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dimanche 26 janvier 2025

Louvre : fausse alerte

La fournaise assourdissante de l’entrée du musée du Louvre sous la pyramide de verre, telle que l’envisage la présidente du musée dans les prochaines années de dérive climatique. (Henri Met de Bles, l’Enfer, 190 x 136cm, vers 1530-1550, Venise Palais des doges)  


Alerte générale ! Le musée du Louvre agonise.

L’information était dans tous les journaux de France et de Belgique des 23 ou 24 janvier (ici, , , , et même là). Le drame a été révélé par une note confidentielle - mais généreusement diffusée - de la présidente du Louvre à la ministre de la Culture, publiée par le journal Le Parisien à la une sur trois pleines pages cauchemardesques agrémentées d’un éditorial de la directrice adjointe de la rédaction, qui suggère pour améliorer les conditions de visite - il n’est pas essentiel de réfléchir pour rédiger un journal - la dépose obligatoire des téléphones portables dans une consigne.

Mais pas d’affolement ! Depuis qu’elle a été nommée à son poste par le roi de la République en 2021, et après une année bien naturelle d’observation, la prudente présidente du Louvre ouvre régulièrement un grand parapluie médiatique et claironne que l’état de son établissement est déplorable et indigne du premier musée du monde.
En Janvier 2023 dans la presse, comme en mai 2023 dans une note confidentielle à l’ami du bon gout de la République, note qui a glissé par inadvertance dans la boite aux lettres de la rédaction du Figaro, comme en avril 2024 devant une dizaine de députés de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, et comme aujourd’hui dans cette note confidentielle à grande diffusion, les constats de la patronne du Louvre sont invariables, et ne sont d’ailleurs qu’une compilation en mieux informée des constats amers accumulés depuis belle lurette par les visiteurs mêmes.

On y retrouve l’obsolescence des équipements techniques (ascenseurs, climatisation, canalisations) accompagnée des avaries traditionnelles, comme en novembre 2023 cette fuite d’eau qui entrainait l’annulation ou l’amputation de deux expositions en cours.
Elle évoque aussi les conditions pénibles de visite et de travail, notamment sous la pyramide de verre, le manque, parfois l’absence, d’espaces de repos, de restauration et de sanitaires dans le bâtiment, et l’épreuve physique digne des jeux olympiques que constitue toute visite ("il faut 25 minutes une fois dans le musée pour atteindre un tableau de Poussin ou de De La Tour"). En effet, il y avait jadis plusieurs sorties intermédiaires disséminées qui permettaient de faire beaucoup moins de kilomètres dans le musée. Elles ont toutes été supprimées pour canaliser le client vers la zone des commerces.

La présidente propose que la Joconde, seule destination de 90% des visites, soit localisée dans un circuit isolé pour ne plus perturber la visite du reste du musée (est-ce réaliste ?), et elle réitère son grand projet de réhabilitation du bâtiment. Le nouveau Louvre et sa pyramide ayant été conçus il y a 40 ans pour accueillir 4 millions de visites l’an, il est devenu vital dit-elle d’ouvrir une autre grande entrée à l’est du bâtiment, face à la Place du Louvre, pour absorber les 5 à 6 millions de nouveaux arrivants.

Les solutions proposées, qui ne sont que surenchères, sont sans doute discutables - le vrai problème est de prétendre être le premier musée de l’univers - mais les constats ont au moins le mérite d’avoir été reconnus de l’intérieur de l’Établissement par sa présidente même.
Ils sont néanmoins bien tardifs. Les ressources du musée en fonds publics de la Culture ont fondu à la vitesse des glaciers des Pyrénées, le musée en est réduit à louer son nom à un émirat et ses espaces à des séries télévisées et des défilés de marchands de froufrous et de sacs à main. Et la période n’est pas propice aux longs investissements culturels mais plutôt aux économies inconséquentes.

Il reste les ressources inépuisables de la vanité humaine. La plupart des présidents de la République précédents ont marqué leur territoire en épinglant leur nom à un grand projet culturel, qui à un centre d’art moderne, qui à un musée des arts premiers, qui à une grande bibliothèque nationale. Il n’est pas improbable que le dernier président choisisse d’accrocher le sien à la refonte du plus grand musée du monde, au moins de son réseau d’ascenseurs et de toilettes. Ce serait bien mérité. 
On raconte, depuis 2023, qu’il est sur le point de se saisir du dossier.


Mise à jour du 27.01.2025 : M. Rykner qui, dans sa Tribune de l'Art, caresse régulièrement les gestionnaires du Louvre avec du papier de verre, et qui a une très bonne mémoire des chiffres du musée, a publié aujourd'hui en accès libre un rapide contrôle budgétaire des ambitions de la présidente. Et ça semble particulièrement pertinent. 
Mise à jour du 28.01.2025 : M. Rykner fait le compte-rendu de l'intervention du roi des Français qui vient d'annoncer devant la Joconde son petit projet de réparation et aménagement des sanitaires du Louvre. 
Et pour en finir, probablement avant des années, avec cette farce, Étienne Dumont nous donne, des hauteurs de sa Romandie, le point de vue de Sirius, et c'est très amusant. 
Mise à jour du 03.02.2025 : B. Hasquenoph, comme toujours parfaitement renseigné, s'insurge le 2 février sur son site "Louvre pour tou·te·s" contre les prétendues incuries des précédentes présidences du musée du Louvre insinuées par la présidente actuelle, et oppose au projet sommaire "Le Louvre Nouvelle renaissance" du président de la République quelques arguments, notamment le fait que l'emplacement envisagé  pour la Joconde serait en réalité situé en zone inondable.  
Mise à jour du 14.02.2025 : Vincent Noce, mieux renseigné encore que M. Hasquenoph, détaille avec une précision de comptable les dépenses d'entretien et de réfection engagées par l'administration précédente du musée, dans une chronique de la Gazette Drouot du 14 février intitulée "Tour de magie au Louvre". Peut-être a-t-il été assez malin et surtout stoïque pour : savoir où trouver les bilans annuels d'activité du musée dans le dédale du site ; conserver les bilans d'activité antérieurs à 2018 qui en ont disparu ; trouver et comparer les données comptables dans leurs présentations hétéroclites, quand elles sont disponibles...  

dimanche 25 décembre 2022

La vie des cimetières (106)

Sempé, En double file (détail, dans Des hauts et des bas, 1970)

On disait à D…, médecin mesmériste : 
— Eh bien ! M. de B... est mort, malgré la promesse que vous aviez faite de le guérir.
— Vous avez, dit-il, été absent ; vous n'avez pas suivi les progrès de la cure : il est mort guéri.
Nicolas Chamfort, Caractères et anecdotes, 1795

Comme tous les ans maintenant, alors que l’année n’était révolue qu’à 95%, Le Journal des Arts a supposé que plus aucun nom célèbre ne mourrait d’ici le 31 décembre et a publié dès le 13 un florilège des personnalités du monde de l’art disparues en 2022

Il y en aurait eu 39, dont 15% de femmes, faible pourcentage, mais en constante progression, ce qui est encourageant.
La moyenne d’âge au moment du décès a considérablement augmenté, passant de 80 à presque 85 ans, mais n’allons pas en déduire qu’il suffit de dissuader les vieillards de sortir, de les masquer quand ils le font, et de les vacciner souvent, pour que leur espérance de vie bondisse, n’oubliez pas qu’il ne s’agit que de 39 personnalités choisies parmi les mieux nanties, autrement dit peu représentatives. 

Parmi elles retenons Antonio Recalcati, peintre, sculpteur, graveur, qui fut un des assassins de Marcel Duchamp en 1965 (l’affaire était relatée ici), et mort le 4 décembre, juste à temps pour participer à ce florilège du Journal des Arts. 
Retenons également Pierre Soulages, évidemment, grand peintre officiel aux funérailles nationales, dont nous avions parlé alors

Mais surtout il y eut la disparition, le 11 aout, de l’inoubliable Jean-Jacques Sempé, peut-être inconnu des jeunes générations parce que ses années les plus fécondes sont déjà loin, autour de 1970 et 1980. 

Génie inclassable, rangé à l'étroit parmi les auteurs de dessins d’humour, il réussissait, sur une grande page d’un dessin incertain accompagné d’un court monologue, à exprimer sur la destinée humaine ce que les meilleurs écrivains parviennent difficilement à dire au long de centaines de pages. 
C’était La Bruyère, ou Pascal, en moins sentencieux et beaucoup plus drôle.

(les 3 dessins de Sempé reproduits ou en lien sont extraits de l’album "Des hauts et des bas" publié en 1970 par les éditions Denoël)

vendredi 17 décembre 2021

La vie des cimetières (102)

Les quelques habitués de ces lieux virtuels auront peut-être remarqué depuis quinze ans, parmi 101 chroniques funéraires, que l’auteur parle régulièrement des cimetières mais jamais, ou rarement, de leurs habitants. C’est qu’ils n'ont plus vraiment d’actualité.

Cependant le site « Le Journal des Arts » ne voit pas les choses ainsi, et depuis au moins deux ans, il publie pour ses abonnées payants, dès les premiers jours de décembre, un bilan des grandes personnalités du monde de l’art international mortes dans l’année (bien qu'inachevée).

Pourtant succursale de L’Œil, fameuse revue d’art, Le Journal des Arts est une publication bimensuelle certainement nécessiteuse. Connaissez-vous d’autres sites consacrés à l’art qui ne montrent quasiment jamais d’illustrations d’œuvres dans leurs articles sur les artistes ? C’est sans doute cette nécessité, et en conséquence le besoin de se faire remarquer, qui lui fait publier ce bilan funèbre incomplet un mois avant le brouhaha imminent des fêtes annuelles de la consommation. 

Un bilan, disons plutôt un petit florilège, puisqu’ils n’ont trouvé que 41 personnalités remarquables (sur près de 60 millions de morts cette année, rappelons-le), plasticiens, critiques, modistes, marchands, collectionneurs, fonctionnaires, éditeurs… Tous au masculin, puisque malgré une progression encourageante (de 9% en 2020 à 12% cette année), les femmes décédées restent scandaleusement sous-représentées dans ce florilège.


Que constater d’autre de ce bilan ?

La moyenne d’âge au décès a nettement augmenté entre 2020, où elle était à 78,7 ans, et 2021 où elle atteint 80 ans. D’aucuns y verront la réussite incontestable de cette nouvelle méthode d’expérimentation des vaccins pratiquée directement sur la cohorte innombrable de la population planétaire.
Notons que cette année la moyenne d’âge des femmes décédées est de 93,8 ans, mais leur nombre, 5, est insuffisant pour influencer sensiblement les statistiques. 
Et observons tout de même la bonne santé de ces personnalités du monde de l’art commercial, qui meurent presque 9 ans plus tard que la moyenne de l’espèce humaine, aujourd’hui à 71 ans et quelques mois.

Pour conclure et calmer le besoin de potins d’une part éventuelle du lectorat qui se reconnaitra, commettons deux indiscrétions :

Le peintre Christian Zeimert est mort en octobre 2020, encore plus discrètement qu’il aura vécu. Reste ses tableaux calembours, le Monument aux ivres morts, Le lièvre et la torture, et Jésus et ses dix slips, dont on ne trouve pas de reproductions valables sur internet. On en parlait en 2017 avec Cueco. On sait maintenant qu’il ne deviendra pas célèbre.
Et cette année 2021, également en octobre, est mort Pierre Pinoncelli. Il avait commis une inexcusable méprise en urinant en 1993 dans une des célèbres Fontaines de Marcel Duchamp, ne remarquant pas que l’urinoir était exposé renversé et qu’il n’était pas raccordé à un réseau sanitaire. 

Que ces deux phares de l’humanité souffrante reposent en paix, comme on dit habituellement. Ils ne seront jamais oubliés, comme l'écrivait Éric Chevillard*, puisqu’il y faut cette condition d’avoir un jour été connus.


Rappel : notez-le bien, si vous êtes artiste ou gravitez autour, essayez de ne pas mourir au mois de décembre. Ça passerait totalement inaperçu dans les revues d'art et les chroniques.

***
Commentaire flottant sur l’illustration : Ce qu’il reste au cimetière du Montparnasse à Paris d'un certain Joseph Ottavi, qui fut en son temps une personnalité de l’année, mort en descendant de la tribune enseignante publique et gratuite.

(*) : Chevillard, L'autofictif, Jeudi 15 octobre 2009, 693-2


mardi 3 décembre 2019

La malédiction du Louvre

« Il est temps de décrocher Mona Lisa. […] Le Louvre n’a pas un problème de surpeuplement, il a un problème de Mona Lisa[…] Il faut qu’elle s’en aille. Elle est un risque pour la sécurité et un obstacle pour l’éducation. […] Les Anglais viennent d’élire cette année Mona Lisa l’attraction la plus décevante au monde, battant ainsi Checkpoint Charlie. […] Aucune œuvre d’art ne devrait rendre les gens malheureux. »
Jason Farago, éditorialiste spécialiste de l’art, publiait dans le New York Times du 6 novembre 2019 un article grinçant, après une visite du Louvre en été, article en accès libre sur artdaily.com.

Le Louvre en 2024. Les salles sans Joconde, jamais visitées, sont devenues trop couteuses à entretenir et à surveiller. On en a supprimé tous les tableaux. Il est toujours possible de les voir, un par un et sur demande, en prenant rendez-vous, dans les réserves de Lens, mais la visite privée est hors de prix.


Le rôle principal d’un musée de beaux-arts est, encore pour quelques temps, de préserver et présenter le patrimoine artistique des peuples, avec tout le flou que comporte chacun des termes de la proposition.
Préserver, c’est empêcher la dégradation naturelle. Dans un système physique on appelle cela réduire l’entropie, dans un système économique c’est dépenser sans fin.
S’agissant du domaine public, il est logique que cette dépense soit financée par l’État et l’impôt. Mais, ici comme dans bien d’autres domaines plus vitaux, l’État se défile progressivement.
Dans le cas des subventions au Louvre, en 10 ans par exemple, la participation de l’État a été réduite de 16%, soit une baisse de 26% en comptant l’inflation (14%), quand le nombre de visiteurs augmentait de 20%.
Il est juste de dire qu’en contrepartie l’établissement public est libre d’imaginer tous les moyens, pas nécessairement légaux, de compenser cette érosion.
Et là, c’est le Far West ! Le Louvre se comporte depuis une vingtaine d’années comme une entreprise désespérée au bord de la faillite, capable de n’importe quel acte irréfléchi.

Passons rapidement sur la prolifération des visites ou soirées privées pour gens fortunés, sur les prêts d’œuvres (qui sont des locations très lucratives, parfois de très longue durée), et sur les réductions d’effectifs et par conséquent la fermeture régulière de 20% à 30% des salles du musée, justifiées par des travaux imaginaires dans un plan annuel des fermetures.

Il y eut, en 2005 et pendant les années suivantes, l’interdiction de prendre des photographies à l’intérieur du musée, afin d’augmenter la vente de cartes postales, véritable comédie de la mesquinerie en quelques épisodes peu reluisants, petitesse qui sévit toujours, illégale, à l’occasion d’expositions temporaires d’œuvres pourtant du domaine public.

Il y eut entre 2010 et 2015 la ruée vers les mécénats les plus douteux. Peu regardant sur la provenance de l’argent, on vit le président de l’institution se livrer à quelques bassesses, comme faire exposer aux Tuileries les photos de vacances d’un coréen criminel et milliardaire en échange d’un substantiel don sans affectation.
Et les dons douteux n’ont pas pour autant disparu, comme le montre aujourd'hui la résistance du Louvre aux pressions écologistes qui voudraient que soit abandonné le considérable soutien financier de la société Total, alors que les plus grands musées internationaux ont maintenant annulé tous les mécénats des compagnies pétrolières.

Sans oublier l’histoire du Louvre Abu Dhabi, grosse opération profitable, activement soutenue par l’État français et qui mélange, à la gloire des plus belles réalisations de l’espèce humaine, une partie de la collection d’œuvres du Louvre, une base militaire française, un faux Léonard de Vinci porté disparu, les fruits les plus sophistiqués de l’industrie de l’armement, et des marées d’hydrocarbures, le tout ponctué de tortures d’opposants et de crimes de guerre, dans une monarchie minuscule dirigée par le Père Ubu. [Après publication et relecture, l'auteur reconnait avoir, dans ce paragraphe et sous l'élan de l'indignation, mélangé sans distinction les Émirats Arabes Unis et l'Arabie saoudite. C'est une erreur qu'il regrette en souhaitant qu'elle ne posera pas un voile de doute sur le reste de cette chronique par ailleurs parfaitement sourcée]  

Mais tout cela n’était rien, car il restait, susceptible d'ajustements dans le budget de l’établissement public, le poste le plus important dans ses ressources propres (60%), et 35% de ses recettes totales : le client.
Le Louvre a une réputation internationale de grand musée, et il dépasse effectivement en nombre de visites la Tour Eiffel et le château de Versailles. Il a reçu plus de 10 millions de visiteurs en 2018, supplantant ainsi le parc d’attraction Disneyland Paris, qui accuse une régulière érosion de sa fréquentation depuis 10 ans.
Et le plus simple pour manipuler le client, après le fiasco des cartes postales, était de bidouiller le prix du ticket d’entrée.

Cela s’est fait avec régularité et à des taux de hausse à rendre jaloux n’importe quel usurier : 10% en 2012, 10% en 2013, et le pompon en 2015, avec une augmentation de 25%.
Pour camoufler l’envergure du geste, le Louvre groupa alors simultanément la visite des collections permanentes et des expositions temporaires dans un seul ticket, sans en mesurer l’impact déplorable sur l’organisation des flux. Et le tout sans réaction notable des consommateurs, constitués il est vrai à 73% de clients étrangers captifs et soumis aux agences de voyage.

Le Louvre en 2024. Des militaires armés de mitrailleuses parcourent le musée en tous sens pour dénicher les visiteurs qui cherchent à éviter la Joconde. Ils les conduisent alors aimablement mais fermement dans l’aile d’attente pour l’œuvre la plus géniale du monde, après quoi les contrevenants doivent montrer leur allégeance en publiant un selfie sur le site de la préfecture de police. Ici, un touriste exilé dans les salles de sculpture antique essaie d’échapper à leur œil perçant, mais il est sans doute repéré par la présence du journaliste photographe accrédité.

La conséquence catastrophique du ticket unique se produisit en février 2017, quand une partie des visiteurs qui avaient réservé pour l’exposition Vermeer se vit refuser l’entrée du musée au prétexte qu’il y avait trop de monde.
Le chaos et la petite apocalypse locale qui s’ensuivirent secouèrent quelques temps même la presse généraliste et confirmèrent la réputation de redoutable gestionnaire du président de l’époque (qui a pourtant été reconduit en 2018).

Depuis, dans l’administration du musée, on a vu encore bien des actes malheureux et inconséquents.
Le dernier en date, pendant l’été 2019, période d’affluence extrême, fut la réalisation des travaux de rafraichissement des peintures de la salle d’exposition de la Joconde, forçant son déplacement temporaire dans une aile du musée transformée en hangar à bestiaux, avec des barrières de cheminement d’une file d’attente, des gardiens libérant l’accès au tableau à un petit groupe chaque minute, à distance respectable, et lui aboyant des semonces.
Des journalistes spécialisés racontent qu’ils erraient abasourdis dans les autres salles quasiment désertes, alors qu’on refusait des visiteurs à l’entrée d'un musée totalement désorganisé.

Cet épisode a suscité des critiques et des éditoriaux sarcastiques, jusque dans les plus grands journaux étrangers (voir l’exergue de cette chronique), et a entrainé la décision par le Louvre d’obliger à réserver dorénavant à l’avance un créneau d’une demi-heure pour toute visite du musée, y compris des collections permanentes.
Ça n’est certainement pas la bonne solution logistique, mais l’obligation a provoqué un effet collatéral bénéfique en posant une jolie cerise au sommet du gâteau, car à l’occasion de l’exposition Vermeer en 2017, le prix du ticket avait été augmenté de 13% en cas de réservation par internet (sans justification crédible). Comme toutes les visites des collections permanentes doivent désormais être réservées ainsi en ligne, et qu’elles constituent plus de 90% de l'affluence, faites le calcul…

Enfin une autre voie prometteuse, qui s’ouvre aujourd’hui dans le cadre de la farce des restitutions d’œuvres d’art, est la tentative du gouvernement de relâcher discrètement les derniers freins à l’aliénabilité des œuvres des collections publiques. S’il y parvient, le Louvre pourra tâcher d'équilibrer son budget en vendant des œuvres du domaine public à des institutions et des intérêts privés.

On voit par là, à travers cette revue succincte des combines et tribulations du plus grand musée de l’univers, qu’il reste une confortable marge de progression, pour des gestionnaires incompétents et motivés.

  

vendredi 1 novembre 2019

La Presse s'est un peu oubliée

Le lecteur régulier du blog depuis au moins 2012 pourrait ne pas lire ce qui suit, car on y relate encore une fois, toujours avec la même intrigue, un épisode de la comédie des frères siamois, Pouvoir et Argent, qui se jalousent publiquement mais ne seront jamais séparés.

Résumons la situation par un petit apologue.

Imaginons le modeste artisan d’une petite fabrication d’articles de presse sur internet, qui consiste dans la recopie tels quels, mais enrichis, des communiqués de l’Agence de presse d’État (pour le néophyte, enrichis signifie entourés de jolis encarts publicitaires voyants, tentateurs et rétribués).
Il confie la promotion de ses articulets et la recherche du lecteur optimal à une Multinationale de l’analyse des données, qui a mis en œuvre d’énormes moyens afin de tout savoir sur les désirs et le comportement du public.
Il en ressent rapidement une agréable augmentation de son lectorat.
Mais il a l’arrogance de croire (ou faire croire), que ce petit succès est dû à la qualité de ses médiocres photocopiages enluminés, et emporté par le vertige de la cupidité, il fait voter par toute l’Europe, une loi qui instaure une obligation, pour la Multinationale et ses consœurs, de payer un droit d’affichage des éléments qu’il leur fournit pour attirer le lecteur. Comme si l’épicier demandait des honoraires au taxi qui connait son adresse et lui amène des clients.
Cette rémunération privée, doublement immorale, n’est motivée par rien d’objectif, sinon par la convoitise qu’éprouve le modeste artisan pour l’indécente richesse que la Multinationale a amassée en usant des lois mises en place par la corporation de l’artisan même afin d’éviter l’imposition de ses propres bénéfices.

Cette fable n’en est pas une, évidemment. La recommandation européenne faisant payer aux moteurs de recherche les liens qu’ils affichent vers les articles de presse entrait en application en France le 24 octobre 2019. Google avait annoncé qu’il indexerait alors les articles des organes de presse comme pour des simples particuliers (un titre et un lien), et que les journaux et sites qui voudraient être mis en avant par des images, extraits d’article et positionnements et signes distinctifs destinés à attirer l’œil de l’internaute, seraient les bienvenus s’ils acceptaient, par un accord, de fournir tout cela gratuitement. Le réseau social Facebook a depuis, d’une manière nettement plus équivoque, adopté la même position.

Chapiteau sur la façade de l’église Saint-Jacques d’Aubeterre-sur-Dronne, vers 1170. Les sculpteurs de l’époque avaient bien compris les liens troubles, fratricides mais infrangibles qui unissent Google, Facebook, et leurs obligés, puisqu'ils partagent le même organisme. 


Tous savaient que les multinationales ne fléchiraient pas. Qu’est-ce qui peut aveugler ainsi une corporation qu’on dit bien informée ? L’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, même la France, qui ont tenté depuis une dizaine d’années de s’approprier ainsi une part des bénéfices de Google, se sont toujours ridiculisés en tentant des procédés de « récupération détournée », qui n’ont jamais résisté plus de quelques jours à la menace de ne plus être favorisés, voire ne plus être indexés, et devenir invisibles au regard des lecteurs. 

Le 24 octobre résonna pourtant dans la presse unanime - à l’exception de Numérama qui explique clairement sa divergence - le chœur des journaux indignés, qui s’étaient pour l’occasion regroupés en une sorte de syndicat, APIG (Alliance de la Presse d’Information Générale) et couinaient « C’est intolérable, Google ne respecte pas la loi ! » Mais quelle loi ? Celle d’un minimum d’équité dans le partage privé du gâteau ?
Ils ont alors collectivement décidé de porter plainte auprès de l’Autorité de la concurrence.

Ne vous lamentez pas sur le sort des éplorés. Les principaux ont reconnu avoir déjà consenti à la convention de Google, et lui envoient toujours gratuitement, comme auparavant, les éléments d’information qui les mettent en évidence.

Ils ont eu une grosse frayeur, ont vagi un peu fort, mais c’est passé. Une couche propre, un peu de talc, et ils dorment en paix en attendant la décision de l’Autorité de la concurrence et ses inévitables suites judiciaires, pendant que leurs automates continuent d’enjoliver les communiqués de l’Agence France Presse.

samedi 20 février 2016

Le Mètre a pensé (l'orthographe)

Mais les générations prochaines
Qui n'mettront plus d'accent à chaines
Jugeront que leurs ainés
Les ont longtemps trainées
Pierre Perret 1992, La réforme de l'orthographe, dans l'album Bercy Madeleine
Je ne me mesle ny d’ortografe, et ordonne seulement qu’ils [les imprimeurs] suivent l’ancienne, ny de la punctuation. 
Montaigne, Essais Livre 3, chapitre 9, de la vanité (vers 1588)

Les réseaux sociaux, dont l’orthographe n’est pourtant pas le souci majeur, frétillent depuis deux semaines, scandalisés par la nouvelle d’une réforme arbitraire et soudaine de l’orthographe imposée par le gouvernement français.
La vérification de l’information ne semble pas non plus être de leurs soucis.

On attendait en revanche plus de circonspection de la part de celui qui est depuis quelques années l’autre philosophe le plus médiatisé, le libertaire, le subversif de la Contre-histoire de la philosophie qu’on écoutait en extase quand il nous contait en 2003 ou 2005 les mésaventures de Démocrite, de Lucrèce ou de Spinoza.
Mais Onfray a vendu tant de livres où il pense, que les médias l’ont couronné spécialiste en idées sur les choses du monde (il ne les a pas contredits) et l’invitent sans discernement dès qu’il est question de penser. Jusqu’à la radio France Culture qui comme pour dire l’oracle à Delphes a créé une émission qu’elle a intitulée « Le Monde selon Michel Onfray », avec une majuscule à Monde. Tous les samedis de 12h45 à 12h50, l’auditeur ingurgite les sentences du prophète avec des cuillérées de ragout.

Fatalement, le Maitre a été consulté le 6 février sur le sujet brulant de la « réforme de l’orthographe ». Mais, alors que les grandes philosophies murissent lentement, durant des siècles, de leur confrontation à la réalité, Onfray n’a eu que trois jours pour y penser. Dès lors il en parle sans réfléchir.

Avant de recevoir l’augure, et pour résumer succinctement l'affaire, personne n’est mieux placé que Michel Rocard alors Premier ministre et coordinateur de l’entreprise de simplification de l’orthographe (car ces rectifications que tous découvrent aujourd’hui datent en fait de 1990), simplification présidée et validée par l’Académie française et annexée à la 9ème édition du Dictionnaire en 1992, contrairement aux récentes dénégations d’académiciens alors somnolents ou devenus depuis oublieux par la force des choses.
Rocard en fait le récit pittoresque au cours d’un entretien « À voix nue » sur France culture en 2013 (13 minutes savoureuses à écouter ici). Il en avait déjà discuté avec brio en 2000, notamment du traitement informatisé de la langue française et de la conservation et la diffusion du patrimoine.

À présent observons quelques extraits de la pensée de Maitre MO (certaines phrases ont été regroupées par thème, dans un ordre logique).

Le journaliste lui demande d’abord s’il est pour ou contre la « réforme » de l’orthographe. « J’ai presque pas envie de répondre à la question pour ou contre » répond MO. On constatera néanmoins dans 5 minutes qu’il y aura répondu, par la négative, mais peut-être est-ce difficile à avouer immédiatement quand on est un rebelle certifié. Ou peut-être veut-il nous dire ici que la vérité est ailleurs, et qu'il sait où elle se trouve.

Il part alors dans une envolée vibrante sur la nécessité d’apprendre par cœur. « L’apprentissage concerne le cerveau, moins on apprend, moins on sait de choses c'est une évidence, mais moins on fait fonctionner son cerveau, moins le cerveau fonctionne, ça parait évident. […] Dans notre civilisation il n'y a plus d'apprentissage par cœur, on passe aujourd'hui l'épreuve de mathématiques du bac avec une calculette. […] Et on va avoir aujourd'hui une orthographe qui est une espèce de vanne ouverte […] Il faut apprendre du par cœur, et parfois même du par cœur pour du par cœur, on sait bien que plus on apprend de choses par cœur, plus le cerveau devient efficace, mais dans une civilisation où on nous invite à ne pas penser, à ne pas réfléchir, à ne pas poser la question du pourquoi parce que après on aura un comment et que expliquer c'est déjà tout justifier […] Je crains qu'avec la disparition de l'orthographe, de la grammaire, du calcul, de l'apprentissage du par cœur, on fabrique un cerveau facile à gouverner. »

On devine ici la réaction de qui a surmonté la souffrance d’apprendre une orthographe absurdement compliquée, sans la comprendre ni la remettre en question et qui aimerait inconsciemment que les autres en souffrent, désir masqué par un argumentaire dont la cohérence défaille sérieusement.
Résumons sa pensée : l’apprentissage par cœur fait travailler le cerveau et le rend efficace, mais notre civilisation, pour nous soumettre encore plus, nous invite à ne pas réfléchir en n'imposant plus d'orthographe au point que nos encéphales ne fonctionnent plus. MO est bien le dernier à croire que l’apprentissage par cœur fait progresser l’intelligence, alors qu’il fait surtout travailler la mémoire aux dépens de la réflexion, car il évite d’avoir à réfléchir à la méthode ou aux outils qui permettraient de reconstituer les mêmes données.
Maitre MO accuse la civilisation, par sa complaisance, de nous empêcher de poser des questions, quand c'est au contraire le résultat du « par cœur », car apprendre par automatisme revient à renoncer à comprendre les règles, et à rendre ainsi les cerveaux faciles à gouverner, l'inverse de ce qu'affirme MO.

Puis il poursuit. « La simplification n’est pas une bonne raison, simplifier nénuphar qui est un mot qu'on n'utilise pas, pourquoi pas changer les mots qu'on utilise plus souvent, et avoir le courage de tout écrire en phonétique, ce qui est une manière de simplifier, donc de massacrer. […] C’est dommage qu'on ne se permette pas cet apprentissage de la règle (il accentue le mot), parce que la vie en communauté ça suppose des règles (il accentue le mot), parce que la république dont tout le monde se gausse aujourd'hui ça suppose des règles (il accentue le mot) et là on dit bah finalement y'a plus de règles, y'a la règle qu'on voudra, on aura des orthographes diverses et multiples, on n’est plus capable aujourd'hui de proposer une règle en disant c'est la même pour tout le monde. »

Ici Maitre MO a peut-être écouté les réactions indignées des réseaux sociaux et des journaux réactionnaires sans s’informer sur les raisons et le périmètre de ces simplifications de l'orthographie, puisqu’elles visent principalement la rectification d’exceptions, d’anomalies qui n’étaient pas fondées, et qui justement ne respectaient pas les règles.

Quand il dit qu’il n’y a plus de règle, il vise également le caractère facultatif des rectifications. En effet, et ce depuis 1990, les diverses directives de l’Éducation nationale ont toujours affirmé, sur les conseils impérieux de l’Académie, que les deux orthographes étaient autorisées et donc non fautives, même si la nouvelle devait être préférée.

Et si l’affaire ne survient qu’aujourd’hui c’est parce que les éditeurs scolaires profitent de la très discutée réforme du collège et des contenus de la rentrée 2016, qui les oblige à remanier les manuels, pour intégrer à moindre frais les rectifications préconisées en 1990 et qu’ils avaient jusqu’à présent mises au placard.
Seuls les principaux dictionnaires électroniques (Antidote, Robert) et les correcteurs orthographiques des traitements de texte (notamment l’omniprésent Microsoft) les avaient intégrées. Ils acceptent les deux orthographes depuis 2008 au moins. Vous écrivez probablement ainsi les mots « règlementaire, relai, chaine, weekend, évènement, piqure » depuis des années sans savoir que vous appliquez les rectifications de 1990 car les correcteurs d’orthographe ne les soulignent plus d’un pointillé rouge accusateur.

Sur ce point Maitre MO a raison, l’Académie et l’Éducation nationale n’ont pas osé imposer une graphie, attendant sagement que la force de l’usage s’en charge. Mais ce laisser-faire ne concerne finalement que 1300 mots. Le cas du mot nénufar est anecdotique mais exemplaire. D’origine arabe et non grecque, il s’écrivait nénufar au 18ème siècle quand on lui imposa le « ph » car on le pensait par erreur d’origine hellénique.

Le journaliste s’étonne ensuite de cette défense éperdue de la norme et lui oppose le besoin de créativité face à des règles bien souvent arbitraires.

Maitre MO rétorque. « Quand je prends la voiture je suis très heureux qu'il y ait un code de la route, chacun convient qu'il faut des règles [...], je dis que ce refus de la règle est semble-t-il généralisé, mais on ne prend jamais un avion qui est piloté par quelqu'un qui n'a pas son brevet de pilote. [...] La république c'est l'idée qu'une multiplicité d'individus consentent à une règle commune. La liberté n'est pas la licence, ça se construit avec de l'intelligence, de la mémoire, avec de l'histoire, avec du patrimoine, avec bien sûr de l'invention et de la créativité, je ne suis pas sûr qu'avec la licence on invente beaucoup plus qu'avec la liberté. »

Là encore Maitre MO se laisse emporter par l'élan de son exaltation originelle, et compare les règles orthographiques à celles qui contrôlent la circulation aérienne. Subtile analogie qui insinue ainsi que les risques en sont comparables. 
Car pour lui les choses sont limpides, la rectification de l'orthographe est du laxisme, de la licence, c'est à dire le dérèglement des mœurs, le désordre moral, l'anarchie.
Ainsi avec le temps, comme sous l’effet de la cuisine normande, l’homme des envolées libertaires s’est naturellement épaissi, et sa pensée aussi. Il est devenu ce qu’il condamnait. Il est prêt pour un ministère.

Décidément, ce sujet pourtant prosaïque et futile a fait dépasser toute mesure aux réseaux sociaux, aux journaux, à l’Académie des Immortels et aux plus grands philosophes vivants. Mais ces débordements nous auront finalement confirmé que les ruminations de nos penseurs appointés ne nous paraissent perspicaces qu’à la mesure de notre méconnaissance du sujet.

dimanche 30 mars 2014

Livres de raison illustrés

Un Livre de raison (parfois appelé livre de comptes) est un manuscrit domestique, un inventaire, où sont consignés chronologiquement par le chef de famille les évènements qui importent dans la gestion du patrimoine. On en a retrouvés qui datent du 14ème siècle. Ils étaient fréquents au 17ème jusqu'au 19ème siècle, chez ceux qui possédaient.

Et nombre de peintres au tempérament comptable ou méthodique ont tenu livre de raison. Le plus célèbre fut Claude Gellée dit le Lorrain (1635-1682). Il avait réalisé à la plume et au lavis près de 200 reproductions de ses tableaux, sur des feuilles de 25 centimètres où il indiquait quelques informations sur le destinataire et le prix de l'œuvre et qu'il avait regroupées. On dit que c'était pour confondre les nombreux plagiaires ou faussaires, c'est pourquoi il l'appelait « Livre de vérité ». Ce Liber Veritatis est conservé de nos jours au British Museum à Londres.

Joséphine Hopper, la femme d'Edward, a tenu dès 1924 et pendant 40 ans un cahier des peintures de son mari. On y trouve pour chaque tableau une vignette rapidement dessinée (peut-être par Edward), un descriptif, les dimensions, la date, le lieu, la technique utilisée, l'acheteur, le prix de vente... L'illustration ci-contre présente un détail de la page qui consigne en 1963 la réalisation d'un des derniers tableaux de Hopper, « Soleil dans une chambre vide ». On notera que les « libertés » prises par le peintre dans la projection des ombres se retrouvent dans la vignette.

Félix Vallotton également méticuleux a laissé de nombreux livres, de raison ou de comptes, qui ont fourni quantité d'informations pour la constitution du catalogue complet de ses œuvres.

Voici une cinquantaine d'années, les héritiers du peintre réaliste clodoaldien Édouard Dantan trouvaient dans son atelier déserté un épais cahier poussiéreux que le peintre avait titré « Énumération des tableaux, portraits, études, copies, dessins, aquarelles... par Joseph Édouard Dantan... », commencé à 21 ans en 1869, et clos de la main de son fils Pierre bien après la mort d'Édouard dans un accident d'automobile le 7 juillet 1897.

Sur plus de 1100 œuvres énumérées, seules 300 ont été retrouvées, et un certain nombre qui ne figurent pas dans le livre de raison. Le site du Musée d'art et d'histoire de Saint-Cloud en expose la reconstitution et autorise le téléchargement d'un facsimilé de qualité du livre de raison (60 Mégaoctets).
Et il est touchant de parcourir ce journal illustré joliment calligraphié à l'encre violette ou noire et d'avoir l'impression de voir s'écouler ainsi toute une vie en pointillés.

Dantan Édouard, dernières pages de la partie Peintures du Livre de raison.

samedi 29 juin 2013

Friedrich aux oubliettes


Lorsqu'une mode remplace la précédente, elle l'ensevelit sans distinguer le bon du mauvais. Puis périodiquement renaissent des gouts, des styles similaires, et si les ferveurs religieuses et les vagues de fureur intégriste n'ont pas tout détruit au passage, quelque spécialiste exhume un jour des œuvres perdues au fond d'un musée de province et reconstitue avec peine des bribes de la vie d'un artiste oublié.
Ainsi furent ressuscités Vermeer et Georges de La Tour au tournant du 20ème siècle, et quelques décennies plus tard, Caspar David Friedrich. Reconnu depuis comme un des plus sublimes paysagistes de la peinture occidentale, Friedrich reste méconnu et rare parce que tous ses tableaux sont exilés dans des musées lointains de Russie et de l'est de l'Allemagne.

Et si la presse avait fait son métier qui est d'informer, vous auriez certainement su que 18 chefs d’œuvre du peintre étaient regroupés durant trois mois au musée du Louvre dans l'exposition « De l'Allemagne 1800-1939, de Friedrich à Beckmann » qui vient de fermer. Jamais les Français n'avaient vu autant de tableaux de Friedrich réunis depuis la mémorable exposition de l'Orangerie sur la peinture allemande à l'époque du romantisme, fin 1976.
Mais la presse n'a pas daigné informer sur cette réunion exceptionnelle. Tous les articles sur l'exposition, nombreux, n'ont eu de mots que pour une polémique imbécile soulevée par la presse allemande à propos de l'histoire de l'art qui conduirait inévitablement au nazisme.

Il faut reconnaitre que le Louvre aura tout fait pour rater le rendez-vous. Le gros et couteux catalogue de l'exposition, par exemple, n'en est pas un. En principe, un catalogue contient au minimum une liste énumérative méthodique et commentée des œuvres exposées. Ici, rien de tout cela. Vous ne saurez (et encore, partiellement) ce qui était exposé que par des illustrations éparpillées.
Par ailleurs, hormis Friedrich, un paysage de Böcklin, quelques œuvres de Carus, d'Otto Dix et des portraits au crayon de Menzel, étaient accrochées là les peintures les plus laides que le 19ème siècle a produites. Von Marées, Von Stuck, Böcklin, Corinth, et les peintres nazaréens affectés et empesés, cautionnées par les divagations pseudo-scientifiques de Goethe sur les couleurs. Une ratatouille de romantisme et de symbolisme un peu trop cuits surnageant dans une sauce de légendes germaniques et de religiosité.

On comprend qu'au milieu de ce vacarme idéologique il était inattendu de découvrir ces paysages silencieux de Friedrich et leurs minuscules personnages qu'on ne voit que de dos, perdus dans des brumes glaciales, des ciels d'orage ou des aubes éblouissantes.

***
Reconstitution de la liste des tableaux de Friedrich exposés au Louvre du 28 mars au 24 juin 2013 :

Brume matinale en montagne 1808 (Rudolfstadt) - illustr. centre droite 
Paysage du Riesengebirge 1810 (Moscou M. Pouchkine) - ill. bas gauche
Riesengebirge au clair de lune 1810 (Weimar musée d'état)
Ville au clair de lune 1817 (Winterthur)
Neubrandenburg 1818 (Greifswald Landesmuseum)
La cathédrale 1818 (Schweinfurt)
Nuit au port (les sœurs) 1818 (Munich NeuePinakothek)
Femme devant le soleil couchant 1818 (Essen Folkwang)
À bord du voilier 1819 (St-Pétersbourg Ermitage)
Tombeau hunnique en automne 1820 (Dresde GNM)- illustr. bas droite
L'arbre aux corbeaux 1822 (Paris Louvre)
Paysage rocheux Elbsandsteingebirge 1823 (Vienne Belvédère)
Matin en montagne (170cm) 1823 (St-Pétersbourg Ermitage) - ill. haut droite
Le tombeau d'Ulrich von Hutten 1824 (Weimar musée d'état)
Le Watzmann 1824 (Berlin Alte Nationalgalerie) - illustr. haut gauche
Entrée de cimetière (inachevé) 1825 (Dresde Galerie Neue Meister)
Le temple de Junon à Agrigente 1828 (Berlin Alte Nationalgalerie)
L'étoile du soir 1830 (Francfort) - illustr. centre gauche

L'exposition de 1976 (voilà 37 ans), monumentale, était presque une rétrospective Friedrich. Il y était de loin le mieux représenté, avec 38 œuvres (sur 255), dont 27 toiles. Parmi elles, La Grande Réserve et Tumulus dans la neige du musée de Dresde, Lever de lune sur la mer de Berlin, Prairies près de Greifswald de Hambourg. Brume matinale, Paysage du Riesengebirge et 4 autres toiles de l'exposition de 2013 y étaient également.

jeudi 28 février 2013

J'écris ton nom...

« Les Pères Pélerins (colons anglais partis en Amérique sur le Mayflower) croyaient à la liberté de pensée, pour eux-mêmes, et pour tous les gens qui pensaient exactement comme eux. »
Will Cuppy, Grandeur et décadence d'un peu tout le monde (Éditions Wombat 2011 p.241)

La Liberté guidant le Peuple sur les barricades est une toile de plus de 8 mètres carrés, allégorique et informe, d'un certain Ferdinand Delacroix, ou Eugène. Dans ce tableau énormément inspiré, Delacroix qui aimait tant la Liberté l'a personnifiée dans une femme dépoitraillée dont le visage de profil évoque une odalisque de harem.
Le musée du Louvre lui accordait si peu d'intérêt touristique qu'il l'avait relégué sur un mur d'une filiale de province fraichement inaugurée à Lens, et à grand bruit.

Par malheur, le 7 février, une jeune femme illuminée prenait à la lettre l'illustre poème incantatoire de Paul Éluard, dans lequel l'auteur cochonne tout ce qui se trouve à sa portée en y gribouillant le mot « Liberté ». Plus modestement elle a écrit dans un petit coin (1) de l'immense tartine, au feutre noir, le mystérieux code AE911.
Savait-elle qu'en France on ne s'en prend pas impunément à la Liberté ? Par bonheur, un visiteur également épris de liberté l'a dénoncée à un gardien de la liberté. Imaginez l'escalade, la surenchère de libertés que tout cela occasionna.
Ça n'est pas parce qu'un tableau est laid, grand, et plein d'endroits qui ne servent à rien, qu'on peut autoriser tout le monde à s'en servir comme pense-bête. Seuls le peintre et les restaurateurs du Louvre ont ce droit. La loi est ainsi faite.

Par chance une experte lilloise libre ce soir-là accourut, somnolente encore, avec chiffons et décapant. Elle fut alors envahie par l'horreur devant le spectacle de la dégradation du chef d'œuvre.
Il faut ici en aparté faire un constat. Aucune image du délit n'est jamais parue dans la presse, qui respecte certainement par-là un code de déontologie. Le public ne supporterait pas ces images insoutenables.
Très vite néanmoins, les réflexes professionnels de l'experte dominaient son émotion. Elle inspectait le lieu du crime et déclarait finalement qu'elle aurait bien nettoyé ça vite fait, mais que la décision ne pouvait être prise que par le conservateur en chef des peintures du Louvre de Paris.
L'affaire est sérieuse.

Le lendemain, le musée est exceptionnellement fermé. Débarqué de Paris, le grand Vincent Pomarède, directeur des peintures, prend à peine le temps de déjeuner, brioches, croissants, tartines beurrées, confiture, et après d'animés conciliabules avec 37 experts locaux et internationaux, prend la responsabilité de risquer l'opération de sauvetage.
Dehors la presse est aux abois. La tension est palpable.

Moins d'une heure plus tard l'experte lilloise sort du musée avec ses chiffons sales. L'épais vernis jaunâtre qui recouvre le symbole de la République l'aura bien protégé. Comme l’annonçait finement la veille le site de la première chaine de télévision française « L'inscription au feutre indélébile... devrait pouvoir être facilement effacée ».
On a quand même eu très peur pour la Liberté.

Pendant ce temps, la Justice avançait à grandes enjambées. Le magistrat de Béthune a trouvé la jeune déséquilibrée tout de même bien fatiguée et incohérente, après seulement 24 heures de privation de liberté. L'expert psychiatre l'a jugée pénalement irresponsable (rappelons qu'il n'y a quasiment pas de préjudice matériel).
Devant le danger cependant, il est décidé de prolonger la garde à vue de 24 heures (2) car un arrêté d'hospitalisation psychiatrique d'office doit être signé le lendemain, samedi 9 février, par le Maire de Lens, ou le Préfet, qui sont en France les gardiens de l'ordre public et certainement experts en matière d'atteinte aux libertés.
Vous étiez prévenues, âmes sensibles, c'est la fête de la liberté !

Mais depuis lors, plus rien. Toute la presse a encensé le sang-froid et la virtuosité des autorités, et immédiatement oublié la jeune folle présumée, certainement enfermée aujourd'hui dans un asile d'aliénés. Personne n'a vu le délit. Personne ne saura le sort de son auteure.
Pauvre jeune femme qui s'en est prise à une valeur vénérée (3) comme les trois couleurs du drapeau. Pauvre jeune femme qui ignorait qu'on pratique en France la loi du talion. Liberté pour liberté.

Un périmètre de sécurité d'un mètre et demi a été mis en place autour du tableau, et un gardien dédié le veille désormais.

Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »

Mise à jour du 14 mars 2014 : la jeune femme vient d'être jugée. Après deux mois d'internement psychiatrique, elle écope aujourd'hui de 8 mois de prison avec sursis, 6000 euros d'indemnisation, une obligation de suivi psychiatrique, une interdiction de retourner dans les musées et l'opprobre général de tous les commentateurs grégaires et stupides qui jugent ce verdict bien clément.

***
(1) Un 563ème de la surface du tableau. La plupart des témoins disent que c'était sur la chemise blanchâtre du cadavre en bas à gauche, mais certains prétendent que c'était aux pieds du garçon qui inspira à Victor Hugo son Gavroche.
(2) C'est autorisé par la loi si la peine encourue dépasse un an de prison.
(3) On se souviendra peut-être de l'épisode très similaire de la tasse volante en 2008 au Louvre.


Pauvre nature humaine qui se croit libre parce qu'elle ignore les causes qui la déterminent, disait Baruch Spinoza.


dimanche 21 octobre 2012

Sur la taxe G...

Son modèle économique fuyant de partout, une part influente de la presse française tente depuis quelques mois, auprès des élus et avec l'appui d'une ministre, de faire voter une loi qui lui procurerait encore quelques ressources sans efforts.
L'idée est de créer un droit aux liens, un droit voisin sur l'indexation des contenus qui serait payé par les agrégateurs de liens sur internet.

Le schéma en clair serait le suivant : les sites d'information recopient (le plus souvent telles quelles) les dépêches de l'AFP sur leur jolies pages bourrées de publicité, puis les vilains moteurs de recherche indexent ces informations dans leurs bases de données secrètes gorgées d'or et de diamants, afin que les internautes les retrouvent facilement sur les sites d'information, dans leur écrin de publicités. Alors les diaboliques moteurs de recherche devront payer un droit pour chaque lien créé vers ces pauvres sites anémiques.
Ce nouveau revenu, dans les couloirs des groupes de pression, est appelé la taxe Google. Étonnant non ?
Que le lecteur distrait ne confonde pas ce droit destiné à créer une sorte de rente pour un nouveau type d'ayant-droit, avec un effort, défendable, pour réguler des abus de position dominante ou une évasion fiscale trop voyante de Google. Ce n'est pas une taxe mais une rémunération destinée à s'approprier une part de ses résultats amoraux.

En résumé, la presse numérique qui vit grâce aux liens que créent les moteurs de recherche, est en train de scier, du côté du tronc, la branche sur laquelle elle est installée. Ubu n'aurait pas mieux fait. Évidemment Google vient d'annoncer qu'elle effacera alors tous les liens de son moteur vers la presse française.
Et les maitres chanteurs de hurler au chantage.

Ne vous étonnez donc pas si demain vos recherches d'actualités sur internet ne vous mènent plus sur les sites français spécialisés. Le Gouvernement de la France aura actionné la scie. À défaut de cervelle on a sa fierté tout de même !

Lire sur le site du Nouvel Observateur la synthèse vue de l'intérieur de Christophe Carron de Voici (avec un lien indirect vers la proposition de loi).




















La Presse hébétée s'agrippe à la branche qu'elle vient de scier (allégorie prémonitoire).


mardi 29 mai 2012

Midi moins libre

Depuis une dizaine de jours (1) le groupe de presse Sud Ouest offre aux auteurs et lecteurs de blogs (notamment ceux du journal Midi Libre) une occasion de jouer en s'instruisant, de se divertir intelligemment.
En effet, le groupe a confié à une entreprise le soin de modérer les commentaires de tous les blogs qu'il héberge, par le moyen d'un logiciel dont elle prétend maitriser la technologie, ce qui la rend manifestement fière. La modération consiste, à l'aide de ce logiciel automate, à repérer certains mots et à interdire la publication des commentaires contenant un de ces mots (et parfois à bloquer tous les commentaires du billet, car les auteurs n'ont plus d'action autorisée dessus).
Les blocages effectués semblent parfaitement aléatoires, parfois contradictoires.

Alors le jeu est de rechercher les mots interdits et de comprendre la logique employée par l'automate. Et là, tous les mots sont permis. Une faille du système permet d'ailleurs d'échanger les mots censurés puisque seuls les commentaires sont modérés, pas le contenu des billets. On commence donc à voir fleurir des chroniques surréalistes qui cherchent en tâtonnant à constituer des listes de mots autorisés ou non.
Mais ça n'est peut-être pas aussi simple car il est possible, pour pimenter le jeu, que certains mots ne soient interdits qu'utilisés dans un environnement particulier (par exemple Fraise des bois ou Talonnettes dans un blog à coloration politique).

Et puis, il n'y a peut-être pas de logique du tout. Franz Kafka, dans ses romans, représente toujours l'Autorité comme arbitraire, et c'est pourquoi on s'y soumet, par obligation, car on n'en connaitra jamais les motivations. Il l'assimile à la vie, barbare et incohérente.
Les raisons de Sud Ouest sont peut-être également despotiques, sans intention. Comment expliquer, sinon, que des blogs aux préoccupations locales, qui parlent essentiellement de météorologie, de recettes de cuisine et de cartes postales anciennes, inquiètent un puissant groupe de presse ?

Las de cet arbitraire, le personnage du Procès de Kafka renonce. Il se laisse conduire dans une carrière désolée et exécuter au couteau de boucher, en s'en excusant presque.
Mais on peut aussi chercher, comme des millions de Chinois le font tous les jours, des moyens de contourner ces interdits. Ou se concerter pour envoyer en même temps des centaines de milliers de mots, en commentaires, et finir par faire exploser les neurones du génial logiciel (et aussi le budget de Sud Ouest qui paye certainement cette censure à la quantité de mots contrôlés).

Post-scriptum : devant les protestations recueillies, Midi Libre semble avoir décidé aujourd'hui même de suspendre, avec effet dans les prochains jours, cette expérience de modération directe qu'il qualifie de dysfonctionnement.
À suivre.


L'intérêt d'une interdiction est de signaler aux esprits étourdis ou peu imaginatifs qu'une action pourrait être envisagée si elle n'était justement prohibée. Par exemple ici, sur la pointe de Pen-Hir en Bretagne, quelle âme perverse aurait jamais pensé lapider des escaladeurs ?

***
(1) Merci à l'Oiseau du soir pour cette information, et pour son commentaire ci-dessous, dans lequel on trouvera un lien vers un billet passionnant de B.Kali sur la société Netino et les prolétaires africains qu'elle emploie (en les appelant modérateurs free-lance) à censurer les blogs pour d'importants groupes de presse français. 
 

mardi 13 septembre 2011

Il faut raison (d'État) garder

On s'en souvient, l'accident nucléaire de Tchernobyl, en avril 1986, n'a jamais atteint la France. Le bras armé du gouvernement dans la bataille contre les éléments était alors l'éminent et zélé professeur Pellerin. À la tête du Service de Protection Contre les Rayonnements Ionisants, il avait, comme tout fonctionnaire du nucléaire, prêté le serment du silence sur la pollution radioactive. Et il respectait sa parole. Tandis que les craintifs pays limitrophes exorcisaient leurs frayeurs en distribuant de l'iode et déconseillaient la consommation de certains produits frais, le bon professeur faisait le nécessaire pour que le nuage radioactif se détourne de notre territoire sacré.

Et depuis 25 ans, tel le mélancolique vengeur masqué de nos lectures d'enfant, il n'en avait jamais été vraiment remercié. Il était même poursuivi en justice pour tromperie aggravée par des malades vindicatifs qui lui reprochaient son silence sur la réalité des risques et lui attribuaient leurs cancers. 
Le 7 septembre dernier vient de marquer la fin de son calvaire. La cour d'appel de Paris a prononcé un non-lieu général sur toute l'affaire. Toute contradiction relève désormais de la diffamation. C'est le risque qu'encourt le malheureux A. Le P. par son triste témoignage du 8 septembre 2011 à 22h42 sur le site du Figaro.

Les couleurs chatoyantes de la centrale nucléaire de Dampierre, sur la Loire, à 50km d'Orléans. 
 
Voilà. La vérité est qu'il n'y a pas de lien entre la forte augmentation (admise) des cancers de la thyroïde dans l'est de la France et le célèbre nuage prétendument radioactif. La vérité est que les milliers d'êtres humains qui vivent encore dans la zone présumée irradiée de Fukushima ne doivent pas s'inquiéter, leur anxiété injustifiée n'est qu'une phobie que la psychiatrie apaisera. 

La vérité est que l'accident mortel d'hier sur le site nucléaire de Marcoule dans le Gard (l'explosion d'un four de traitement de déchets radioactifs), est en fin de compte un accident normal sans conséquence catastrophique, qui prouve que la gestion du nucléaire français est sous haute surveillance. C'est ce qu'affirment les organismes officiels et la presse unanimes

Au lent empoisonnement des corps s'ajoute l'intoxication des esprits. Comme dit un proverbe congolais « Quand éclate la vérité, mieux vaut ne pas se trouver sur sa trajectoire. »