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mardi 3 décembre 2019

La malédiction du Louvre

« Il est temps de décrocher Mona Lisa. […] Le Louvre n’a pas un problème de surpeuplement, il a un problème de Mona Lisa[…] Il faut qu’elle s’en aille. Elle est un risque pour la sécurité et un obstacle pour l’éducation. […] Les Anglais viennent d’élire cette année Mona Lisa l’attraction la plus décevante au monde, battant ainsi Checkpoint Charlie. […] Aucune œuvre d’art ne devrait rendre les gens malheureux. »
Jason Farago, éditorialiste spécialiste de l’art, publiait dans le New York Times du 6 novembre 2019 un article grinçant, après une visite du Louvre en été, article en accès libre sur artdaily.com.

Le Louvre en 2024. Les salles sans Joconde, jamais visitées, sont devenues trop couteuses à entretenir et à surveiller. On en a supprimé tous les tableaux. Il est toujours possible de les voir, un par un et sur demande, en prenant rendez-vous, dans les réserves de Lens, mais la visite privée est hors de prix.


Le rôle principal d’un musée de beaux-arts est, encore pour quelques temps, de préserver et présenter le patrimoine artistique des peuples, avec tout le flou que comporte chacun des termes de la proposition.
Préserver, c’est empêcher la dégradation naturelle. Dans un système physique on appelle cela réduire l’entropie, dans un système économique c’est dépenser sans fin.
S’agissant du domaine public, il est logique que cette dépense soit financée par l’État et l’impôt. Mais, ici comme dans bien d’autres domaines plus vitaux, l’État se défile progressivement.
Dans le cas des subventions au Louvre, en 10 ans par exemple, la participation de l’État a été réduite de 16%, soit une baisse de 26% en comptant l’inflation (14%), quand le nombre de visiteurs augmentait de 20%.
Il est juste de dire qu’en contrepartie l’établissement public est libre d’imaginer tous les moyens, pas nécessairement légaux, de compenser cette érosion.
Et là, c’est le Far West ! Le Louvre se comporte depuis une vingtaine d’années comme une entreprise désespérée au bord de la faillite, capable de n’importe quel acte irréfléchi.

Passons rapidement sur la prolifération des visites ou soirées privées pour gens fortunés, sur les prêts d’œuvres (qui sont des locations très lucratives, parfois de très longue durée), et sur les réductions d’effectifs et par conséquent la fermeture régulière de 20% à 30% des salles du musée, justifiées par des travaux imaginaires dans un plan annuel des fermetures.

Il y eut, en 2005 et pendant les années suivantes, l’interdiction de prendre des photographies à l’intérieur du musée, afin d’augmenter la vente de cartes postales, véritable comédie de la mesquinerie en quelques épisodes peu reluisants, petitesse qui sévit toujours, illégale, à l’occasion d’expositions temporaires d’œuvres pourtant du domaine public.

Il y eut entre 2010 et 2015 la ruée vers les mécénats les plus douteux. Peu regardant sur la provenance de l’argent, on vit le président de l’institution se livrer à quelques bassesses, comme faire exposer aux Tuileries les photos de vacances d’un coréen criminel et milliardaire en échange d’un substantiel don sans affectation.
Et les dons douteux n’ont pas pour autant disparu, comme le montre aujourd'hui la résistance du Louvre aux pressions écologistes qui voudraient que soit abandonné le considérable soutien financier de la société Total, alors que les plus grands musées internationaux ont maintenant annulé tous les mécénats des compagnies pétrolières.

Sans oublier l’histoire du Louvre Abu Dhabi, grosse opération profitable, activement soutenue par l’État français et qui mélange, à la gloire des plus belles réalisations de l’espèce humaine, une partie de la collection d’œuvres du Louvre, une base militaire française, un faux Léonard de Vinci porté disparu, les fruits les plus sophistiqués de l’industrie de l’armement, et des marées d’hydrocarbures, le tout ponctué de tortures d’opposants et de crimes de guerre, dans une monarchie minuscule dirigée par le Père Ubu. [Après publication et relecture, l'auteur reconnait avoir, dans ce paragraphe et sous l'élan de l'indignation, mélangé sans distinction les Émirats Arabes Unis et l'Arabie saoudite. C'est une erreur qu'il regrette en souhaitant qu'elle ne posera pas un voile de doute sur le reste de cette chronique par ailleurs parfaitement sourcée]  

Mais tout cela n’était rien, car il restait, susceptible d'ajustements dans le budget de l’établissement public, le poste le plus important dans ses ressources propres (60%), et 35% de ses recettes totales : le client.
Le Louvre a une réputation internationale de grand musée, et il dépasse effectivement en nombre de visites la Tour Eiffel et le château de Versailles. Il a reçu plus de 10 millions de visiteurs en 2018, supplantant ainsi le parc d’attraction Disneyland Paris, qui accuse une régulière érosion de sa fréquentation depuis 10 ans.
Et le plus simple pour manipuler le client, après le fiasco des cartes postales, était de bidouiller le prix du ticket d’entrée.

Cela s’est fait avec régularité et à des taux de hausse à rendre jaloux n’importe quel usurier : 10% en 2012, 10% en 2013, et le pompon en 2015, avec une augmentation de 25%.
Pour camoufler l’envergure du geste, le Louvre groupa alors simultanément la visite des collections permanentes et des expositions temporaires dans un seul ticket, sans en mesurer l’impact déplorable sur l’organisation des flux. Et le tout sans réaction notable des consommateurs, constitués il est vrai à 73% de clients étrangers captifs et soumis aux agences de voyage.

Le Louvre en 2024. Des militaires armés de mitrailleuses parcourent le musée en tous sens pour dénicher les visiteurs qui cherchent à éviter la Joconde. Ils les conduisent alors aimablement mais fermement dans l’aile d’attente pour l’œuvre la plus géniale du monde, après quoi les contrevenants doivent montrer leur allégeance en publiant un selfie sur le site de la préfecture de police. Ici, un touriste exilé dans les salles de sculpture antique essaie d’échapper à leur œil perçant, mais il est sans doute repéré par la présence du journaliste photographe accrédité.

La conséquence catastrophique du ticket unique se produisit en février 2017, quand une partie des visiteurs qui avaient réservé pour l’exposition Vermeer se vit refuser l’entrée du musée au prétexte qu’il y avait trop de monde.
Le chaos et la petite apocalypse locale qui s’ensuivirent secouèrent quelques temps même la presse généraliste et confirmèrent la réputation de redoutable gestionnaire du président de l’époque (qui a pourtant été reconduit en 2018).

Depuis, dans l’administration du musée, on a vu encore bien des actes malheureux et inconséquents.
Le dernier en date, pendant l’été 2019, période d’affluence extrême, fut la réalisation des travaux de rafraichissement des peintures de la salle d’exposition de la Joconde, forçant son déplacement temporaire dans une aile du musée transformée en hangar à bestiaux, avec des barrières de cheminement d’une file d’attente, des gardiens libérant l’accès au tableau à un petit groupe chaque minute, à distance respectable, et lui aboyant des semonces.
Des journalistes spécialisés racontent qu’ils erraient abasourdis dans les autres salles quasiment désertes, alors qu’on refusait des visiteurs à l’entrée d'un musée totalement désorganisé.

Cet épisode a suscité des critiques et des éditoriaux sarcastiques, jusque dans les plus grands journaux étrangers (voir l’exergue de cette chronique), et a entrainé la décision par le Louvre d’obliger à réserver dorénavant à l’avance un créneau d’une demi-heure pour toute visite du musée, y compris des collections permanentes.
Ça n’est certainement pas la bonne solution logistique, mais l’obligation a provoqué un effet collatéral bénéfique en posant une jolie cerise au sommet du gâteau, car à l’occasion de l’exposition Vermeer en 2017, le prix du ticket avait été augmenté de 13% en cas de réservation par internet (sans justification crédible). Comme toutes les visites des collections permanentes doivent désormais être réservées ainsi en ligne, et qu’elles constituent plus de 90% de l'affluence, faites le calcul…

Enfin une autre voie prometteuse, qui s’ouvre aujourd’hui dans le cadre de la farce des restitutions d’œuvres d’art, est la tentative du gouvernement de relâcher discrètement les derniers freins à l’aliénabilité des œuvres des collections publiques. S’il y parvient, le Louvre pourra tâcher d'équilibrer son budget en vendant des œuvres du domaine public à des institutions et des intérêts privés.

On voit par là, à travers cette revue succincte des combines et tribulations du plus grand musée de l’univers, qu’il reste une confortable marge de progression, pour des gestionnaires incompétents et motivés.

  

mercredi 25 septembre 2019

Toutankhamon, un fiasco

Malgré un considérable matraquage publicitaire et médiatique durant des mois, de numéros spéciaux en émissions spéciales, près de 65 600 000 Français n’ont pas visité l’exposition Toutankhamon, à Paris, dans la Grande Halle de la Villette, qui vient de fermer après 6 mois de journées à rallonge.

Cependant, avec force communications de l’Agence d’État (AFP), que les journaux les plus sérieux diffusent sans le moindre examen critique, l’entreprise américaine qui organise ce Barnum international pour le compte du ministère des Antiquités égyptiennes vient d’annoncer un record de fréquentation en France, 1 423 170 visiteurs, en insistant sur les 1 246 975 seulement pour la même exposition, à Paris en 1967, au Grand Palais (l’extrême précision des nombres est empruntée à Étienne Dumont, remarquable et régulier chroniqueur des arts du magazine suisse Bilan.ch).

Sans ergoter sur la durée respective des expositions et l’étendue de leurs horaires, la victoire reste bien courte, si on considère que 52 années d’opulence culturelle et médiatique séparent les deux évènements, et que depuis, les plus grands chefs d’œuvre des arts (le 7ème, par exemple, avec Titanic, les Ch’tis, Avatar), n’ont été boudés que par 45 à 50 000 000 de Français, pas plus.


Au lieu d’illustrer cette chronique par l’image éculée d’un pharaon qui fut tout de suite oublié, au point de ne jamais avoir été profané ni pillé, et qui n’aura pas laissé d’autre trace dans l’histoire que bijouterie, colifichets et fanfreluches, voici plutôt la statue monumentale au British Museum d’un de ses successeurs les plus glorieux, Ramsès 2, grand bâtisseur qui régna 66 ans, à qui on doit l’obélisque de la place de la Concorde à Paris et la responsabilité d’avoir tant persécuté Moïse qu’il finit par se déclarer prophète, fuir dans le désert et inventer une religion planétaire avec une poignée d’insoumis, s’il faut croire le récit biblique.


Tentons de comprendre les causes de ce surprenant discrédit.

On pensera d’abord au contenu de l’exposition, parait-il intelligemment mis en valeur, mais plutôt secondaire. Les organisateurs et la presse n’ont pas pu cacher que les pièces majeures du tombeau du pharaon, le grand sarcophage et ses 110 kilos d’or pur ouvragé, la fragile momie, le célèbre masque funéraire qui avait été le couronnement de l’exposition de 1967, n’étaient pas exposés.
Mais l’argument est un peu faible, car on sait que la qualité de son contenu ne fait plus partie des critères qui déterminent le succès d’une exposition. Le public s’y presse désormais à l’aveugle.

On songera alors aux propos involontairement inquiétants du ministre des Antiquités égyptiennes qui ont pu être perçus comme un chantage, et refroidir certaines ardeurs.   
Pour attirer le client, il annonçait que cette exposition était la dernière occasion d’admirer des merveilles qui ne quitteront plus jamais l’Égypte, et qu’il faudra dorénavant venir les voir à Gizeh près des pyramides, dans un futur Grand Musée égyptien, dont on sait qu’il est en construction depuis 2001, et que l’instabilité politique du pays en repousse régulièrement l’ouverture. 

On imaginera surtout que les tarifs, pharaoniques pour une exposition finalement assez ordinaire, auront découragé nombre d'enthousiasmes. 24€ par personne les samedis et dimanches (quand l’entrée de l’exposition Léonard du Louvre est à 17€), et 20€ pour les enfants de 4 à 14 ans, sans compter 6€ l’audioguide et 3€ pour un vestiaire.

Saluons tout de même sportivement ce modeste record national déjà dépassé à l’échelle internationale. Car Paris n’était que la deuxième station d’une grande tournée mondiale, jusqu’en 2024, dans 10 métropoles, dont la troisième dès novembre sera Londres. Or Londres détient déjà depuis 1972 le record de fréquentation pour une exposition consacrée à ce populaire pharaon d’opérette, au British Museum, avec 1 600 000 ou 1 700 000 visiteurs, selon les sources.
 

mercredi 23 mai 2018

C'est la crise !

On dit partout que c’est la crise, la presse, la radio, et même notre cher monarque qui s’en fait l’écho et soutient les pauvres en refondant le droit du travail et la fiscalité, dit-on. Mais nous, on ne le sent pas vraiment, les affaires vont, et les dividendes ont tendance à se multiplier (humour).

Un signe préoccupant, pourtant, vient de se produire. Avez-vous suivi la première vente de tableaux de la collection Rockefeller chez Christie’s ? C’était le 8 mai en fin de soirée. Non ? Ah quel dommage, c’était…

Ça commençait modestement, par une petite aquarelle de Picasso, une petite pomme de 15 centimètres, pas vraiment verte, pas jaune non plus, mais alors vraiment pomme, pour une fois. Elle n’est partie qu’à 4 millions de dollars, oui, c’est peu. Heureusement, le deuxième lot faisait décoller la vente, un truc cubiste de Juan Gris, vous savez, je n’aime pas trop ce peintre, je n’y comprends rien, mais à ce prix-là, 32 millions, on est moins regardant, ça décore un coin de salon.
Et puis les lots suivants, Delacroix, Corot, Gauguin, Manet ont fait des prix honorables, 8 millions ou plus. Un Matisse un peu débraillé et un Monet bâclé, mais grand, pour une chambre claire par exemple, ont tout de même fait plus de 80 millions. Oui , chacun. Vous plaisantez !

Et le clou de la soirée, la fillette nue de Picasso, vous savez, elle est debout ? Mais si, vous l’avez certainement déjà vue, vous faites semblant, libertin que vous êtes. Dans les catalogues elle est nommée « fillette à la corbeille fleurie ». Non, on ne reconnait pas bien les fleurs. Les prix montaient, à coups de millions, c’était interminable, mais tellement palpitant. 115 millions ! Quelle exaltation dans la salle des ventes !

Et il restait 30 lots à passer. Ils sont tous partis entre 35 millions et 1,3 million pour un Bonnard, il était pourtant bien joli.
Enfin presque tous. Car l’avant-dernier lot, on s’en souviendra longtemps de celui-là, c’était le numéro 43, une petite huile de Seurat, une pochade, mais bien dans sa manière. Vous ne me croirez pas, l’enchère s’est arrêtée avant le million ! 732 000 dollars exactement. 2 fois moins que l’estimation basse. C’est inquiétant, non ? La crise, peut-être ?
Ah, vous pensez que c’est parce qu’il représentait un ouvrier au travail ? Que vous êtes drôle !

Est-ce que j’avais un tableau préféré ? Non, vous savez, je n’aime pas vraiment la peinture moderne, mais demain c’est la vacation des meubles et des porcelaines, vous m’accompagnerez ?

Cette esquisse de Seurat n'a même pas atteint le million de dollars, vraie tache sur la Vente Rockefeller, le 8 mai 2018 chez Christie’s.
Les bras de l'ouvrier sont peut être mal dessinés, admettons, mais les lettres de la signature, notamment le S, sont d'une remarquable régularité (les experts soupçonnent l'utilisation d'un tampon).

mardi 8 mai 2018

Petite histoire amorale

Le Metropolitan museum de New York est « un des plus grands musées d’art au monde » dit l'encyclopédie Wikipedia.
Certainement conseillé par les meilleurs experts de la planète, le musée avait néanmoins besoin d’argent. Il décidait en 2013, cela se pratique régulièrement dans les musées américains, de vendre une œuvre mineure.

Il choisit un portrait de jeune fille donné au musée en 1960 et attribué à un imitateur de Rubens, et le confia aux enchères. Il en attendait autour de 25 000 euros (les prix sont convertis et arrondis). En février, Sotheby’s New York en obtenait plus de 500 000 euros (ce sont des choses qui arrivent).

L’acheteur anonyme se souvenant certainement que le tableau était attribué jusqu’en 1947 à Rubens, fit enlever les légers glacis récents rose, orange et vert qui lui donnaient l’apparence d’un portrait achevé et voilaient à peine l’étude sous-jacente esquissée avec virtuosité.

Puis l’année suivante, en 2014, il présenta le pâle portrait. Tout le monde reconnut sans hésiter la main de Rubens et le visage de sa fille morte de la peste en 1623, avant ses 13 ans. Les indices probants confluaient.

Le tableau fut montré dans les plus prestigieuses expositions rubéniennes et sera prochainement inséré dans le catalogue officiel des œuvres du maitre.

L’acheteur anonyme en a profité pour le confier à la maison Christie’s qui se chargera des enchères le 5 juillet prochain à Londres, et espère en obtenir 4 à 5 000 000 d’euros.

Le Metropolitan museum qui éprouve de graves problèmes de gestion vient de rendre l’entrée payante aux visiteurs non New-Yorkais, pour environ 21 euros, ce qui est cher.


Sources : Site de la maison d’enchères Christie’s « Clara Serena Rubens — a recently re-attributed portrait by Sir Peter Paul Rubens », Financial Times 01.05.2108 « Rubens painting that fooled the Met goes up for sale », La tribune de l’Art 01.05.2018 « Un exemple désastreux de deaccessioning par le Metropolitan Museum »

vendredi 24 février 2017

Les 12 Vermeer que nous ne verrons pas

Les 12 Vermeer (voir le détail en fin de chronique)

En juillet 2015 le Louvre, par le moyen du concept de « billet unique », maquillait une augmentation de 25% du prix de l’entrée au musée. Ce nouveau billet donnait désormais droit à la visite, le même jour, des collections permanentes et de toutes les expositions ouvertes.

Depuis, le Louvre n’avait pas encore organisé d’exposition « qui cartonne », de ces expositions où le visiteur ne peut acheter son billet qu’en le réservant à l’avance et en précisant l’heure de sa venue, afin de réguler le déferlement prévu des foules de visiteurs.
Or c’est ce qui arrive depuis le 22 février et jusqu'au 22 mai avec l’exposition « Vermeer et les maitres de la peinture de genre », exhibition promise à tous les records de fréquentation qui regroupe presque un tiers des tableaux de Vermeer (ce qui n’en fait cependant que 12, dont certains plutôt douteux).
Et on réalise soudain, avec les responsables du  musée certainement, que le système de réservation horaire n’a plus aucun sens lors de l’achat d’un billet unique puisque le visiteur peut décider une fois sur place d’aller voir ou non l’exposition, et à n’importe quelle heure. Toute anticipation des flux est devenue impossible.

Alors le Louvre, qui doit respecter les règles de sécurité qui imposent un nombre maximum d’humains (500 dit-on) en même temps dans une exposition, a mis en place une stratégie géniale en 3 étapes simples :

1. Le client réserve sur internet son entrée dans l’enceinte du musée. Il précise la demi-heure de son arrivée, durant laquelle il stationnera alors dans la première file d’attente, sans abri. Au-delà de cette demi-heure, en cas de retard, le client redeviendrait du bétail qui n’a pas réservé et retournerait dans la file d’attente des infortunés, qui peut durer plusieurs heures. Notons que le billet acheté en ligne accuse une hausse de 42%, à 17 euros. Les privilèges se payent.

2. Une fois dans l’enceinte du musée, clients ou bétail se plantent derrière une nouvelle file d’attente, cette fois pour réserver un créneau horaire de visite de l’exposition. On peut supposer qu’elle sera un peu moins longue que l’attente passée sous la pluie puisque les visiteurs venus voir les collections permanentes auront été écrémés.

3. Enfin, à l’expiration de cette deuxième attente, c’est face à la personne préposée à la distribution des horaires de disponibilité de l’exposition que le visiteur connaitra enfin son sort en apprenant à quelle heure il pourra espérer voir ses Vermeer. Et là, aucune prévision n’étant possible, cette troisième attente sera plus ou moins longue, c’est selon... Faisons confiance à la puissance organisatrice des gestionnaires de l’établissement public administratif du Louvre.

Et ne parlons pas du touriste un peu connaisseur qui était venu pour l’exposition simultanée consacrée au peu connu et caravagesque Valentin de Boulogne, qui n’a pourtant rien d’une exposition qui cartonne. Au milieu de ce cataclysme, il y a longtemps qu'il se sera immolé.

Quelques heures ont passé…

Allons bon, au moment de mettre sous presse, un article de Monsieur Rykner signale que dès le jour d’ouverture des deux expositions les réservations pour l’entrée dans l'enceinte du musée sont déjà complètes jusqu’au jour de leur fermeture, et que du bétail qui a déjà réservé et réussi à entrer dans le musée peut se voir refuser l’entrée à l’exposition pour laquelle il avait payé. D'ailleurs le service de billetterie officielle en ligne est indisponible aujourd'hui « en raison d'un problème technique », ce qui n'est pas grave puisqu'il ne sert à rien.

Finalement, pour une des rares fois que Ce Glob est Plat décide de parler d’une exposition qui est encore visible, elle ne l’est plus.

Alors pour nous consoler, voici donc sur l'illustration plus haut les 12 Vermeer exceptionnellement réunis à Paris et que nous ne verrons pas, sauf à poireauter dans une file d’attente sans abri pendant des heures sans garantie de pouvoir finalement entrer.
Vous y trouverez, dans le sens occidental de lecture, deux femmes et une lettre, la peseuse, la yaourtière, la dentelière, la lettre interrompue, le collier, un géographe, un astronome, un luth, une allégorie, une viole de gambe, un virginal, auxquels il faudrait ajouter deux Ter Borch d’Amsterdam (Femme au miroir et la célèbre Conversation galante), un Ter Borch de La Haye (Femme écrivant une lettre), deux Metsu de Dublin (Homme écrivant une lettre et Femme lisant une lettre), des Gérard Dou et une cinquantaine d’autres choses palpitantes.

Et réservons une pensée attristée pour le pauvre Valentin de Boulogne, dommage collatéral qu’on ne pourra sans doute pas visiter non plus.


Mises à jour : Le chaos dû à l'incurie du Louvre prenant de l'ampleur, vous trouverez ici régulièrement mis à jour des liens vers les articles et témoignages significatifs sur le sujet : 
25.02. Les mésaventures d'un visiteur pourtant privilégié où l'on apprend que la 3ème attente peut durer 5 heures !
25.02. Une description du désastre dans un journal sérieux (attention, pour excuser la négligence du musée on commence à rendre le public responsable, qui viendrait en trop grand nombre). 
27.02. Pour qu'il ne reste aucun souvenir de ce fiasco le Louvre interdit (parfois violemment) aux veinards qui visitent de photographier les œuvres des deux expositions. Calimaq en profite pour rappeler en détail et avec force arguments juridiques que cela constitue un abus de pouvoir administratif et que le Louvre agit dans la plus parfaite illégalité.   
27.02. Dans un communiqué farci de contrevérités le Louvre reconnait (implicitement) ses erreurs et déclare travailler maintenant à la mise en place des réservations obligatoires en ligne avec créneaux horaires, ce qui aurait dû être fait depuis des mois. Il reste à savoir combien de temps leur sera nécessaire pour développer cette simple fonction. 
28.02. Sur le site de Libération, un article synthétique mais complet et détaillé sur l'autorisation de photographier dans les expositions temporaires reprend l'essentiel de l'argumentaire de Pierre Noual sur S.I.Lex le blog de Calimaq.
28.02. Sur le site du Parisien, organe beaucoup lu, un petit article désagréable et raffiné (à propos de la Laitière, « le Louvre patine dans la semoule ») le journal rapporte que la réservation des billets en ligne devrait reprendre aujourd'hui...  
01.03. Dans le nouveau numéro 39 de Grande Galerie, le journal du Louvre, le président du musée claironne dans son éditorial sur la révolution de l'accueil des visiteurs opérée au Louvre en 2016. Prémonitoire !
02.03. Le Figaro du 28.02 a obtenu des informations sur les nouvelles modalités de billetterie. Et elles ne sont pas vraiment claires. Le site de réservation en ligne rouvrirait le lundi 6 mars. On pourra cette fois réserver un créneau horaire d’entrée dans l’exposition (mais laquelle, Vermeer ou Valentin, ça n’est pas précisé. Espérons pour les amateurs de Valentin que la distinction sera faite à ce moment). Cependant cette réservation n’empêcherait pas, d'abord la file d’attente à l’extérieur du musée, puis la deuxième file dans le hall du musée, mais qui serait limitée à 45 minutes, promesse du Louvre. On ne voit pas du tout comment cela peut s’agencer si la réservation n’est pas un coupe-file d’entrée dans l’enceinte du musée !
05.03. Hier samedi Monsieur Hasquenoph (LouvrePourTous) faisait paraitre un sidérant récapitulatif du fiasco du Louvre. On y lisait les mots incompétence, illégalité, chaos total, effarement, pagaille, pratique commerciale trompeuse, scandaleux, plaintes, remboursement, et enfin préavis de grève. Car il dévoilait, pour ajouter au désastre, qu'un préavis de grève reconductible du personnel du musée, qui se sent dans l'insécurité et subit des agressions de la clientèle en raison du manque d'organisation, a été déposé pour le 10 mars (et peut-être les 7 et 8 mars). 
Néanmoins le Louvre a mis en ligne hier le nouveau mode de réservation (présenté plus haut le 2 mars et prévu pour le 6) mais le site était submergé et inaccessible quasiment toute la journée. Aujourd'hui l'achat de billets est possible et confirme que la solution est encore défectueuse, notamment parce que la méthode des files d'attente consécutives n'a pas beaucoup changé, parce que la réduction des délais n'est qu'une promesse, et parce que l'exposition Valentin est toujours solidaire de Vermeer et que les amateurs qui auraient envie de la voir seront probablement découragés par la longue attente et les difficultés d'accès. Et les salles Valentin resteront certainement presque vides.     
09.03. La Tribune de l'art relatait hier un fait sidérant : un étudiant était évacué par la police dans la plus parfaite illégalité parce qu'il photographiait dans l'enceinte de l'exposition Vermeer !
 
On ne regrettera pas trop d'avoir manqué ce tableau, récemment reconnu du bout des lèvres par les experts comme un Vermeer. Alors un Vermeer inachevé, qu’on aurait sorti de sa poubelle et retapé grossièrement pour lui donner une apparence convenable.

mardi 24 janvier 2017

Une mauvaise fréquentation

Les chiffres de fréquentation des musées pour l’année 2016 viennent de tomber (c’est le mot juste). Et c’est dramatique, le Louvre va certainement perdre sa place de plus grand musée de l’Univers, car le Japonais le boude.

Le château de Versailles et le Louvre ont perdu 15% de visiteurs, le musée d’Orsay, 13%. On rend responsables les attentats terroristes du 7 janvier 2015 contre le journal Charlie Hebdo et du 13 novembre 2015 au Bataclan et dans les rues de Paris. Le musée Pompidou à Beaubourg aurait pourtant enregistré une hausse de fréquentation de 9%. Comment l’explique-t-on ?

Comme les conditions de visite des musées sont déjà déplorables (attente pendant des heures sous la pluie glacée et salles surpeuplées), et comme le contenu des expositions est devenu anémique, la seule variable d’ajustement qui reste aux inventifs gestionnaires des biens publics est le prix du billet d’entrée (et éventuellement l’interdiction de photographier pour relancer la carte postale).

L’équation est simple, il suffit donc d’augmenter le prix du ticket d’un taux au moins égal en valeur absolue à la baisse de fréquentation. Ainsi le château de Versailles augmente ses tarifs de 20% au premier janvier 2017, et la visite des jardins ne sera plus gratuite que les lundis, mercredis et jeudis.
Le Louvre, prévoyant, avait dès juillet 2015 augmenté ses tarifs de 25%, mais au détriment surtout des 70% de visiteurs étrangers. Ce qui était une erreur puisque c’est surtout la défection du client étranger, notamment du Japonais, qui a fait baisser les visites en 2016 (7,3 millions seulement, à peine 23 000 touristes par jour, quelle misère !)

Bien entendu les prix ne baisseront pas pour autant quand les visiteurs reviendront. Donner c’est donner, reprendre c’est voler.

Vue du château et des jardins de Versailles désertés par le touriste.

samedi 18 avril 2015

Le Louvre, un boum de 25% !

Le Louvre, musée superlatif qu’on a toujours chanté sans réserves, arrive encore à nous surprendre.
Près de 10 millions de visiteurs parcourant tous les ans 14 kilomètres de galeries où sont entassées 40 000 œuvres d’art, que pouvait-il inventer de plus pour nous émerveiller ?
Une filiale décentralisée à Livarot ou Saint-Nectaire, une nouvelle aile consacrée à un art délaissé, un kilomètre de vitrines de chefs d’œuvre en canevas ou en bouchons de plastique… Enfin, des prodiges qui le placeraient définitivement au pinacle des institutions de l’Univers.

Eh bien non. Rien de tout cela. Car ce qui va changer c’est le cœur même de l’établissement, son moteur, qui fait les deux tiers de ses ressources propres, en bref, sa billetterie. En effet, le 1er juillet prochain, le billet d’entrée au musée du Louvre augmente de 25% (vingt-cinq pour cent) en passant de 12 à 15 euros et devient un billet unique comprenant l’accès aux collections permanentes et aux expositions temporaires.
L’annonce par l’Agence France Presse, reproduite partout à l'identique, noie soigneusement le poisson en l’entourant de mesurettes insignifiantes, en le comparant à des choses non comparables, et en lui assignant une mission ronflante, la synergie entre les expositions et la collection.
La vente de billets jumelés (collection plus expositions) étant très limitée, de mauvais esprits appelleront cela de la vente forcée plutôt que de la synergie.

De la vente forcée, est-ce possible ?

Pour répondre munissons-nous du dernier rapport d’activités disponible de l’établissement public, celui de l’année 2013. La billetterie y a récolté 61 millions d’euros, 60% des ressources propres du musée. La répartition des 9,2 millions de visiteurs entre collection et expositions y est très lourdement à l’avantage de la première, presque 95%. Une telle distribution rend illusoire (voire hypocrite) le réarrangement des prix des différentes formules de billets.


Résultat, le Louvre haussera donc à compter de juillet le prix du principal billet de 25%, et par conséquent sa recette de billetterie de 24% et ses ressources propres de 15%, pour une grande part au préjudice des touristes étrangers, qui constituent 70% de la totalité des visiteurs et fréquentent très peu les expositions temporaires.

Une bien belle opération, artistique et patriotique (2).

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(1) En prenant comme valeurs 82% de visites payantes pour les expositions et 62% pour les collections (qui sont les chiffres du rapport p.98), le calcul de la recette présente un écart de 8 millions d’euros probablement dû aux billets à tarif réduit et à l’achat des billets jumelés qui ne sont pas chiffrés dans le rapport. On a donc baissé les taux respectivement à 73% et 54% pour obtenir la recette en billetterie du rapport 2013 (on notera d’ailleurs un écart de 1 million d’euros entre le tableau p.152 et le graphe censé l’illustrer p.151). Puis on a appliqué le même taux aux prévisions pour 2015, sans tenir compte des mesurettes, qui ne peuvent pas influencer sensiblement le résultat.

(2) Quelques chiffres amusants :
Sur 8 visiteurs, le Louvre reçoit 2 français, 1 américain et 1 quart de japonais (ça n’est pas une faute d’orthographe).
D’après le site Louvre pour tous, depuis 2011 le billet est passé de 10 euros à 15, soit une hausse de 50%, et dans le même temps la fréquentation du musée doublait quasiment.