Affichage des articles dont le libellé est Chine. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Chine. Afficher tous les articles

samedi 22 juin 2024

Médias : l’utopie approche


Tous les médias, jusqu’aux plus sérieux, puisent depuis des années dans les réseaux sociaux où ils trouvent une grande part de leurs informations. Et cependant qu’ils les pillent en les citant abondamment, ils les dénigrent et leur reprochent une absence de rigueur, de déontologie, et la propagation de fausses nouvelles ; tous travers dont ils ne souffriraient pas eux-mêmes, médias établis dirigés par des propriétaires désintéressés.

En effet quelle information sérieuse et à jour peuvent fournir un grand journal ou une agence de presse, qui emploient au mieux quelques centaines de journalistes pour informer quelques millions d’abonnés, face à plusieurs centaines de millions d’individus connectés en permanence et en temps réel, voire presque 3 milliards pour ce fameux réseau au nom de Trombinoscope créé il y a 20 ans pour partager des avis sur la tronche des étudiantes de la classe ? L’Union internationale des télécommunications déclare aujourd’hui plus d’abonnements téléphoniques mobiles que d’habitants sur la planète. 

Et les médias n’ont pas encore tout vu. Qu’ils ne s’impatientent pas, le paradis de l’information se déploie à marche forcée en France aujourd’hui, au motif de la sécurité des jeux olympiques. On a déjà commenté cette fascination des pouvoirs pour le système automatisé du crédit social chinois, basé sur l’omniprésence des caméras de surveillance et l’espionnage des téléphones mobiles, le tout orchestré par les estimations de deux ou trois algorithmes incontrôlables. Si aucun de ces systèmes n’a jamais prévenu le moindre attentat ni apporté la preuve de son utilité, au moins fourniront-ils bientôt aux médias la source de toute information digne de ce nom. 
Sur notre illustration, une caméra de surveillance dans une rue de Langfang au sud de Pékin surprend la pratique du surf sur la voie publique en dehors des heures de loisir, aggravée par la dégradation d’équipements collectifs (l'infraction est d’autant plus évidente sur le document sonore original). À défaut de données plus précises, on peut supposer un retrait important de points au crédit social du contrevenant par le système automatisé.  

Assurément les médias, alimentés en continu, n’auront plus le temps d'enquêter sur les questions de fond, qui ne regardent finalement que la justice et la confidentialité de la vie privée des individus, mais ils auront la liberté d'en commenter les aspects esthétiques, car il faut bien reconnaitre en l’espèce que là où Buster keaton ou Jacques Tati dépensaient des fortunes en mise en scène et ingéniosité technique, une simple caméra automatique fournira désormais une inépuisable source d’évènements parmi lesquels une part mathématiquement non négligeable dépassera inévitablement l’imagination.   

Note : Les chiffres les plus récents, aussi peu fiables que les propos de notre chronique, font état actuellement en Chine d’une caméra de surveillance pour deux habitants, en moyenne.

samedi 15 janvier 2022

Les proverbes imbéciles (1)

Ils constituent l’assise de nos conversations de palier ; le fondement de nos papotages mondains ; on les attribue à nos ancêtres, qu’on respecte inévitablement ; s’ils leur ont survécu si longtemps ça ne peut être que par leur profonde vérité venue du fond des âges ; enfin ils surgissent si vite à notre conscience, dans une conversation, quand il s’agit de répliquer, qu’ils nous épargnent la recherche d’une opinion personnelle, chose qui ferait sortir l’interlocuteur de ses schémas de pensée habituels et risquerait d'enrayer l’harmonie consensuelle du moment : ce sont les proverbes imbéciles. (*)


Pether Abraham (1756-1812) Paysage au clair de lune (détail) 45x60cm. 
Marché de l’art 23.06.2019 : 13.750€.

Examinons aujourd’hui le proverbe suivant :

« Quand le sage montre la Lune, l’idiot regarde le doigt ».

Son origine est douteuse, on l’attribue le plus souvent, sur internet, à Confucius, parfois Lao Tseu, voire Tchouang-tseu, qui sont les derniers refuges de l’ignorance en matière de sagesse. Il est toujours conseillé, si dans l’empressement de la conversation vous inventez un proverbe, de l’attribuer à un auteur très ancien écrit dans un style illisible et que les dictionnaires qualifient de sages parce qu’ils sont justement antiques et indéchiffrables.
D’ailleurs une recherche de proximité des mots Lune et doigt dans tout Confucius, Lao Tseu et Tchouang-tseu s'est révélée infructueuse.
Tant pis, nous dirons, comme Vialatte quand il avait la flemme de se documenter, que ce proverbe remonte à la plus haute antiquité.

Son sens est simple : c’est être idiot que de prendre le mot pour la chose qu’il désigne, le signe pour la réalité, le signifiant pour le signifié, voire le signifié pour la réalité, ou le détail pour l’ensemble, et ainsi de suite. 
On trouvera en vérité des centaines (vraiment) d’interprétations différentes parfois contradictoires, mais elles partent toutes du principe que le postulat de départ est vrai : le sage est sage, et s’il te désigne une chose, regarde la chose. Si possible admire-la parce qu’elle est montrée par un sage, et ne pose pas de question.

La vraie pensée populaire, celle des bistros, n’est évidemment pas d’accord, quand on résume les propos sur le sujet recueillis par J.M. Gourio dans les Brèves de comptoir. « Il a raison le connard (lisez l’idiot) de regarder le doigt, y’a rien sur la Lune, elle serait sur la Terre, on n’irait même pas, et les hommes qui y sont allés sont tous devenus alcooliques, partout où on va, ça finit pareil. »  

Allons un peu plus loin dans le bon sens. Si celui que le dicton dit sage l’était réellement, il ne désignerait pas l’astre mais indiquerait comment le regarder, la méthode pour le retrouver, comprendre ses cycles et les prévoir. 
Qui aura compris les explications du sage retrouvera ce qu’il désignait en toute circonstance. C’est la démarche scientifique. Et si sa formule fonctionne, alors on l’honorera du titre de sage.


Tout cela parait peut-être abstrait. Prenons un exemple dans l’actualité. Les Français vont bientôt choisir un président. En prévision de cet évènement grandiose, tous les candidats leur promettent la Lune, ou plutôt leur montrent une vague forme brouillée haut dans le ciel et qu’ils appellent la Lune. C’est leur projet pour diriger le pays.
Or tout le monde sait depuis belle lurette que les promesses ne sont quasiment jamais tenues une fois le pouvoir en poche. 

Dès lors c’est bien l’idiot qui regarde le doigt qui avait raison, parce que c’est le doigt et celui qui le pointe, le soi-disant « sage », le postulat, qu’il faut d’abord examiner. C’est lui qui aura tous les droits et mènera le Français selon son bon vouloir. D’où vient-il ? Quelle est sa famille, son milieu, qui seuls profiteront de ses largesses ?

D’ailleurs, s’il est notoire que le processus électoral en France permet souvent d’élire un président qui a recueilli beaucoup moins que la majorité des voix, cette majorité oubliée du règne actuel savait bien à l’époque qu’il fallait en priorité regarder le doigt et non la Lune. Et c’est précisément en ne regardant pas la Lune qu’elle avait remarqué le doigt pointé, qui aurait traditionnellement dû être l’index (le doigt qui indique) mais était en réalité le doigt suivant, celui dont la présentation en direction du ciel a un tout autre sens dans la gestuelle des peuples, le troisième.    

C’est pourquoi, après cette démonstration sans faille, s’il était encore besoin d’un proverbe sur le sujet, nous pourrions aujourd’hui affirmer « Quand le sage montre la Lune, l’idiot regarde la Lune ». Étant sous-entendu qu'à aucun moment on n'a vu ce dernier se renseigner au préalable sur le sage.

Voilà. Refermez vos cahiers. La semaine prochaine, interrogation écrite.

***
(*) On ne s’interdira pas de parler aussi des dictons idiots qui sont, selon certains experts qui l’affirment sans conviction, des proverbes imbéciles dont l’objet serait plus précis, moins moral et le style sans métaphore.

dimanche 4 juillet 2021

Rien ne va plus ?

Des enchères irréelles voire féériques de ces dernières années ont pu faire croire aux sociétés de vente d’objets d’art qu’elles pouvaient fourguer n’importe quoi, si la publicité en était convenablement optimisée.
En effet, 450 millions de dollars contre un Léonard de Vinci moche et douteux en 2017, ou 69 millions en 2021 contre un certificat d’authenticité et de propriété (NFT ou jeton numérique non fongible) sur un fichier JPG du dessinateur numérique Beeple, images virtuelles qu’on trouve gratuitement sur internet, suggéraient que la surenchère dans le domaine n’avait pas de limite.

Deux cas de fraiche date illustrent cette outrance des maisons de vente.

Christie’s proposait le 24 mai à Hong-Kong un grand tableau (1,53m.) de 1924 de Xu Beijong, intitulé L’esclave et le lion, précédemment vendu 5 millions de dollars en 2006. Il était présenté comme une œuvre de « qualité muséale », importante au point de la vendre seule dans une vacation particulière, estimée cette fois-ci 40 à 60 millions de dollars, et accompagnée d’un somptueux catalogue illustré de 70 pages. Le peintre y est présenté comme « un des plus grands du 20ème siècle, pionnier du réalisme chinois, notamment grâce à ce tableau, la plus haute estimation d’une œuvre d’art asiatique sur le marché ».

Xu Beihong, mort en 1953, était un peintre trois fois académique de la première moitié du 20ème siècle. Il ne peignait quasiment que des animaux, et toujours le même cheval à la manière traditionnelle chinoise, en gracieuses trainées d’encre noire. Ayant appris l’huile à Paris, il en a aussi fait quelques scènes édifiantes lourdement symboliques avec des personnages, dans le style académique du 19ème siècle en occident. Enfin il fut responsable de nombreuses institutions en Chine dont l’Académie des beaux-arts de Pékin, au début de la dictature de Mao Zedong.  
L'esclave et le lion, prototype de son style occidental allégorique, sentimental, pâteux, pour tout dire indigeste, méritait à ce titre tous les superlatifs. 
Remarquez, dans la vidéo promotionnelle, le détail du sang qui dégoutte de l’écharde dans la patte du lion implorant l'esclave apeuré.

Peu après, la maison Rouillac proposait, le 6 juin dans une garden-partie au château d’Artigny en Indre-et-Loire, une vue de Dieppe en 1882 par Claude Monet. Le tableau venait d'essuyer quantité d'éloges.
Le fils Rouillac annonçait, lors de la vente « un tableau qui a eu une couverture de presse fantastique, la une de la Gazette de Drouot, une présentation au Musée des beaux-arts de Tours… ». Il aurait pu ajouter l’unanimité de la presse locale, et une exposition à Dieppe, où était filmée la complainte du conservateur en chef de l’impécunieux Château-Musée et des visiteurs autochtones, qui rêvaient d'un retour de cette vue de Dieppe auprès de l’endroit où elle a été peinte (dans cette vidéo couleurs et détails sont bien reproduits).
 
Ajoutons que le tableau, bien que non signé, bénéficie d’un pédigrée solide, sous le numéro 707 au catalogue de Wildenstein.
Le hic est qu’il est médiocre, et que ça n’est certainement pas parce que « Monet l’a tellement aimé qu’il l’a gardé jusqu’à la fin de sa vie », comme le déclare le fils Rouillac, mais sans doute parce qu’il le pensait inachevé, sinon raté, qu’il ne l’a jamais signé et l'a définitivement oublié au fond de son atelier.


Garden-partie, petits fours, chocolats et raffinement. Qui aura remarqué, sur les masques sanitaires portés par l’ensemble du personnel de la maison Rouillac, la reproduction du tableau de Monet ?
 

Vous l’aurez deviné, les deux chefs-d’œuvre sont restés invendus.
 
Sur le site de Christie’s, pas un mot sur le résultat. L’épisode sera absent de l’historique du tableau. Cependant l’élogieux article promotionnel est toujours dans les archives et le glorieux catalogue hagiographique abondamment illustré de détails saisissants est encore disponible. Il resservira un jour.

L’échec de la vente du Monet par la maison Rouillac est plus divertissant, parce que le film de la vacation, qui dure 3h40, est visible sur le réseau Facebook.
C’est une vente locale, brouillonne et folklorique, où tout le monde parle en même temps, notamment le père Rouillac qui ne cesse de perturber les enchères, mais si vous n’avez jamais assisté à une vente publique, vous ne regretterez pas de découvrir ce spectacle en regardant au moins l’apogée pathétique, entre 1h47 et 2h19. Vous y verrez des êtres humains, approximatifs, bonimenteurs, et finalement grandioses dans la déconfiture, comme au moment théâtral où, après de longues minutes de malaise, on apprend que le seul acheteur à enchérir sur le Monet s’était trompé et avait fait une offre à 100 000 euros, qui avait été interprétée comme une enchère à 1,1 million puisque le prix de départ était établi à 1 million.

Finalement, le « tableau que vous attendez tous du peintre préféré des français, des Chinois et des Américains » sera retiré de la vente. Le père Rouillac, dans une longue péroraison, accusera le coronavirus d’avoir empêché les vrais acheteurs, chinois, de venir voir le tableau en France, puis prédira « qu’il y aurait des rebondissements », appelant le public de bonne volonté, la ville de Dieppe, la région, les instances supérieures, à se cotiser pour que le Monet reste en Normandie (et accessoirement lui permette de toucher ses 20% de la vente).  

On sait, depuis la folie des ognons de tulipe au 17ème siècle, que le cerveau humain est si compliqué, au moins vu de ce même cerveau humain, qu’absolument n’importe quoi peut faire l’objet de désir, d’obsession, de collections et de commerce. Le gagne-pain des maisons de vente est de faire monter les prix. Dans l'exercice, l'enthousiasme l'emporte parfois sur la rigueur. On oubliera vite ces deux péripéties printanières.
 

vendredi 28 mai 2021

Mystère de l’Extrême-Orient

De notre correspondant très loin…

La physique du 20ème siècle a découvert qu’on ne peut pas connaitre à la fois la position précise et les paramètres de mouvement d’une particule, parce que la matière se comporte aussi comme une onde, et que plus on connait l’une, moins on en sait sur les autres, et inversement. Or tout être humain est composé d’une quantité innombrable de particules.
Dans ces conditions comment parvenir à compter précisément le nombre d’habitants de la Chine ?

D’un côté, le Financial Times, qui sait tout sur le monde parce que ses ordinateurs sont équipés de Windows 98, déclare qu’aujourd’hui la population chinoise décline, pour la première fois depuis 60 ans, depuis la célèbre politique économique de Mao-Zedong, le « Grand bond », qui avait entrainé, on s’en souvient, une telle famine que le seul grand bond fut pendant quelques années celui de la mortalité.

De l’autre côté, le directeur du bureau des statistiques de Chine, froissé (1), annonce une augmentation de plus de 5% en 10 ans (70 millions), et rétorque que le Parti contrôle encore 18% de la population de la planète, mais admet que l’âge moyen du Chinois augmente un peu et qu’il faudra donc augmenter l’âge du départ à la retraite.

(1) Aucun gouvernement n’est prêt à accepter une baisse de sa population. Ça serait inconvenant. On soupçonnerait l’incompétence. Au lieu de se laisser porter par la spirale étourdissante de la consommation il faudrait se prendre la tête avec des questions rasantes sur la gestion des ressources.
   
Qui croire ? Quelles vérifications pourraient convaincre ?

Des esprits mal préparés aux subtilités de la science ont objecté qu’on ne peut pas comparer des êtres humains, notamment chinois, à des particules élémentaires.
Qu’ils se détrompent. Le citoyen chinois se comporte précisément comme une particule et peut parfaitement, par ses propriétés ondulatoires, se trouver au même instant à plusieurs endroits à la fois. 
On en trouvera la preuve incontestable sur le site de BigPixel, vitrine d’un savoir-faire chinois, qui vante sous une apparence touristique sa science en matière de caméras de surveillance des citoyens (2). Vous y constaterez par exemple qu’à Shangaï, ville la plus peuplée du pays, sur une seule prise de vue dont on imagine qu’elle a été vérifiée par les autorités, on trouve déjà un grand nombre de doublons (en illustration ci-dessous un échantillon de doublons proches, présents sur la photo du site).
 
(2) Ceux qui en vivent insistent pour qu’on remplace l’expression « caméras de surveillance » par « caméras de sécurité ou de protection » tant il est vrai que l’apport essentiel de ces caméras est, d’après eux, une augmentation sensible de la sécurité du citoyen. 
Prenons Atlanta, ville la plus sécurisée des États-Unis, avec près de 10 000 caméras pour 500 000 habitants. Elle vient de vivre le 16 mars 2021 le meurtre de 8 personnes de la communauté asiatique dans 3 attentats consécutifs. « Les caméras indiquent - dit la police - qu’il est hautement probable que le même tireur soit impliqué dans les 3 attentats ». On ne saurait apporter éléments d’information plus décisifs pour la protection des citoyens.
 

 
 
Il conviendra donc d’abord d’identifier tous les doublons, y compris distants l’un de l’autre, et d’en établir le pourcentage parmi la totalité des habitants enregistrés par cette caméra, puis de corriger le biais en soustrayant ce pourcentage du total. 
Il ne restera qu’à multiplier le résultat par le nombre de caméras de surveillance protection du pays pour obtenir une estimation consolidée de sa population. Le B-A-BA de la physique statistique en somme.

Ici, nous serons cependant confrontés à un obstacle substantiel, car personne ne s’accorde non plus sur le nombre de caméras de surveillance protection installées en Chine dans le cadre du projet de gestion du crédit social des citoyens. Elles ne sont pourtant pas dissimulées (sans doute parce que la technique ne le permet pas encore).
Le chiffre le plus courant, mais qui date un peu, parle de 200 millions, certaines sources relativement fiables n’hésitent pas à affirmer 400 millions et bientôt 600, jusqu’à soupçonner un objectif de 2,76 milliards, soit 2 caméras par Chinois.
Mais ce sont des conjectures, personne n’est allé les compter, ce qui serait pourtant la méthode scientifique pertinente.

On parle toutefois d’un artiste chinois, Deng Yufeng, qui, par des repérages méticuleux, a fait un inventaire précis des caméras de certaines rues de Pékin (Béijing), modèles, localisations, orientations, angles de vue, et organisé des itinéraires touristiques narquois (c’est un artiste), où le jeu consistait à effectuer le parcours en évitant le plus grand nombre possible de caméras, et en tournant le dos aux autres, pour ne pas être repéré ni reconnu.
Inutile de préciser qu’à ce jeu nombre de citoyens ont été identifiés - pas toujours les vrais coupables, on ne dira jamais assez les conséquences dramatiques du port du masque sanitaire - et ont perdu, pour comportement incivil, des dizaines de points de crédit et certains droits sociaux.
Il devient illusoire, dans ces conditions, de penser se fier à des recensements de caméras aussi précaires.

On réalisera finalement que le dénombrement d’une population par le moyen des caméras est une opération sans limite, sisyphéenne diraient certains dictionnaires, car le nombre et la puissance des caméras paraissent augmenter plus vite que le nombre d’habitants, sans que l’on ait pour autant les moyens de justifier chacun des chiffres de cette comparaison.

Ainsi la Chine restera un mystère. Et ça n’est pas dû au Chinois. Hors de son pays, on s’aperçoit que c’est un être humain. Mais en Chine, les règles de la biologie et de la sociologie ne sont plus les mêmes.

On balaiera aisément les accusations de xénophobie que ne manqueront pas d’éveiller ces constats. Ces dérèglements sont générés par les relations malsaines qui lient les détenteurs d’un pouvoir et ceux sur lesquels il s’exerce. La chose est banale, elle a été pointée depuis longtemps par Étienne de la Boétie, et si la Chine parait emblématique, c’est que son système est en avance sur les autres nations, dont les gouvernements lui envient les méthodes et l’efficacité.

Par exemple on peut sourire, en France, des désaccords systématiques entre les autorités et les intéressés sur le décompte des participants à une manifestation, ou à une réunion politique. Or les deux chiffres sont à chaque fois exacts.
C’est que les lois de la physique y ont déjà entamé leur lente dérive, et qu’il suffirait d’un rien, pour que les chiffres de la pandémie soient annoncés officiellement en omettant de les relativiser, pour que l’état d’urgence sanitaire soit négocié en échange d’autres mesures liberticides avec la gratitude des soumis, pour qu’une loi répressive sur la « sécurité globale » soit entérinée par des députés en vacance…

dimanche 13 septembre 2020

Situation stationnaire

Depuis 6 mois, les considérables restrictions de déplacement des humains sur la planète, et ainsi la diminution de 75% du tourisme mondial, ont nécessairement ravivé la croisière stationnaire, la promenade virtuelle sur internet. D'autant que le voyageur immobile dispose depuis quelques années d'une dimension supplémentaire, il peut voyager dans le temps.  

On en avait parlé ici-même, il y a longtemps, quand l'application de bureau, Google Earth, puis le site internet Google Maps, après avoir intégré à leur cartographie la fonction Street View (la terre vue depuis la rue), y avaient ajouté entre 2009 et 2014 la chronologie, les saisons, les années.

Pour les amateurs de vues par satellite, qui souhaitent par exemple s'extasier devant la croissance régulière dans le Xinjiang des camps de vacances pour Ouïgours et Kazakhs, où la seule chose à être exterminée, au dire du chef de camp M. Xi Jinping, c'est la mauvaise humeur, pour ces amateurs d'évolutions à grande échelle, les instantanés chronologiques ne sont plus disponibles que dans l'application Google Earth pour ordinateur, et n'ont pas été intégrés dans les versions pour mobile ou ou internet. Cherchez un bouton bleu en forme d'horloge coiffée d'une flèche verte. 

Quant à la fonction Street View, sur le site de Google Maps (vous savez, dans les outils, en faisant tomber le petit personnage jaune d'une altitude létale), une illustration étant plus évidente qu'une phrase alambiquée, voyez ci-dessous comment on voyage dans le temps, quand l'horloge apparait en haut à gauche (après quelques secondes), en déplaçant le curseur temporel et sélectionnant la vignette.
Ici, à Aberdeen, Google est passée 4 fois en 9 ans.

 
Et comme Ce Glob est Plat n'avait pas fait de tournée des cimetières « vus de la rue » depuis celle d'Angleterre et d'Écosse en 2014, vous découvrirez bientôt ici un tour des cimetières pittoresques d'Irlande.
 

dimanche 17 mai 2020

Vive la liberté

Cette vue, mille fois reproduite, représente la maison du gardien du parc ostréicole de l’aber d’Étel, sur l’ilot de Nichtarguér. On raconte que nombre de pays du monde, jusqu’à la Chine, ont pris modèle sur ce système de confinement et de surveillance, pour leur population. Il faut reconnaitre que de mémoire de Breton, de l'ilot de Riec’h à l'ilot de Fandouillec, on n’a jamais vu une huitre s’échapper par ses propres moyens, ni entendu de leur part la moindre plainte ou récrimination.


Après deux mois d’enfermement, il se peut qu’enivrés par cette soudaine bouffée de liberté, vous ayez déjà délaissé la lecture attentive de la presse pour courir humer l’air printanier. Finies les auto-attestations infantilisantes, vous gambadez désormais dans les rues, vous embrassez tous les passants (en respectant, bien entendu, les distances sociales et les gestes barrière), vous redevenez majeurs.

Sachez cependant que la loi du 11 mai 2020 vient de prolonger l’état d’urgence sanitaire de 2 mois, ce qui ne nous étonnera pas, habitués depuis les attentats terroristes aux prolongations répétées des états d’urgence provisoires, qui ne cessent que lorsque leurs mesures (1) sont discrètement intégrées dans une loi permanente, votée en principe au mois d’aout.

Éparpillés dans la nature, vous n’avez pas lu le détail de cette nouvelle loi. Qui vous en blâmerait ? Et puis c’est assez technique. Elle autorise la mise en place par décret d’un « fichier informatique de traçage des contacts des malades (sans leur consentement nécessaire, précise la loi), qui sera exploité par des brigades (2) sanitaires ».

Résumons pour les étourdis le fonctionnement de ce système : on suggère au médecin et au malade « Souhaitez-vous lutter contre le virus et sauver la France et les Français ? ».
Le médecin menacé s’assied alors sur le secret médical, et avec son malade en position de faiblesse, ils remplissent une liste informatisée des lieux et des personnes (appelées contacts) que ce dernier aura côtoyées, avec numéros de téléphone et adresses e-mail si disponibles, le tout dans le plus strict secret du cabinet médical.
Au même moment, des brigades de milliers de fonctionnaires, soumis également aux secrets professionnel et médical (3), épluchent et complètent cette liste informatisée, et commence alors, dans la plus extrême discrétion, la traque administrative des contacts, qui seront suivis avec insistance, jusqu’aux résultats des tests médicaux obligatoires qui leur seront prescrits, par les services d’enquêteurs sanitaires et téléphoniques.
Rappelons que tout refus de collaborer communiqué aux autorités est susceptible d'une amende de 135 euros, puis 1500 au deuxième refus, et enfin 3750 et 6 mois de prison, tout en restant dans le cadre strict et parfaitement contrôlé de l'état d'urgence, bien entendu.

En outre, il faudra s’attendre à ce que cette situation se prolonge un peu, tant qu’il n’existera pas de vaccin (les dernières annonces l’espèrent avant la fin de 2021, s’il en existe un), ou à défaut jusqu’à la contamination des deux tiers de la population, puisqu’il est admis chez les épidémiologistes que c’est la limite au-delà de laquelle une pandémie s’éteint naturellement.

Enfin à propos de cette loi, nous serons exhaustifs en mentionnant un article de deux juristes dans le journal Libération, qui extrapolent des incursions de brigades masquées jusqu'au domicile des contacts récalcitrants, qui seraient à leur tour incités à communiquer leurs propres contacts. Les rédacteurs imaginent en quelques semaines le fichage à grande échelle de toute la population française.
Comme ils y vont ! Ne seraient-ils pas légèrement conspirationnistes ou friands de science-fiction ?

Rappelons-leur que le peuple chinois est traité en permanence comme le décrit cette loi, sans consentement ni respect de la vie privée.
Presque un milliard et demi d’êtres humains ! Est-ce qu’on les entend se plaindre ?

*** 
(1) Une mesure d’urgence est en général une opération algébrique assez simple dont les termes sont immuables. On donne, en proportion, autant de pouvoirs à l’administration qu’on enlève de libertés aux administrés. 
(2) Brigade : mot emprunté à l’italien Briga, qui signifie combat, discorde. 
(3) On ne le répètera jamais assez, toute la chaine de ce système d’information, c’est-à-dire des milliers de personnes de bonne volonté, respecteront toujours la vie privée et la dignité humaine, principes fondateurs de notre civilisation.


jeudi 9 mars 2017

La vie des cimetières (75)

Le tombeau du facteur Cheval par le facteur Cheval, 
au cimetière de Hauterives dans le département de la Drôme.

C’était l’époque des colonies françaises de Cochinchine, de la redécouverte des temples exubérants de l’Inde et de l’empire khmer dont les gravures envahissaient les magazines illustrés comme le « Magasin Pittoresque », encyclopédie populaire que l’administration des postes et télégraphes distribuait aux abonnés.

C’était l’époque où Ferdinand Cheval, simple facteur mégalomane, transcendait l’art du « nain de jardin » en édifiant lentement dans sa cour un énorme temple de pierre et de ciment, débordant d’enjolivures de « style nouille » et d’aphorismes candides. Il l’appelait le « Palais idéal » et aurait souhaité y être enterré, ce que la loi interdisait.
Alors exalté par le succès touristique de l’ouvrage de sa vie il achetait une concession au cimetière du village et y édifiait son propre tombeau, durant 8 ans, dans le style naïf et luxuriant qui avait fait sa renommée.

Depuis, le monument est devenu historique et la concession perpétuelle. Le village de Hauterives entretient soigneusement le Palais, le mausolée, et les 150 000 visiteurs qui s’y rendent tous les ans.




samedi 25 juillet 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (6)


Certainement, l’affaire a été relayée à profusion par la presse, mais quand un fonctionnaire et artiste chinois met sa fonction et son habileté au service de l’amélioration d’une quantité de chefs-d’œuvre de la peinture chinoise, Ce Glob est Plat, promoteur du concept, se doit de le relater.

De 2004 à 2006, un archiviste de haut rang de l’Académie des beaux-arts de Canton (Guangzhou) a remplacé, dans les galeries de l’école, 143 peintures et calligraphies de grands maitres chinois par des copies de sa main, tandis qu’il négociait les originaux sur le marché de l’art par l’intermédiaire d’une maison d’enchères très officielle.
Puis il plaçait ses gains dans l’immobilier et la peinture. Qui lui reprocherait ces placements judicieux ?

Et puis en 2014, un spécialiste identifiait dans une vente le sceau de l’Académie des beaux-arts sur une œuvre mise aux enchères.
Le fautif a reconnu ses méfaits, 125 originaux vendus. Il s’est un peu défendu en prétendant y avoir été incité lors de sa prise de fonctions, quand il a remarqué que la pratique était déjà bien installée à l’Académie qui exposait déjà des faux.

Hélas s’il est bon que les œuvres du passé, qui fatiguent et se détériorent, soient régulièrement renouvelées par de fraiches copies, ça ne devrait jamais être au détriment de la qualité, ce qui semble malheureusement être le cas ici.
Car parmi les faux qui lui sont reprochés, le faussaire affirme qu’il y a déjà, après quelques années seulement, des copies de ses propres copies, et qu’il reconnait à leur médiocre qualité, ce qui le navre.

On raconte que c’est chose fréquente en Chine et que les musées regorgent de faux. Le musée de Jibaozhai, par exemple, aurait été fermé en 2013 parce que la grande majorité de ses milliers d’objets étaient des copies.
Ces choses-là se passent toujours aux antipodes.
Cependant on le dit aussi, dans une mesure plus modeste, d’autres musées de première grandeur, de l’Art Institute de Chicago au Centre Pompidou de Paris qui faillit acheter trois faux Mondrian en 1978.

Personne n’est parfait.
   

jeudi 30 avril 2015

Made in China, la suite

L’imposteur chinois du musée de Dulwich a été démasqué.

Doug Fishbone, organisateur et artiste totalement conceptuel, expérimentait depuis le 10 février la substitution d'un tableau original par une copie fabriquée en chine et exposée au milieu des œuvres du musée.
Il en avait fait un jeu de devinette et en attendait un approfondissement du regard du visiteur, une plus grande circonspection du touriste, et des réponses aux questions fondamentales sur l'Art « Qu'arrive-t-il quand un objet est accroché dans un musée ? Qu'est-ce qui définit l'authenticité d'une œuvre ? Qu'est-ce qui lui donne sa valeur ? »

Fishbone vient de dévoiler la vérité dans une émission de télévision people sur BBC one (1). Le faux était un portrait de jeune femme, assez honnêtement imité d'une esquisse brossée un peu vite par Honoré Fragonard vers 1769.

Portrait de jeune femme, par Fragonard, et sa copie par un atelier chinois, exposés actuellement côte à côte au musée de Dulwich. Ah zut, le commentaire du musée qui précisait lequel était l'original et lequel la copie a été égaré. C'est trop bête.

Bilan de l'opération, la fréquentation du musée a été multipliée par 4 pendant ces deux mois et demi. 3000 visiteurs ont tenté d'identifier l'imposteur chinois. Plus de 12% ont réussi. Il était de loin le tableau le plus cité.
Financièrement encourageante, l'expérience n'a cependant pas résolu les grandes interrogations existentielles de l'artiste. Il pense sans doute les éclaircir lors d'un débat public qu'il programme le 16 mai à 10h30, avec quelques éminents experts (2). Le tarif d'entrée sera de 26 euros et le petit déjeuner offert.

Pour conclure, Fishbone a déclaré « Si cela peut avoir laissé dans l'esprit des gens le soupçon que ce qui leur est présenté n'est peut-être pas tout à fait ce qu'il semble, et que nos expériences peuvent être manipulées à notre insu, l'opération aura été bénéfique. »

D'ailleurs, le tableau copié, l'original, est-il réellement de Fragonard ? On y lit nettement à droite la signature de Grimou, bon portraitiste français du début du 18ème siècle, et les lettres « FRago » moins nettes légèrement au dessus. Les experts et les conservateurs du musée, prompts à l'attribuer au plus coté des deux, y voient une facétie de Fragonard pour taquiner les connaisseurs, disent-ils.

Doit-on les croire ?

***
(1) The One Show le 27.04.2015 à 19h20 (autorisée en territoire anglais seulement il vous faudra utiliser un VPN pour voir cette émission en France). 
(2) Notons qu'un des experts invités est Adam Lowe, directeur de Factum Arte, responsable du facsimilé imprimé des Noces de Cana de Véronèse tant admiré à Venise. « Tout se tient » dirait le voisin de palier.  

dimanche 22 février 2015

Made in China

Tout conservateur de musée soucieux de la protection du patrimoine qu'il administre a certainement un jour eu cette idée iconoclaste, qu'il aura aussitôt refoulée : remplacer tous les tableaux en exposition par des copies.

Et bien c’est ce qu’expérimente depuis le 10 février et jusqu’au 26 avril le musée de Dulwich (Dulwich Picture Gallery) dans le sud de Londres, sous l'impulsion de l'artiste conceptuel Doug Fishbone (un artiste conceptuel est un être humain qui a des idées - au moins une - et au moins un talent, celui de savoir faire réaliser ses idées par d'autres).

En fait, un seul des tableaux exposés à Dulwich est une copie, réalisée sur commande par un atelier chinois (il en existe des centaines), contre 160 euros. Reçue par la poste elle est aujourd'hui exposée à la place du tableau original et dans son cadre ancien.
Le public et les experts sont invités à l'identifier parmi les 270 tableaux du musée, et gagner, pour ceux qui le découvriront, une reproduction (imprimée cette fois) d’une œuvre de la collection.

L’idée est de mettre en question les ingrédients qui constituent la valeur qu’on attribue aux choses, le décorum de la visite, l’autorité du musée, le fétichisme attaché au nom de l’artiste…
Elle rappelle l’expérience récente où des musiciens professionnels devaient juger à l’aveugle, au jeu et à l’écoute, des violons modernes et des Stradivarius mythiques. Les résultats étaient édifiants.

Et la collection de Dulwich est prédisposée à ce type de jeu de devinettes. Assemblés au 18ème siècle pour le roi de Pologne, ses tableaux achetés un peu vite se sont révélés en majorité des copies, des pastiches, des « atelier de », ou « dans le style de ».
Ainsi, il est bien possible que le penchant de Fishbone pour la plaisanterie l’ait conduit, pour le plaisir de la mise en abyme, à commander aux chinois la copie d’une copie, ou au moins d’une toile à l’authenticité douteuse.

Enfin, les deux tableaux seront juxtaposés le 28 avril prochain et exposés ainsi durant trois mois.
Que pourra-t-on en déduire si l’expérience « réussit », c’est-à-dire si d'ici là personne n’a trouvé la réplique chinoise ?


Han van Meegeren, portrait de femme à l’éventail à la manière de Gerard Ter Borch, vers 1930-40. Il trompa les plus grands experts et musées en peignant notamment des pastiches de Vermeer. Il dut avouer sa supercherie en 1945 afin de sauver sa tête, en prouvant qu’un tableau de Vermeer qu’il avait vendu au nazi Hermann Goering était en réalité de sa main.

lundi 24 novembre 2014

La vie des cimetières (59)


Précaution d’emploi en cas d'allergie aux émissions télévisées médicales un peu trop explicites ou aux films d’horreur inavouables, évitez de cliquer sur les liens de cette chronique. 
Vous êtes prévenus.

Il était question, dans le numéro 45 de La vie des cimetières, des pratiques funéraires officielles chinoises qui, guidées par des soucis de productivité et d’effacement des anciennes croyances par de nouvelles, orientent massivement la population vers l’incinération (si possible collective) des défunts, surtout en ville où manque l’espace libre, et de la consécutive disparition des cimetières.

Le Tibet, bien avant que la Chine ne le libère (au moyen pacifique d’une invasion militaire en 1950), pratiquait depuis des siècles des funérailles sans enterrement, pour des motifs également pratiques et idéologiques.
Le sol est constamment gelé ; seuls les corps des criminels et des contagieux sont inhumés, histoire d’enrayer leurs réincarnations. Le bois est rare et cher ; les prélats et les riches bénéficient de la crémation. Les très pauvres sont jetés aux poissons.

Le reste des défunts, le plus grand nombre, a droit aux funérailles célestes. Les corps sont grossièrement prédécoupés pour le repas des oiseaux « sarcophages », mangeurs de chairs mortes, vautours ou gypaètes. Les rapaces accoutumés se ruent par centaines. Après quoi les restes (surtout les os) sont concassés, parfois accommodés, pour un meilleur transit, et resservis.
Il ne doit rien rester, sans quoi l’âme serait imparfaitement libérée et la réincarnation serait troublée, comme la digestion.
On dit parfois qu’il est interdit de photographier le rituel, mais c’est surtout un moyen d’en monnayer l’autorisation avec les touristes. D'ailleurs les témoignages en vidéo ou les récits en séquences photographiques abondent sur Internet.

Au début de l'annexion du Tibet, dans les années 1960-70, les idéalistes psychopathes de la Révolution culturelle chinoise interdirent ces usages bouddhistes qu’ils jugeaient barbares, pour finalement les autoriser dans les années 1980, et même les soutenir (pour mieux les contrôler).
« Les enterrements célestes - notez l’oxymore - sont une coutume tibétaine strictement protégée par la loi » lit-on dans le Quotidien du Peuple en ligne, organe absolument officiel, qui décomptait au Tibet 1075 plateformes d'enterrements célestes en 2009. Cette sollicitude opportuniste n’empêche évidemment pas la répression sanglante du peuple tibétain à la moindre contestation.

Par leur omniprésence aux postes de décision et avec le redoublement de la colonisation, surtout depuis l’ouverture de la ligne de chemin de fer de Pékin à Lhassa en 2006, les Chinois savent qu’ils seront bientôt plus nombreux au Tibet que les Tibétains, si ce n’est déjà fait, et que le peuple indigène sera un jour dilué jusqu’à la dose homéopathique où personne ne se souviendra de son existence. Un petit génocide tranquille.
Du reste les vautours aussi sont menacés de disparition, décimés par les maladies contagieuses, et par un médicament anti-inflammatoire qui infecte les carcasses animales qu’ils consomment, et qui les tue.

dimanche 30 septembre 2012

La vie des cimetières (45)

Un jour, dans l'interminable odyssée de l'espèce humaine, les liens sociaux et affectifs s'étant peu à peu renforcés, quelqu'un refusa qu'un parent fraichement mort soit abandonné aux animaux nécrophages ou dégusté par le groupe. Après de longues palabres on l'autorisa à enterrer le corps. C'étaient les débuts du fétichisme et de la pensée magique. Bientôt se répandrait dans l'espèce humaine la réconfortante croyance en deux mondes distincts séparant la matière et l'esprit.

C'était il y a cinq-cent-mille ans, ou plus. Puis les pratiques funéraires se diversifièrent.
On enterra le mort avec des objets quotidiens, parfois avec quelques proches encore bien vivants, souvent dans le sol même de la maison, quelquefois dans une distante nécropole. Puis on lui construisit un abri de six planches, un tombeau de pierre, des monuments, des dolmens, des pyramides. Les dimensions du mausolée augmentaient avec l'importance du mort ou les ambitions de la famille. Certains peuples incinéraient le mort, ou le découpaient en morceaux digestes et l'exposaient à l'appétit des vautours.
Toutes ces méthodes perdurent. Le sort réservé aux défunts, comme toute pratique sociale, s'adapte aux aspirations religieuses, idéologiques, hygiéniques et économiques des peuples.

Le gouvernement chinois (1) l'a bien compris qui, dès la république nationaliste en 1928, interdit la plupart des rituels, relayé vers 1950 par le gouvernement communiste qui instaure un système funéraire moderne, matérialiste, égalitaire et obligatoire : la cérémonie est organisée par l'État, dans un lieu public, une unique musique officielle est jouée systématiquement, les proches n'ont pas le droit d'organiser de réception, d'offrir des cadeaux, de s'habiller en deuil, de pleurer. La crémation est immédiate et parfois collective pour mettre fin au culte des morts. Parallèlement sont lancées des campagnes de suppression des tombes pour libérer les terrains improductifs.
Et depuis 60 ans, la population chinoise s'ingénie à contourner ce système funéraire officiel, avec succès dans les campagnes. Le gouvernement relâche un peu la pression sur les points de croyance et de doctrine mais amplifie, par vagues, les actions de récupération des terrains rentables en généralisant exhumations et incinérations gratuites.
C'est un de ces fréquents épisodes qui émut récemment la presse internationale. Se sentant menacés parce que leurs quotas de crémation étaient faibles, les dirigeants municipaux de quelques villes du Henan (dont Zhoukou), ont relancé un peu fermement le programme officiel de suppression des cimetières.


Quand on exhume un corps, même dans le but louable de faire le bonheur du peuple, le mort vous regarde généralement d'une orbite désapprobatrice. (Gênes, cimetière Staglieno)


Aujourd'hui en Chine les cendres des trépassés, quand elles ne résultent pas d'une crémation collective, peuvent encore être récupérées par la famille, et quelquefois enterrées, à prix d'or, dans des cimetières administrés par les potentats locaux. Le mètre carré y est plus cher que celui des habitations dans la capitale.
Mais les théoriciens du Parti prévoient d'interdire un jour la conservation des cendres, prochaine grande étape vers la Lumière de la Vérité Ultime.
Sans défunts ni cimetières, la mort alors disparaitra, et cette chronique n'aura plus de raison d'être.

(1)  Les informations sur le système funéraire en Chine proviennent de cette étude de Fang et Goossaert en 2008 (également au format PDF)  

mardi 29 mai 2012

Midi moins libre

Depuis une dizaine de jours (1) le groupe de presse Sud Ouest offre aux auteurs et lecteurs de blogs (notamment ceux du journal Midi Libre) une occasion de jouer en s'instruisant, de se divertir intelligemment.
En effet, le groupe a confié à une entreprise le soin de modérer les commentaires de tous les blogs qu'il héberge, par le moyen d'un logiciel dont elle prétend maitriser la technologie, ce qui la rend manifestement fière. La modération consiste, à l'aide de ce logiciel automate, à repérer certains mots et à interdire la publication des commentaires contenant un de ces mots (et parfois à bloquer tous les commentaires du billet, car les auteurs n'ont plus d'action autorisée dessus).
Les blocages effectués semblent parfaitement aléatoires, parfois contradictoires.

Alors le jeu est de rechercher les mots interdits et de comprendre la logique employée par l'automate. Et là, tous les mots sont permis. Une faille du système permet d'ailleurs d'échanger les mots censurés puisque seuls les commentaires sont modérés, pas le contenu des billets. On commence donc à voir fleurir des chroniques surréalistes qui cherchent en tâtonnant à constituer des listes de mots autorisés ou non.
Mais ça n'est peut-être pas aussi simple car il est possible, pour pimenter le jeu, que certains mots ne soient interdits qu'utilisés dans un environnement particulier (par exemple Fraise des bois ou Talonnettes dans un blog à coloration politique).

Et puis, il n'y a peut-être pas de logique du tout. Franz Kafka, dans ses romans, représente toujours l'Autorité comme arbitraire, et c'est pourquoi on s'y soumet, par obligation, car on n'en connaitra jamais les motivations. Il l'assimile à la vie, barbare et incohérente.
Les raisons de Sud Ouest sont peut-être également despotiques, sans intention. Comment expliquer, sinon, que des blogs aux préoccupations locales, qui parlent essentiellement de météorologie, de recettes de cuisine et de cartes postales anciennes, inquiètent un puissant groupe de presse ?

Las de cet arbitraire, le personnage du Procès de Kafka renonce. Il se laisse conduire dans une carrière désolée et exécuter au couteau de boucher, en s'en excusant presque.
Mais on peut aussi chercher, comme des millions de Chinois le font tous les jours, des moyens de contourner ces interdits. Ou se concerter pour envoyer en même temps des centaines de milliers de mots, en commentaires, et finir par faire exploser les neurones du génial logiciel (et aussi le budget de Sud Ouest qui paye certainement cette censure à la quantité de mots contrôlés).

Post-scriptum : devant les protestations recueillies, Midi Libre semble avoir décidé aujourd'hui même de suspendre, avec effet dans les prochains jours, cette expérience de modération directe qu'il qualifie de dysfonctionnement.
À suivre.


L'intérêt d'une interdiction est de signaler aux esprits étourdis ou peu imaginatifs qu'une action pourrait être envisagée si elle n'était justement prohibée. Par exemple ici, sur la pointe de Pen-Hir en Bretagne, quelle âme perverse aurait jamais pensé lapider des escaladeurs ?

***
(1) Merci à l'Oiseau du soir pour cette information, et pour son commentaire ci-dessous, dans lequel on trouvera un lien vers un billet passionnant de B.Kali sur la société Netino et les prolétaires africains qu'elle emploie (en les appelant modérateurs free-lance) à censurer les blogs pour d'importants groupes de presse français. 
 

mardi 15 juillet 2008

Les perles de l'Encyclopédie (2.2)

Ce qui suit est la fin de la chronique commentant les articles écrits par l'abbé Yvon pour l'Encyclopédie de M. Diderot.

ATHÉES :

Cet article et le suivant sont la quintessence de la production Yvonesque. Il y concentre sa bêtise, sa mauvaise foi, sa rouerie, son venin.
Il commence par démontrer que l'athéisme n'existe pas à l'état naturel, premier élément pour prouver que c'est une perversion. L'historien Strabon et quelques témoignages de voyageurs affirment qu'existeraient des peuples ignorants et stupides vivant comme des bêtes, sans religion; Yvon rejette ces récits comme peu fiables et ajoute que si on a l'impression que tous les chinois sont athées, c'est parce qu'on ne comprend pas le chinois. Puis il démontre que tous les athées sont en réalité des croyants qui simulent: «Il ne saurait assurément y avoir d'athée convaincu de son système; car il faudrait qu'il eût pour cela une démonstration de la non existence de Dieu, ce qui est impossible.».
Enfin il conclut par un interminable sermon moral sur la vertu. La vertu est difficile. Elle n'apporte pas les satisfactions immédiates que procurent le vice et la réalisation de nos désirs réels et imaginaires. La religion imprime un frein à la satisfaction débridée de ces désirs, qui est un ferment du désordre social. Ainsi, les athées sont dangereux pour la société car ils ne croient pas qu'il existe un châtiment perpétuel qui les persuaderait de calmer leurs instincts. C'est le sermon préparatoire à l'appel au meurtre de l'article suivant.

ATHÉISME :

Ici l'abbé se déboutonne allègrement. Abandonnant les règles les plus élémentaires de la logique qu'il professe dans l'encyclopédie, il exige des athées qu'ils prouvent l'inexistence d'un dieu. Admirons la subtilité de l'argumentaire:
«C'est à l'athée à prouver que la notion de Dieu est contradictoire, & qu'il est impossible qu'un tel être existe; quand même nous ne pourrions pas démontrer la possibilité de l'être souverainement parfait, nous serions en droit de demander à l'athée les preuves du contraire; car étant persuadés avec raison que cette idée ne renferme point de contradiction, c'est à lui à nous montrer le contraire; c'est le devoir de celui qui nie d'alléguer ses raisons. Ainsi tout le poids du travail retombe sur l'athée; & celui qui admet un Dieu, peut tranquillement y acquiescer, laissant à son antagoniste le soin d'en démontrer la contradiction. Or, ajoutons-nous, c'est ce dont il ne viendra jamais à bout. En effet, l'assemblage de toutes les réalités, de toutes les perfections dans un seul être doit nécessairement exister, l'existence étant comprise parmi ces réalités: mais il faut renvoyer à l'article Dieu le détail des preuves de son existence
De nombreux auteurs attribuent l'article DIEU à Yvon, malgré l'absence de sa signature. On y retrouve effectivement son style et ses références. Lisez plutôt: «L'existence de Dieu étant une de ces premières vérités qui s'emparent avec force de tout esprit qui pense & qui réfléchit, il semble que les gros volumes qu'on fait pour la prouver, sont inutiles... Pour contenter tous les goûts, je joindrai ici des preuves métaphysiques, historiques & physiques de l'existence de Dieu.». Hélas, ses principaux arguments ont perdu toute pertinence avec les découvertes de l'archéologie et des sciences de l'évolution et de la génétique. Yvon avait même prédit leur invalidation: «Si on prouve que le monde ait existé avant le temps marqué dans cette chronologie, on a raison de rejeter cette histoire». Par Chronologie il entendait celle décrite dans les textes bibliques, qui dataient de 6 à 7000 ans la création de la terre et des humains.

Il continue sa démonstration, juge les systèmes athées trop complexes et difficiles à comprendre comparés à la simplicité de la solution religieuse qui dissout toutes les questions, affirme que l'athéisme avilit et dégrade la nature humaine, et couronne son raisonnement par cette mémorable profession de foi humanitaire:
«L'homme le plus tolérant ne disconviendra pas, que le magistrat n'ait droit de réprimer ceux qui osent professer l'athéisme, & de les faire périr même, s'il ne peut autrement en délivrer la société... Par conséquent le magistrat doit avoir droit de punir, non seulement ceux qui nient l'existence d'une divinité, mais encore ceux qui rendent cette existence inutile, en niant sa providence, ou en prêchant contre son culte, ou qui sont coupables de blasphèmes formels, de profanations, de parjures, ou de jurements prononcés légèrement. La religion est si nécessaire pour le soutien de la société humaine, qu'il est impossible, comme les Païens l'ont reconnu aussi bien que les Chrétiens, que la société subsiste si l'on n'admet une puissance invisible, qui gouverne les affaires du genre humain.»
Tout est dit.



On raconte parfois que les gargouilles représentent les êtres égarés sans le secours de la foi, rejetés par l'église. L'incroyant a donc le choix: périr par la justice humaine suivant les conseils de l'abbé Yvon ou finir pétrifié pendant quelques siècles dans une pose grotesque, comme ces gargouilles de Notre-Dame de l'Épine, en Champagne.

ATOMISME :

Nous finirons un peu plus légèrement cette balade dans les idées de l'abbé Yvon, par la conclusion de son petit article sur l'Atomisme.
«Le tout s'est fait par hasard, le tout se continue, & les espèces se perpétuent les mêmes par hasard; le tout se dissoudra un jour par hasard; tout le système se réduit là. Il serait superflu de s'arrêter à la réfutation de cet amas d'absurdités.»

Vous n'avez pas rêvé. Tout cela a été écrit dans la grande Encyclopédie du siècle des lumières par l'abbé Yvon. Le lecteur qui désirera poursuivre la lecture de ces sophismes et démonstrations fumeuses, dont les raisonnements recueillent encore une étonnante considération auprès de certains athées contemporains, en trouvera la liste complète en suivant ce lien, et je lui conseillerai de débuter par la description des monstrueuses conséquences de l'adultère dans la société.

Enfin au lecteur qui s'exclamera «C'est facile de se moquer des erreurs du passé!», je répondrai «Oui». Et je lui suggérerai de rechercher et corriger lui-même les erreurs du présent, au hasard dans la célébrissime et omniprésente encyclopédie participative Wikipedia, qui en fourmille. Par exemple, l'article sur la ville de Jéricho. Tout le monde connaît le récit biblique du petit air de Louis Armstrong qui, joué sept fois consécutives, fit s'écrouler les murailles millénaires qui protégeaient la ville. Le 2 juillet 2006, ce récit était dans le chapitre Histoire de l'encyclopédie Wikipedia. Le 4 juillet un lecteur plus rigoureux créait un chapitre Mythologie et y déplaçait le récit. Le 10 juillet un lecteur croyant (ou conciliant) remplaçait le titre du chapitre par Récit biblique, solution molle qui a l'avantage de ne plus choquer personne.

vendredi 8 février 2008

Le ciment et la fourmi

Ce Glob Est Plat racontera aujourd'hui une fable, le ciment et la fourmi.

Ne me dites pas qu'il ne vous est jamais arrivé de maudire une espèce entière. Que, rentrant chez vous après une journée épuisante et découvrant, au moment de retirer vos chaussures, des empreintes malodorantes constellant votre belle moquette claire, vous n'avez pas souhaité l'anéantissement de cette espèce qui a soumis d'autres espèces dans le seul but d'avoir quelques poils à caresser les jours de détresse ou de manque d'affection.
Cependant il est délicat de s'en prendre directement à l'homme. Il faut quelques talents de dictateur et un degré élevé d'aliénation mentale. Alors des scientifiques imaginatifs on trouvé un substitut docile, la fourmi.

Prenez une gigantesque fourmilière au milieu d'une savane anonyme. Ajoutez des centaines de milliers de fourmis (1) industrieuses et pacifiques. Saupoudrez de quelques entomologistes outillés et déterminés. Filmez le tout. Du résultat, diffusé sur Science Channel, un extrait de 8 minutes est disponible sur Youtube ou WeShow.

Au commencement, les scientifiques prudents introduisent un peu partout dans la fourmilière des tubes de plastique (2) destinés à mesurer la circulation des gaz dans les galeries. Puis, émerveillés, ils se demandent comment est pilotée la distribution de l'air et s'enhardissent. Ils creusent une énorme excavation (3) qui détruit définitivement la fourmilière.
Enfin, leur appétit de savoir s'emballe, exacerbé. Ils s'inquiètent de savoir à quoi peut ressembler cette ville souterraine. Et c'est la surenchère technologique. Trois jours durant, dix tonnes de ciment sont injectées (4) dans une fourmilière. Après un long délai de séchage, les ouvriers retirent la terre (5) et ne reste que la structure ouvragée d'interminables galeries (6).
Le commentateur s'étonne qu'une collectivité dénuée d'intelligence individuelle ait pu réaliser un tel complexe architectural, signe d'un unique créateur. Il le compare à la muraille de Chine, innocent anthropomorphisme xénophobe qui assimile fourmis et chinois.

Soyons intègres ! Les images qui montrent l'injection du ciment ne permettent pas de déterminer si l'opération est effectuée sur une fourmilière habitée ou abandonnée. On ne voit qu'une fourmi sur le plan rapproché. Certains commentateurs dans des forums (le film semble avoir beaucoup ému) affirment qu'en réalité les fourmis avaient été, sauf un faible pourcentage, attirées vers une autre fourmilière par une mixture de miel et de chocolat, puis réintégrées dans une copie de cire et de plâtre de leur colonie d'origine. Après cette double déportation elles auraient même repris leurs tâches quotidiennes exactement où elles les avaient interrompues. Bel exemple.

Quand je vous disais que cette histoire était une fable. Sinon sur la fourmi, au moins sur l'homme.