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lundi 24 novembre 2014

La vie des cimetières (59)


Précaution d’emploi en cas d'allergie aux émissions télévisées médicales un peu trop explicites ou aux films d’horreur inavouables, évitez de cliquer sur les liens de cette chronique. 
Vous êtes prévenus.

Il était question, dans le numéro 45 de La vie des cimetières, des pratiques funéraires officielles chinoises qui, guidées par des soucis de productivité et d’effacement des anciennes croyances par de nouvelles, orientent massivement la population vers l’incinération (si possible collective) des défunts, surtout en ville où manque l’espace libre, et de la consécutive disparition des cimetières.

Le Tibet, bien avant que la Chine ne le libère (au moyen pacifique d’une invasion militaire en 1950), pratiquait depuis des siècles des funérailles sans enterrement, pour des motifs également pratiques et idéologiques.
Le sol est constamment gelé ; seuls les corps des criminels et des contagieux sont inhumés, histoire d’enrayer leurs réincarnations. Le bois est rare et cher ; les prélats et les riches bénéficient de la crémation. Les très pauvres sont jetés aux poissons.

Le reste des défunts, le plus grand nombre, a droit aux funérailles célestes. Les corps sont grossièrement prédécoupés pour le repas des oiseaux « sarcophages », mangeurs de chairs mortes, vautours ou gypaètes. Les rapaces accoutumés se ruent par centaines. Après quoi les restes (surtout les os) sont concassés, parfois accommodés, pour un meilleur transit, et resservis.
Il ne doit rien rester, sans quoi l’âme serait imparfaitement libérée et la réincarnation serait troublée, comme la digestion.
On dit parfois qu’il est interdit de photographier le rituel, mais c’est surtout un moyen d’en monnayer l’autorisation avec les touristes. D'ailleurs les témoignages en vidéo ou les récits en séquences photographiques abondent sur Internet.

Au début de l'annexion du Tibet, dans les années 1960-70, les idéalistes psychopathes de la Révolution culturelle chinoise interdirent ces usages bouddhistes qu’ils jugeaient barbares, pour finalement les autoriser dans les années 1980, et même les soutenir (pour mieux les contrôler).
« Les enterrements célestes - notez l’oxymore - sont une coutume tibétaine strictement protégée par la loi » lit-on dans le Quotidien du Peuple en ligne, organe absolument officiel, qui décomptait au Tibet 1075 plateformes d'enterrements célestes en 2009. Cette sollicitude opportuniste n’empêche évidemment pas la répression sanglante du peuple tibétain à la moindre contestation.

Par leur omniprésence aux postes de décision et avec le redoublement de la colonisation, surtout depuis l’ouverture de la ligne de chemin de fer de Pékin à Lhassa en 2006, les Chinois savent qu’ils seront bientôt plus nombreux au Tibet que les Tibétains, si ce n’est déjà fait, et que le peuple indigène sera un jour dilué jusqu’à la dose homéopathique où personne ne se souviendra de son existence. Un petit génocide tranquille.
Du reste les vautours aussi sont menacés de disparition, décimés par les maladies contagieuses, et par un médicament anti-inflammatoire qui infecte les carcasses animales qu’ils consomment, et qui les tue.

dimanche 30 septembre 2012

La vie des cimetières (45)

Un jour, dans l'interminable odyssée de l'espèce humaine, les liens sociaux et affectifs s'étant peu à peu renforcés, quelqu'un refusa qu'un parent fraichement mort soit abandonné aux animaux nécrophages ou dégusté par le groupe. Après de longues palabres on l'autorisa à enterrer le corps. C'étaient les débuts du fétichisme et de la pensée magique. Bientôt se répandrait dans l'espèce humaine la réconfortante croyance en deux mondes distincts séparant la matière et l'esprit.

C'était il y a cinq-cent-mille ans, ou plus. Puis les pratiques funéraires se diversifièrent.
On enterra le mort avec des objets quotidiens, parfois avec quelques proches encore bien vivants, souvent dans le sol même de la maison, quelquefois dans une distante nécropole. Puis on lui construisit un abri de six planches, un tombeau de pierre, des monuments, des dolmens, des pyramides. Les dimensions du mausolée augmentaient avec l'importance du mort ou les ambitions de la famille. Certains peuples incinéraient le mort, ou le découpaient en morceaux digestes et l'exposaient à l'appétit des vautours.
Toutes ces méthodes perdurent. Le sort réservé aux défunts, comme toute pratique sociale, s'adapte aux aspirations religieuses, idéologiques, hygiéniques et économiques des peuples.

Le gouvernement chinois (1) l'a bien compris qui, dès la république nationaliste en 1928, interdit la plupart des rituels, relayé vers 1950 par le gouvernement communiste qui instaure un système funéraire moderne, matérialiste, égalitaire et obligatoire : la cérémonie est organisée par l'État, dans un lieu public, une unique musique officielle est jouée systématiquement, les proches n'ont pas le droit d'organiser de réception, d'offrir des cadeaux, de s'habiller en deuil, de pleurer. La crémation est immédiate et parfois collective pour mettre fin au culte des morts. Parallèlement sont lancées des campagnes de suppression des tombes pour libérer les terrains improductifs.
Et depuis 60 ans, la population chinoise s'ingénie à contourner ce système funéraire officiel, avec succès dans les campagnes. Le gouvernement relâche un peu la pression sur les points de croyance et de doctrine mais amplifie, par vagues, les actions de récupération des terrains rentables en généralisant exhumations et incinérations gratuites.
C'est un de ces fréquents épisodes qui émut récemment la presse internationale. Se sentant menacés parce que leurs quotas de crémation étaient faibles, les dirigeants municipaux de quelques villes du Henan (dont Zhoukou), ont relancé un peu fermement le programme officiel de suppression des cimetières.


Quand on exhume un corps, même dans le but louable de faire le bonheur du peuple, le mort vous regarde généralement d'une orbite désapprobatrice. (Gênes, cimetière Staglieno)


Aujourd'hui en Chine les cendres des trépassés, quand elles ne résultent pas d'une crémation collective, peuvent encore être récupérées par la famille, et quelquefois enterrées, à prix d'or, dans des cimetières administrés par les potentats locaux. Le mètre carré y est plus cher que celui des habitations dans la capitale.
Mais les théoriciens du Parti prévoient d'interdire un jour la conservation des cendres, prochaine grande étape vers la Lumière de la Vérité Ultime.
Sans défunts ni cimetières, la mort alors disparaitra, et cette chronique n'aura plus de raison d'être.

(1)  Les informations sur le système funéraire en Chine proviennent de cette étude de Fang et Goossaert en 2008 (également au format PDF)  

dimanche 26 avril 2009

Une victoire de la nécrophagie

Nous célèbrerons aujourd'hui les mérites des industries du son et de l'image. Elles se dépensent sans compter pour faire fructifier leur patrimoine artistique et il n'est pas un jour qui ne nous apporte des nouvelles relatives à leur pouvoir de conviction sur les représentants du peuple (1). Régulièrement, lorsqu'elles voient approcher l'échéance d'une usure de leur rente, elles déploient généreusement leur force de persuasion et obtiennent immanquablement une prolongation de leurs droits sur les œuvres des autres, généralement des morts.

C'est ainsi qu'avait été votée la loi du 3 juillet 1985, qui avait étendu la durée des droits patrimoniaux des œuvres musicales (droits de reproduction et de représentation cédés par contrat) de 50 à 70 ans après la mort de l'auteur. Il était temps ! L'œuvre de Maurice Ravel allait tomber dans le domaine public, et avec elle les droits sur le célèbre Boléro, qui rapporte toujours une fortune aux ayants-droit (2). Hélas ces manipulations, dans le cas de Ravel, n'ont repoussé l'échéance que jusqu'au 2 mai 2016. Il va falloir réagir !

Hyène scrutant le tombeau de Maurice Ravel pour y trouver un dernier morceau (allégorie). Taxidermie, Florence, Musée de zoologie La Specola.

Depuis, la durée de 70 ans a été généralisée à toutes les œuvres de l'esprit par la loi du 27 mars 1997.
Mais plus rentables encore que les droits d'auteur, il y a les «droits voisins», ceux des interprètes et producteurs de choses sonores et visuelles enregistrées. Leur statut juridique est très injuste. En France, leurs droits patrimoniaux s'éteignent 50 ans après l'enregistrement de l'œuvre, alors que les États-unis les font durer au moins 95 ans.
Avec la révolution numérique, en 20 ans à peine, on a bien réussi à contraindre la terre entière à régénérer sa discothèque sans avoir à renouveler le patrimoine musical, mais cette source s'épuise (3). Comment tenir jusqu'à l'imprévisible prochain bouleversement technologique avec le vieux fonds d'enregistrements des artistes morts ou presque ? Dans quelques mois, les enregistrements des Beatles, ceux de Maria Callas quand sa voix déclinait ou de Karajan qui s'embourbait dans des interprétations boursouflées, vont tomber dans le domaine public. Il y a urgence. Que faire ?

C'est simple. Obtenir de nos représentants, complaisants et sensibles aux questions financières, une augmentation de la durée des droits voisins. Et c'est précisément ce que vient d'accorder le Parlement Européen, jeudi passé. Il est vrai que les Industries y étaient allé un peu fort en réclamant 95 ans, presque un doublement de la durée des droits. Le Parlement leur a accordé 70 ans. C'était bien joué, ça laisse 20 ans pour peaufiner la prochaine «négociation».

On ne chantera jamais assez l'ingéniosité prodiguée par les industries rentières pour faire vivre les grandes œuvres du passé et éviter qu'elles ne sombrent dans l'oubli du domaine public. Et pour les grincheux qui y verraient malice, il reste toujours les fabuleux enregistrements phonographiques du pétomane. Ils datent d'avant 1914 et sont dans le domaine public.








Ci-contre Maurice Ravel, éveillé dans son cercueil, condamné à attendre le repos définitif tant que survivront ses droits d'auteur (allégorie). Cire anatomique, Florence, Musée de zoologie La Specola.



Mise à jour du 12.09.2011 : Le Conseil de l'Union Européenne vient d'émettre une directive qui n'est que la mise en application du texte voté par le Parlement le 23.04.2009, au moins sur le point de prolonger de 20 ans les droits voisins (interprètes et producteurs). Pourquoi 29 mois après ?

***
(1) On ne parlera pas ici de la célèbre et contre-productive loi Hadopi dont on peut prévoir sans risque qu'elle sera contournée avant sa promulgation et qu'elle aurait de toutes manières été inefficace. Les curieux pourront s'en informer sur le site de la Quadrature du Net.
(2) Il est amusant de noter l'ironie du paradoxe commenté maintes fois par Ravel à propos du boléro «Je l’ai composé comme un défi, on n’avait jamais écrit un morceau composé du même motif infiniment répété et de plus en plus fort. Hélas c’est ma seule pièce a avoir eu du succès, un succès considérable, un chef d’œuvre, mais un chef d’œuvre sans musique.»
(3) Bien que la vente de sonneries musicales pour téléphones mobiles soit prometteuse, malgré les doutes émis par certains cuistres sur la portée artistique du médium.