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dimanche 7 septembre 2025

Sargent, l’exposition furtive de l’année

Sargent J.S., portrait des 4 filles Boit, Paris 1882. Malheureusement la meilleure reproduction trouvée sur internet, de faible résolution et sans doute remaniée d’après celle encore plus réduite du musée de Boston.


Préambule
Sargent était un peintre pour peintres, de ces peintres admirés et enviés des autres peintres, virtuose comme le furent Hals, Sorolla, Velázquez, Zorn, parce qu’il savait rendre d’un seul geste impulsif, d’un trait définitif du pinceau sur la toile, un effet qu’eux-mêmes, les autres peintres, ne réussissent qu’au prix de dizaines de touches réfléchies et précautionneuses.

***

Une chronique sur l’exposition Georges de La Tour à Paris cet automne se plaignait naguère du peu d’informations données au public sur le contenu précis de ce qu’on l’exhortait à visiter. Par espièglerie nous avions glissé un lien vers le traitement inverse du public, la mise en libre disposition sur internet du contenu détaillé intégral d’une exposition sur Sargent, alors en cours au Metropolitan museum de New York, et qui présentait plus précisément la période parisienne du peintre (sa période de formation - et de quelques chefs-d’œuvre mondains), de 1874 à 1884.

Et comme par hasard, cette exposition débarque à Paris, clefs en main, au musée d’Orsay à partir du 23 septembre 2025 pour 3 mois et demi (9h30-18h, fermé le lundi).   
Et quand on écrit clefs en main, à l’exception du modeste titre "Sargent and Paris" de New York qui devient "John Singer Sargent, Éblouir Paris" en traversant l’Atlantique, Orsay, d’après les descriptions plus que succinctes qu’il en fait, semble n’avoir rien changé à l’exposition originale, ni rien apporté non plus, sinon le prêt d’un tableau.

D’ailleurs Orsay, à deux semaines seulement de l’exposition, s’embarrasse encore moins à nous montrer ce que nous pourrions voir en la visitant que ne l’a fait le musée Jacquemart pour La Tour : dans le chapitre Œuvres de l’exposition dont le pluriel devient inutile, il n’y a qu’une petite reproduction.

Quant au texte de présentation, qui réserve, comme l’exposition, une place de choix au sublime portrait de Madame X, parce qu’il fit à paris en 1884 un microscopique scandale mondain (une bretelle de la robe, rectifiée depuis, était tombée), ce texte pourtant court met en valeur une grossière erreur factuelle, mais "fondée sur un travail de recherche poussé" précise le musée. 
Il affirme que le tableau n’a jamais été exposé à Paris depuis …1884 ! Avec les points de suspension et d’exclamation, car c’est l’évènement de l’exposition. Affirmée par l’expertise d’Orsay, la chose est reprise par les médias, comme la revue Arts in the City (n°94 p.22) qui en fait tonner tambours et sonner buccins : "Et en point d'orgue ? Le retour à Paris de Madame X, prêtée par le Met pour la première fois depuis le jour du scandale. Un face-à-face historique, glaçant et somptueux."

Mensonge délibéré ou banale incompétence ? C’est effarant comme le monde des expositions réécrit systématiquement l’histoire. En vérité ce portrait a été exposé durant plusieurs mois au Grand palais de Paris au printemps 1984, avec deux autres Sargent (voir le catalogue de l’exposition d’alors, "Un nouveau monde" pp.153 & 317, disponible sur eBay).

Ainsi, comme il est hasardeux de se fier au laisser-aller du musée d’Orsay, retournons vers les informations généreuses et abondantes du créateur de l’exposition, le Metropolitan museum (Orsay n’en souffle pas un mot) :

Une vidéo de 22 minutes faite par le Metropolitan (en anglais), superbe par ses beaux détails des principales œuvres, pas pour les commentaires anglais si insignifiants qu'ils pourraient accompagner un documentaire sur un autre peintre, ni pour leur traduction française inexpressive (vidéo néanmoins à déconseiller à qui souhaiterait aller les voir sur place et préserver la fraicheur des découvertes esthétiques, si l’affluence le permet). 

Le texte intégral des commentaires qui accompagnent chaque œuvre (PDF anglais), avec les liens vers la version audio anglaise et sa transcription (aisément traduisible en automatique), le tout illustré !

Enfin l'intégrale de l'exposition en images, avec les liens vers les commentaires de chaque œuvre.

Limitations : Toutes les images de l’exposition n’existent que dans un format très modeste que vous ne pourrez ni agrandir ni télécharger. Sargent est mort il y a exactement 100 ans, et il est partout dans le domaine public, donc reproductible librement sans limitation, même pour le musée américain, qui le reconnait officiellement.
Mais, s’agissant d’un des artistes les plus prisés aux USA, le musée, qui en possède beaucoup, s'est autoproclamé référence sur Sargent, et en profite pour se réserver une exclusivité institutionnelle et commerciale en bridant les reproductions libres de droits, au mépris de ses engagements pour le domaine public. Et il y a fort à parier que le musée d’Orsay, qui a derrière lui un historique de violation du domaine public (rappelez-vous sa tentative pour vendre plus de cartes postales, lire ici et ), en profitera pour prétexter des exigences américaines et interdire la photographie au sein de l’exposition.

Contournements : Les reproductions des chefs-d’œuvre de l’exposition sont souvent disponibles ailleurs en bonne qualité, parfois en très haute résolution, sur les sites des musées prêteurs autres que le Metropolitan. Mais la collecte en est laborieuse, aussi nous vous proposons ci-après quelques belles reproductions des œuvres majeures de l’exposition, au moins celles qui devraient vous encourager à aller les voir sur place. 
N’oubliez pas, comme le sous-entendent les sornettes d’Orsay, que vous ne les reverrez plus avant 2084, quasiment la fin du monde.  

• Fumée d'ambre gris 1880 163cm (Clark Art museum Williamstown)
• Dr Pozzi 1881 202cm (Hammer museum Los Angeles)
• Portraits de M.E.P. et Mlle L.P. 1881 175cm (Des Moines Art Center)
• Louise Lefèvre 1882 130cm (Art Institute Chicago)
• Intérieur vénitien 1882 87cm (Carnegie museum of Art Pittsburg)
• Fin de repas 1884 67cm (San Francisco Fine Arts)
• Anniversaire 1885 74cm (Minneapolis Institute of art)
• Les filles Boit à Paris 1882 222cm (Boston museum of fine arts)
Tableau exceptionnel, très librement inspiré par les Ménines de Velázquez, considéré par beaucoup comme un chef-d’œuvre "définitif", objet de nombreuses vidéos, d’articles détaillés passionnants, des livres lui sont consacrés et pourtant le musée de Boston le reproduit très modestement et aucune très bonne reproduction ne semble exister.  
• Madame X 1884 209cm (Metropolitan museum New York) vignette du musée, reproduction plus détaillée que la vignette
Chef-d’œuvre de jeunesse effectivement, hélas possédé par un musée qui n’en diffuse qu’une vignette, on en trouve quelques reproductions plus détaillées mais jamais fidèles aux couleurs réelles, que le ridicule timbre-poste du Met, lui, respecte.


Ces informations ne sont justes que si toutes ces œuvres traversent l’Atlantique, ce qu’Orsay se garde bien de préciser, puisqu’il ne dévoile pas le contenu de l'exposition. Il écrit cependant qu'elle présente 90 œuvres, ce qui était le cas de celle de New York. Évidemment, comme pour l'exposition De La Tour (dont deux grosses mises à jour pourraient bien modifier votre envie de la visiter), Orsay peut encore se réveiller d’ici l’ouverture et nous faire la charité de quelques informations. En revanche il sait déjà que l'exposition fera l'objet d'une grosse affluence et recommande dès aujourd'hui la réservation d'un horaire de visite. Notons que les amateurs de sculpture sont encore plus mal lotis, le musée, qui organise en parallèle une exposition sur le sculpteur Troubetzkoy en montre encore moins.

vendredi 10 janvier 2025

Histoire sans paroles (54)

Sumac vinaigrier, château d'Angers, 19 octobre 2022

Youpi ! Encore un record ! C'est la fête !

D’accord il y a les guerres, les massacres, les virus, les présidents cinglés, les ouragans, les catastrophes, tout se multiplie, mais il y a aussi des performances toujours croissantes, des records continuels, des gros titres dans les journaux ! 
C’est une satisfaction, on restera informés jusqu’à la fin.

 

samedi 22 juin 2024

Médias : l’utopie approche


Tous les médias, jusqu’aux plus sérieux, puisent depuis des années dans les réseaux sociaux où ils trouvent une grande part de leurs informations. Et cependant qu’ils les pillent en les citant abondamment, ils les dénigrent et leur reprochent une absence de rigueur, de déontologie, et la propagation de fausses nouvelles ; tous travers dont ils ne souffriraient pas eux-mêmes, médias établis dirigés par des propriétaires désintéressés.

En effet quelle information sérieuse et à jour peuvent fournir un grand journal ou une agence de presse, qui emploient au mieux quelques centaines de journalistes pour informer quelques millions d’abonnés, face à plusieurs centaines de millions d’individus connectés en permanence et en temps réel, voire presque 3 milliards pour ce fameux réseau au nom de Trombinoscope créé il y a 20 ans pour partager des avis sur la tronche des étudiantes de la classe ? L’Union internationale des télécommunications déclare aujourd’hui plus d’abonnements téléphoniques mobiles que d’habitants sur la planète. 

Et les médias n’ont pas encore tout vu. Qu’ils ne s’impatientent pas, le paradis de l’information se déploie à marche forcée en France aujourd’hui, au motif de la sécurité des jeux olympiques. On a déjà commenté cette fascination des pouvoirs pour le système automatisé du crédit social chinois, basé sur l’omniprésence des caméras de surveillance et l’espionnage des téléphones mobiles, le tout orchestré par les estimations de deux ou trois algorithmes incontrôlables. Si aucun de ces systèmes n’a jamais prévenu le moindre attentat ni apporté la preuve de son utilité, au moins fourniront-ils bientôt aux médias la source de toute information digne de ce nom. 
Sur notre illustration, une caméra de surveillance dans une rue de Langfang au sud de Pékin surprend la pratique du surf sur la voie publique en dehors des heures de loisir, aggravée par la dégradation d’équipements collectifs (l'infraction est d’autant plus évidente sur le document sonore original). À défaut de données plus précises, on peut supposer un retrait important de points au crédit social du contrevenant par le système automatisé.  

Assurément les médias, alimentés en continu, n’auront plus le temps d'enquêter sur les questions de fond, qui ne regardent finalement que la justice et la confidentialité de la vie privée des individus, mais ils auront la liberté d'en commenter les aspects esthétiques, car il faut bien reconnaitre en l’espèce que là où Buster keaton ou Jacques Tati dépensaient des fortunes en mise en scène et ingéniosité technique, une simple caméra automatique fournira désormais une inépuisable source d’évènements parmi lesquels une part mathématiquement non négligeable dépassera inévitablement l’imagination.   

Note : Les chiffres les plus récents, aussi peu fiables que les propos de notre chronique, font état actuellement en Chine d’une caméra de surveillance pour deux habitants, en moyenne.

lundi 17 mai 2021

Fairepart

Paysage bucolique de la Meuse, vu de Mandres-en-Barrois. À l'horizon, le Bois Lejuc, futur tombeau promis à un avenir rayonnant et une renommée durable.

Quand on ne peut pas détruire définitivement ses déchets, il faut bien les entreposer quelque part. Le problème, avec les pires déchets de l’industrie nucléaire, c’est qu’ils diffusent une radioactivité qui détériore les cellules des êtres vivants et qui dure si longtemps qu’à l’échelle d’une civilisation on peut parler d’éternité.

Habituellement les problèmes concernant l’éternité et l’infini, quand ils ne sont pas escamotés par les religieux, sont confiés à des philosophes ou à de grands scientifiques dont on trouve le nom dans les dictionnaires. Mais là, par un de ces trucs dont l’administration a le secret, la tâche a été confiée à de modestes bureaucrates, assistés par la police et l’armée, car on est dans un domaine soumis au « secret défense ». On constatera qu’il ne fait pas bon s’y opposer.

Après avoir durant des décennies rejeté leurs poubelles en pleine mer, ou en avoir truffé des mines abandonnées qui fuyaient de partout, ils ont cette fois choisi la solution de l’ensevelissement sous terre, parce que la balance bénéfices-risques leur parait être aujourd’hui la meilleure. En vérité il n’y a que des risques et pas vraiment de bénéfice, sinon celui de réduire un peu les risques. Leur projet s’appelle Cigeo.
 
Après un laborieux semblant de consultation populaire et à l’aide d’un appui financier important, une région déshéritée et très éloignée des centres de décision a été choisie, qui sera le tombeau des déchets radioactifs de l’Europe. C’est le Bois Lejuc, entre Bure et Mandres-en-Barrois, en Lorraine. Pendant quelques décennies un défilé continu de camions sous surveillance y convoiera des déchets nucléaires qui seront versés dans un grand puits. Puis on fermera le couvercle, peut-être vers la fin du 21ème siècle. 
Comme l’Assemblée nationale a demandé la réversibilité du processus, on ne pourra pas emmurer toutes les personnes qui auront participé au projet, comme cela se fait couramment pour les grands secrets d’État, sépultures de pharaons ou de dictateurs, puisqu’il faudrait alors leur laisser une porte pour ressortir, ce qui serait contreproductif.

Considérant qu’on n’y enterrera pas seulement des déchets nucléaires mais aussi la démocratie - qui était déjà bien malade avant la prise de pouvoir en France d’un monarque omniscient et omnipotent et la répression sanglante des protestations populaires par de notoires psychopathes - les opposants au projet nous convient à apporter une poignée de terre, ou une fleur, à la cérémonie.

Elle se déroulera au tribunal de Bar-le-Duc, les 1, 2 et 3 juin prochains. Sept dissidents seront jugés pour « association de malfaiteurs ». Ça n’est pas une blague, le journal Libération, qui a lu le dossier judiciaire, parle d’une « procédure titanesque employant les ressources de la lutte antiterroristes pour faire taire une poignée d’opposants au projet » (Lisez ici le dossier complet de Reporterre).
 
Notez que le tribunal est situé en face de l’église Saint-Étienne qui héberge le fameux transi de Ligier Richier, effrayante prémonition. Profitez-en pour faire un peu de tourisme.

Si vous ne pouvez pas assister aux funérailles (le providentiel état d’urgence permanent limitera peut-être ce genre de déplacement), vous pouvez tenter d’impressionner la justice en signant une pétition en ligne, soutenue déjà par nombre d’éminentes personnalités.
Elle réclame, au-delà de la légitime relaxe des militants courageux, l’abandon du projet Cigeo. Est-ce bien judicieux ?  
Incontestablement, le projet est pharaonique, dans tous les sens de l’épithète, notamment parce qu’on cherche à cacher les déchets de notre inconséquence dans un endroit inaccessible même aux forces de la nature, alors qu’on sait que les tombeaux des pharaons, qui avaient le même objectif et déployaient des moyens similaires, ont quasiment tous été aussitôt pillés.
 
Mais que faire des déchets si le projet est abandonné ?
On n’aura pas l’ingénuité de suggérer la reprise du projet en respectant cette fois une démarche réellement démocratique. Cela ferait rire tout le monde et provoquerait immanquablement des plaisanteries dans le style « Enterre-les sous les jardins du palais de l’Élysée ! », ce qui serait irréaliste car comme chacun le sait maintenant, le palais de l’Élysée n’est plus tout à fait là où il se trouve.

Laissons donc la question en suspens quelques temps, le calendrier du projet le permet, mais notez bien les coordonnées de l’endroit, car bientôt les cartographies officielles afficheront ostensiblement que la zone n’existe pas, et terminons avec un sujet qui paraitra peut-être plus léger dans ce dossier sensible.

Vous l’aurez remarqué, la pétition, relayée par 9 médias en ligne, pratique l’écriture inclusive, très modérément, par-ci par-là seulement (9 mots sur 606). Louable tentative qui l’honore mais qui lève le voile sur une inégalité flagrante entre les médias en ligne.

En effet seuls 2 des 9 médias - osons moucharder, il s’agit de Libération et de Médiapart - ont été en possession, pour imprimer la pétition, de ces fameux points médians [·] qui ont fait la sinistre réputation de ce mode d’écriture. Les 7 autres médias, plus humbles, n’ont eu à leur disposition que des points communs, banals, indistincts, quelconques [.].
Il faudra bien un jour aussi rechercher l’origine de ces inégalités qui ternissent un peu, malgré tout, l’éclat de notre république.

 

Post-scriptum
Ah, au fait, puisqu’on en parle, des réactions nucléaires font surchauffer graduellement depuis 4 ou 5 ans la marmite de la gigantesque enceinte de protection qui couvre le réacteur en miettes n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine. Incapables d’envoyer le moindre engin qui survivrait aux radiations, les scientifiques ne savent pas ce qu’il s’y passe. Mais ça ne serait pas trop grave, disent-ils.


dimanche 4 avril 2021

Le Louvre fait sa révolution néolithique

Détail d’une Vierge de Domenico Ghirlandaio, ou de Sebastiano Mainardi (non exposé) : tel que reproduit dans la base Joconde (dans le petit encadré en haut à droite), le même détail dans la nouvelle base du Louvre (encadré intermédiaire), et l’image en haute qualité, comme on la trouverait sur le site des grands musée étasuniens ou hollandais.
  

La semaine dernière, le plus grand musée de l’Univers, le Louvre de Paris, a presque quitté la préhistoire, ou au moins effectué sa révolution néolithique. Il vient d’ouvrir un énième site présentant sur internet l’intégralité de la base de données de ses collections (480 000 œuvres).

Pourquoi en avoir fait un site séparé de celui du musée, qui vous demandera de saisir une deuxième fois votre requête si vous avez par étourderie, ignorants que vous êtes, pensé qu’il fallait chercher une œuvre du Louvre justement sur le site du musée du Louvre ? Allons, avec un peu d’habitude et avant la prochaine nouvelle version vous aurez trouvé, en petits caractères au fond de la page d’accueil du site du musée, le lien vers celui des collections.

Et une fois devant ce nouveau catalogue des collections, vous devrez admettre que le Louvre vient de franchir une étape considérable. La présentation des informations, les outils de recherche, les critères et filtres, tout y est limpide, épuré et efficace.
Les experts, naturellement, y trouveront à redire, comme M. Rykner qui y a déjà décelé des erreurs, des absences, des oublis, des régressions, mais aurait-on encore besoin d’experts si le monde était parfait ? (1)

Reste la délicate question des illustrations.

Beaucoup d’œuvres ne sont pas illustrées, sans qu’on puisse savoir dans quelle proportion puisque le critère de tri « œuvre illustrée » a été opportunément oublié. En revanche celles qui le sont le sont parfois richement, pour les plus importantes, et les images peuvent toutes être téléchargées, ce qui n’a l’air de rien mais constitue un bouleversement en France (2).

Évidemment la diffusion de ces reproductions n’est toujours pas libre de droits, ce qui n’est pas bien grave puisque c’est un copyright illégal (copyfraud), qu’on bafouerait avec joie, mais surtout parce que, malgré un saut qualitatif gigantesque depuis la précédente base Joconde (voir l'illustration), les images restent de petite dimension et de qualité trop moyenne pour qu’on ait envie de les propager à travers la planète.  

En l’état, le site des collections du Louvre est un outil de recherche et de déambulation agréable, et même divertissant. Bien entendu nous ne manquerions pas de prévenir notre maigre lectorat si un jour ce catalogue passait réellement de la préhistoire à l’Histoire.

***
(1) La catégorie « dessins et gravures » est vide alors que le département des arts graphiques affiche 250 000 résultats.
(2) Pour mémoire le musée d’Orsay interdit encore le téléchargement de ses médiocres clichés, que les droits d’auteurs soient prescrits ou non. Les musées de la ville de Paris ne sont sortis de cette préhistoire qu’au début de l’année 2020.

mercredi 3 juin 2020

Deux ou trois vérités et quelques mensonges

Récemment encore l’espèce humaine errait sans repères, aveugle car elle ne connaissait pas la Vérité.

La révélation eut lieu entre 2010 et 2015 de notre ère, d’après la majorité des experts. Certains affirmant qu’elle s’est dévoilée peu à peu, d’autres qu’on l’a découverte par deux ou trois phénomènes remarquables, et ils citent comme évènement fondateur le jour de la création, en 2014, d’une rubrique appelée « Les décodeurs » sur le site internet du journal Le Monde, qui partait ainsi en croisade pour exterminer les contrevérités repérées dans les médias.

Par la suite, tout journal un peu responsable créa sa rubrique « la Vérité est ici », par exemple la page « CheckNews » sur le site du journal Libération.
Le gouvernement français aussi en fut piqué, avec la loi sur la « manipulation de l’information », fagotée en 2017, qui ne vise pour l’instant que les périodes électorales. Texte redondant qui permet au pouvoir d’enseigner un peu plus fermement la Vérité aux réseaux sociaux sur internet.
Ainsi armés, loi et médias, ceux qui ont les moyens d’imposer leurs idées pouvaient dormir d’un sommeil sans nuage. La Vérité était bien gardée.

Cependant, ranger parmi d’autres une rubrique consacrée à « démêler le vrai du faux », dans un journal ou sur un site d’information, ne pouvait qu’instiller le doute dans l’esprit des lecteurs sourcilleux. Doute sur les médias concurrents, ce qui est le but de la démarche, mais aussi doute sur les autres rubriques du site, qui ne font pas l'objet d'autant de scrupules.
Il y aurait donc plusieurs vérités, et les médias qui prétendent la vendre au singulier ne vendraient en réalité que du vent (ou des vents) ?

Ainsi, c’est sans doute à cette époque, grâce à l’intervention involontaire de ces pionniers de la Vérité, que se fit l'ultime révélation. L’humanité sut que la Vérité n’existe pas, que c’est un mot inutile dans le dictionnaire, mensonger au singulier, et qu’il convenait de le remplacer par des synonymes plus explicites, comme opinion, avis, point de vue, voire biais, préférences ou intérêts particuliers.


Sérieusement, au 3ème millénaire, avec l’encyclopédie électronique Wikipedia en ligne et un système de localisation en main, quand vous voyez ce genre de panneau sur votre chemin, vous y croyez encore ? Alors c’est parce que la réception est mauvaise et que vous n’avez pas de réseau.


Illustrons ce bouleversement cognitif d’un exemple à la mesure du sujet.

Le président de la France aurait déclaré, lors de la réclusion due à la pandémie, qu’en dépit de la fermeture des musées, les Français pouvaient tout de même visiter leurs magnifiques collections virtuelles en ligne. Et de citer le Louvre, Orsay, Versailles, Pompidou…
On l’aura mal informé sur ces sites, dont les outils de recherche et les reproductions sont médiocres, comparés aux grands musées internationaux. Il faut dire que la Vérité est un art dans la communication de ces baronnies opaques que sont les grands musées nationaux.

Prenons, au hasard, le Louvre. Il n’avait jamais imaginé, dans son élan vers l’infini (en nombre de visiteurs), que la source pourrait tarir et que ce nombre passerait brutalement, suite à un décret scélérat, de 30 000 par jour à 0 (zéro). Et ne connaissant pas d’autre public que celui qui se déplace et alimente sa trésorerie sur-le-champ, il n’avait jamais trouvé d’intérêt à faire de la collection publique qu’il conserve une présentation de qualité sur internet, agréable, exhaustive, didactique, conviviale et gratuite, comme l’ont fait beaucoup de musées étrangers moins prestigieux.

Alors cette subite solitude, l’absence de ces interminables files d’attente, le silence éternel de ces espaces inoccupés, ont affolé le Louvre, et on l’a vu se débattre, brassant le vide, recyclant de vieilles vidéos, raclant les fonds de tiroirs, et gesticulant bruyamment sur les réseaux sociaux.

On le croyait perdu, quand ce communiqué victorieux dicté à l’Agence d’État (AFP) inonda la presse, le 24 mai : « Le Louvre virtuel plébiscité par plus de 10 millions de visiteurs en 71 jours ».

Ainsi le Louvre n’était pas mort. Au contraire, il triomphait. « Ce musée, quelle réussite, quelle santé ! » retiendrait-on d’un tel titre.
La lecture détaillée du communiqué ne laisse pas la même impression. Il présente comme une belle réussite les 10 500 téléchargements de la dérisoire petite vidéo en réalité augmentée « En tête à tête avec la Joconde », alors que l’exposition Léonard de Vinci aurait accueilli plus d’un million de visiteurs, avant la pandémie (en réalité ce chiffre d'un million est un mensonge évident. Il dépasserait de 3 fois le maximum toléré par les réglementations de sécurité incendie).
Il s’étonne, sans proposer d’explication, que l’augmentation de la fréquentation du site ait pesé essentiellement sur les premières semaines de confinement et souligne une surabondance de connexions d’origine étrangère (90%), surtout américaine, ce qui n’est pourtant que le reflet à peine déformé des visites réelles.

Peut-être cet excédent de connexions qui rend le musée si fier, entre 3 et 4 fois la fréquentation habituelle, a-t-il été la norme pendant ces 10 semaines de réclusion pour certains sites de loisirs, d’éducation ou d’information. Et puis on sait le flou qui nimbe la définition du « visiteur » dans les statistiques des sites internet. Réclamer le remboursement d’un ticket acheté avant la pandémie, ou chercher sans succès d’éventuelles dates de report d’une exposition annulée constituent aussi des visites.

Néanmoins, comme avec le Louvre tout finit par des superlatifs, le communiqué claironne qu’il est devenu le musée d’art ancien le plus suivi sur Instagram, avec 4 millions d’abonnés, dépassant le Metropolitan Museum de New York.
Instagram est une sorte de réseau social de l’image regroupant plus d’un milliard d’utilisateurs. C’est la quintessence de la photo de vacances appliquée au quotidien et le moyen économique de publicité privilégié des marques et des artistes (Banksy y compte 9 millions d’abonnés). On y publie, sur la page de son propre compte, des petites photos carrées narcissiques souvent inintelligibles et que l’on commente le moins possible. La police puritaine de Facebook veille à ce que rien n’y dépasse (Instagram lui appartient). L’abonné grégaire et compulsif ne peut qu’aimer l’image en appuyant sur un cœur, et Facebook compte alors les points, ou laisser un commentaire, où il dit généralement qu’il aime.
Un cheptel de 4 millions de suiveurs sur Instagram est certes remarquable, mais dans le genre cela atteint à peine les orteils des grands comptes, détenus par des penseurs guides de notre temps, comme le président des États-Unis avec 20 millions de fidèles, ou des personnalités creuses sorties de la télé-réalité, ou des footballeurs, avec 220 millions d’abonnés pour l’un d’eux.

Telles sont les vérités du musée du Louvre. Bonnes ou mauvaises, réelles ou fictives, peu importe, ce qui compte est de hanter le temps de cerveau, conscient ou non, du plus grand nombre, et si possible de toute la planète (traduites en anglais, dans ce cas).

L’IFLA, Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques, sorte de syndicat somnolent des bibliothèques et des services d’information, diffuse une fiche de conseils très pertinents, sinon pratiques, pour repérer les « fake news » ou « infox », disons les tromperies. Elle énumère 8 contrôles de bon sens à effectuer avant d’admettre une information.
Hélas le lecteur consciencieux en aura à peine effectué le premier que l’information sera déjà caduque. Qu’à cela ne tienne, sautons directement au dernier recours, le contrôle numéro 8, il conseille de consulter des experts, bibliothèques ou services d’information, c'est à dire eux-mêmes.

« Décidément, tout le monde cherche a écouler sa salade ! », remarquerez-vous finement, et vous ajouterez « Il y a bien un moment où la réalité met de l’ordre dans toutes ces vérités ? Il faut bien, un jour, cesser de douter et commencer à agir ? »

Houla houla ! Ne nous emportons pas ! L’éclaircissement de ces questions n'est pas chose aisée. Cela peut prendre du temps.
Mais que le lecteur de tout genre se tranquillise, nous vérifierons scru-pu-leu-se-ment toutes les informations avant de répondre.
 

mercredi 1 janvier 2020

Billet suisse

En hommage à Étienne Dumont, trois activités sur le lac Léman par François Bocion (1828-1890), vrai peintre suisse. La pêche, la promenade vespérale et le dragage. La pêche vient de changer de main pour 41 000 euros à Niort.


Vous rêviez d’une information à jour, sérieuse et documentée sur les expositions, les musées, le monde de l’art, mais filtrée par un regard critique qui ferait preuve d’une certaine hauteur de vue et d’indépendance d’esprit ?

Ne cherchez plus. On ne trouve ça qu’en Suisse. C’est le blog d’Étienne Dumont, journaliste retraité, hébergé sur le site de Bilan.ch.
Un ou deux billets tous les jours, centrés sur la Suisse, certes, mais avec beaucoup d’actualités françaises, et aussi italiennes, allemandes, anglaises. Dumont voyage beaucoup.

Toujours érudit mais concis, ironique mais limpide. Essayez son billet récent sur la non-vente du panneau de Cimabue, par exemple.

Cimabue [prononcé Tchi ma bouée] est le grand-père de la peinture de la Renaissance en Italie. Alors quand on déniche une des ses œuvres, ce qui est rarissime, c’est dans le grenier ou la cuisine d’une vieille dame qui la prenait pour une icône byzantine sans valeur sur laquelle le petit neveu s’entrainait aux fléchettes.
C’est ce qui vient d’arriver à Compiègne. Disputée aux enchères jusqu’à 24 millions d’euros, la réalisation de la vente est suspendue à une préemption de l’État français qui a deux ans et demi pour réunir la somme ou se désister.
En attendant les héritiers de la vieille dame, modestes, devront régler plus de 100 000 euros d’assurance annuelle et peut-être quelques millions au fisc.

Lire les détails de cette aventure croquignolesque sous la plume d’Étienne Dumont est un plaisir. Il est étonnant qu’un site Suisse qui traite d’économie diffuse ces petits joyaux quotidiens sans les enfermer au fond d’un coffre réservé aux abonnés payants. Ça viendra certainement.

En attendant profitons-en.

Pratique : la Suisse n'a pas encore découvert les flux RSS (Réellement Simple Syndication), et l'abonnement par e-mail aux blogs d'opinion de Bilan.ch incluant les billets de Dumont, Newsletter, ne fonctionne pas, ce qui oblige à visiter cette adresse du blog tous les jours !

mercredi 1 novembre 2017

Premier novembre, fêtons la mort

Le 19 septembre 2014, à 16 heures 33 minutes et 48 secondes précisément, dans la grande banlieue de Moscou, à Lioubertsy, au croisement de la rue de Moscou et de la rue de l’Armée rouge, alors qu’elle avait toutes les chances dans sa main squelettique, la Faucheuse s’est lamentablement vautrée, là où n’importe quelle Parque débutante aurait fait un sans faute.

Elle avait pourtant tous les atouts.
Arrivant du fond de la scène une camionnette de livraison de produits laitiers était décidée, malgré la présence du panneau et de la priorité, à ne pas cédez le passage à une voiture rouge, et le chauffeur, qui avait aussi oublié d’attacher sa ceinture, déporté au moment du choc à la place du passager, ne contrôlait plus son volant.
Au même moment, au centre de la scène, le personnage principal, appelons-le Alexeï, pourtant prudent, n’avait plus les moyens de maitriser son destin, comme dans toute bonne tragédie grecque.



La critique cinématographique, surprise par le dénouement imprévu, a évidemment cherché des anomalies dans cette séquence, des ficelles qui révèleraient qu’elle n’était qu’une mise en scène destinée à émouvoir le spectateur.

Et elle n’eut pas à explorer bien loin, car la caméra se trouve devant une immense affiche de l’opérateur de téléphonie AVK Wellcom, la société même qui administre et pilote le réseau de caméras de surveillance qui a filmé l’action, et qui la diffuse ostensiblement sur internet.
Et s’il fallait un complément de preuve, AVK Wellcom publiait quelques jours plus tard un entretien exclusif avec Alexeï, le rôle principal. On le voit sous la pluie, traverser le même passage protégé en courant et saluant d’un signe ironique de la main ladite caméra, « l’œil du destin ».

Naturellement, cet échec de la Camarde a été tellement diffusé sur internet, décortiqué au ralenti et dans tous les sens, qu’Elle risque de le prendre sans humour, et tenter de se rattraper un peu n’importe comment dans les temps à venir.

À suivre donc sur le réseau AVK Wellcom.

vendredi 7 avril 2017

L'éternel hiver de Fukushima

Dampierre, la centrale nucléaire près de chez vous. 

Le printemps est de retour. Le bord des routes est ponctué de cerisiers et de pommiers en fleurs. Les journaux, quand on les lit un peu vite, ou seulement les titres, diffusent de bonnes nouvelles du Japon. Les habitants de la région de Fukushima sont maintenant autorisés à revenir sur une grande partie des lieux évacués lors de la catastrophe nucléaire de 2011. On pourra bientôt oublier cette tragédie.

Pour prolonger un peu la douceur de cette information, on écoute « Les années lumière », la plus agréable et fiable (*) des émissions de popularisation scientifique en langue française, disponible en balado-diffusion, et qui se penche justement, le 26 mars, sur le retour des exilés de Fukushima. [écouter les minutes 61 à 78

Mais la sociologue interrogée par Yanick Villedieu, Cécile Asanuma-Brice, semble décidée à contrarier l’optimisme officiel.

Elle nous apprend qu’en réalité le nouveau gouvernement japonais, favorable au nucléaire, contraint les habitants à revenir en leur supprimant toutes les subventions au logement attribuées depuis l’évacuation, que toute vie sur place est déraisonnable, qu’il n’y a plus de commerces, de réseaux, de services, que des millions de sacs de terre et de végétaux contaminés sont répartis sur 115 000 sites, qu’il est interdit d’aller en forêt, dans la montagne, au bord des rivières, dans tous ces endroits qui ne peuvent pas être décontaminés, qu’il est déconseillé de manger nombre de produits comme les champignons, les choux, les épinards, et tous les animaux qui les mangent.

Et si cela ne suffisait pas, la sociologue nous avertit que la question n’est pas seulement régionale, mais que Fukushima reçoit, chaque année depuis le drame, des colloques d’experts et d’organismes internationaux qui, constatant qu’évacuer la population était trop couteux, se sont entendus pour multiplier par 20 les seuils de radiations acceptés pour un être humain (qui sont désormais internationalement - directive de l’UE en 2014 - de 20 millisieverts par an), et pour les multiplier par 100 en cas de crise comme l’explosion d’une centrale nucléaire, ce qui réduira dorénavant considérablement la surface des zones dites inhabitables.
Tout cela, elle le détaille également sur son blog

« Fukushima est devenu un terrain d’entrainement pour la gestion du prochain accident nucléaire où qu’il soit », dit-elle. En 17 minutes, madame Asanuma-Brice aura empoisonné notre printemps.

Dehors il s’est mis à pleuvoir.


(*) Mise à jour 25.12.2017 : hélas, la retraite de l'animateur en juillet 2017 a marqué un virage vers une émission de papotages confite dans les bons sentiments et centrée sur l'écologie et l'enseignement de la science.

vendredi 15 mai 2015

Snowden, héros à lunettes

Le 6 avril dernier à l’aube, installé clandestinement par une poignée d’admirateurs industrieux, le buste d’Edward Snowden trônait sur un piédestal vacant du cimetière mémorial des martyrs morts pour l’indépendance, dans le parc de Fort Greene à New York.

Le monde entier connait Edward Snowden, traitre pour son pays depuis qu’il a dévoilé les preuves d’une surveillance paranoïaque généralisée de toutes les communications de la planète par une agence américaine, la NSA, et montré qu’elle se fournissait automatiquement en informations et conversations privées auprès de ces manipulateurs de données personnelles que nous alimentons en permanence, Apple, FaceBook, Google, Microsoft, Skype, et tant d’autres, banques et opérateurs de télécommunication.

La journaliste Laura Poitras qui a la confiance de Snowden a fait de ces divulgations un documentaire de 2 heures, passionnant et inquiétant comme un film d’Hitchcock, « Citizenfour ».
L’homme ne ressemble pas tout à fait au superhéros qui sauve systématiquement la planète dans la plupart des films américains. Il porte des lunettes et parait scrupuleux, responsable et modeste alors que son pays est prêt à tout pour le capturer et l’annihiler.

Aujourd’hui, deux ans après ses révélations, Snowden est encore vivant, toujours exilé en Russie, et il ne se fait pas d’illusions. Las, il a déclaré « On fait un scandale international quand on apprend que les communications d’un chef d’état sont écoutées, mais rien ne bouge quand on sait que ses 80 millions de concitoyens sont également surveillés ».

Envieux, le gouvernement français, qui a compris qu’une large majorité de ses administrés (les deux tiers dit-on) est inconsciente des risques de la cybersurveillance, tente de mettre en place sans précaution un système analogue de contrôle systématisé de la vie privée, à l’échelle du pays. Ça s’appelle la loi « Renseignements » et le 5 mai une accablante majorité des députés de l’Assemblée Nationale lui a accordé sa bénédiction.

Bientôt Snowden fera un faux pas. On l’enterrera clandestinement, sans fanfare, tandis que l’espèce humaine impassible continuera lentement la marche vers sa véritable destinée d’animal de boucherie, décrite par Orwell en 1949, déjà testée à grande échelle par Lénine, Staline, Hitler, Mao, Pol Pot au 20ème siècle, et magistralement aboutie depuis 67 ans en Corée du nord, pour le seul profit d’une lignée de dégénérés, la famille Kim.

Le 6 avril dernier, autour de midi, le buste d’Edward Snowden était déjà bâché par les autorités du parc de Fort Greene, puis plus tard enlevé furtivement.

Il reste quelques photographies de ce regrettable incident.


dimanche 15 juin 2014

Le retour du refoulé

Pour fuir l'intolérable pudibonderie des grands réseaux sociaux et la censure aveugle des moteurs de recherche nous éviterons de nommer directement l'objet de cette chronique par ses noms les plus usuels. Georges Brassens l'appelait jadis « Le Blason ». De nos jours, le dernier cri est de le nommer « L'Origine du monde », ce qui est tout de même très approximatif sur le plan scientifique, et de l'exposer fièrement sur les cimaises des musées les plus en vogue.

Qui ignore encore ce tableau, illustrissime depuis peu, de Gustave Courbet, peintre provocateur du milieu du 19ème siècle qui peignait à grand renfort de couleurs au bitume et au blanc de plomb des tableaux naturalistes devenus aujourd'hui très sombres ?
L'œuvre figure un corps féminin réaliste sans jambes ni bras ni tête, comme une nature morte posée sur un étal, avec au milieu un organe velu. Depuis qu'il est exhibé en permanence, depuis 1995, la pensée parisienne s'enthousiasme sur ce puissant symbole d'on ne sait trop quoi, au point qu'il est presque devenu l'emblème du musée qui l'héberge et le fleuron des ventes de cartes postales.

Le 29 mai 2014, une jeune femme en robe dorée (filmée par un complice) s'approchait calmement du tableau de Courbet, s'asseyait sur le sol en lui tournant le dos, écartait généreusement les cuisses et s'aidant des mains présentait alors au public épars du musée une vue plus explicite encore que celle du tableau qui lui servait de modèle.
On a pu lire que son geste était dicté par un concept consistant et impérieux, ce que ne confirme pas réellement le poème puéril récité pendant l'exhibition sur les notes de l'inévitable rengaine de l'Ave Maria de Schubert. On peut également mesurer la profondeur vertigineuse du verbiage de la dame dans cette vidéo.
Disons simplement que pour faire plus provocateur que le tableau de Courbet, il fallait bien exposer la réalité plutôt que sa représentation. C'est le fondement de tout exhibitionnisme.
Notons cependant que Courbet, qui aimait pourtant faire scandale, n'avait pas peint ce tableau pour choquer, mais pour le cabinet privé d'un riche diplomate turc et obsédé.

Robert Crumb, dessin original pour la couverture du numéro 13 de la revue Weirdo représentant 20 modèles de psychopathes sexuels. Le 21ème est le dessinateur.

Le plus amusant dans cette historiette libidinale est certainement l'illustration éclatante de la schizophrénie d'une société qui peut, sur la même image, afficher sans vergogne un blason triomphal, et flouter ou masquer la même chose quand elle constitue une intrusion de la réalité dans son confortable univers imaginaire. On le constatera sur les photos de la scène reproduites dans la presse.

dimanche 16 mars 2014

Le gros pétard de David

Il faut l'admettre, Michel-Ange était un artiste immense, un gros travailleur qui imaginait des ouvrages toujours plus impressionnants. Et un art monumental ne se fait pas sans des imprécisions et des erreurs dues à l'empressement. Michel-Ange n'en fut pas exempt. Il n'est qu'à examiner les proportions exagérées, les corps déformés des personnages androgynes qui peuplent le plafond de la chapelle Sixtine au Vatican, ou son gigantesque David sculpté de 5 mètres, mal proportionné, ses grandes mains simiesques, son évidente macrocéphalie, ses traits grossiers et son petit sexe si finement ciselé, avec amour.

Et pourtant l'Italie considère le David, cette effigie martiale et sans grâce, comme un des symboles de la nation, au point d'avoir parsemé Florence de copies colossales. Et bien qu'elle ne se soit jamais opposée aux usages les moins raffinés de ses icônes nationales, elle vient, prise d'une poussée soudaine de vertu outragée, de réagir violemment à la vue d'une affiche publicitaire américaine qui vante un énorme fusil ultramoderne en le plaçant dans les bras dudit David, par un médiocre trucage photographique.

La presse, qui ne s'embarrasse pas à vérifier ce qu'elle retransmet, serine en chœur les propos offensés du ministre italien de la culture et du directeur (qui se nomme Angelo Tartuferie) du musée de l'Académie qui héberge à Florence l'original du monument insulté. Et tous de répéter que l'utilisation publicitaire de l'image du David doit faire l'objet d'une autorisation de l'État italien assortie du paiement de droits de reproduction, et que ce détournement de mauvais gout est illégal.
On lit aussi dans les journaux italiens que « la violence exercée sur la sculpture est pire qu'une attaque au marteau ... et il faut réclamer à la société américaine un milliard de dollars qui serviraient à restaurer Pompéi. »

Cinéma et hypocrisie que tout cela. Le droit de la propriété intellectuelle italien, qui semble, à la lecture des commentaires italiens, assez proche du droit français, ne pourra rien contre l'utilisation, même douteuse, d'une œuvre qui a toujours été dans le domaine public. Et y aurait-il manipulation d'une photographie soumise à droits d'auteur (puisque les photos sont interdites - bien vainement - dans le musée) que les italiens auraient du mal à obtenir réparation dans un litige international contre une entreprise américaine, pour une simple citation parodique.


Alors à défaut d'argument juridique l'Italie peut toujours déclarer la guerre aux États-Unis. Le prétexte ne serait pas moins sérieux que pour nombre d'autres conflits et elle aurait sans doute des chances de gagner, David (ou Daoud) n'a-t-il pas vaincu le géant Goliath et sauvé les tribus hébraïques de l'hostilité des philistins, dans les mythologies biblique et coranique ? Il conviendra cependant, comme dans l'astucieuse publicité incriminée, de remplacer les frondes archaïques par des fusils mitrailleurs.

Quant à l’emblème bafoué de la nation, et s'il faut absolument contenter les amateurs d'anatomie masculine, il se trouve à Florence, à 400 mètres de la statue de Michel-Ange, au bout d'une allée du Musée d'archéologie de la ville, une sculpture romaine au lignes raffinées et au geste pacifique, l'Idolino di Pesaro, éphèbe porte lampe (l'original grec tendait une grappe de raisin), qui remplacerait avantageusement l'idole déchue.
Ou encore, 900 mètres plus au sud, la merveille du musée Bargello, le David sculpté par Donatello 70 ans avant celui de Michel-Ange. Mais les détails sensuels et la pose ambigüe de cet adolescent efféminé l'éloigneraient certainement un peu de l'idéal fade et inexpressif de Monsieur Tartuferie.