèves de comptoir



C’était en juillet dernier. Passant par Paris un soir, parmi les fusées, les flammes, les cris et les pétarades, vous vous réjouissiez du retour des trois glorieuses, de la fin du petit monarque et de ses abus de pouvoir. Hélas ça n’était que l’annonce des jeux du cirque. Chaleur, bière, chauvinisme, la France allait cesser de penser, et la planète également, pour quelques semaines.

Profitons donc de cette léthargie pour dire vite fait du mal des grandes illusions humaines : aujourd’hui, la Liberté. 


Si Ce Glob avait encore un lectorat, celui-ci aurait remarqué que notre chronique de juillet sur les incessantes restaurations du Louvre avait omis, dans sa revue des tableaux rénovés, le monumental pensum de Delacroix, "Le 28 juillet 1830. La Liberté guidant le peuple ou La barricade", 10 mètres carrés avec cadre. Il sort en effet du pressing et a rejoint, depuis le printemps, les grandes toiles lugubres de l’histoire de France dans la galerie du romantisme, salle 700 de l’aile Denon.


L’opération a été décrite par le musée dans un communiqué de presse (PDF de 311ko) d’un lyrisme approprié aux grands mots creux de la République.

Il nous raconte que c’est le tableau le plus célèbre du musée après la Joconde, qu’on y retrouve la palette tenue et subtile de Delacroix (il parle même de son génie chromatique, jugez-en sur l’illustration ci-dessous !), que c’est à la fois une peinture d’histoire et une allégorie, agrémentée de scènes de genre, de portraits, de natures mortes (les cadavres ?) et d’un paysage urbain (il oublie le nu), que le résultat est magistral d’équilibre et de maîtrise, et que les bizarres taches de jaune d’or éparpillées sur la robe évoquent le caractère allégorique, quasi divin, de la Liberté.

On ne saurait exprimer plus d’enthousiasme sans paraitre légèrement insincère.



Si vous acceptez le conseil d’un vieux blog déserté, restez-en aux louanges du communiqué de presse, et passez plutôt voir la peinture hollandaise ou française du 17ème siècle. 

Si malgré tout vous tenez à vérifier sur place la palette subtile du génie chromatique, vous reconnaitrez aisément le tableau dans la longue galerie de l’aile Denon, sous son immense verrière à 12 mètres d’altitude, il se distingue essentiellement des autres tartines bitumées, chaotiques et sinistres de l'époque, par son drapeau bleu blanc rouge ; vous ne pouvez pas le rater, "contrairement à l’auteur" aurait persifflé Tristan Bernard*. 


Vous vous exclamerez alors (intérieurement) "Y a-t-il une différence ? Est-il vraiment restauré ?" En effet, et c’est un cas rare parmi les tableaux rénovés : ici, avant ou après, les deux sont aussi moches. L’effet de pouding indigeste demeure**. On sait que les tableaux de Delacroix, peints à la hussarde, devenaient des "bouillies brunes" de son vivant même, témoignait Jacques-Émile Blanche. Et l’aspect crayeux des blancs et des gris donne maintenant à la scène un petit côté inauthentique (d’accord, c’est une remarque inspirée par la mauvaise foi, cependant, alors qu'on pomponne l'effigie de la Liberté, on renforce furtivement un système de surveillance et de répression qui emprisonne petit à petit le peu qu'il reste de ce qu'elle est censée glorifier).


Pourquoi les peintres qui illustrent des évènements historiques, même inspirés par des intentions humanitaires et spontanément - sans commande de l’État*** - en font-ils systématiquement une bouillie grandiloquente et immangeable, gavée de poncifs ?

Gonflement du liquide dans les tissus, hydrocéphalie, macrocéphalie, agueusie peut-être ? Cela reste un mystère que les sciences de la santé, vu les moyens financiers qu’elles drainent aujourd’hui, décrypteront assurément un jour prochain.


***

* On connait le mot de Tristan Bernard, presque trop beau pour être vrai, qui aurait répliqué à un ami arrivant en retard au théâtre et regrettant d’avoir raté le premier acte : "Rassurez-vous, l’auteur également".


** Une mystérieuse source non officielle au Louvre a mis en ligne une photo en haute définition (31Mo, 80Mpixels) dont le contraste et les couleurs semblent très accentuées comparées à la photo officielle du musée (notre illustration). À vérifier sur place par qui en aura le courage.


*** Delacroix ne s’est pas lancé dans une opération de 4 ou 5 mois sur 8,5 mètres carrés sans penser le vendre à l’État, qui l’achetait effectivement l’année suivante pour une somme décevante, 3000F (≈ 10 000€ actuels) quand Delacroix en espérait 10 000F (le catalogue des collections du Louvre retrace en détail l’histoire mouvementée de cette Liberté). 

mercredi 10 août 2022

Nouvelles du front

Rappelez-vous, le 15 avril 2019, la cathédrale de Paris, retapée par Viollet-le-Duc au 19ème siècle, pas vraiment gracieuse mais imposant symbole de la France éternelle, Notre-Dame brulait, d’une étincelle profane sans doute, et à un rien de s’effondrer.

Le président français, soutenu par des milliardaires de ses amis alléchés par la vaste opération publicitaire, les marchés à venir, et les exonérations fiscales, promettait alors la réouverture de la cathédrale en 2024, juste à temps pour que l’inauguration à Paris du joyeux et gigantesque gaspillage des Jeux olympiques soit bénie par les représentants du dieu du 4ème arrondissement, aspergée par le goupillon et parfumée par l’encensoir, et afin que le touriste, habituellement deux fois plus nombreux que celui de la Tour Eiffel, revienne y dépenser sa longue épargne.

Mais au vu des fautes et incompétences diverses des gouvernements successifs dans la gestion des épidémies, des hôpitaux, des centrales nucléaires, et de tant d’autres services publics, on imaginait que la conduite des opérations de restauration ressemblerait plutôt au fiasco du réacteur nucléaire à eau pressurisée de Flamanville, et que la liturgie se réduirait à la distribution d’hosties contaminées au plomb sous une tente de la Croix-rouge sur le parvis de Notre-Dame.

Autre chef-d’œuvre du génie humain, la cathédrale de Beauvais, ambitieuse, trop haute, un chœur en voute de 48,5 mètres, qui s’effondrera en 1284, inachevée, estropiée, interrompue par la peste de 1347 et la guerre de 100 ans, une tour-lanterne qui s’écroulera de 153 mètres d'altitude un matin d’avril 1573, puis quelques siècles sous perfusion, et enfin ne survivant depuis les années 1990 qu'enserrée dans une prothèse, une vaste armature de poutres. Des capteurs hypersensibles attendent en temps réel son dernier souffle.

Mais c’était compter sans l’à-propos du président de la République, qui nomma sans attendre, pour piloter l’entreprise, un général à la retraite expert en cathédrales car fervent catholique, ressuscitant ainsi l’alliance, si fructueuse dans le passé, du sabre et du goupillon.
On se souvient que le général avait déjà secoué les amis de l’art gothique en enjoignant à l’architecte en chef des Monuments Historiques de "fermer sa gueule" alors qu’il donnait un avis sur la reconstruction de la flèche de la cathédrale.
C’était une saillie bienveillante, une souriante affirmation de l’autorité pour mobiliser les troupes dans une même direction. D’ailleurs le général d’armée vient d’affirmer la constance de sa détermination et la pondération de son optimisme dans un récent entretien dans le journal Le Figaro

Et ses paroles ont tant de retenue, de sens cachés entre les mots, comme dans une poésie, que les optimistes y voient déjà les présages d’une réussite éclatante et les pessimistes d’une déconfiture assurée.

"2024 est un objectif tendu, rigoureux et compliqué. Mais c’est surtout une ambition au service d’une mobilisation de tous. On se battra pour gagner cette bataille, et pouvoir ouvrir au culte, en 2024. À cette date, Notre-Dame sera complètement nettoyée, au point que les visiteurs auront un choc visuel en entrant."
"Mon travail est de trouver […] des solutions pour s’adapter à l’imprévu. Jusque-là, nous avons toujours trouvé les moyens de nous adapter, d’avancer et d’écouter les clignotants lorsqu’ils passaient à l’orange."

On notera évidemment que ces nouvelles du front n’apportent pas d’information sur l’avancement réel de la bataille, ce qui est normal, c’est la censure de guerre. Le Figaro pourrait être intercepté par l’ennemi, ruinant alors tous les plans du stratège.

Enfin les esthètes auront remarqué le touchant aveu synesthésique du général, quand il déclare entendre les clignotants qui changent de couleur. D’aucuns attribueront ce dérèglement des sens au stress ou au surmenage, mais c’est plus surement un hommage à Arthur Rimbaud, autre grand poète amateur d’armes, quand il écrivait A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu

samedi 11 mai 2019

Deux nouvelles en passant

Le fondateur du site La tribune de l’art, monsieur Rykner, toujours à l’affut des fuites du patrimoine, signale qu’il pourrait y avoir beaucoup plus dramatique, à Paris, que l’incendie de la cathédrale. Il remarque que les 2 sapeurs-pompiers payés par la Bibliothèque nationale de France, rue de Richelieu, pour surveiller sur place les risques d’incendie, vont être supprimés pour des raisons de sous-effectif et de préparation des jeux de 2024.

L’incendie des millions de livres, de manuscrits enluminés, d’incunables, de documents uniques de la Bibliothèque nationale serait en effet plus dommageable pour la connaissance que la perte d’un pastiche de cathédrale du 19ème siècle (dont les plans de Viollet-le-Duc sont d’ailleurs peut-être conservés à la BnF)
Rappelez-vous la perte catastrophique que causait dans l’antiquité l'incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. C’est peut-être une légende, mais on en parle encore, et des responsables sont cités.

Une page du manuscrit des Pensées sur la religion, de Blaise Pascal, un des millions de trésors conservés par la BnF. On comprend qu’avec des pensées aussi désordonnées voire peu cohérentes, le pauvre homme qui promettait tant ait fini par ruiner sa santé en paris douteux. 


Et puis, il est en fin de compte assez probable qu’une exposition Léonard aura lieu cette année au Louvre.

Le Musée avoue enfin. Une page de son site annonce sobrement qu’en raison de l’affluence attendue dans le hall Napoléon pour le grand cirque Léonard de Vinci prévu du 24 octobre 2019 au 24 février 2020, toutes les visites, même gratuites, se feront avec réservation d’horaire, en ligne dès le 18 juin.
Il y aura donc une exposition. On n’en saura pas plus, sinon qu’y sera présentée « la plus grande part possible des peintures de l’artiste », et que la « Joconde n’y sera pas » (elle boude et reste dans sa cabine de douche à l’étage, dans son état elle ne veut pas être vue de trop près).

Notons qu’avec ces 4 mois d’avance, du 18 juin au 24 octobre, l’effort porte plus sur l’organisation des réservations que de l’exposition elle-même, pour ne pas reproduire le désastre Vermeer de 2017, où le système n’avait été mis en place qu’après une ouverture cafouilleuse (dans le désordre général, l’entrée était refusée aux clients qui avaient payé).
Si le visiteur, comme le musée même, ne sait pas encore ce qui sera exposé, il pourra tout de même acheter son ticket, les yeux fermés.

Pour mémoire, rappelons que le hall d’exposition Napoléon fait 1350 mètres carrés et que les normes de sécurité ne permettent pas plus de 300 visiteurs simultanés, soit environ 5000 par jour, et 600 000 en 4 mois. Record absolu pour le Louvre, que l’exposition atteindra sans doute, à la mesure du vacarme promotionnel fait autour de Léonard cette année. À ce niveau de fréquentation, dans le hall Napoléon, on ne visite plus, on est un volatile qui piétine avant l’abattage.

mercredi 1 mai 2019

Départ volontaire de 1169 fonctionnaires

Émile Boussu, la cathédrale de Reims bombardée et incendiée, probablement le 19 septembre 1914 (détail, Rennes musée des beaux-arts).


La première vague des départs volontaires souhaités par le monarque de la France pour 120 000 fonctionnaires vient de démarrer.

Pour ceux qui ne le savent pas encore, car les médias ont été discrets sur le sujet, la cathédrale de Paris vient de bruler, toit, flèche et charpente, emportant une partie de la structure de pierre, qui devrait s’effondrer à l’occasion des prochaines tempêtes.

Immédiatement, sans réfléchir, notre monarque prouvait qu’il était avant tout un homme d’action. Comme il est urgent de rafistoler la cathédrale (14 millions de clients par an), et avant les jeux de 2024 à Paris qui doivent rapporter « un pognon de dingue » aux multinationales et au Comité olympique, il décidait sans délai de créer un établissement public dédié à la formation des métiers du patrimoine et à la « reconstruction » de l'édifice. C’est bête, il aurait pu demander à son administration, où toutes les compétences et les structures existent déjà. Mais ça n’est pas si grave, car les donations atteignent 1 000 000 000 d’euros, c’est deux fois plus que le nécessaire affirment les spécialistes (et puis 75% seront exceptionnellement déductibles des impôts, et imposés aux anonymes qui ne souhaitent pas donner).

Ensuite il nommait un vieux général catholique à 5 étoiles et à la retraite, pour diriger ce grand projet.

Enfin il proposait une loi d’exception (comme contre le terrorisme) autorisant le vieillard à diriger le chantier par ordonnances, c’est à dire à décider, sans l’autorisation des assemblées, de passer outre les règles des marchés publics, les lois de protection du patrimoine et les conventions internationales.
On sent l’urgence de la chose, et en bon guerrier, il devrait tout raser pour reconstruire sur des bases saines. (le lecteur sur le point d’éteindre, pensant que cette chronique divague et mélange l’actualité aux délires despotiques du Père Ubu de Jarry, devrait pourtant lire les liens fournis dans le texte).

Bref, comme il arrive parfois qu’au-delà d’un certain degré la servitude devienne involontaire, une vague de rébellion émerge aujourd’hui au sein des administrations et des métiers du patrimoine, où circule une pétition déloyale.
Et à l’occasion de son édition du 29 avril, le journal Le Figaro livre sur son site pour abonnés la liste des 1169 contestataires, avec leur pédigrée (ils ne sont pas tous fonctionnaires, mais on simplifie pour la clarté de l’exposé).

Il est vrai que si personne ne compte les employer sur ce grand chantier parisien des prochaines années (ou décennies), le souverain de la nation pourrait en profiter pour honorer ses promesses électorales et réduire à 118 831 le nombre de fonctionnaires à remercier. D’autant que la liste abonde en gros salaires, 86 directeurs, 49 directrices, 277 conservateurs et 103 conservatrices (dont 22 du musée du Louvre).
Et tout ça pour le prix d’un abonnement au Figaro en ligne.
 

lundi 1 janvier 2018

Sale temps sur le domaine public

Évoqué dernièrement, le passage dans sa 2018ème année de l’humanité qui croit au calendrier grégorien marque l’entrée dans le domaine public de l’œuvre des artistes morts en l'an 1947 dudit calendrier.
Bonnard, Marquet, Van Meegeren, Hoschedé-Monet, Eugène de Suède, Reynaldo Hahn, Tristan Bernard, Ramuz, Fargue, Horta, Lubitsch, le physicien Max Planck et un tas d’autres créateurs, sont aujourd'hui à la libre disposition du public (sous réserve de règlementations locales particulières).
N’oublions pas cependant que les règles d’accession au domaine public sont des textes de loi, qui sont parfois interprétés bizarrement par les tribunaux, voire résolument ignorés, comme nous allons le constater.

Vous souvenez-vous de la pantalonnade du ministre italien de la Culture en 2014, aiguillonné par le directeur de la Galerie de l’Académie de Florence, qui s’excitait publiquement contre une entreprise américaine, créatrice d’une affiche incongrue ? Elle montrait le David sculpté par Michel-Ange tenant dans les bras un fusil ultramoderne. Le ministre prétendait que l’utilisation de l'image du David était illégale sans autorisation de l'État italien et exigeait le paiement de droits de reproduction.
L’œuvre étant depuis des siècles dans le domaine public, c’était une galéjade, mais face à l’hostilité agressive des médias et des officiels italiens, l’Américain retirait sagement son affiche. L’effet publicitaire de l’hystérie collective avait déjà largement dépassé ses espérances.

L’idée de faire fructifier toujours plus l’héritage culturel est de tous les temps, mais elle est aujourd'hui avivée par la réduction devenue systématique des budgets consacrés à la culture. En Italie, elle s’est transformée en une obsession au point que le gouvernement ne nomme plus que des « gestionnaires » à la tête des grands musées.

Ainsi la récente directrice de la Galerie de l’Académie de Florence eut l’idée d’attaquer en justice un organisateur de circuits touristiques qui vendait des tickets d’entrée à son musée pour 5 fois le prix normal. Mais la poursuite ne portait pas sur ce motif, qui est une pratique courante. L'audacieuse manageuse réclamait parce que la promotion pour les vendre était centrée sur le monumental David de Michel-Ange.
En résumé, elle réclamait des droits d’auteur sur la reproduction d’une œuvre du domaine public qui se trouve dans son musée, Copyfraude banale et détournement du droit, pratiqués par tout grand musée qui se respecte, sujet abondamment traité ici.
Pour mémoire, la photographie, même touristique, est interdite dans le musée (mais allez empêcher des milliers de touristes étrangers de sortir leur smartphone - rappelons-nous la déroute du Louvre en 2005).

Tout ceci serait anodin, si le tribunal civil de Florence n’avait pas été sensibilisé aux enjeux financiers immédiats du litige. Il a donc docilement conclu, ignorant toutes les lois de protection du domaine public italien, que l’accusé devra retirer de toutes ses campagnes promotionnelles l’image de la statue (sous astreinte de 2000 euros par jour), parce qu’il n’en a pas demandé l’autorisation au musée ni payé les droits de reproduction.
Une bourrasque d'air frais parcourait alors les encéphales embrumés des gestionnaires de la culture de la ville de Florence.
Fière de son succès, la responsable de tout cela déclarait attendre un avis du procureur pour appliquer la décision de justice à toutes les œuvres de « son musée », le gestionnaire de la cathédrale demandait à la rencontrer, celui du musée des Offices, ragaillardi, décidait de se lancer dans de vigoureuses poursuites judiciaires, et le maire exhortait toutes les institutions et les entreprises à se mettre en conformité avec ces nouveaux principes « l’image de Florence ne devrait plus être exploitée sans limites ni règles ».

On admet de plumer ouvertement le public, à condition de bénéficier aussi de la petite extorsion, et au passage on s’assied sur les principes du droit d’auteur. Ce sont des manières de mafieux.


Projet de la municipalité pour rentabiliser un peu plus les merveilles architecturales de Florence. Ici, en test, la façade de la basilique Santa Maria Novella est voilée. Quand un nombre suffisant de touristes payants est atteint sur la Piazza di S.M. Novella attenante, les issues en sont fermées et la façade est dévoilée par un ingénieux système de pompes hydrauliques. La durée de dévoilement est proportionnelle aux recettes de l’opération.  

Et comme toutes les bonnes idées d’abus de pouvoir, elle devrait vite se propager dans toute l’Europe, et il ne serait pas étonnant que le musée du Louvre profite de cette jurisprudence pour essayer d’obtenir le paiement de droits à l’utilisation de l’image de la Joconde, et même à tout article utilisant le mot Joconde.

Pour l’image, le cadre juridique français l’autorisant à le faire est désormais en place. Le décret Chambord en mars 2017, intégré à la loi de 2016 délicieusement nommée « Liberté de création, Architecture et Patrimoine » a créé, dans le but de contredire une récente décision de justice, une obligation de demande d’autorisation (avec redevance) lors de l’utilisation commerciale de l’image de bâtiments du domaine public (*). Il suffira de substituer « œuvres » à « bâtiments ».

Pour les mots, à l’instar de la loi d’exception qui sera votée dans quelques semaines pour attribuer des droits exceptionnels au Comité international olympique pendant 7 ans jusqu’aux jeux de 2024 à Paris, et qui interdira d’utiliser sans payer certaines expressions comme « Jeux Olympiques », ou « Paris 2024 », pourquoi ne pas profiter de cet élan créatif pour instituer un « droit » plus global qui s’appliquerait à l’usage de certains mots choisis annuellement dans la loi de finances ?

Il reste une indéniable marge de progrès pour abuser du domaine public et plumer encore un peu son propriétaire légitime. Cela annonce une bien belle année artistique 2018.

***
(*) Les images de Wikipedia et de Facebook (pour ne parler que des plus gros sites) sont considérées « à usage commercial » dans la mesure où, pour Wikipedia, leur réutilisation libre pour n’importe quel usage est un des principes constitutifs de la Fondation, et pour le second, l’utilisateur qui s’abonne autorise Facebook à faire toute utilisation qui lui conviendra des images téléversées sur le site.

samedi 11 août 2012

Les valeurs orthopédiques

Axiome 1 : l'article L.141-5 du code du sport interdit (sauf autorisation expresse) d'utiliser l'adjectif dérivé du nom de la ville d'Olympie qui sert à désigner des jeux organisés tous les quatre ans. On le remplacera donc dans cette chronique par l'adjectif « orthopédique » qui en est relativement proche au moins sur le plan de la prononciation. Ceci nous évitera le paiement d'une lourde rémunération au Comité National ou International Orthopédique.

Axiome 2 : l'article L.141-5 du code du sport interdit d'utiliser, sans autorisation largement rétribuée, le symbole orthopédique constitué de 5 anneaux multicolores enchevêtrés, ou toute variation graphique qui l'évoquerait. Alors qu'il est censé être dans le domaine public depuis 2007 en France (puisque créé en 1913 par P. de Coubertin mort en 1937).

En temps normal, le Comité International Orthopédique est essentiellement occupé à régler ses problèmes internes de corruption et à désigner la prochaine ville qui aura la chance de s'endetter sur les 40 ans à venir en échange de l'hébergement éphémère des prochains Jeux Orthopédiques. Il surveille néanmoins le respect de son privilège, l'utilisation commerciale de cet inépuisable patrimoine constitué d'un drapeau et de trois mots du dictionnaire.

Mais lorsque l'échéance des Jeux Orthopédiques approche, quand l'Homme choisit de s'oublier dans l'admiration patriotique des dieux du stade et demande à la crise de repasser dans trois semaines, c'est l’explosion printanière, l'argent jaillit de mille sources et irrigue la planète, les médias bourgeonnent, c'est le grand cirque de l'amnésie, la gabegie universelle.

Dès lors comment gérer cette abondance publicitaire avec comme seuls moyens quelques petites routines d'administrateurs cooptés ? On en confie le gardiennage au pays organisateur des Jeux, qui peut le faire en usant de pouvoirs de police, ce qui est bien pratique. Par exemple cette année, à Londres, six immeubles privés ont été truffés de lance-missiles, et les habitants, des gens modestes, ont été prévenus peu avant les Jeux, qu'ils avaient la chance d'être choisis pour le système de défense des Jeux Orthopédiques.

Mais cette fois, pour partager les dépenses, le pays organisateur réputé défenseur des droits de l'individu et des libertés civiles, s'est en partie déchargé au profit du Comité Orthopédique en lui confiant, par une loi de 2006, l'Orthopedic Game Act, certains pouvoirs publics : police du langage (certaines associations de mots étant payantes), censure, dénonciation, procédures d'exception.
Le descriptif sur SILex, le blog de Calimaq, des contrôles effectués sur les lieux des Jeux par les escouades des agents du Comité Orthopédique chargés de contrôler et sanctionner le mépris des interdictions est édifiant : pas le droit d'ingurgiter d'autres frites et sodas que ceux des sponsors, d'utiliser sous toutes formes les symboles orthopédiques, de porter des tee-shirts vantant la concurrence, d'utiliser les mots interdits, de transmettre une image des jeux sur les réseaux sociaux...
Toutes ces privations de liberté au seul bénéfice d'entreprises commerciales influentes n'étonneront pas outre mesure l'habitué de Ce Glob est Plat. Elles ont le goût du déjà-vu. C'est la même cupidité qui interdit au visiteur d'un musée ou d'un site remarquable d'enregistrer un souvenir, même flou et mal cadré, de son passage.

Finalement l'idéal orthopédique de paix et d'égalité entre les êtres humains est atteint. Tout le monde porte le même tee-shirt, orné d'un unique symbole, et pour le reste, tout est payant.

Dans quelques jours, les lieux seront abandonnés au vent et à la pluie londonienne, les rats et les cafards grignoteront les derniers papiers gras, et le souvenir des Jeux ne sera plus entretenu dans le cœur des Londoniens que par la dette colossale qu'il faudra lentement rembourser et les édifices pharaoniques qu'il s'agira d'user de temps en temps.

Et subsistera l'article L.141-5. Comme les valeurs orthopédiques, il est éternel.