vendredi 27 janvier 2023

Le Louvre et ses fréquentations

Dans les nombreux recoins rarement visités de l’immense palais du Louvre, les sculptures, quand elles ne se sentent pas observées, se laissent aller à des poses moins héroïques, voire des activités douteuses.

Vous aviez renoncé à retourner au musée du Louvre, à supporter les heures de piétinement dans le froid et les courants d’air, la saturation des salles comme les jours de soldes, voire le refus de vous laisser entrer malgré une réservation et un billet valides, lors de l’exposition Vermeer en 2017. 
Pendant 2 ans, la disparition des touristes étrangers (75% des visites), interdits de voyage par la pandémie, vous avait redonné un peu d’espoir. Mais les affaires ont repris : 7,8 millions de visiteurs en 2022, alors que ceux venant d’Asie (habituellement 13 à 14% du total) sont encore absents, soit un total de 9 millions de visites potentielles, pas loin des records de 2012 à 2014, 2018 et 2019.

La nouvelle présidente du musée a entendu votre réprobation silencieuse. Informée de la dégradation des conditions de visite, de l’insécurité et de l’augmentation du stress des visiteurs, donc du personnel du musée, et sous la pression de quelques grèves internes, elle vient de déclarer, dans des entrevues au Journal des Arts et à France Inter (vidéo 15min.), vouloir mettre en place en 2023 des mesures qui rendront la visite moins déprimante (en réalité, elle dit "… plus agréable")

Elle a donc décidé, en accord avec la tutelle, et afin de respecter "le bon étiage qui est de 8 à 9 millions de visiteurs par an" dit-elle (sait-elle que l’étiage est le plus bas niveau d’un cours d’eau et non une moyenne ou un maximum ?), de prendre les mesures suivantes :

1. Repousser de 18h à 19h la fermeture du musée, et ainsi répartir les visites sur une journée plus longue. 
Aucune date n’est avancée car les négociations avec le personnel restent à faire. Cette mesurette ne devrait pas modifier sensiblement la courbe en cloche du nombre de visiteurs au long de la journée.

2. Ajouter une seconde entrée d’accès au musée, à l’extrémité est, rue du Louvre. 
Aucune date ni année n’est avancée car la proposition est en cours de négociation avec la tutelle et demandera, si elle est validée, de longs travaux.

3. Agrandir la surface du hall Napoléon consacré aux expositions temporaires (actuellement 1350 mètres carrés sous la pyramide)
L’opération demandera au moins 2 ans de travaux. Les expositions temporaires se feront pendant ce temps dans la Grande galerie des peintres italiens réaménagée, qui jouxte la salle de la Joconde. On ne voit pas clairement ce que cette expansion ajoutera au confort du visiteur des collections. Elle permettra surtout d’augmenter le nombre d’hyper-expositions Vermeer ou Léonard, et peut-être, par hasard parfois, il est vrai, d’absorber un peu mieux les flux de ces exhibitions dont le système du billet commun expositions-collections rend toute anticipation impossible.
Le Rijksmuseum d’Amsterdam pense résoudre le problème, pour sa grande rétrospective Vermeer imminente, en vendant un billet spécifique, commun exposition-collections, horodaté, et en obligeant le visiteur à commencer par l'exposition Vermeer à l’heure réservée sans retour possible une fois passée la frontière entre exposition et collections.

4. Limiter les entrées à 30 000 par jour, si possible horodatées
Cette dernière mesure est déjà en place, et sera probablement la seule cette année. La présidente assure, pour prouver le courage d’une telle décision, que le Louvre acceptait jusqu'alors parfois plus de 45 000 visiteurs. Remarquons que si le 30 001ème visiteur quotidien, refoulé, est suffisamment flexible pour déplacer sa visite sur un autre jour, comme il le fait pour les rendez-vous médicaux, on devrait aboutir, le musée étant ouvert environ 310 jours par an, à une répartition annuelle idéale de 9 300 000 visites, pas loin des insupportables records de fréquentation. Mais le touriste, notamment étranger, n’est sans doute pas aussi malléable et étirable qu’un malade.

Comme un médecin, la présidente n'exclut pas les urgences, ces visiteurs qui se présentent spontanément sans avoir prévenu, et elle leur réserve un mystérieux quota quotidien d’entrées disponibles sur place, tout en ayant néanmoins pris la précaution de préciser en gras dans le règlement sur internet que "seule la réservation en ligne garantit l'entrée au musée".  

Finalement, si à l’écrit les intentions de la présidente ont l’air murement réfléchies, on la sent hésitante à l’oral, un peu bafouillante. Par exemple sur la question du billet commun expositions-collections ses arguments sont inconsistants, elle y ajoute même un "pour l’instant…", et un "nous cherchons à améliorer…

Il faut reconnaitre que l’exercice est difficile. La meilleure solution est peut-être celle qui devrait être expérimentée par force pendant les deux ans de travaux du hall Napoléon, c’est à dire l’intégration, l'intercalation des expositions temporaires au milieu des collections permanentes, ajoutée à l’incitation, comme aujourd’hui, à une réservation unique avec horaire d’arrivée, pour répartir à la louche le flux de visites dans la journée. Les touristes qui ne souhaitent pas voir l’exposition n’auraient qu’à éviter les salles qui lui sont consacrées, comme ils en évitent tant d’autres pour se précipiter devant la Joconde et y piétiner joyeusement. Bénéfice collatéral pour le musée, les sacrosaints chiffres de fréquentation des expositions temporaires les plus rébarbatives égaleraient automatiquement les records des expositions populaires sans avoir à mentir, puisque ce seront les chiffres de fréquentation du musée.
Le dispositif n’est peut-être que de circonstance, puisqu’il s’agit d’une opération très spéciale, Naples à Paris, où le musée Capodimonte au cours de sa longue fermeture pour travaux prête 60 de ses plus belles œuvres italiennes. L’expérience, à surveiller, voire à vivre pour voir quelques merveilles, se déroulera du 7 juin 2023 au 8 janvier 2024.


Apostille : les journalistes auraient pu profiter de cette poussée de communication de la présidente du Louvre pour s’informer des suites de l’épopée des fraises de Chardin, qui nous ont laissés sur notre faim depuis leur déclaration comme trésor national en avril 2022. Le malheureux acheteur détroussé, le musée Kimbell, attend toujours son emplette de 27 millions de dollars, au Texas près de Dallas. Peut-être devra-t-il patienter jusqu’en octobre 2024. Pour l’instant la France a cassé sa tirelire et compté ses pièces jaunes, et on imagine, la sébile de l’aumône de 2019 devant les cendres encore fumantes de la cathédrale de Paris ayant largement débordé, qu’une souscription nationale ne sera peut-être pas nécessaire pour que le tableau demeure à Paris.

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