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samedi 15 juillet 2023

Vrel, enfin !

Profitant d’un court congé estival à Paris, persuadé encore que votre pays est une démocratie, vous sortez de la boutique de l’Assemblée nationale, les bras chargés d’emplettes, quand, prenant par la rue de Lille, vous êtes arrêté par cette affiche inopinée. Son titre doublement racoleur vous rappelle vaguement l’insistance de l’auteur de Ce Glob est Plat, depuis plus de 10 ans, sur ce peintre quelconque : sa "découverte" en 2012 avec l’exposition par la Fondation Custodia et l’Institut néerlandais du tableau d’une "vieille femme assise en équilibre faisant signe à un enfant derrière une fenêtre d’intérieur", le succès surprenant aux enchères en 2013 du tableau d’une "femme assise lisant au milieu d’une pièce observée par un enfant derrière une fenêtre d’intérieur" (près de 2,5M$), puis en 2021 l’annulation pour cause de pandémie d’une exposition monographique tant espérée, et enfin l’édition du catalogue raisonné du peintre.

Par curiosité vous achetez un billet. La Fondation Custodia, avec le Mauritshuis de La Haye, a reconstitué une partie de la grande exposition annulée en 2021. De Vrel, une salle est consacrée aux vues de rues animées (8) et aux études de personnages (3), et une autre salle aux scènes d’intérieur, d’église (1) et de pièces animées de femmes et d’enfants (10) ; 22 tableaux sur les 50 actuellement attribués à Vrel.
Vous constatez que Vrel peignait des petits panneaux très sombres, couverts depuis d’un épais vernis, inondés de reflets brillants accentuant tous les défauts du bois, et le plus souvent recouverts d’une vitre qui réfléchit l’image mouvante des spectateurs dans les pièces trop éclairées. Toute photo satisfaisante est impossible.
 

On vous a promis un précurseur de Vermeer, mais vous n’y trouvez pas de luxueux clavecin, de tapis multicolore, pas de bleu, de rouge vif, de jaune citron, seulement une large gamme de bruns, de l’orange éteint à la terre d’ombre presque noire. Vrel serait plutôt le précurseur de Vilhelm Hammershøi, une sorte de Vermeer du pauvre aux tableaux peuplés de personnages qu’on ne voit que de dos, ou de fantômes brouillés derrière des carreaux de verre.

Puis vous réalisez que toutes les images vues jusqu'à présent, même sur le site des musées - à l’exception notable du catalogue raisonné du peintre édité chez Hirmer - restituent très mal la beauté des bruns et de la pénombre des tableaux de Vrel. Les reproductions sont systématiquement surexposées et les couleurs exagérément avivées. Elles font ressortir certaines faiblesses du dessin qui en réalité n'existent pas dans le demi-jour du monde sans soleil de Jacobus Vrel.
 

lundi 22 novembre 2021

Loin de Vienne

Un des Lorenzo Lotto du Kunsthistorisches Museum de Vienne. 
D'accord, tout le monde parait s'y ennuyer solidement, la pose sans bouger devait être longue et éprouvante, mais quel bleu !


« Il faut aimer la peinture Flamande et académique jusqu'au XVIIIième. Le musée est triste, les salles immenses ! […] Le prix élevé n'est pas mérité. Il faisait tellement beau dehors que nous sommes ressortis très vite. »
Un commentaire en septembre 2021 sur TripAdvisor, site international du voyageur cultivé qui pratique la numération romaine.

Le Kunsthistorisches Museum (KHM) abrite, au cœur de Vienne, en Autriche, la galerie de peinture ancienne la plus riche d’Europe (au mètre carré), et, par bonheur, une des moins visitées : 600 000 par an d’après Wikipedia. Imaginez des salles 15 fois moins peuplées que celles du Louvre !
Il expose pourtant les tableaux les plus connus des peintres les plus fameux du 15ème au 18ème siècle. Bien entendu depuis presque 2 ans les nombreuses restrictions des nations au droit de voyager limitent sérieusement les visites sur place. Reste le voyage immobile.  

Le site internet du musée remonte hélas presque à l’époque de la collection, pas autant que celui du Louvre néanmoins puisque des reproductions libres de droits et d’assez bonne qualité (jusqu’à 3000 pixels) de 25 000 œuvres, dont 2500 tableaux, sont disponibles.

Mais le site est peu fait pour la flânerie. Il faut savoir à l'avance ce qu’on y cherchera afin de filtrer et réduire le nombre de résultats.
Car comme le site de l’Art Institute de Chicago, celui du KHM affiche chaque page suivante d’une recherche en rechargeant l’ensemble des précédentes, si bien que, vers la page 20, il commence à dérailler et présenter des œuvres en double, triple, puis vers la page 30, tout bascule et les écrans se répètent, tous identiques. Alors on renonce, réalisant que tel Sisyphe on n’atteindra jamais les dernières œuvres de la requête. 

Pour confondre les incrédules et inciter les autres à aller y réviser, avec prudence dans les recherches néanmoins, les chefs-d’œuvre du passé, voici un florilège dans un ordre vaguement alphabétique. Ne tardez pas trop à les récolter, tous ces liens pourraient vite devenir caducs, le site est vétuste et l’hiver n’est pas loin.

Passons sur le joyau du musée, les 11 Brueghel père, déjà évoqués lors de la grande rétrospective de 2018 à Vienne et toujours visibles en gigapixels sur un site dédié miraculeux. Seul le Suicide de Saül, alors en restauration, manquait. Le voici aujourd’hui (ci-dessous), lisible et grandiose (mais pas en gigapixels).

Le 12ème Brueghel du musée, le suicide de Saül, enfin visible et limpide.
 

La visite commence, installez-vous, et un peu de silence s’il vous plait…

D’Altdorfer, cette résurrection volcanique parmi d’autres, d’Antonello de messine, sainte Dominique, de Baldung Grien, la Mort et sa salière, quelques beaux Jacopo Bassano, des Bellotto en pagaille, évidemment des vues de Vienne, le plus léché des Bronzino, le 12ème des Brueghel, le suicide de Saül, encore un suicide, celui de Cléopâtre par Cagnacci où la pleureuse au fond semble être le même personnage qui s’est déplacé pendant la pose comme dans un tableau animé, les 3 plus beaux Caravage, les Corrège les plus fumeux ou fantaisistes, des portraits incomparables de Cranach, un triptyque de Gérard David mal reproduit, deux superbes Del Mazo décidément très inspirés de Velazquez, des Dürer mémorables, des Francken comme s’il en pleuvait, 2 merveilles méconnues de Geertgen (Gérard) de saint Jean, peut-être le plus beau tableau de Gentileschi (Orazio, le père évidemment), 4 ou 5 Giorgione des plus réussis, de beaux Guardi, Holbein le jeune, 4 rares Wolf Huber mal reproduits, une scène plus rare encore et singulière, de Jacobus Mancadan dont il faudra un jour parler, un sobre portrait par Juan de Flandes, le plus fameux des Jordaens qui éclate lui aussi de retenue et de discrétion, parmi les Lorenzo Lotto le plus beau certainement (voir illustration), une salle d’interrogatoire accueillante par Magnasco, deux rares Patinir, fantastiques et bien reproduits, un étrange tableau de Christoph Paudiss, curieux peintre bavarois à suivre, quelques Rembrandt bien frappés, un déluge de Rubens, de beaux Johann Schönfeld, bon nombre de Spranger, un charmant Ter Borch intimiste (n’oubliez pas de zoomer), et puis des masses de vénitiens, Tintoret, Tiziano Vecellio (Titien), plein de paysages animés de Lucas Valckenborch, de Van der Goes sainte genoveva et son petit démon, et une pathétique descente de croix, de Rogier Van der Weyden l’immense triptyque de la crucifixion et ses anges presque noirs, un singulier portrait triste (peut-être un autoportrait) de Samuel van Hoogstraten derrière une fenêtre, des chefs-d’œuvre de Velazquez, l'atelier de Vermeer, une série d’architectures rêvées par Vredeman de Vries, et enfin une sombre image de confinement par Jacob Vrel.  

Qui dit mieux ?

Ajoutons pour être complet que le KHM a concédé au site Google Arts&Culture, naguère Google Institut culturel, et jadis Google Art project, l'autorisation de reproduire dans un ordre proche de l'aléatoire et une qualité nettement supérieure 100 de ses tableaux, dont bon nombre de notre florilège. La visite vaut réellement le coup d'œil pour qui souhaite en examiner des détails. 

N’oubliez pas le guide… Merci.
 

vendredi 8 octobre 2021

Vrel l'inconnu

 
Vient de paraitre le catalogue de l’exposition rétrospective de Jacob Vrel, qui n’a jamais eu lieu, empêchée par un virus microscopique et effrayant comme Godzilla.
Puisqu’il n’y aura pas d’exposition (*), il est devenu le catalogue raisonné du peintre, « Jacobus Vrel » chez l’éditeur Hirmer, entre autres en français.

On pensait y trouver enfin quelques piquantes indiscrétions sur sa vie, qu’on espérait moins mélancolique que ce qu’en diffusent ses tableaux, mais pour une fois le sous-titre éculé du livre, « peintre du mystère » est assez juste, bien qu’improprement employé ; on devrait lire « mystère du peintre ».
Parce que, pour un peintre oublié, son œuvre est maintenant bien connu. Alors que 7 de ses tableaux avaient été attribués à Vermeer par Thoré-Burger en 1866, on en identifie aujourd’hui 50 de sa main, dont deux tiers sont signés (souvent paraphés JV sur un phylactère blanc, d’où la confusion avec J. Vermeer).
Et puis ce qu’ils représentent n’est pas réellement mystérieux, en dépit de points de vue souvent inattendus, des scènes somme toute assez communes, quotidiennes.

En revanche leur créateur reste - malgré des années de recherche écrivent les auteurs - un parfait inconnu. On en sait très peu sur l’époque, et rien sur les lieux ou la personne.

Jacob Vrel, Femme peignant une fillette et un enfant regardant dehors, Institute of art, Detroit, USAUn seul tableau est daté, 1654 (Femme à la fenêtre, exposé au KHM de Vienne), acheté avant 1656 par l’archiduc Leopold Wilhelm d’Autriche, puisqu’il figure, avec 2 autres Vrel parmi des milliers de tableaux, dans sa collection inventoriée par David Teniers en 1659.

Tous les tableaux sont peints sur panneau de chêne, et l’étude des anneaux de croissance du bois révèle qu’ils l'ont été entre 1640 et 1660.

Hormis l’inventaire de 1659, aucun autre document ou registre, administratif ou civil, n’a jusqu'à présent été retrouvé qui citerait le nom de Jacob Vrel (ou ses dérivés Vrelle, Frell, Frölle,…)

Et les scènes décrites sur les tableaux, les pièces aux murs vides, le mobilier, le style des vêtements, l'architecture de la ville, n’ont pas permis aux spécialistes d’identifier une région d’activité plus précise que le vague territoire qui sépare aujourd’hui la Belgique de l’ouest de l’Allemagne ; peut-être Zwolle, à l’est d’Amsterdam, mais sans conviction.
Vrel était sans doute relativement isolé pour avoir peint un peu avant Ter Borch, De Hooch ou Vermeer, ces ruelles et ces intérieurs qui parfois leur ont été attribués.

Alors Vrel indépendant de toute guilde ou école, Vrel dilettante, amateur ? 
L’hypothèse ne colle pas vraiment. Au moins trois de ses tableaux ont été achetés à peine secs par un grand aristocrate et collectionneur compulsif. Par ailleurs il existe plusieurs répliques autographes de certains tableaux, notamment cette Femme au chevet d’un malade dont on connait 4 exemplaires presque identiques à Washington, Anvers, San Diego et Oxford. Or un peintre ne s’inflige l’ennui de se répéter tant de fois que pour satisfaire une clientèle exigeante (et un impérieux besoin d’argent).  

Vrel, l’être humain, reste donc à découvrir. La chose n’est peut-être pas indispensable, mais elle peut aider à pister d’autres œuvres.

Au moins a-t-on dorénavant 50 tableaux, dans un catalogue raisonné, parfaitement documenté et complètement illustré, qui guidera déjà nos visites imaginaires.

***
(*Aux dernières nouvelles seule l'exposition à Munich serait définitivement abandonnée. Le Mauritshuis de La Haye et la fondation Custodia à Paris prévoient une exposition de moindre envergure respectivement au printemps et à l'été 2023, avec des dates précises, ce qui est peut-être un peu prématuré. 

samedi 13 février 2021

Quelques chiens écrasés

À New York, le Metropolitan Museum, un des plus riches des États-Unis, a déclaré commencer le recensement, dans ses réserves, des œuvres en doublon ou rarement exposées, qui seraient ainsi monnayables pour renflouer les pertes de 2020, et sans doute 2021. La chose est encore admise jusqu’en avril 2022. Il faut faire vite. « Ne pas l’envisager serait irresponsable » a déclaré le directeur du musée.
La destination des fonds qui seraient récoltés reste un peu confuse : renflouement du déficit budgétaire, entretien des collections, à l'exclusion de leur équilibrage (c’est-à dire représenter plus justement les minorités et les femmes) mais la dénégation est annoncée avec une louche insistance…

Pendant ce temps en Europe s'emballe la valse des expositions annulées. Pour « Picasso période vert pomme », ou « les bijoux fantaisie des pharaons », « la porcelaine de Limoges dans la peinture impressionniste », « Les morpions dans les carnets de Léonard », ça n’aurait pas d’importance, on voit ce genre d’exposition tous les ans, mais pour une exposition-ovni qu’on n’attendait plus et qui avait atterri par surprise sur nos agendas, comme la rétrospective du peintre hollandais Jacob Vrel, c’est plus ennuyeux.  


On a parlé ici quatre fois de Jacob Vrel, notamment lors de l’exposition de la collection Lugt et à l’occasion d’une vente explosive (voir le dernier paragraphe de ce billet). Nous n’y reviendrons pas.
C’était la première rétrospective consacrée à Vrel, et le catalogue raisonné de son œuvre devait paraitre à cette occasion.
Sa première étape à l’Alte Pinakothek de Munich a été annulée. Son transit par la fondation Custodia à Paris, qui devait débuter le 29 janvier 2021, est absent de son site internet. Enfin le site du Rijksmuseum d’Amsterdam, qui devrait accueillir sa dernière étape en mai prochain, n’y fait pas la moindre allusion.

Vrel l’extraterrestre restera donc un mystère. Mais peut-être pas totalement. La Pinakothek de Munich affirme que la monographie du peintre, avec son catalogue raisonné, sera malgré tout publiée, en allemand, en anglais et en français.
Espérons que les librairies ne seront pas alors à nouveau confinées.

Enfin, un petit espoir a germé, pour les Italiens seulement. Leurs musées rouvrent, ainsi que les bars et restaurants, au compte-goutte et à bas régime, horaires restreints et fermeture le weekend. Quelques bienheureux découvriront ainsi dans les musées habituellement surpeuplés de Rome, du Vatican, de Florence, la félicité qu’était leur visite il y a 30 ou 40 ans.
L’Organisation mondiale de la santé et les gouvernements des autres nations, qui n’ont pas plus d'idées sur la manière d’agir et font habituellement n’importe quoi histoire de signaler leur existence, ont sermonné l’Italie, par précaution. Mais ils surveillent subrepticement les suites de cette petite expérience qu’ils déclarent un risque irresponsable.  

Observer les gesticulations de notre invincible civilisation moderne, totalement désorganisée par un spectre qu’elle ne voit même pas et qui n’a pas d’intention à son égard, est troublant.
Mais il ne sera pas dit qu’elle ne s’est pas défendue. Des musées envisagent déjà sérieusement de faire payer l’accès à leur visite dématérialisée.  
  

mercredi 8 juillet 2020

Il n’y a pas d’H à Ermitage (3 de 3)



Posologie : cette chronique contient presque autant de liens externes que de mots. Elle est par conséquent à manipuler avec précaution, voire à ingurgiter en plusieurs séances séparées par des périodes de repos d'une durée appropriée. Vous êtes avertis.

Les épisodes précédents ont montré que la visite virtuelle du musée de l’Ermitage à Saint-pétersbourg était une promenade plaisante, mais que la fonctionnalité était trop fantasque, voire aléatoire, pour une découverte instructive des collections.
Pour cela le site propose un catalogue, complet (antiquités, peinture, sculpture, gravure, dessin, mobilier, horlogerie, armurerie, numismatique, orfèvrerie, fiacres…) et efficace.
La recherche se fait en anglais (или по русски), elle privilégie la saisie multimot, les mots recherchés sont complétés en cours de saisie, les caractères jokers simple (?) ou multiple (*) sont autorisés (exemple : RU?SDAEL).  
Les images sont généralement de dimension et de qualité correctes (2000 pixels) et libres.

Le musée est si riche qu’il donne l’impression d’héberger peu de chefs-d’œuvre. C’est sans doute vrai relativement, mais il recèle une profusion de curiosités dont voici une liste évocatrice, incomplète et désordonnée, mais avec tous les liens (qui ne vivront peut-être plus si vous lisez cette chronique dans quelques années).

Plus de 50 Hubert Robert, beaucoup non exposés, 26 paysages du nord de Rockwell Kent, non exposés, des Rembrandt comme s’il en pleuvait, des David Teniers en pagaille, une vingtaine de paysages de Claude-Joseph Vernet, une dizaine de Bellotto, des Van Dyck à ne plus savoir où les mettre.

Huit Boilly dont la splendide scène de billard, deux nocturnes de Wright of Derby, des Degas exceptionnels, trois Willem Duyster aux mises en scène toujours aussi curieuses, plusieurs intérieurs d’église de Granet, comme d’habitude, dont un avec un chat inattendu, de splendides Alessandro Magnasco.

Une série de bluettes anecdotiques où François Flameng, vers 1900, imaginait Napoléon lutinant dans le parc de Malmaison ou pouponnant sur la terrasse de Saint-Cloud, des contes lestes de La Fontaine illustrés par Subleyras (non exposés), un tableau heureusement rarissime de l’actrice Sarah Bernhardt, et le célèbre et édifiant tableau de Jean-Paul Laurens qui figure l’empereur Maximilien du Mexique, juste avant d’être exécuté, promettant au prêtre effondré qu’il lui enverra des nouvelles du ciel.

Sans oublier ce charmant tableautin d'Hans von Marées avec sa gracieuse fontaine dont l’eau coule d’endroits imprévus, un Jacob Vrel agrémenté d'un gros numéro peint en rouge, quelques anonymes remarquables, comme ce saint Jean-Baptiste raccourci dans une architecture infernale, ou cette allégorie sanglante de la Révolution Française fourmillant de détails réjouissants, sans compter un nombre certain de tableaux en très mauvaise condition.

Enfin quelques magnifiques tableaux de peintres rares, Oswald Achenbach, Jan Asselijn, Gerard Ter Borch, Karl Buchholz, Jakob Hackert, Louis Tocqué, et la découverte d’un peintre remarquable, August Matthias Hagen, russe de la Baltique, certainement marqué par Friedrich, et dont l’Ermitage possède trois beaux paysages qu’il n’expose pas.



Et pour finir le plus beau tableau du musée, de 1699, cette merveilleuse femme au voile, sans doute le plus beau de Jean-Baptiste Santerre, portraitiste inégal universellement méconnu.

Avec vos propres critères de recherche, vous trouverez évidemment des dizaines d’autres merveilles dans ce catalogue.
Mais vous y ressentirez peut-être aussi un vague ennui, un sentiment de déjà vu, comme d’un voyage qui finalement ne vous aura pas divertis. C’est que l’Ermitage est un musée européen, fait à l’image des grands musées de l’Europe, pour leur ressembler et les dépasser, avec les mêmes artistes, et fait pour attirer sans les dépayser les 3 à 4 millions annuels de touristes européens d’aujourd’hui.

Il suffirait de sortir de l’Ermitage par la perspective Nevsky, de suivre les quais de la Moyka sur quelques centaines de mètres, de contourner la cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-sang-versé, énorme pâtisserie bourrée de crème et de fruits confits, puis de traverser le jardin où Pouchkine tend un bras de bronze couvert de pigeons et indique un grand bâtiment triste et ocre clair à l’architecture néo-classique. C’est le Musée Russe.
Là, vous seriez dans un autre monde. Celui de l’art russe. Mais le flux pâteux des touristes n’y passe pas, et le musée n’a pas les ressources pour construire un grandiose site virtuel à l’image de son voisin prestigieux.

Mise à jour le 15.07.2020 : Pour information, le musée de la vraie vie vient de rouvrir doucettement après 4 mois de lutte sans merci contre le virus planétaire. Le masque et les gants de caoutchouc sont obligatoires.

Détail des illustrations de la page : en haut August Hagen (bord de mer), au centre Jean-Baptiste Santerre (femme au voile), ci-dessous, Jan Asselijn (rupture d’une digue), Gerard ter Borch (portrait de Catarina van Leuninck), et un montage de 3 détails, de Flameng (Napoléon), Magnasco (bandits dans des ruines) et Oswald Achenbach (Fête nocturne à Naples).



 

samedi 7 mars 2020

Thyssen, une collection sidérurgique

Quelques détails parmi les plus beaux portraits de la collection Thyssen-Bornemisza. Dans le sens de la lecture : Van Eyck, Schiele, Baldung Grien, Aertgen de Leyde, Juan de Flandes, Titien, Rembrandt, Van Dyck, Nicolas Maes.


En ces temps où un bête virus, dont on prétend même que ça n’est pas un être vivant, a décidé qu’il était temps d’infléchir un peu la courbe démesurée de la population humaine, et où les gouvernements conseillent d’éviter les lieux trop publics, il est bon d’avoir en réserve quelque musée lointain dont la visite à distance, sur internet, est organisée pour le plaisir et le confort du voyageur immobile.
C’est exactement le cas du site du musée national de la fondation Thyssen-Bornemisza, à Madrid.

C’était la collection privée de la famille Thyssen, financée au long du 20ème siècle par les bénéfices extravagants de l’industrie sidérurgique, de l’armement et du financement de l’Allemagne nazie, jusqu’à la sinistre nuit du pogrom du Reich, le 9 novembre 1938, où la famille fuit l’Allemagne pour être dénoncée par le gouvernement de Vichy en juin 1940.

La collection se reconstitua après la guerre, avec l’empire industriel, et le nombre de tableaux épousant la courbe des profits, il advint que l’immense villa suisse au bord du lac de Lugano ne suffit plus. Ils envahissaient les annexes, les dépendances, les garages.
Le baron Thyssen céda alors 575 tableaux (sur 1600) au pays natal de sa cinquième épouse, Carmen, miss Espagne 1961 et ex-femme de Tarzan, contre 338 millions de dollars et quelques conditions autour d’une fondation, en 1993. Ce fut le musée national Thyssen-Bornemisza, situé en face du musée du Prado, à 100 mètres.

La baronne, qui avait attrapé l'addiction du baron, était également devenue collectionneuse pathologique, mais attirée vers d’autres écoles de peinture, et l’est restée après la mort de son mari en 2002.
Tourmentée par le manque de résidences où les exposer, et par des contraintes financières et fiscales plus prosaïques, elle prête aujourd’hui en permanence plusieurs centaines d’œuvres supplémentaires au musée Thyssen, dont beaucoup de toiles du 19ème siècle américain, et réserve sa copieuse collection de peintres espagnols à des musées Carmen-Thyssen-Bornemisza qu’elle a créés à Málaga, à Andorre et à Sant Feliu de Guíxols, ou au musée national d’art de Catalogne, à Barcelone.
Bienfaitrice des Arts et du royaume d’Espagne, elle ne compte plus les honneurs, les croix, les médailles, les prix, diplômes et récompenses, qui justifieraient certainement la création d’un musée qui leur serait consacré.

À Madrid, presque tous les siècles et les écoles de la peinture occidentale sont présents, les chefs d’œuvre et les grands noms pullulent. Tous, y compris les plus modernes, sont visibles sur le site en haute définition (2500 à 5000 pixels) et téléchargeables, et certains sont affichables dans le mode vertigineux dit Gigapixel, si bien qu’une mouche qui aurait choisi de ne pas faire le voyage à Madrid pour voir les originaux aurait tout de même l’impression d’y être en se posant sur votre écran d’ordinateur.
L’ergonomie du site, en anglais et en espagnol, est parfaite.

Mise à jour le 12.06.2020 : La baronne qui a décidément beaucoup de frais annexes, peu de parole et des avocats bien rémunérés, vient d'obtenir du gouvernement espagnol le retrait de 4 tableaux majeurs de la collection qu'elle prête au musée (moyennant arrangement fiscal) et l'autorisation de les exporter et les vendre. Ces 4 chefs-d'œuvre renommés de Gauguin, Degas, Monet et Edward Hopper lui apporteront certainement plus de cent millions de dollars d'argent de poche, voire le double ou le triple.

Quelques détails de scènes d'intérieur dans la collection Thyssen-Bornemisza, Willem Kalf, Jan de Beer, Jacobus Vrel. 
 
Quelques détails de paysages dans la collection Thyssen-Bornemisza, De Stael, Bricher, Church, James Hart. 

vendredi 29 mars 2013

Rebondissements

Tout va trop vite. La météo est si glaciale que l'équinoxe est passé sans se faire remarquer, et le printemps est là, quelque part, incognito. Cependant les évènements, indifférents aux conditions climatiques, continuent de se produire.
Habituellement, lorsqu'un évènement, une péripétie, vient enrichir ou infirmer le contenu d'une chronique passée du blog, un additif est aussitôt apporté, daté, à ladite chronique, sans qu'hélas l'abonné fidèle en soit prévenu autrement que par l'ajout du mot clef « Mise à jour ». (Existe-t-il un moyen de l'alerter ?)

Parfois ces rebondissements se précipitent en giboulée, comme en cette fin de mars.

Les serres d'Auteuil et leur jardin botanique, partiellement classés comme monuments historiques, et que le Maire de Paris cherche à brader au profit de la Fédération Française de Tennis pour agrandir le complexe de Rolland Garros, ont obtenu un sursis.
Le Tribunal Administratif de Paris vient d'annuler la décision de la ville. Le juge a considéré que certains éléments du dossier ont été négligemment dissimulés aux conseillers de la ville, et que le montant de la redevance due par la Fédération en échange de l'occupation du terrain pendant un siècle était curieusement bas.
La convention entre les parties doit être résiliée.

Mise à jour du 10 juin 2015 : après maints rebondissements et péripéties, la Mairesse de la ville de Paris, fortement appuyée par le Premier Ministre du moment et contre l'avis du Conseil de Paris, vient de signer les permis de construire lançant la destruction d'une partie des serres d'Auteuil au profit de la Fédération Française de Tennis et de son projet d'extension du stade de Rolland Garros.

Pendant ce temps aux antipodes, le maire de la ville de Namie, sept kilomètres au nord de la centrale nucléaire de Fukushima, dévastée par le tsunami le 11 mars 2011 puis abandonnée pour des siècles, a demandé que Google Street View envoie une voiture sans chauffeur sillonner la zone irradiée.
Ainsi ses 20 000 administrés déportés peuvent-ils se promener virtuellement dans les lieux où ils ont vécu et qu'ils ne reverront sans doute jamais, comme on feuillette des photos de vacances.

Namie, près de la centrale nucléaire de Fukushima, la banlieue de la ville morte est visitée par les voitures sans chauffeur de Google Street View.

Quant au sort de la jeune femme qui avait graffité (sans dommage) un coin du tableau « la Liberté... » de Delacroix, il devient de plus en plus sombre. Son patronyme commence par la lettre K comme le héros malheureux du roman de Kafka, le Procès.
Internée depuis bientôt deux mois dans l'hôpital psychiatrique de Saint-Venant, elle a la malchance de bénéficier d'une loi du 5 juillet 2011, alors très décriée, qui facilite la prolongation des internements arbitraires de personnes sans leur consentement (version démocratique du goulag).
Tous les recours lui ont été refusés. Aucune visite n'est autorisée, même familiale. Pire, malgré cet internement, le procureur de Béthune cherche à la faire déclarer pénalement responsable, ce qui serait un comble et certainement une victoire pour la Liberté.
Un comité de soutien de cette pauvresse s'est constitué. Il faut lire son point de vue qui se distingue par son calme des hurlements de la meute.

Et puis le score en visiteurs de l'exposition Dalí à Beaubourg est tombé. 790 000.
Il bat Edward Hopper d'une moustache. Hopper avait fait 784 000. Mais le Dalí de 2013 ne bat pas le Dalí de 1979 qui avait fait 840 000. Les contraintes de sécurité à l'époque étaient laxistes prétendent les organisateurs. Monet reste au sommet du podium avec ses 913 000.
Rappelons que ces scores ne reflètent pas la qualité des artistes ni des expositions mais sont la conséquence quasi directe du niveau de dépenses affectées au bourrage de crâne médiatique.

Enfin, qui aura aimé l'étrange tableau de Jacob Vrel (ou Vreel, ou Frell) présenté avec la collection Lugt au printemps 2012 aurait tout intérêt à se rendre à l'hôtel des ventes, 9 rue Drouot à Paris, très précisément le 9 avril entre 11h et 18h, ou le 10 entre 11h et 12h.
Le cabinet Fraysse et associés y expose avant la vente aux enchères de 14h, parmi la succession de Monsieur J.L., une rareté de Vrel, voisine du tableau de la collection Lugt.
Une femme en noir lit au centre d'une pièce vide. Au fond, derrière les carreaux sombres de la fenêtre, on distingue le visage fantomatique d'un enfant qui observe l'intérieur.
Estimé autour de 100 000 euros, c'est peut-être l'unique occasion de le voir, s'il est acheté par un particulier. En France, seul le Palais des beaux-arts de Lille expose un tableau de Jacob Vrel.

Mise à jour du 15 avril 2013 : estimé entre 80 000 et 120 000 euros, il a atteint 2 232 000 euros ! (1 800 000 aux enchères, plus la commission de 20% pour le commissaire-priseur qui avait si bien estimé la valeur du tableau et 4% de taxes diverses).

Détail du tableau de Jacob Vrel aux enchères du 10 avril à Drouot.

vendredi 18 mai 2012

Tableau Mystère numéro 2

Jacob Vrel   (actif vers 1654-1670?)  Femme à la fenêtre faisant signe à une fillette   Panneau, 45,7 x 39,2 cm; traces de signature  Acquis en 1918 ; inv. 174

En vérité il n'y aura pas à deviner le tableau mystère aujourd'hui, car il ne reste que neuf jours, à qui souhaiterait le voir, pour se rendre à l'Institut Néerlandais de Paris où il est exposé avec des œuvres de peintres essentiellement hollandais.

La belle collection de Frits Lugt y est exceptionnellement exposée. 115 tableaux, de Kalf, Ruisdael, Anguissola, Léopold Robert, Esaias Boursse, et de cet ovni qu'est Jacobus Vrel. Un peintre dont on ne sait rien.
Peintre naïf ? Peintre amateur ? Peintre étrange dont il reste un quinzaine de paysages urbains assez maladroits dont les personnages flottent parfois sur le pavé, sans ombre, et une quinzaine d’intérieurs monochromes, sombres et dépouillés, où une vieille femme à la coiffe blanche repose souvent près d'une vaste cheminée.

Parmi ces scènes figées et mélancoliques, la plus inattendue est certainement celle de la collection Lugt. La même femme, en équilibre sur une chaise sur le point de basculer, fait un signe de la main à un enfant dans la pénombre derrière les carreaux d'une fenêtre. Scène ordinaire mais presque irréelle, épurée, probablement unique dans l'histoire de la peinture jusqu'aux intérieurs austères de Vilhelm Hammershoi, deux siècles plus tard.

Vrel a peint ses tristes intérieurs de vie quotidienne un peu avant que Pieter de Hooch se consacre à ce thème et l'ensoleille, vers 1660. Comme pour Boursse et Janssens Elinga, certains tableaux de Vrel furent quelques temps attribués à Vermeer. C'est peut-être pourquoi il n'est pas totalement oublié de nos jours.

Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »


Jacob Vrel (actif vers 1654-1670?) Femme à la fenêtre faisant signe à une fillette - Détail Jacob Vrel, Femme à la fenêtre faisant signe à une fillette
(détail, collection Frits Lugt, Paris)