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lundi 22 novembre 2021

Loin de Vienne

Un des Lorenzo Lotto du Kunsthistorisches Museum de Vienne. 
D'accord, tout le monde parait s'y ennuyer solidement, la pose sans bouger devait être longue et éprouvante, mais quel bleu !


« Il faut aimer la peinture Flamande et académique jusqu'au XVIIIième. Le musée est triste, les salles immenses ! […] Le prix élevé n'est pas mérité. Il faisait tellement beau dehors que nous sommes ressortis très vite. »
Un commentaire en septembre 2021 sur TripAdvisor, site international du voyageur cultivé qui pratique la numération romaine.

Le Kunsthistorisches Museum (KHM) abrite, au cœur de Vienne, en Autriche, la galerie de peinture ancienne la plus riche d’Europe (au mètre carré), et, par bonheur, une des moins visitées : 600 000 par an d’après Wikipedia. Imaginez des salles 15 fois moins peuplées que celles du Louvre !
Il expose pourtant les tableaux les plus connus des peintres les plus fameux du 15ème au 18ème siècle. Bien entendu depuis presque 2 ans les nombreuses restrictions des nations au droit de voyager limitent sérieusement les visites sur place. Reste le voyage immobile.  

Le site internet du musée remonte hélas presque à l’époque de la collection, pas autant que celui du Louvre néanmoins puisque des reproductions libres de droits et d’assez bonne qualité (jusqu’à 3000 pixels) de 25 000 œuvres, dont 2500 tableaux, sont disponibles.

Mais le site est peu fait pour la flânerie. Il faut savoir à l'avance ce qu’on y cherchera afin de filtrer et réduire le nombre de résultats.
Car comme le site de l’Art Institute de Chicago, celui du KHM affiche chaque page suivante d’une recherche en rechargeant l’ensemble des précédentes, si bien que, vers la page 20, il commence à dérailler et présenter des œuvres en double, triple, puis vers la page 30, tout bascule et les écrans se répètent, tous identiques. Alors on renonce, réalisant que tel Sisyphe on n’atteindra jamais les dernières œuvres de la requête. 

Pour confondre les incrédules et inciter les autres à aller y réviser, avec prudence dans les recherches néanmoins, les chefs-d’œuvre du passé, voici un florilège dans un ordre vaguement alphabétique. Ne tardez pas trop à les récolter, tous ces liens pourraient vite devenir caducs, le site est vétuste et l’hiver n’est pas loin.

Passons sur le joyau du musée, les 11 Brueghel père, déjà évoqués lors de la grande rétrospective de 2018 à Vienne et toujours visibles en gigapixels sur un site dédié miraculeux. Seul le Suicide de Saül, alors en restauration, manquait. Le voici aujourd’hui (ci-dessous), lisible et grandiose (mais pas en gigapixels).

Le 12ème Brueghel du musée, le suicide de Saül, enfin visible et limpide.
 

La visite commence, installez-vous, et un peu de silence s’il vous plait…

D’Altdorfer, cette résurrection volcanique parmi d’autres, d’Antonello de messine, sainte Dominique, de Baldung Grien, la Mort et sa salière, quelques beaux Jacopo Bassano, des Bellotto en pagaille, évidemment des vues de Vienne, le plus léché des Bronzino, le 12ème des Brueghel, le suicide de Saül, encore un suicide, celui de Cléopâtre par Cagnacci où la pleureuse au fond semble être le même personnage qui s’est déplacé pendant la pose comme dans un tableau animé, les 3 plus beaux Caravage, les Corrège les plus fumeux ou fantaisistes, des portraits incomparables de Cranach, un triptyque de Gérard David mal reproduit, deux superbes Del Mazo décidément très inspirés de Velazquez, des Dürer mémorables, des Francken comme s’il en pleuvait, 2 merveilles méconnues de Geertgen (Gérard) de saint Jean, peut-être le plus beau tableau de Gentileschi (Orazio, le père évidemment), 4 ou 5 Giorgione des plus réussis, de beaux Guardi, Holbein le jeune, 4 rares Wolf Huber mal reproduits, une scène plus rare encore et singulière, de Jacobus Mancadan dont il faudra un jour parler, un sobre portrait par Juan de Flandes, le plus fameux des Jordaens qui éclate lui aussi de retenue et de discrétion, parmi les Lorenzo Lotto le plus beau certainement (voir illustration), une salle d’interrogatoire accueillante par Magnasco, deux rares Patinir, fantastiques et bien reproduits, un étrange tableau de Christoph Paudiss, curieux peintre bavarois à suivre, quelques Rembrandt bien frappés, un déluge de Rubens, de beaux Johann Schönfeld, bon nombre de Spranger, un charmant Ter Borch intimiste (n’oubliez pas de zoomer), et puis des masses de vénitiens, Tintoret, Tiziano Vecellio (Titien), plein de paysages animés de Lucas Valckenborch, de Van der Goes sainte genoveva et son petit démon, et une pathétique descente de croix, de Rogier Van der Weyden l’immense triptyque de la crucifixion et ses anges presque noirs, un singulier portrait triste (peut-être un autoportrait) de Samuel van Hoogstraten derrière une fenêtre, des chefs-d’œuvre de Velazquez, l'atelier de Vermeer, une série d’architectures rêvées par Vredeman de Vries, et enfin une sombre image de confinement par Jacob Vrel.  

Qui dit mieux ?

Ajoutons pour être complet que le KHM a concédé au site Google Arts&Culture, naguère Google Institut culturel, et jadis Google Art project, l'autorisation de reproduire dans un ordre proche de l'aléatoire et une qualité nettement supérieure 100 de ses tableaux, dont bon nombre de notre florilège. La visite vaut réellement le coup d'œil pour qui souhaite en examiner des détails. 

N’oubliez pas le guide… Merci.
 

mercredi 8 juillet 2020

Il n’y a pas d’H à Ermitage (3 de 3)



Posologie : cette chronique contient presque autant de liens externes que de mots. Elle est par conséquent à manipuler avec précaution, voire à ingurgiter en plusieurs séances séparées par des périodes de repos d'une durée appropriée. Vous êtes avertis.

Les épisodes précédents ont montré que la visite virtuelle du musée de l’Ermitage à Saint-pétersbourg était une promenade plaisante, mais que la fonctionnalité était trop fantasque, voire aléatoire, pour une découverte instructive des collections.
Pour cela le site propose un catalogue, complet (antiquités, peinture, sculpture, gravure, dessin, mobilier, horlogerie, armurerie, numismatique, orfèvrerie, fiacres…) et efficace.
La recherche se fait en anglais (или по русски), elle privilégie la saisie multimot, les mots recherchés sont complétés en cours de saisie, les caractères jokers simple (?) ou multiple (*) sont autorisés (exemple : RU?SDAEL).  
Les images sont généralement de dimension et de qualité correctes (2000 pixels) et libres.

Le musée est si riche qu’il donne l’impression d’héberger peu de chefs-d’œuvre. C’est sans doute vrai relativement, mais il recèle une profusion de curiosités dont voici une liste évocatrice, incomplète et désordonnée, mais avec tous les liens (qui ne vivront peut-être plus si vous lisez cette chronique dans quelques années).

Plus de 50 Hubert Robert, beaucoup non exposés, 26 paysages du nord de Rockwell Kent, non exposés, des Rembrandt comme s’il en pleuvait, des David Teniers en pagaille, une vingtaine de paysages de Claude-Joseph Vernet, une dizaine de Bellotto, des Van Dyck à ne plus savoir où les mettre.

Huit Boilly dont la splendide scène de billard, deux nocturnes de Wright of Derby, des Degas exceptionnels, trois Willem Duyster aux mises en scène toujours aussi curieuses, plusieurs intérieurs d’église de Granet, comme d’habitude, dont un avec un chat inattendu, de splendides Alessandro Magnasco.

Une série de bluettes anecdotiques où François Flameng, vers 1900, imaginait Napoléon lutinant dans le parc de Malmaison ou pouponnant sur la terrasse de Saint-Cloud, des contes lestes de La Fontaine illustrés par Subleyras (non exposés), un tableau heureusement rarissime de l’actrice Sarah Bernhardt, et le célèbre et édifiant tableau de Jean-Paul Laurens qui figure l’empereur Maximilien du Mexique, juste avant d’être exécuté, promettant au prêtre effondré qu’il lui enverra des nouvelles du ciel.

Sans oublier ce charmant tableautin d'Hans von Marées avec sa gracieuse fontaine dont l’eau coule d’endroits imprévus, un Jacob Vrel agrémenté d'un gros numéro peint en rouge, quelques anonymes remarquables, comme ce saint Jean-Baptiste raccourci dans une architecture infernale, ou cette allégorie sanglante de la Révolution Française fourmillant de détails réjouissants, sans compter un nombre certain de tableaux en très mauvaise condition.

Enfin quelques magnifiques tableaux de peintres rares, Oswald Achenbach, Jan Asselijn, Gerard Ter Borch, Karl Buchholz, Jakob Hackert, Louis Tocqué, et la découverte d’un peintre remarquable, August Matthias Hagen, russe de la Baltique, certainement marqué par Friedrich, et dont l’Ermitage possède trois beaux paysages qu’il n’expose pas.



Et pour finir le plus beau tableau du musée, de 1699, cette merveilleuse femme au voile, sans doute le plus beau de Jean-Baptiste Santerre, portraitiste inégal universellement méconnu.

Avec vos propres critères de recherche, vous trouverez évidemment des dizaines d’autres merveilles dans ce catalogue.
Mais vous y ressentirez peut-être aussi un vague ennui, un sentiment de déjà vu, comme d’un voyage qui finalement ne vous aura pas divertis. C’est que l’Ermitage est un musée européen, fait à l’image des grands musées de l’Europe, pour leur ressembler et les dépasser, avec les mêmes artistes, et fait pour attirer sans les dépayser les 3 à 4 millions annuels de touristes européens d’aujourd’hui.

Il suffirait de sortir de l’Ermitage par la perspective Nevsky, de suivre les quais de la Moyka sur quelques centaines de mètres, de contourner la cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-sang-versé, énorme pâtisserie bourrée de crème et de fruits confits, puis de traverser le jardin où Pouchkine tend un bras de bronze couvert de pigeons et indique un grand bâtiment triste et ocre clair à l’architecture néo-classique. C’est le Musée Russe.
Là, vous seriez dans un autre monde. Celui de l’art russe. Mais le flux pâteux des touristes n’y passe pas, et le musée n’a pas les ressources pour construire un grandiose site virtuel à l’image de son voisin prestigieux.

Mise à jour le 15.07.2020 : Pour information, le musée de la vraie vie vient de rouvrir doucettement après 4 mois de lutte sans merci contre le virus planétaire. Le masque et les gants de caoutchouc sont obligatoires.

Détail des illustrations de la page : en haut August Hagen (bord de mer), au centre Jean-Baptiste Santerre (femme au voile), ci-dessous, Jan Asselijn (rupture d’une digue), Gerard ter Borch (portrait de Catarina van Leuninck), et un montage de 3 détails, de Flameng (Napoléon), Magnasco (bandits dans des ruines) et Oswald Achenbach (Fête nocturne à Naples).



 

vendredi 5 octobre 2018

La collection de la reine


Lorenzo Costa, Portrait de femme au petit chien, c.1500 (détail), exposé au château de Windsor.

On dit que la reine s’ennuie, dans son palais de Buckingham, depuis 65 ans, et qu’elle passe ses jours à éteindre les lampes que son entourage oublie. Il faut dire que son budget de fonctionnement a été divisé par trois, au fil des années.

Quand le soir tombe, après les heures de visite, elle se promène parfois dans les couloirs de la « Queen’s Gallery », la collection d’œuvres d’art confiées à la Couronne.
Elle se dit qu’il faudra bien un jour dire adieu à tous ces portraits peints qu’elle a, pour certains, rencontrés vivants. Elle pense qu’il faudra alors remplacer les grandes lettres sculptées ou gravées sur les frises et frontons et qui annoncent la Queen’s Gallery, par « King’s Gallery », sans doute. Et c’est idiot, mais il n’y a pas le même nombre de lettres. On devra peut-être changer tout l’ensemble en augmentant légèrement la taille des caractères. Encore des dépenses.

Le site internet qui présente la collection, prévoyant, n’aura rien à substituer puisqu’il parle déjà de « collection royale ». Elle compte 450 œuvres exposées, et 5500 peintures, 9500 aquarelles et 250 000 autres choses, dans les réserves.

Jakob Philipp Hackert, Cascade à Isola del Liri, 1793 (détail), Collection royale.

On y trouve quantité de chevaux, de bateaux, de soldats, de chevaux, de princesses, d’hommes importants abondamment médaillés, de chiens, de chevaux, de reines, de moutons, de scènes de bataille, sans oublier les chevaux.
En somme beaucoup de croutes et de navets, mais comme on ne peut pas se tromper tout le temps, il y a fatalement de beaux tableaux et quelques chefs d’œuvre.
Ne reculant devant aucune compromission, Ce Glob est Plat a affronté 1738 reproductions de chevaux, pour extraire un petit florilège plaisant, malgré un outil de consultation réfrénant les performances.
(Sous la vignette, n’oubliez pas d’appuyer sur le bouton rouge de droite, qui figure un machin entrant dans un truc, pour afficher l’image en haute définition et éventuellement la télécharger).

Voici donc la girafe nubienne d’Agasse, une bergère de Berchem, un curieux (comme toujours) Trophime Bigot, Rembrandt et sa femme Saskia peints par un élève, Ferdinand Bol, un minutieux paysage idyllique et frais de Jakob Hackert, une charmante scène scintillante de Gerard ter Borch, Un des innombrables Canaletto de la collection, vue imaginaire des quatre chevaux de Saint Marc à Venise descendus du balcon de la basilique et placés sur des piédestaux, un magnifique portrait du trop rare Lorenzo Costa, un double portrait par Lucas Cranach (exposé à Windsor).
Et puis une fin de journée ensoleillée de Cuyp, un intérieur lumineux par De Hooch, un singulier portrait derrière une fenêtre en trompe-l’œil, anonyme, un joyau de douceur, anonyme également, une vue de Tolède façon brumes antiques par David Roberts, et enfin l’inévitable, pour beaucoup la merveille de la collection, l’intérieur avec un virginal, une viole de gambe et deux personnages, ou Leçon de musique, de Vermeer. Actuellement visible uniquement dans des visites guidées de Buckingham, il quitte rarement l’Angleterre. En Europe, il n’a visité que deux fois la Hollande, à La Haye en 1996 et 2017.

Maitre anversois, La vierge et deux saintes, c.1520 (détail), Collection royale.


Trophime Bigot, Dans l'atelier de Joseph, c.1630 (détail), exposé au château d'Hampton Court.


Également dans la Collection royale, le Massacre des innocents, scène biblique par Pieter Brueghel l’ancien, mérite un paragraphe particulier parce qu’il a une petite histoire croustillante.

Peint vers 1565, c’est une variante fidèle d’un tableau actuellement au Kunsthistorisches museum de Vienne. On y voit des soldats espagnols et allemands exterminer dans la neige des enfants en bas âge (ils razziaient effectivement les Pays-Bas à l’époque du tableau).
Mais celui de Londres a été retouché après la mort de Brueghel, entre 1604 et 1621, et transformé en épisode de pillage. Les enfants on été remplacés par des volailles diverses, des dindes, un cygne, un sanglier, une grande poterie et un veau au premier plan. Seuls deux ou trois enfants, pas encore morts sur la version de Vienne, ont été également épargnés par cette censure vertueuse. Au centre, commandant la troupe, la grande barbe reconnaissable du duc d’Albe a certainement été escamotée, au fond les flammes d’un incendie consumant les maisons et le ciel ont été ajoutées, puis effacées en 1941.
Malgré la présence des enfants sous la couche de repeints, les restaurateurs anglais ont préféré conserver la version animalière, qui, si elle ne dénature pas l’intention politique de Brueghel, l’édulcore sérieusement.

L’énorme rétrospective Brueghel (ou Bruegel) qui vient de débuter pour 4 mois, à Vienne en Autriche (chose qu’on ne voit qu’une fois dans une vie, comme l’annonce le site de l’exposition), était l’occasion idéale de juxtaposer les deux tableaux pour les livrer au jeu des 7 erreurs. Mais la reine n’a pas voulu prêter son Brueghel.
On ne lui a peut-être pas demandé.


Pieter de Hooch, Joueurs de cartes dans un intérieur ensoleillé, 1658 (détail), exposé à Buckingham Palace


Canaletto, Capriccio avec les chevaux de Saint Marc sur la Piazzetta, 1743 (détail), exposé à Edimbourg Palace of Holyroodhouse

vendredi 15 décembre 2017

Améliorons les chefs-d'œuvre (12)

Le grand Van Meegeren, peintre médiocre qui mystifia une génération d’experts et d’amateurs d’art, dont le pilleur nazi Hermann Goering, en leur vendant des Vermeer, des De Hooch, des Ter Borch, qu’il avait peints dans sa cuisine, est mort d’une faiblesse du cœur en 1947.
Il allait sortir de prison où il venait de prouver, en réalisant un faux Vermeer devant ses juges, qu’il n’était pas traitre à la patrie hollandaise, puisque les tableaux vendus aux nazis étaient tous des faux de sa main. Histoire fabuleuse, et les juges en furent émus et le punirent avec clémence du minimum symbolique d’un an de prison pour contrefaçon.

Le lecteur qui connait un peu les lubies de ce blog, et sait peut-être que 1947 + 70 font 2017, aura déjà deviné que le 1er janvier 2018 marquera le premier jour de l’année suivant le 70ème anniversaire de la mort du peintre, et qu’alors son œuvre (celle qui lui est attribuée) entrera glorieusement dans le domaine public de l’humanité.
Pour les mêmes raisons, les tableaux de Pierre Bonnard et d’Albert Marquet, les vrais comme les faux, pourront dans quelques jours être reproduits librement, sans avoir à payer de droit. On y inclura les tableaux de Blanche Hoschedé-Monet, élève et belle-fille de Claude Monet, dont nombre de toiles troublent sans doute les spécialistes lorsqu’il s’agit de leur attribution.

Et il est bon d’honorer les faux et les faussaires, car les copies et les faux anciens que les années ont recouverts d’un voile d’ignorance de plus en plus opaque sont devenus aussi beaux que des originaux. Voyez les imitations romaines de la statuaire grecque classique. Un jour vraisemblablement, les plus réussis des faux de Van Meegeren, notamment certains Ter Borch, seront jugés authentiques (c'est peut-être déjà le cas).

On ne peut dès lors qu’applaudir notre époque qui ne sait plus distinguer et mélange sans vergogne le factice et l’authentique.

L’actualité en présente un cas exemplaire à travers l’histoire de cette effigie du Christ « Salvator Mundi », dont le visage informe et inexpressif évoque une méduse qui aurait abusé de substances psychotropes. 
Les acheteurs de sa première vente identifiée ne s’y étaient pas trompés qui l’avaient acquise en 1958 pour l’équivalent d’une cinquantaine de dollars. Il suffisait de noter la mollesse et le manque de cohérence des drapés, l’anatomie défaillante des bras, des pouces, le visage trop repeint sorti d’une chirurgie reconstructive, et affligé d’une dissymétrie comme le collage de deux moitiés juxtaposées. 

Mais les affaires sont les affaires. Depuis 2007 un nombre qu'on dit croissant d’experts l’attribuent à Léonard de Vinci. Alors évidemment, ce qui devait arriver s’est produit, le tableau vient de pulvériser tous les prix les plus absurdes jamais entendus en salle des ventes. 400 millions de dollars pour un Léonard de Vinci douteux, ou au mieux un Léonard achevé par un élève médiocre. 
En réalité l’acheteur paiera 450 millions, la différence revenant aux taxes et au saltimbanque à cravate dont le sourire s’élargissait à proportion des minutes écoulées et qui tapa de son petit marteau après 20 minutes d’enchères.

Et pour parachever l’affaire, on dit que le tableau a été acheté par un prince saoudien, et qu’il deviendra sans tarder le fleuron du musée du « Louvre Abu Dhabi ». 
L’histoire ne pouvait que finir ainsi, en véritable coup de maitre. Un Léonard à peine authentique trônant sur la cimaise d’un musée artificiel né d’une opération de marketing de luxe, où le Louvre prête, moyennant une juteuse rémunération, son nom (la marque Louvre pendant 30 ans), les services payants de l’architecte officiel du prestige français, et des chefs-d’œuvre mineurs pendant 10 ans. 



Ainsi, pour améliorer un chef-d’œuvre (ou en l’espèce transformer un tableau raté en chef-d’œuvre), il y a d’autres voies que celle de la retouche. 
On peut lui attribuer un peintre de valeur, rechercher des éléments de preuve qui colleraient avec cette hypothèse, éluder ceux qui gênent, faire mijoter longuement dans un bain d’experts, accompagner d’une campagne publicitaire à la hauteur, et exposer le tout avec les honneurs dans un lieu luxueux très en vue dans les médias. 

L’opération est certes laborieuse mais l’attrait du gain réunit toutes les bonnes volontés, et quand elle réussit, le résultat est là. Un vrai chef-d’œuvre ! 

Mise à jour le 20.11.2018 : L'acheteur du faux Léonard serait, d'après un journal des plus fiables, le prince MBS d'Arabie saoudite, devenu rapidement célèbre depuis son accession au pouvoir, par ses actes qui rappellent ceux du Père Ubu, projet d'un canal qui longerait la frontière avec le Qatar et le transformerait ainsi en une ile, purge stalinienne d'une bonne part de son entourage, incitation au dépeçage dans son ambassade en Turquie, avec transit des morceaux en valise diplomatique, d'un journaliste qui taquinait un peu trop sa gestion, organisation d'un génocide au Yémen (soutenu notamment par les armes françaises et la logistique américaine)...
 

vendredi 24 février 2017

Les 12 Vermeer que nous ne verrons pas

Les 12 Vermeer (voir le détail en fin de chronique)

En juillet 2015 le Louvre, par le moyen du concept de « billet unique », maquillait une augmentation de 25% du prix de l’entrée au musée. Ce nouveau billet donnait désormais droit à la visite, le même jour, des collections permanentes et de toutes les expositions ouvertes.

Depuis, le Louvre n’avait pas encore organisé d’exposition « qui cartonne », de ces expositions où le visiteur ne peut acheter son billet qu’en le réservant à l’avance et en précisant l’heure de sa venue, afin de réguler le déferlement prévu des foules de visiteurs.
Or c’est ce qui arrive depuis le 22 février et jusqu'au 22 mai avec l’exposition « Vermeer et les maitres de la peinture de genre », exhibition promise à tous les records de fréquentation qui regroupe presque un tiers des tableaux de Vermeer (ce qui n’en fait cependant que 12, dont certains plutôt douteux).
Et on réalise soudain, avec les responsables du  musée certainement, que le système de réservation horaire n’a plus aucun sens lors de l’achat d’un billet unique puisque le visiteur peut décider une fois sur place d’aller voir ou non l’exposition, et à n’importe quelle heure. Toute anticipation des flux est devenue impossible.

Alors le Louvre, qui doit respecter les règles de sécurité qui imposent un nombre maximum d’humains (500 dit-on) en même temps dans une exposition, a mis en place une stratégie géniale en 3 étapes simples :

1. Le client réserve sur internet son entrée dans l’enceinte du musée. Il précise la demi-heure de son arrivée, durant laquelle il stationnera alors dans la première file d’attente, sans abri. Au-delà de cette demi-heure, en cas de retard, le client redeviendrait du bétail qui n’a pas réservé et retournerait dans la file d’attente des infortunés, qui peut durer plusieurs heures. Notons que le billet acheté en ligne accuse une hausse de 42%, à 17 euros. Les privilèges se payent.

2. Une fois dans l’enceinte du musée, clients ou bétail se plantent derrière une nouvelle file d’attente, cette fois pour réserver un créneau horaire de visite de l’exposition. On peut supposer qu’elle sera un peu moins longue que l’attente passée sous la pluie puisque les visiteurs venus voir les collections permanentes auront été écrémés.

3. Enfin, à l’expiration de cette deuxième attente, c’est face à la personne préposée à la distribution des horaires de disponibilité de l’exposition que le visiteur connaitra enfin son sort en apprenant à quelle heure il pourra espérer voir ses Vermeer. Et là, aucune prévision n’étant possible, cette troisième attente sera plus ou moins longue, c’est selon... Faisons confiance à la puissance organisatrice des gestionnaires de l’établissement public administratif du Louvre.

Et ne parlons pas du touriste un peu connaisseur qui était venu pour l’exposition simultanée consacrée au peu connu et caravagesque Valentin de Boulogne, qui n’a pourtant rien d’une exposition qui cartonne. Au milieu de ce cataclysme, il y a longtemps qu'il se sera immolé.

Quelques heures ont passé…

Allons bon, au moment de mettre sous presse, un article de Monsieur Rykner signale que dès le jour d’ouverture des deux expositions les réservations pour l’entrée dans l'enceinte du musée sont déjà complètes jusqu’au jour de leur fermeture, et que du bétail qui a déjà réservé et réussi à entrer dans le musée peut se voir refuser l’entrée à l’exposition pour laquelle il avait payé. D'ailleurs le service de billetterie officielle en ligne est indisponible aujourd'hui « en raison d'un problème technique », ce qui n'est pas grave puisqu'il ne sert à rien.

Finalement, pour une des rares fois que Ce Glob est Plat décide de parler d’une exposition qui est encore visible, elle ne l’est plus.

Alors pour nous consoler, voici donc sur l'illustration plus haut les 12 Vermeer exceptionnellement réunis à Paris et que nous ne verrons pas, sauf à poireauter dans une file d’attente sans abri pendant des heures sans garantie de pouvoir finalement entrer.
Vous y trouverez, dans le sens occidental de lecture, deux femmes et une lettre, la peseuse, la yaourtière, la dentelière, la lettre interrompue, le collier, un géographe, un astronome, un luth, une allégorie, une viole de gambe, un virginal, auxquels il faudrait ajouter deux Ter Borch d’Amsterdam (Femme au miroir et la célèbre Conversation galante), un Ter Borch de La Haye (Femme écrivant une lettre), deux Metsu de Dublin (Homme écrivant une lettre et Femme lisant une lettre), des Gérard Dou et une cinquantaine d’autres choses palpitantes.

Et réservons une pensée attristée pour le pauvre Valentin de Boulogne, dommage collatéral qu’on ne pourra sans doute pas visiter non plus.


Mises à jour : Le chaos dû à l'incurie du Louvre prenant de l'ampleur, vous trouverez ici régulièrement mis à jour des liens vers les articles et témoignages significatifs sur le sujet : 
25.02. Les mésaventures d'un visiteur pourtant privilégié où l'on apprend que la 3ème attente peut durer 5 heures !
25.02. Une description du désastre dans un journal sérieux (attention, pour excuser la négligence du musée on commence à rendre le public responsable, qui viendrait en trop grand nombre). 
27.02. Pour qu'il ne reste aucun souvenir de ce fiasco le Louvre interdit (parfois violemment) aux veinards qui visitent de photographier les œuvres des deux expositions. Calimaq en profite pour rappeler en détail et avec force arguments juridiques que cela constitue un abus de pouvoir administratif et que le Louvre agit dans la plus parfaite illégalité.   
27.02. Dans un communiqué farci de contrevérités le Louvre reconnait (implicitement) ses erreurs et déclare travailler maintenant à la mise en place des réservations obligatoires en ligne avec créneaux horaires, ce qui aurait dû être fait depuis des mois. Il reste à savoir combien de temps leur sera nécessaire pour développer cette simple fonction. 
28.02. Sur le site de Libération, un article synthétique mais complet et détaillé sur l'autorisation de photographier dans les expositions temporaires reprend l'essentiel de l'argumentaire de Pierre Noual sur S.I.Lex le blog de Calimaq.
28.02. Sur le site du Parisien, organe beaucoup lu, un petit article désagréable et raffiné (à propos de la Laitière, « le Louvre patine dans la semoule ») le journal rapporte que la réservation des billets en ligne devrait reprendre aujourd'hui...  
01.03. Dans le nouveau numéro 39 de Grande Galerie, le journal du Louvre, le président du musée claironne dans son éditorial sur la révolution de l'accueil des visiteurs opérée au Louvre en 2016. Prémonitoire !
02.03. Le Figaro du 28.02 a obtenu des informations sur les nouvelles modalités de billetterie. Et elles ne sont pas vraiment claires. Le site de réservation en ligne rouvrirait le lundi 6 mars. On pourra cette fois réserver un créneau horaire d’entrée dans l’exposition (mais laquelle, Vermeer ou Valentin, ça n’est pas précisé. Espérons pour les amateurs de Valentin que la distinction sera faite à ce moment). Cependant cette réservation n’empêcherait pas, d'abord la file d’attente à l’extérieur du musée, puis la deuxième file dans le hall du musée, mais qui serait limitée à 45 minutes, promesse du Louvre. On ne voit pas du tout comment cela peut s’agencer si la réservation n’est pas un coupe-file d’entrée dans l’enceinte du musée !
05.03. Hier samedi Monsieur Hasquenoph (LouvrePourTous) faisait paraitre un sidérant récapitulatif du fiasco du Louvre. On y lisait les mots incompétence, illégalité, chaos total, effarement, pagaille, pratique commerciale trompeuse, scandaleux, plaintes, remboursement, et enfin préavis de grève. Car il dévoilait, pour ajouter au désastre, qu'un préavis de grève reconductible du personnel du musée, qui se sent dans l'insécurité et subit des agressions de la clientèle en raison du manque d'organisation, a été déposé pour le 10 mars (et peut-être les 7 et 8 mars). 
Néanmoins le Louvre a mis en ligne hier le nouveau mode de réservation (présenté plus haut le 2 mars et prévu pour le 6) mais le site était submergé et inaccessible quasiment toute la journée. Aujourd'hui l'achat de billets est possible et confirme que la solution est encore défectueuse, notamment parce que la méthode des files d'attente consécutives n'a pas beaucoup changé, parce que la réduction des délais n'est qu'une promesse, et parce que l'exposition Valentin est toujours solidaire de Vermeer et que les amateurs qui auraient envie de la voir seront probablement découragés par la longue attente et les difficultés d'accès. Et les salles Valentin resteront certainement presque vides.     
09.03. La Tribune de l'art relatait hier un fait sidérant : un étudiant était évacué par la police dans la plus parfaite illégalité parce qu'il photographiait dans l'enceinte de l'exposition Vermeer !
 
On ne regrettera pas trop d'avoir manqué ce tableau, récemment reconnu du bout des lèvres par les experts comme un Vermeer. Alors un Vermeer inachevé, qu’on aurait sorti de sa poubelle et retapé grossièrement pour lui donner une apparence convenable.

dimanche 22 février 2015

Made in China

Tout conservateur de musée soucieux de la protection du patrimoine qu'il administre a certainement un jour eu cette idée iconoclaste, qu'il aura aussitôt refoulée : remplacer tous les tableaux en exposition par des copies.

Et bien c’est ce qu’expérimente depuis le 10 février et jusqu’au 26 avril le musée de Dulwich (Dulwich Picture Gallery) dans le sud de Londres, sous l'impulsion de l'artiste conceptuel Doug Fishbone (un artiste conceptuel est un être humain qui a des idées - au moins une - et au moins un talent, celui de savoir faire réaliser ses idées par d'autres).

En fait, un seul des tableaux exposés à Dulwich est une copie, réalisée sur commande par un atelier chinois (il en existe des centaines), contre 160 euros. Reçue par la poste elle est aujourd'hui exposée à la place du tableau original et dans son cadre ancien.
Le public et les experts sont invités à l'identifier parmi les 270 tableaux du musée, et gagner, pour ceux qui le découvriront, une reproduction (imprimée cette fois) d’une œuvre de la collection.

L’idée est de mettre en question les ingrédients qui constituent la valeur qu’on attribue aux choses, le décorum de la visite, l’autorité du musée, le fétichisme attaché au nom de l’artiste…
Elle rappelle l’expérience récente où des musiciens professionnels devaient juger à l’aveugle, au jeu et à l’écoute, des violons modernes et des Stradivarius mythiques. Les résultats étaient édifiants.

Et la collection de Dulwich est prédisposée à ce type de jeu de devinettes. Assemblés au 18ème siècle pour le roi de Pologne, ses tableaux achetés un peu vite se sont révélés en majorité des copies, des pastiches, des « atelier de », ou « dans le style de ».
Ainsi, il est bien possible que le penchant de Fishbone pour la plaisanterie l’ait conduit, pour le plaisir de la mise en abyme, à commander aux chinois la copie d’une copie, ou au moins d’une toile à l’authenticité douteuse.

Enfin, les deux tableaux seront juxtaposés le 28 avril prochain et exposés ainsi durant trois mois.
Que pourra-t-on en déduire si l’expérience « réussit », c’est-à-dire si d'ici là personne n’a trouvé la réplique chinoise ?


Han van Meegeren, portrait de femme à l’éventail à la manière de Gerard Ter Borch, vers 1930-40. Il trompa les plus grands experts et musées en peignant notamment des pastiches de Vermeer. Il dut avouer sa supercherie en 1945 afin de sauver sa tête, en prouvant qu’un tableau de Vermeer qu’il avait vendu au nazi Hermann Goering était en réalité de sa main.