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mardi 4 juillet 2023

Wadsworth ?

Nicolas Berchem, Maure offrant un perroquet à une dame, 90 x 94cm, Wadsworth atheneum.

Avez-vous jamais entendu parler du Wadsworth atheneum, musée et centre culturel parmi les plus riches des États-Unis, dans la capitale de l’état du Connecticut, Hartford ?

Il y a longtemps, peut-être, à l’occasion du vol du Van Gogh au musée Khalil du Caire, quand le petit monde de l’information apprenait qu’avait existé un tableau de fleurs de Van Gogh dans ce petit musée oublié même par la capitale qui l’hébergeait. Dans l’urgence les médias se mettaient en quête d’une reproduction pour en inonder la planète. La pioche tombait sur un tableau de fleurs attribué à Van Gogh, mais qui trônait alors sur les cimaises du Wadsworth atheneum, et que tous les experts (et un certain bon sens) excluaient du catalogue du peintre. 9 ans plus tard les mêmes experts le réattribuaient à Van Gogh, au grand soulagement du Wadsworth et à la consternation des tenants du bon sens.

Mais le Wadsworth détient bien d’autres tableaux, unanimement vantés, de Caravage, Zurbaran, Boudin, Harnett (le célèbre Faithful Colt), Monet (encore des nymphéas), Vigée-Lebrun, et même la désormais inévitable Artemisia Gentileschi.

Une place particulière y est faite aux peintres paysagistes de l’école de la rivière Hudson, parce que le fondateur du musée, Daniel Wadsworth (évidemment), millionnaire par héritage, amateur d’art dilettante, vaguement peintre et architecte, avait beaucoup admiré et soutenu Thomas Cole (ill. détail 3), Alvan Fisher et Frederic Church (ill. détail 4).
Après Wadsworth, les donateurs défiscalisés se succèderont, le banquier JP Morgan qui se défera de son encombrante collection de meubles de la Renaissance et de ses faïences de Sèvres, la veuve de Samuel Colt qui lèguera la collection d’armes de feu son mari, et ainsi de suite, jusqu’à constituer aujourd’hui le plus grand musée du Connecticut.

Son site internet n’a pas la qualité de celui des grands musées, les reproductions sont correctes mais de dimensions insuffisantes pour les détails et son ergonomie date un peu. Rien de bien attirant.
Néanmoins une déambulation dans ses salles virtuelles fera découvrir aux touristes immobiles quelques chefs-d’œuvre méconnus, des curiosités distrayantes et des scènes indéfinissables qui font tout le plaisir de ces promenades dans des lieux inconnus d'où l'on rapporte plus de questions que de certitudes. 


Petit florilège d’œuvres du Wadsworth qui méritent un détour :

L’étonnante mise en scène par Orazio Gentileschi (le père) du thème pourtant rebattu de Judith et la tête d’Holofernes, une série de beaux portraits dans le Fils prodigue de Cornelius van Haarlem, le plus fantastique des Berchem (avec celui du musée de Rouen) (ill. d'entête), d’un anonyme une architecture inutile pleines de statues, de balcons et de personnages aux gestes incompréhensibles, une série des paysages les plus populaires de Bierstadt, une rare annonciation nocturne de Caracciolo (ill. détail 1), de Lucas Cranach une scène de repas où un aristocrate manifestement rassasié refuse un dernier fromage de tête qui lui est présenté avec amabilité, un rêve de Salvador Dalì (ill. détail 5), de Pieter Elinga Janssens une scène d’espionnage libertin (hélas abandonnée à la poussière - ill. détail 2), un Pietro Longhi aussi léger, quelques beaux paysages de DC Johnson, Jongkind, Kensett, une étude ou copie d’une partie de l’extase de François d’après Georges de La tour, de Magnasco une scène de chasse, ou peut-être de vengeance si l'on considère le gibier pointé, de Pynacker une de ses scènes sans pareilles, fluviale et sylvestre, deux Michael Sweerts dont un portrait aussi beau qu’un Vermeer, de Traversi une partie de dames qui finira mal, la vue de Delft de Vosmaer après l’explosion de la poudrière en 1654, un allégorie bien ratée de la mort par Wright of Derby, une belle série d’Andrew Wyeth (ill. détail 6), et tant d’autres choses…


Détails dans les salles du Wadsworth atheneum, Caracciolo, Elinga Janssens, Thomas Cole, Frederic Church, Salvador Dali, Andrew Wyeth.

vendredi 5 octobre 2018

La collection de la reine


Lorenzo Costa, Portrait de femme au petit chien, c.1500 (détail), exposé au château de Windsor.

On dit que la reine s’ennuie, dans son palais de Buckingham, depuis 65 ans, et qu’elle passe ses jours à éteindre les lampes que son entourage oublie. Il faut dire que son budget de fonctionnement a été divisé par trois, au fil des années.

Quand le soir tombe, après les heures de visite, elle se promène parfois dans les couloirs de la « Queen’s Gallery », la collection d’œuvres d’art confiées à la Couronne.
Elle se dit qu’il faudra bien un jour dire adieu à tous ces portraits peints qu’elle a, pour certains, rencontrés vivants. Elle pense qu’il faudra alors remplacer les grandes lettres sculptées ou gravées sur les frises et frontons et qui annoncent la Queen’s Gallery, par « King’s Gallery », sans doute. Et c’est idiot, mais il n’y a pas le même nombre de lettres. On devra peut-être changer tout l’ensemble en augmentant légèrement la taille des caractères. Encore des dépenses.

Le site internet qui présente la collection, prévoyant, n’aura rien à substituer puisqu’il parle déjà de « collection royale ». Elle compte 450 œuvres exposées, et 5500 peintures, 9500 aquarelles et 250 000 autres choses, dans les réserves.

Jakob Philipp Hackert, Cascade à Isola del Liri, 1793 (détail), Collection royale.

On y trouve quantité de chevaux, de bateaux, de soldats, de chevaux, de princesses, d’hommes importants abondamment médaillés, de chiens, de chevaux, de reines, de moutons, de scènes de bataille, sans oublier les chevaux.
En somme beaucoup de croutes et de navets, mais comme on ne peut pas se tromper tout le temps, il y a fatalement de beaux tableaux et quelques chefs d’œuvre.
Ne reculant devant aucune compromission, Ce Glob est Plat a affronté 1738 reproductions de chevaux, pour extraire un petit florilège plaisant, malgré un outil de consultation réfrénant les performances.
(Sous la vignette, n’oubliez pas d’appuyer sur le bouton rouge de droite, qui figure un machin entrant dans un truc, pour afficher l’image en haute définition et éventuellement la télécharger).

Voici donc la girafe nubienne d’Agasse, une bergère de Berchem, un curieux (comme toujours) Trophime Bigot, Rembrandt et sa femme Saskia peints par un élève, Ferdinand Bol, un minutieux paysage idyllique et frais de Jakob Hackert, une charmante scène scintillante de Gerard ter Borch, Un des innombrables Canaletto de la collection, vue imaginaire des quatre chevaux de Saint Marc à Venise descendus du balcon de la basilique et placés sur des piédestaux, un magnifique portrait du trop rare Lorenzo Costa, un double portrait par Lucas Cranach (exposé à Windsor).
Et puis une fin de journée ensoleillée de Cuyp, un intérieur lumineux par De Hooch, un singulier portrait derrière une fenêtre en trompe-l’œil, anonyme, un joyau de douceur, anonyme également, une vue de Tolède façon brumes antiques par David Roberts, et enfin l’inévitable, pour beaucoup la merveille de la collection, l’intérieur avec un virginal, une viole de gambe et deux personnages, ou Leçon de musique, de Vermeer. Actuellement visible uniquement dans des visites guidées de Buckingham, il quitte rarement l’Angleterre. En Europe, il n’a visité que deux fois la Hollande, à La Haye en 1996 et 2017.

Maitre anversois, La vierge et deux saintes, c.1520 (détail), Collection royale.


Trophime Bigot, Dans l'atelier de Joseph, c.1630 (détail), exposé au château d'Hampton Court.


Également dans la Collection royale, le Massacre des innocents, scène biblique par Pieter Brueghel l’ancien, mérite un paragraphe particulier parce qu’il a une petite histoire croustillante.

Peint vers 1565, c’est une variante fidèle d’un tableau actuellement au Kunsthistorisches museum de Vienne. On y voit des soldats espagnols et allemands exterminer dans la neige des enfants en bas âge (ils razziaient effectivement les Pays-Bas à l’époque du tableau).
Mais celui de Londres a été retouché après la mort de Brueghel, entre 1604 et 1621, et transformé en épisode de pillage. Les enfants on été remplacés par des volailles diverses, des dindes, un cygne, un sanglier, une grande poterie et un veau au premier plan. Seuls deux ou trois enfants, pas encore morts sur la version de Vienne, ont été également épargnés par cette censure vertueuse. Au centre, commandant la troupe, la grande barbe reconnaissable du duc d’Albe a certainement été escamotée, au fond les flammes d’un incendie consumant les maisons et le ciel ont été ajoutées, puis effacées en 1941.
Malgré la présence des enfants sous la couche de repeints, les restaurateurs anglais ont préféré conserver la version animalière, qui, si elle ne dénature pas l’intention politique de Brueghel, l’édulcore sérieusement.

L’énorme rétrospective Brueghel (ou Bruegel) qui vient de débuter pour 4 mois, à Vienne en Autriche (chose qu’on ne voit qu’une fois dans une vie, comme l’annonce le site de l’exposition), était l’occasion idéale de juxtaposer les deux tableaux pour les livrer au jeu des 7 erreurs. Mais la reine n’a pas voulu prêter son Brueghel.
On ne lui a peut-être pas demandé.


Pieter de Hooch, Joueurs de cartes dans un intérieur ensoleillé, 1658 (détail), exposé à Buckingham Palace


Canaletto, Capriccio avec les chevaux de Saint Marc sur la Piazzetta, 1743 (détail), exposé à Edimbourg Palace of Holyroodhouse