samedi 13 février 2021

Quelques chiens écrasés

À New York, le Metropolitan Museum, un des plus riches des États-Unis, a déclaré commencer le recensement, dans ses réserves, des œuvres en doublon ou rarement exposées, qui seraient ainsi monnayables pour renflouer les pertes de 2020, et sans doute 2021. La chose est encore admise jusqu’en avril 2022. Il faut faire vite. « Ne pas l’envisager serait irresponsable » a déclaré le directeur du musée.
La destination des fonds qui seraient récoltés reste un peu confuse : renflouement du déficit budgétaire, entretien des collections, à l'exclusion de leur équilibrage (c’est-à dire représenter plus justement les minorités et les femmes) mais la dénégation est annoncée avec une louche insistance…

Pendant ce temps en Europe s'emballe la valse des expositions annulées. Pour « Picasso période vert pomme », ou « les bijoux fantaisie des pharaons », « la porcelaine de Limoges dans la peinture impressionniste », « Les morpions dans les carnets de Léonard », ça n’aurait pas d’importance, on voit ce genre d’exposition tous les ans, mais pour une exposition-ovni qu’on n’attendait plus et qui avait atterri par surprise sur nos agendas, comme la rétrospective du peintre hollandais Jacob Vrel, c’est plus ennuyeux.  


On a parlé ici quatre fois de Jacob Vrel, notamment lors de l’exposition de la collection Lugt et à l’occasion d’une vente explosive (voir le dernier paragraphe de ce billet). Nous n’y reviendrons pas.
C’était la première rétrospective consacrée à Vrel, et le catalogue raisonné de son œuvre devait paraitre à cette occasion.
Sa première étape à l’Alte Pinakothek de Munich a été annulée. Son transit par la fondation Custodia à Paris, qui devait débuter le 29 janvier 2021, est absent de son site internet. Enfin le site du Rijksmuseum d’Amsterdam, qui devrait accueillir sa dernière étape en mai prochain, n’y fait pas la moindre allusion.

Vrel l’extraterrestre restera donc un mystère. Mais peut-être pas totalement. La Pinakothek de Munich affirme que la monographie du peintre, avec son catalogue raisonné, sera malgré tout publiée, en allemand, en anglais et en français.
Espérons que les librairies ne seront pas alors à nouveau confinées.

Enfin, un petit espoir a germé, pour les Italiens seulement. Leurs musées rouvrent, ainsi que les bars et restaurants, au compte-goutte et à bas régime, horaires restreints et fermeture le weekend. Quelques bienheureux découvriront ainsi dans les musées habituellement surpeuplés de Rome, du Vatican, de Florence, la félicité qu’était leur visite il y a 30 ou 40 ans.
L’Organisation mondiale de la santé et les gouvernements des autres nations, qui n’ont pas plus d'idées sur la manière d’agir et font habituellement n’importe quoi histoire de signaler leur existence, ont sermonné l’Italie, par précaution. Mais ils surveillent subrepticement les suites de cette petite expérience qu’ils déclarent un risque irresponsable.  

Observer les gesticulations de notre invincible civilisation moderne, totalement désorganisée par un spectre qu’elle ne voit même pas et qui n’a pas d’intention à son égard, est troublant.
Mais il ne sera pas dit qu’elle ne s’est pas défendue. Des musées envisagent déjà sérieusement de faire payer l’accès à leur visite dématérialisée.  
  

2 commentaires :

Anonyme a dit…

Vrel ne compensait-il pas, tout simplement, son manque de savoir-faire pictural par des sujets décalés et des compositions bizarres (ce qui serait, somme toute, une manifestation légitime du talent) ? Il me semble que le qualificatif d' "extraterrestre" est un poil exagéré.
Non ?

pi

Costar a dit…

Oui, oh, il faut parfois attirer l'attention avec des moyens un peu malhonnêtes ;-)

Cependant je pense que Vrel a des qualités totalement inopinées, inattendues dans le Delft prospère du milieu du 17ème siècle. Ses intérieurs monochromes ponctués seulement de quelques taches blanches, parfois rouges, et animés de personnages indifférents, presque toujours de dos, ces atmosphères désolées (mais sans insister) n'ont à mon avis pas d'équivalent jusqu'aux sombres intérieurs d'Hammershøi 250 ans plus tard. C'est en ce sens, je pense, qu'il n'a pas atterri à la bonne époque.

Et ça n'est pas parce qu'il y a quelques raideurs dans ses perspectives et ses personnages (mais ceux de De Hooch sont également souvent ratés), et quelques ombres absentes, qu'on peut parler de manque de savoir-faire. C'était peut-être un amateur (on le vérifiera si les biographes ont trouvé de nouvelles données), mais c'est peut-être pour cela que ses vieilles femmes harassées de fatigue (ou d'ennui) et ses enfants fantomatiques derrière les carreaux ne se retrouvent nulle part dans la peinture de son temps.

Non ?

Quant à ses vues de rues où semblent se concentrer tous ses défauts de peintre, il faut croire (pour l'instant) qu'il y avait peut-être un Vrel-Jekyll et un Vrel-Hyde, comme il y avait alors en France un Baugin-Jekyll et un Baugin-Hyde.