Nouvelles du front
Rappelez-vous, le 15 avril 2019, la cathédrale de Paris, retapée par Viollet-le-Duc au 19ème siècle, pas vraiment gracieuse mais imposant symbole de la France éternelle, Notre-Dame brulait, d’une étincelle profane sans doute, et à un rien de s’effondrer.
Le président français, soutenu par des milliardaires de ses amis alléchés par la vaste opération publicitaire, les marchés à venir, et les exonérations fiscales, promettait alors la réouverture de la cathédrale en 2024, juste à temps pour que l’inauguration à Paris du joyeux et gigantesque gaspillage des Jeux olympiques soit bénie par les représentants du dieu du 4ème arrondissement, aspergée par le goupillon et parfumée par l’encensoir, et afin que le touriste, habituellement deux fois plus nombreux que celui de la Tour Eiffel, revienne y dépenser sa longue épargne.
Mais au vu des fautes et incompétences diverses des gouvernements successifs dans la gestion des épidémies, des hôpitaux, des centrales nucléaires, et de tant d’autres services publics, on imaginait que la conduite des opérations de restauration ressemblerait plutôt au fiasco du réacteur nucléaire à eau pressurisée de Flamanville, et que la liturgie se réduirait à la distribution d’hosties contaminées au plomb sous une tente de la Croix-rouge sur le parvis de Notre-Dame.
Autre chef-d’œuvre du génie humain, la cathédrale de Beauvais, ambitieuse, trop haute, un chœur en voute de 48,5 mètres, qui s’effondrera en 1284, inachevée, estropiée, interrompue par la peste de 1347 et la guerre de 100 ans, une tour-lanterne qui s’écroulera de 153 mètres d'altitude un matin d’avril 1573, puis quelques siècles sous perfusion, et enfin ne survivant depuis les années 1990 qu'enserrée dans une prothèse, une vaste armature de poutres. Des capteurs hypersensibles attendent en temps réel son dernier souffle.
Mais c’était compter sans l’à-propos du président de la République, qui nomma sans attendre, pour piloter l’entreprise, un général à la retraite expert en cathédrales car fervent catholique, ressuscitant ainsi l’alliance, si fructueuse dans le passé, du sabre et du goupillon.
On se souvient que le général avait déjà secoué les amis de l’art gothique en enjoignant à l’architecte en chef des Monuments Historiques de "fermer sa gueule" alors qu’il donnait un avis sur la reconstruction de la flèche de la cathédrale.
C’était une saillie bienveillante, une souriante affirmation de l’autorité pour mobiliser les troupes dans une même direction. D’ailleurs le général d’armée vient d’affirmer la constance de sa détermination et la pondération de son optimisme dans un récent entretien dans le journal Le Figaro.
Et ses paroles ont tant de retenue, de sens cachés entre les mots, comme dans une poésie, que les optimistes y voient déjà les présages d’une réussite éclatante et les pessimistes d’une déconfiture assurée.
"2024 est un objectif tendu, rigoureux et compliqué. Mais c’est surtout une ambition au service d’une mobilisation de tous. On se battra pour gagner cette bataille, et pouvoir ouvrir au culte, en 2024. À cette date, Notre-Dame sera complètement nettoyée, au point que les visiteurs auront un choc visuel en entrant."
"Mon travail est de trouver […] des solutions pour s’adapter à l’imprévu. Jusque-là, nous avons toujours trouvé les moyens de nous adapter, d’avancer et d’écouter les clignotants lorsqu’ils passaient à l’orange."
On notera évidemment que ces nouvelles du front n’apportent pas d’information sur l’avancement réel de la bataille, ce qui est normal, c’est la censure de guerre. Le Figaro pourrait être intercepté par l’ennemi, ruinant alors tous les plans du stratège.
Enfin les esthètes auront remarqué le touchant aveu synesthésique du général, quand il déclare entendre les clignotants qui changent de couleur. D’aucuns attribueront ce dérèglement des sens au stress ou au surmenage, mais c’est plus surement un hommage à Arthur Rimbaud, autre grand poète amateur d’armes, quand il écrivait A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu.
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