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lundi 17 mai 2021

Fairepart

Paysage bucolique de la Meuse, vu de Mandres-en-Barrois. À l'horizon, le Bois Lejuc, futur tombeau promis à un avenir rayonnant et une renommée durable.

Quand on ne peut pas détruire définitivement ses déchets, il faut bien les entreposer quelque part. Le problème, avec les pires déchets de l’industrie nucléaire, c’est qu’ils diffusent une radioactivité qui détériore les cellules des êtres vivants et qui dure si longtemps qu’à l’échelle d’une civilisation on peut parler d’éternité.

Habituellement les problèmes concernant l’éternité et l’infini, quand ils ne sont pas escamotés par les religieux, sont confiés à des philosophes ou à de grands scientifiques dont on trouve le nom dans les dictionnaires. Mais là, par un de ces trucs dont l’administration a le secret, la tâche a été confiée à de modestes bureaucrates, assistés par la police et l’armée, car on est dans un domaine soumis au « secret défense ». On constatera qu’il ne fait pas bon s’y opposer.

Après avoir durant des décennies rejeté leurs poubelles en pleine mer, ou en avoir truffé des mines abandonnées qui fuyaient de partout, ils ont cette fois choisi la solution de l’ensevelissement sous terre, parce que la balance bénéfices-risques leur parait être aujourd’hui la meilleure. En vérité il n’y a que des risques et pas vraiment de bénéfice, sinon celui de réduire un peu les risques. Leur projet s’appelle Cigeo.
 
Après un laborieux semblant de consultation populaire et à l’aide d’un appui financier important, une région déshéritée et très éloignée des centres de décision a été choisie, qui sera le tombeau des déchets radioactifs de l’Europe. C’est le Bois Lejuc, entre Bure et Mandres-en-Barrois, en Lorraine. Pendant quelques décennies un défilé continu de camions sous surveillance y convoiera des déchets nucléaires qui seront versés dans un grand puits. Puis on fermera le couvercle, peut-être vers la fin du 21ème siècle. 
Comme l’Assemblée nationale a demandé la réversibilité du processus, on ne pourra pas emmurer toutes les personnes qui auront participé au projet, comme cela se fait couramment pour les grands secrets d’État, sépultures de pharaons ou de dictateurs, puisqu’il faudrait alors leur laisser une porte pour ressortir, ce qui serait contreproductif.

Considérant qu’on n’y enterrera pas seulement des déchets nucléaires mais aussi la démocratie - qui était déjà bien malade avant la prise de pouvoir en France d’un monarque omniscient et omnipotent et la répression sanglante des protestations populaires par de notoires psychopathes - les opposants au projet nous convient à apporter une poignée de terre, ou une fleur, à la cérémonie.

Elle se déroulera au tribunal de Bar-le-Duc, les 1, 2 et 3 juin prochains. Sept dissidents seront jugés pour « association de malfaiteurs ». Ça n’est pas une blague, le journal Libération, qui a lu le dossier judiciaire, parle d’une « procédure titanesque employant les ressources de la lutte antiterroristes pour faire taire une poignée d’opposants au projet » (Lisez ici le dossier complet de Reporterre).
 
Notez que le tribunal est situé en face de l’église Saint-Étienne qui héberge le fameux transi de Ligier Richier, effrayante prémonition. Profitez-en pour faire un peu de tourisme.

Si vous ne pouvez pas assister aux funérailles (le providentiel état d’urgence permanent limitera peut-être ce genre de déplacement), vous pouvez tenter d’impressionner la justice en signant une pétition en ligne, soutenue déjà par nombre d’éminentes personnalités.
Elle réclame, au-delà de la légitime relaxe des militants courageux, l’abandon du projet Cigeo. Est-ce bien judicieux ?  
Incontestablement, le projet est pharaonique, dans tous les sens de l’épithète, notamment parce qu’on cherche à cacher les déchets de notre inconséquence dans un endroit inaccessible même aux forces de la nature, alors qu’on sait que les tombeaux des pharaons, qui avaient le même objectif et déployaient des moyens similaires, ont quasiment tous été aussitôt pillés.
 
Mais que faire des déchets si le projet est abandonné ?
On n’aura pas l’ingénuité de suggérer la reprise du projet en respectant cette fois une démarche réellement démocratique. Cela ferait rire tout le monde et provoquerait immanquablement des plaisanteries dans le style « Enterre-les sous les jardins du palais de l’Élysée ! », ce qui serait irréaliste car comme chacun le sait maintenant, le palais de l’Élysée n’est plus tout à fait là où il se trouve.

Laissons donc la question en suspens quelques temps, le calendrier du projet le permet, mais notez bien les coordonnées de l’endroit, car bientôt les cartographies officielles afficheront ostensiblement que la zone n’existe pas, et terminons avec un sujet qui paraitra peut-être plus léger dans ce dossier sensible.

Vous l’aurez remarqué, la pétition, relayée par 9 médias en ligne, pratique l’écriture inclusive, très modérément, par-ci par-là seulement (9 mots sur 606). Louable tentative qui l’honore mais qui lève le voile sur une inégalité flagrante entre les médias en ligne.

En effet seuls 2 des 9 médias - osons moucharder, il s’agit de Libération et de Médiapart - ont été en possession, pour imprimer la pétition, de ces fameux points médians [·] qui ont fait la sinistre réputation de ce mode d’écriture. Les 7 autres médias, plus humbles, n’ont eu à leur disposition que des points communs, banals, indistincts, quelconques [.].
Il faudra bien un jour aussi rechercher l’origine de ces inégalités qui ternissent un peu, malgré tout, l’éclat de notre république.

 

Post-scriptum
Ah, au fait, puisqu’on en parle, des réactions nucléaires font surchauffer graduellement depuis 4 ou 5 ans la marmite de la gigantesque enceinte de protection qui couvre le réacteur en miettes n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine. Incapables d’envoyer le moindre engin qui survivrait aux radiations, les scientifiques ne savent pas ce qu’il s’y passe. Mais ça ne serait pas trop grave, disent-ils.


samedi 18 mai 2019

La déchéance de Gerhard Richter

Gerhard Richter était, en 2013, le peintre vivant le plus cher, entendez le plus coté, pour « Abstraction n°599 à 46M$ » (*), battu en 2015 par le « Petit chien géant gonflable en ballons orange à 58M$ » de Jeff Koons.
Précisons que « peintre vivant le plus cher » est un titre éphémère, d’abord parce qu’une inflation permanente dévalorise tous les records de prix, et ensuite parce qu’un jour ou l'autre tout lauréat change fatalement d’état ; Gerhard Richter, par exemple, approche de 88 ans.

Le record de prix a été pulvérisé en novembre 2018 par David Hockney, qui a 81 ans, pour « Piscine avec 2 personnages à 90M$ ». Mais Koons, qui n’a que 64 ans, vient de reprendre la tête, en mai 2019, avec « Petit lapin gonflable en métal chromé avec carotte à 91M$ ».

Malgré son record, Richter n’est pas très connu du grand public. Sa spécialité est la reproduction sur toile de photos prises avec un appareil Polaroïd, de mauvaise qualité et floues, dont il restitue savamment tous les défauts, en essuyant un peu la peinture avant qu’elle ait séché, pour le flou.
Souvent, il balaie la toile avec de grands gestes d’une brosse rageuse, en traits liquides horizontaux puis verticaux (ou inversement), de la couleur qui lui tombe sous la main, ce qui fait de belles toiles abstraites et décoratives qu’il vend très cher également.
Parfois, pour se reposer l'esprit, il peint des nuanciers infiniment soignés.
On dit de lui qu’il s’est cherché toute sa vie. Mais ne le dit-on pas de tout artiste qui n’est pas resté docilement dans le même tiroir de nos cerveaux, sous la même étiquette ?

Et soudain, le 24 avril 2019, la déchéance. La justice allemande a jugé que les œuvres de Richter ne valaient pas plus que des ordures.

Retournons dans le passé. Un jour de juillet 2016, un homme « sans emploi » récupérait, sur un trottoir d’une riche banlieue de Cologne, dans (ou près de) la poubelle de Gerhard Richter avant que les éboueurs ne l’emportent (la poubelle), quatre petites photos repeintes jugées ratées par l’artiste.
Plus tard, elles étaient soumises, dans le cadre d’une vente aux enchères, à la Gerhard Richter Archive, organe dont le rôle est de cataloguer et certifier l’œuvre du maitre. La réaction normale aurait été simplement de ne pas les authentifier.
On opta pour la solution hystérique. L’homme vient d’être condamné à une peine pécuniaire de 787,5 euros par photo. La justice a été clémente, car l’acte d’accusation, pour donner de la consistance à l’infraction, les avait évaluées 60 000 euros pièce.

Lors de l’annonce du verdict, la juge Katharina Potthoff a déclaré « Même tombées à côté de la poubelle, des œuvres restent la propriété de l’artiste ».

Pareille décision de justice, motivée certainement par le respect fondamental de la volonté du créateur, soulève un flot de questions, certaines existentielles, qui ne manqueront pas de bouleverser le monde de l’art.

À partir de quand les détritus de Richter ne sont plus du Richter et ne lui appartiennent plus ? D’ailleurs y a-t-il une limite ?
Parmi les immondices de Richter, y a-t-il une hiérarchie, une échelle de valeur ?
Un relief, une raclure, une rognure, voire une chiure ont-elles le même statut que les œuvres entérinées par le maitre et admirées dans les grands musées ?
Et pourquoi le mot allemand richter signifie-t-il juge en français ?

Ces questions sont profondément troublantes.


(*) M$ signifie millions de dollars.  


L’administration du cimetière du Père-Lachaise, toujours au plus près de l’évolution des mœurs, a prévu que les grands artistes, ou les modestes quidams, qui en exprimeront le désir, pourront être enterrés avec leurs détritus (s’ils en conservent la propriété), dans des sépultures réservées à cet usage.

dimanche 8 novembre 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (8)

Depuis que Marcel Duchamp a tenté d’exposer sa première pissotière industrielle en porcelaine (la Fontaine) au salon des artistes indépendants de New York en avril 1917, tout le monde devrait savoir qu’un objet quelconque peut devenir une œuvre d’art et définir une nouvelle valeur si une personnalité en vue l’a décidé.

Mais cette évidence culturelle s’est imposée lentement. Elle n’a pris son essor qu’avec la floraison de l’art conceptuel dans les années 1960, quand Duchamp qui avait égaré les œuvres dadaïstes de sa jeunesse en certifia quelques répliques antidatées.
Et on constate aujourd’hui que certains milieux sociaux sont encore imperméables à cette idée progressiste de l’art.

Le drame s'est produit au Museion de Bolzano, musée consacré à l'art d'aujourd'hui, dans le nord de l’Italie.

Deux jeunes artistes italiennes, qui voulaient exprimer leur réprobation envers la corruption et les orgies organisées par les politiciens socialistes italiens dans les années 1980, avaient empli une pièce du musée de restes de bombance, cadavres de bouteilles, cotillons et mégots. On pourrait douter de la modernité du propos, mais gardons-nous de tout jugement esthétique à priori.
L’œuvre s’appelait « Où allons-nous danser ce soir ? ».

La suite de l'histoire était écrite, car il n’y a pas un mois sans qu’un scandale ménager n’agite dans les médias le monde de l’art contemporain et de ses détracteurs.

En effet le lendemain de l’installation de l’œuvre, le personnel d’entretien nécessairement matinal découvrait l’état de dégradation de la salle et s’affairait pour tout débarrasser avant l’ouverture du musée.
Quand les visiteurs arrivèrent, la pièce était immaculée. Dans de grands sacs de plastique noir reposaient les reliques de l’exposition triées par type de déchet, chacun dans sa poubelle dédiée, bouteilles, confettis et serpentins…

En quelques jours l’œuvre fut reconstituée et exposée de nouveau. C’est la grande force de l’art conceptuel que de s’adapter sans effort à toutes les conditions matérielles.

Les artistes voient dans cet accident la « preuve de la vitalité et de l’irrémédiable nouveauté de l’art contemporain », « s’il a été jeté comme des ordures c’est qu’il est toujours radical et subversif ».
N’exagérons pas, il s’agit ici d’un banal défaut d’information, d’une méprise que n’importe qui d’insuffisamment aguerri aux raisonnements conceptuels de l'art moderne aurait commise.

On devrait d’ailleurs récompenser les gens du ménage pour avoir porté cette œuvre d’art vers une sorte d’accomplissement. Par leur rafraichissante ingénuité, ils sont allés plus loin dans le concept, et plus radicalement que ne l’avaient osé les artistes qui s’étaient frileusement limitées à exposer les ordures sous les couleurs vives et les jolis scintillements d’une lumière de cabaret.

Homme de ménage en train de remettre de l’ordre dans les salles d'art contemporain du musée des beaux-arts de Nantes, ou bien sculpture de Daniel Firman intitulée Gathering exposée en 2003 ? Cette vertigineuse mise en abyme conceptuelle pourrait, au premier faux pas, se terminer par la réquisition en urgence du personnel d’entretien du musée.

dimanche 22 juillet 2007

La vie des cimetières (8)

« NE DÉPOSEZ RIEN SUR LA VOIE PUBLIQUE
TRIEZ VOS DÉCHETS
UTILISEZ LE BAC APPROPRIÉ *»

* Ce Glob Est Plat s'est permis de corriger légèrement l'orthographe du message sur la poubelle, et signale à la Mairie de Paris qu'en français les majuscules devraient comporter les accents, comme le conseille ce texte limpide de l'Académie française.