vendredi 2 août 2024

Restauration au Louvre (addendum)

"Au Louvre, oui oui, vous avez un café, en bas, sous la pyramide, vous pouvez boire un verre sans être obligé de visiter, si si, c'est très bien fait."

JM. Gourio - Nouvelles brèves de comptoir



C’était en juillet dernier. Passant par Paris un soir, parmi les fusées, les flammes, les cris et les pétarades, vous vous réjouissiez du retour des trois glorieuses, de la fin du petit monarque et de ses abus de pouvoir. Hélas ça n’était que l’annonce des jeux du cirque. Chaleur, bière, chauvinisme, la France allait cesser de penser, et la planète également, pour quelques semaines.

Profitons donc de cette léthargie pour dire vite fait du mal des grandes illusions humaines : aujourd’hui, la Liberté. 


Si Ce Glob avait encore un lectorat, celui-ci aurait remarqué que notre chronique de juillet sur les incessantes restaurations du Louvre avait omis, dans sa revue des tableaux rénovés, le monumental pensum de Delacroix, "Le 28 juillet 1830. La Liberté guidant le peuple ou La barricade", 10 mètres carrés avec cadre. Il sort en effet du pressing et a rejoint, depuis le printemps, les grandes toiles lugubres de l’histoire de France dans la galerie du romantisme, salle 700 de l’aile Denon.


L’opération a été décrite par le musée dans un communiqué de presse (PDF de 311ko) d’un lyrisme approprié aux grands mots creux de la République.

Il nous raconte que c’est le tableau le plus célèbre du musée après la Joconde, qu’on y retrouve la palette tenue et subtile de Delacroix (il parle même de son génie chromatique, jugez-en sur l’illustration ci-dessous !), que c’est à la fois une peinture d’histoire et une allégorie, agrémentée de scènes de genre, de portraits, de natures mortes (les cadavres ?) et d’un paysage urbain (il oublie le nu), que le résultat est magistral d’équilibre et de maîtrise, et que les bizarres taches de jaune d’or éparpillées sur la robe évoquent le caractère allégorique, quasi divin, de la Liberté.

On ne saurait exprimer plus d’enthousiasme sans paraitre légèrement insincère.



Si vous acceptez le conseil d’un vieux blog déserté, restez-en aux louanges du communiqué de presse, et passez plutôt voir la peinture hollandaise ou française du 17ème siècle. 

Si malgré tout vous tenez à vérifier sur place la palette subtile du génie chromatique, vous reconnaitrez aisément le tableau dans la longue galerie de l’aile Denon, sous son immense verrière à 12 mètres d’altitude, il se distingue essentiellement des autres tartines bitumées, chaotiques et sinistres de l'époque, par son drapeau bleu blanc rouge ; vous ne pouvez pas le rater, "contrairement à l’auteur" aurait persifflé Tristan Bernard*. 


Vous vous exclamerez alors (intérieurement) "Y a-t-il une différence ? Est-il vraiment restauré ?" En effet, et c’est un cas rare parmi les tableaux rénovés : ici, avant ou après, les deux sont aussi moches. L’effet de pouding indigeste demeure**. On sait que les tableaux de Delacroix, peints à la hussarde, devenaient des "bouillies brunes" de son vivant même, témoignait Jacques-Émile Blanche. Et l’aspect crayeux des blancs et des gris donne maintenant à la scène un petit côté inauthentique (d’accord, c’est une remarque inspirée par la mauvaise foi, cependant, alors qu'on pomponne l'effigie de la Liberté, on renforce furtivement un système de surveillance et de répression qui emprisonne petit à petit le peu qu'il reste de ce qu'elle est censée glorifier).


Pourquoi les peintres qui illustrent des évènements historiques, même inspirés par des intentions humanitaires et spontanément - sans commande de l’État*** - en font-ils systématiquement une bouillie grandiloquente et immangeable, gavée de poncifs ?

Gonflement du liquide dans les tissus, hydrocéphalie, macrocéphalie, agueusie peut-être ? Cela reste un mystère que les sciences de la santé, vu les moyens financiers qu’elles drainent aujourd’hui, décrypteront assurément un jour prochain.


***

* On connait le mot de Tristan Bernard, presque trop beau pour être vrai, qui aurait répliqué à un ami arrivant en retard au théâtre et regrettant d’avoir raté le premier acte : "Rassurez-vous, l’auteur également".


** Une mystérieuse source non officielle au Louvre a mis en ligne une photo en haute définition (31Mo, 80Mpixels) dont le contraste et les couleurs semblent très accentuées comparées à la photo officielle du musée (notre illustration). À vérifier sur place par qui en aura le courage.


*** Delacroix ne s’est pas lancé dans une opération de 4 ou 5 mois sur 8,5 mètres carrés sans penser le vendre à l’État, qui l’achetait effectivement l’année suivante pour une somme décevante, 3000F (≈ 10 000€ actuels) quand Delacroix en espérait 10 000F (le catalogue des collections du Louvre retrace en détail l’histoire mouvementée de cette Liberté). 

7 commentaires :

marseillaise a dit…

Blog sans lectorat ?
Je vous suis fidèle depuis des années, Je vous en prie n'arrêtez pas !

Costar a dit…

Chère Marseillaise ne vous inquiétez pas, même si je suis dans le désert, je n'ai pas l'intention aujourd'hui d'arrêter de prêcher.

Néanmoins, il est vrai que depuis 2 ans à peu près, je ne sais pour quelle raison, le nombre de visites calculées par Gougueule est devenu catastrophique. En gros il est passé d'une moyenne de 200 à 1000 visites par chronique (sur 18 ans), ce qui n'était pas grand chose mais constituait une petite oasis, à une moyenne de 30 à 50 (sur une période plus courte, évidemment.
Ne regardant jamais les chiffres je ne m'en suis rendu compte qu'il y a peu, et je n'ai pas la moindre explication sur cet effondrement. La seule plausible serait le mode de comptabilisation de Google, qui n'arrête pas de m'envoyer des messages sur l'indexation de mes chroniques et auxquels je ne comprends rien. Pourtant on me trouve toujours correctement sur Google, même en cherchant des mots ou des phrases.
Quoi qu'il en soit, ça ne fait pas beaucoup de fidèles.

Alors je ne dis pas que si l'érosion se poursuit de la sorte je ne m'arrêterai pas à la 1000ème chronique (on sera alors à la fin de la 20ème année).
Il reste 2 ans pour réfléchir.

GJG a dit…

Tout fout le camp de nos jours, ci-devant-citoyen Costar, la liberté, la fraternité, la santé des gars alités, l’équité, le magnétophone à cassettes, l’honnêteté, la charité, la poésie, la beauté, la galinette cendrée, la comptabilité publique, etc.
« Et c’est bien la faute au douanier Rousseau et à son fauteuil Voltaire » chante de nos jours le jeune Jordan-Sandrine-Manu Gavroche armé de deux smartphones en rentrant dans un McKebab désert des Champs-Élysées cuaircodifiés et télésurveillés.
N’empêche que notre Eugène national a eu la Légion d’honneur pour cette « tartouillade » (comme disait un de vos confrères critiques à l’époque). Admettez que de nos jours où l’anticonfor(fu)misme est académique, on l’obtient pour bien pire et ringard que ça.
Et pour les étrennes du Gavroche totorisé de naguère, un « petit Delacroix » (encre sur papier) représentait une fortune de libertés, de billes et de carambars. Alors hein, camembert !
Personnellement, je lui pardonne tout à ce tartouilleur de malheurs : c’était un grand copain très admiré du grand Charles (initiale CB).
« Alors… » comme disait un autre Charles (initiales CDG).

Costar a dit…

Kebab, camembert, Baudelaire et Légion d'honneur, comme vous y allez ! Delacroix vous inspire vraiment !

GJG a dit…

Vous avez oublié les carambars, ci-devant-citoyen Costar !
Au temps pour moi, car dans ma liste du début, j’ai oublié deux choses importantes qui foutent le camp : « la Vérité » et « le raton-laveur ».

Costar a dit…

La Vérité ne peut pas disparaitre, elle n'a jamais existé. En revanche certaines vérités (qui existent en moyenne à raison de trois ou quatre par personne) disparaissent évidemment avec ces mêmes personnes, ce qui est bien pratique pour les vérités suivantes.
Pour le raton-laveur, je ne suis pas spécialiste.

GJG a dit…

Costar : en « vérité » je vous le dis, vous avez raison. Je vous propose alors le mot « réalité » (un peu moins jésuite, plus darwinien et que, étant donné votre blog, vous ne devriez pas détester).
Quant au raton-laveur, pas besoin d’être spécia(liste) pour se promener dans les près verts. Bien à vous.