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vendredi 1 novembre 2019

La Presse s'est un peu oubliée

Le lecteur régulier du blog depuis au moins 2012 pourrait ne pas lire ce qui suit, car on y relate encore une fois, toujours avec la même intrigue, un épisode de la comédie des frères siamois, Pouvoir et Argent, qui se jalousent publiquement mais ne seront jamais séparés.

Résumons la situation par un petit apologue.

Imaginons le modeste artisan d’une petite fabrication d’articles de presse sur internet, qui consiste dans la recopie tels quels, mais enrichis, des communiqués de l’Agence de presse d’État (pour le néophyte, enrichis signifie entourés de jolis encarts publicitaires voyants, tentateurs et rétribués).
Il confie la promotion de ses articulets et la recherche du lecteur optimal à une Multinationale de l’analyse des données, qui a mis en œuvre d’énormes moyens afin de tout savoir sur les désirs et le comportement du public.
Il en ressent rapidement une agréable augmentation de son lectorat.
Mais il a l’arrogance de croire (ou faire croire), que ce petit succès est dû à la qualité de ses médiocres photocopiages enluminés, et emporté par le vertige de la cupidité, il fait voter par toute l’Europe, une loi qui instaure une obligation, pour la Multinationale et ses consœurs, de payer un droit d’affichage des éléments qu’il leur fournit pour attirer le lecteur. Comme si l’épicier demandait des honoraires au taxi qui connait son adresse et lui amène des clients.
Cette rémunération privée, doublement immorale, n’est motivée par rien d’objectif, sinon par la convoitise qu’éprouve le modeste artisan pour l’indécente richesse que la Multinationale a amassée en usant des lois mises en place par la corporation de l’artisan même afin d’éviter l’imposition de ses propres bénéfices.

Cette fable n’en est pas une, évidemment. La recommandation européenne faisant payer aux moteurs de recherche les liens qu’ils affichent vers les articles de presse entrait en application en France le 24 octobre 2019. Google avait annoncé qu’il indexerait alors les articles des organes de presse comme pour des simples particuliers (un titre et un lien), et que les journaux et sites qui voudraient être mis en avant par des images, extraits d’article et positionnements et signes distinctifs destinés à attirer l’œil de l’internaute, seraient les bienvenus s’ils acceptaient, par un accord, de fournir tout cela gratuitement. Le réseau social Facebook a depuis, d’une manière nettement plus équivoque, adopté la même position.

Chapiteau sur la façade de l’église Saint-Jacques d’Aubeterre-sur-Dronne, vers 1170. Les sculpteurs de l’époque avaient bien compris les liens troubles, fratricides mais infrangibles qui unissent Google, Facebook, et leurs obligés, puisqu'ils partagent le même organisme. 


Tous savaient que les multinationales ne fléchiraient pas. Qu’est-ce qui peut aveugler ainsi une corporation qu’on dit bien informée ? L’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, même la France, qui ont tenté depuis une dizaine d’années de s’approprier ainsi une part des bénéfices de Google, se sont toujours ridiculisés en tentant des procédés de « récupération détournée », qui n’ont jamais résisté plus de quelques jours à la menace de ne plus être favorisés, voire ne plus être indexés, et devenir invisibles au regard des lecteurs. 

Le 24 octobre résonna pourtant dans la presse unanime - à l’exception de Numérama qui explique clairement sa divergence - le chœur des journaux indignés, qui s’étaient pour l’occasion regroupés en une sorte de syndicat, APIG (Alliance de la Presse d’Information Générale) et couinaient « C’est intolérable, Google ne respecte pas la loi ! » Mais quelle loi ? Celle d’un minimum d’équité dans le partage privé du gâteau ?
Ils ont alors collectivement décidé de porter plainte auprès de l’Autorité de la concurrence.

Ne vous lamentez pas sur le sort des éplorés. Les principaux ont reconnu avoir déjà consenti à la convention de Google, et lui envoient toujours gratuitement, comme auparavant, les éléments d’information qui les mettent en évidence.

Ils ont eu une grosse frayeur, ont vagi un peu fort, mais c’est passé. Une couche propre, un peu de talc, et ils dorment en paix en attendant la décision de l’Autorité de la concurrence et ses inévitables suites judiciaires, pendant que leurs automates continuent d’enjoliver les communiqués de l’Agence France Presse.

lundi 22 octobre 2018

L'agonie du domaine public

On a tant parlé du domaine public et du droit d’auteur dans ce blog que le lecteur fatigué pourra s’éviter une perte de temps en ne lisant pas ce qui suit. Il s’évitera ainsi la contrariété d’une très mauvaise nouvelle.

On supposera connus, par le lecteur piégé par la perfidie de la phrase précédente, les méfaits de l’abus mercantile des droits de la propriété intellectuelle, et ainsi l'amenuisement des droits du public à la recherche, l’étude, la critique, l’enseignement, l’admiration des créations humaines.

Le Canada, était jusqu’à présent, un grand fournisseur du domaine public francophone en matière de littérature (grâce à la province du Québec), car sa loi considérait que les droits de la propriété intellectuelle cessent 50 ans après la mort de l’auteur (au lieu de 70 ans dans la plupart des législations). Par exemple, les écrits de Boris Vian sont protégés en France jusqu’en 2030, mais largement disponibles sur les sites canadiens.

Une telle situation ne pouvait pas durer. Pour satisfaire les exigences des États-Unis, une nouvelle mouture de l’accord commercial de libre-échange nord-américain, signée le 1er octobre 2018 par le Canada, l’oblige à prolonger de 20 ans sa durée du droit d’auteur. Ainsi les 20 années à venir seront un désert total pour le domaine public international et une déréliction pour l’amateur de littérature francophone numérisée.
Et comme le passage de 70 à 90 ans est déjà dans la liste des revendications en Europe, et que les États-Unis en sont à 95 ans dans certains domaines (c’est la « loi Mickey Mouse », faite pour que ce chef d’œuvre universel reste à jamais en mains privées), on peut commencer à décompter les jours restant à vivre pour le domaine public.

Relativisons toutefois, on se tuera certainement plus, dans les prochaines décennies, pour la possession d’un air respirable, d’eau courante et d’un coin de potager, que pour élever la musique et la littérature du 3ème millénaire à la béatitude d’un domaine public devenu dérisoire, même si la cause en est la même, la cupidité imbécile de l’espèce humaine.


Illustrer des abstractions comme le droit d’auteur ou le domaine public relève de la performance, aussi, pour alléger un peu cette chronique sans espoir, avons-nous tiré au hasard une jolie carte postale dans les jardins de l’Alhambra, à Grenade.

Et à propos de vénalité et d’imbécilité, le Parlement européen vient de voter définitivement, le 12 septembre, POUR la directive européenne sur le droit d’auteur, par 438 voix contre 226. Le plus amusant est qu’il avait voté CONTRE, le 5 juillet, par 318 voix contre 278. Ce qui fait 92 retournements de veste et 68 fraichement convaincus, le tout en 69 jours.
Persuader 160 députés européens en pleine période estivale n’est toutefois pas chose si prodigieuse. On a déjà constaté que l’industrie culturelle, qui se lamente continuellement, a de sérieux moyens inavoués de persuasion, jusqu’au monarque de la France qui a diffusé tous azimuts un tweet alarmant au moment décisif du vote.

Rappelons que les deux articles les plus discutés ont en réalité peu de chance de recevoir une mise en application pertinente.
L’article 11, qui instaure un droit rémunérateur sur les articles de presse référencés par d’autres sites, est une nouvelle tentative de faire passer la célèbre taxe Google. Il est probable que Gougueule y répondra encore par la menace d’arrêter le référencement de tous les articles de la presse européenne.
L’article 13, qui préconise le contrôle des droits d’auteur sur tous les contenus (y compris images et textes) avant toute publication sur internet, est aussi peu réaliste, vu le nombre d’erreurs que génèrerait une telle surveillance qui reviendrait alors à une censure préventive automatisée et généralisée, par tous les opérateurs privés qui en auront les moyens, et à la disparition des plus petits. Google et Facebook qui exercent déjà ce type de censure sur la musique et les vidéos commettent des milliers d’erreurs et d’abus de pouvoir chaque jour.

Mais qui sait ? Dans ce domaine, comme pour la survie de la « Civilisation », le pire est peut-être le plus probable.

dimanche 26 avril 2009

Une victoire de la nécrophagie

Nous célèbrerons aujourd'hui les mérites des industries du son et de l'image. Elles se dépensent sans compter pour faire fructifier leur patrimoine artistique et il n'est pas un jour qui ne nous apporte des nouvelles relatives à leur pouvoir de conviction sur les représentants du peuple (1). Régulièrement, lorsqu'elles voient approcher l'échéance d'une usure de leur rente, elles déploient généreusement leur force de persuasion et obtiennent immanquablement une prolongation de leurs droits sur les œuvres des autres, généralement des morts.

C'est ainsi qu'avait été votée la loi du 3 juillet 1985, qui avait étendu la durée des droits patrimoniaux des œuvres musicales (droits de reproduction et de représentation cédés par contrat) de 50 à 70 ans après la mort de l'auteur. Il était temps ! L'œuvre de Maurice Ravel allait tomber dans le domaine public, et avec elle les droits sur le célèbre Boléro, qui rapporte toujours une fortune aux ayants-droit (2). Hélas ces manipulations, dans le cas de Ravel, n'ont repoussé l'échéance que jusqu'au 2 mai 2016. Il va falloir réagir !

Hyène scrutant le tombeau de Maurice Ravel pour y trouver un dernier morceau (allégorie). Taxidermie, Florence, Musée de zoologie La Specola.

Depuis, la durée de 70 ans a été généralisée à toutes les œuvres de l'esprit par la loi du 27 mars 1997.
Mais plus rentables encore que les droits d'auteur, il y a les «droits voisins», ceux des interprètes et producteurs de choses sonores et visuelles enregistrées. Leur statut juridique est très injuste. En France, leurs droits patrimoniaux s'éteignent 50 ans après l'enregistrement de l'œuvre, alors que les États-unis les font durer au moins 95 ans.
Avec la révolution numérique, en 20 ans à peine, on a bien réussi à contraindre la terre entière à régénérer sa discothèque sans avoir à renouveler le patrimoine musical, mais cette source s'épuise (3). Comment tenir jusqu'à l'imprévisible prochain bouleversement technologique avec le vieux fonds d'enregistrements des artistes morts ou presque ? Dans quelques mois, les enregistrements des Beatles, ceux de Maria Callas quand sa voix déclinait ou de Karajan qui s'embourbait dans des interprétations boursouflées, vont tomber dans le domaine public. Il y a urgence. Que faire ?

C'est simple. Obtenir de nos représentants, complaisants et sensibles aux questions financières, une augmentation de la durée des droits voisins. Et c'est précisément ce que vient d'accorder le Parlement Européen, jeudi passé. Il est vrai que les Industries y étaient allé un peu fort en réclamant 95 ans, presque un doublement de la durée des droits. Le Parlement leur a accordé 70 ans. C'était bien joué, ça laisse 20 ans pour peaufiner la prochaine «négociation».

On ne chantera jamais assez l'ingéniosité prodiguée par les industries rentières pour faire vivre les grandes œuvres du passé et éviter qu'elles ne sombrent dans l'oubli du domaine public. Et pour les grincheux qui y verraient malice, il reste toujours les fabuleux enregistrements phonographiques du pétomane. Ils datent d'avant 1914 et sont dans le domaine public.








Ci-contre Maurice Ravel, éveillé dans son cercueil, condamné à attendre le repos définitif tant que survivront ses droits d'auteur (allégorie). Cire anatomique, Florence, Musée de zoologie La Specola.



Mise à jour du 12.09.2011 : Le Conseil de l'Union Européenne vient d'émettre une directive qui n'est que la mise en application du texte voté par le Parlement le 23.04.2009, au moins sur le point de prolonger de 20 ans les droits voisins (interprètes et producteurs). Pourquoi 29 mois après ?

***
(1) On ne parlera pas ici de la célèbre et contre-productive loi Hadopi dont on peut prévoir sans risque qu'elle sera contournée avant sa promulgation et qu'elle aurait de toutes manières été inefficace. Les curieux pourront s'en informer sur le site de la Quadrature du Net.
(2) Il est amusant de noter l'ironie du paradoxe commenté maintes fois par Ravel à propos du boléro «Je l’ai composé comme un défi, on n’avait jamais écrit un morceau composé du même motif infiniment répété et de plus en plus fort. Hélas c’est ma seule pièce a avoir eu du succès, un succès considérable, un chef d’œuvre, mais un chef d’œuvre sans musique.»
(3) Bien que la vente de sonneries musicales pour téléphones mobiles soit prometteuse, malgré les doutes émis par certains cuistres sur la portée artistique du médium.