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mercredi 27 avril 2022

Un autre fruit

On trouve parfois, ornementant des vases ou des meubles "art nouveau", ou sur des natures mortes hollandaises du 17ème siècle, et même dans un autoportrait d’Egon Schiele, le physalis, cette curieuse plante au fruit comme une cerise enfermée dans un calice de feuilles orangées ou jaunes, qui se transforme en cage, et dont on prétend parfois qu’il viendrait des Incas, de la colonisation espagnole du Pérou au 16ème siècle ; mais Wikipedia en aurait trouvé des traces de cueillette et de consommation déjà au néolithique, il y a 6000 ans, dans l’Ain.

 
Pendant que les grandes maisons d’enchères survendent leurs fonds de tiroir de Basquiat ou Monet ratés (ici l'estimation est indécente. On ne nous la dit qu'en privé), Dorotheum, l’antique maison viennoise, entretient son petit gagne-pain régulier en écoulant des tableaux de qualité généralement discutable, fin de siècle (le 19ème), mais à des prix très bas. Elle vend parfois des pépites aussi, un peu plus cher, mais pas au point de ne plus pouvoir compter les zéros comme chez les confrères chics. 

Et justement le 11 mai, Dorotheum vend une Arrestation du Christ, par Frans Francken 2, superbe et presque romantique (on est au début du 17ème siècle et on entend déjà les cuivres tonitruants d’un Richard Wagner), puis un beau et rare paysage de déforestation par Claude Gellée, et qui semble bien de la main du lorrain, et enfin, pour le prix d’un bel appartement en province, des physalis par Abraham Mignon, accompagnés de raisins, de pêches et de 7 insectes et un arachnide. Comme toujours chez Mignon, ça n’est fait que pour le régal des yeux et une douce somnolence de l’esprit. C’est le principal.

Pour mémoire, chez Dorotheum, on peut encore télécharger de magnifiques reproductions en haute définition. Ici pour Mignon, elle fait à l'écran 5 fois les dimensions réelles du tableau. De quoi s’émerveiller.

mardi 7 septembre 2021

Errer au Prado (1 de 2)

Comme 2020, l’année 2021 est en passe de devenir un désastre pour les musées publics et privés qui dépendent financièrement de la quantité de visites. La gestion purgative de la pandémie a réduit leur fréquentation de 75% en moyenne en 2021 comme en 2020. Pour les musées dont la visite est gratuite, comme la National Gallery de Londres ou celle de Washington, l’effet reste secondaire. Pour le plus important des musée de beaux-arts d’Espagne, le Prado de Madrid, la politique de gratuité, limitée aux deux dernières heures d’ouverture (17h-19h ou 18h-20h selon la saison) ne limitera pas sensiblement les dégâts.

Vu la persistance des contraintes sanitaires sur les activités culturelles et les déplacements à l’étranger, il serait raisonnable de poursuivre les visites virtuelles des musées, quand leur site internet est de qualité convenable, et d’aller y découvrir des œuvres ou des détails qui passent souvent inaperçus, parce que, même en restant 8 heures dans les salles du Prado, on n’aurait que 15 secondes à consacrer à chaque œuvre exposée, et on utilisera sans doute ces heures en priorité devant les Velázquez, les Goya, ou à attendre, devant les polyptyques de Jérôme Bosch grouillant de détails savoureux, qu’ils soient enfin accessibles.   

Le Prado expose sur place 1500 œuvres, d'une collection de 8000, et en présente 6440 sur son catalogue en ligne. Les outils de recherche y sont d’une utilisation simple et les reproductions téléchargeables et de qualité satisfaisante (3000 pixels). Les descriptifs sont en espagnol et en anglais (la traduction automatique est possible sur certains navigateurs comme Chrome).


Juan Van der Hamen, marqué par les natures mortes (bodegónes) rigoureusement ordonnées de Sánchez Cotán, eut beaucoup de succès à Madrid au début du 17ème siècle, mais mourut à 37 ans. Une de ses plus belles trouvailles sont ses superbes cerises qu’il entourait de figues ou de prunes d’un gris-indigo pâle. 
En haut, un bijou unique dans sa production, une assiette de cerises et de prunes (détail), souvent qualifiée d’étude pour un grand tableau disparu. En bas, à droite, un détail de la grande nature morte aux artichauts également au Prado. À gauche et au centre, deux détails d’une autre grande nature morte exposée en prêt durant 20 ans au Metropolitan museum de New York, et vendue 6,5 millions de dollars chez Christie’s en 2019.


Claude Gellée dit le Lorrain a passé 66 de ses 82 années en Italie à peindre consciencieusement 200 paysages le plus souvent marins, voire portuaires, avec un zeste de mythologie. De son vivant même, il était très apprécié en Espagne où il ne mit jamais les pieds. Le Prado est fier de sa série exceptionnelle dont il expose habituellement 7 sur 10. 
En haut, détail de l’embarquement de saint Paul à Ostie. On comprend l’obsession de Turner pour la lumière du Lorrain. En bas, détail de la Tentation de saint Antoine.


Madrid avait invité Giovanni Battista Tiepolo avec tous les honneurs en 1761, et l'a tellement couvert de commandes qu’il y mourut en 1770. Ses fils Lorenzo et Giandomenico l’assistaient alors dans ses immenses décorations théâtrales et mythologiques. 
En haut, détail de Zénobie devant Aurélien, toile de 5 mètres peinte alors que ses fils n’étaient pas nés. Parfois Giandomenico redescendait sur terre quand son père avait le dos tourné et brossait des petits tableaux de la vie quotidienne à Venise. En bas, un détail du Nouveau monde, tableau très singulier que le Prado date vers 1765.


Quand on cherche dans l’histoire de la peinture un précurseur au meilleur cinéma d’action, d’Hitchcock à Spielberg, on s’arrête immanquablement au 16ème siècle à Venise, à Jacopo Robusti dit le Tintoret, et sa passion pour le théâtre, les décors architecturaux et la fluidité du placement des personnages dans l’espace. Cette toile panoramique de 5,33 mètres en est le plus bel exemple. On y voit une scène curieuse pour des yeux innocents, où des hommes d’âge mûr se déculottent et se rhabillent, peut-être le vestiaire d'un sauna ou d'une équipe sportive.
Dans une courte vidéo didactique en montrant quelques beaux détails, le Prado s’est amusé à simuler la scène vide avant la représentation
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dimanche 30 mars 2014

Livres de raison illustrés

Un Livre de raison (parfois appelé livre de comptes) est un manuscrit domestique, un inventaire, où sont consignés chronologiquement par le chef de famille les évènements qui importent dans la gestion du patrimoine. On en a retrouvés qui datent du 14ème siècle. Ils étaient fréquents au 17ème jusqu'au 19ème siècle, chez ceux qui possédaient.

Et nombre de peintres au tempérament comptable ou méthodique ont tenu livre de raison. Le plus célèbre fut Claude Gellée dit le Lorrain (1635-1682). Il avait réalisé à la plume et au lavis près de 200 reproductions de ses tableaux, sur des feuilles de 25 centimètres où il indiquait quelques informations sur le destinataire et le prix de l'œuvre et qu'il avait regroupées. On dit que c'était pour confondre les nombreux plagiaires ou faussaires, c'est pourquoi il l'appelait « Livre de vérité ». Ce Liber Veritatis est conservé de nos jours au British Museum à Londres.

Joséphine Hopper, la femme d'Edward, a tenu dès 1924 et pendant 40 ans un cahier des peintures de son mari. On y trouve pour chaque tableau une vignette rapidement dessinée (peut-être par Edward), un descriptif, les dimensions, la date, le lieu, la technique utilisée, l'acheteur, le prix de vente... L'illustration ci-contre présente un détail de la page qui consigne en 1963 la réalisation d'un des derniers tableaux de Hopper, « Soleil dans une chambre vide ». On notera que les « libertés » prises par le peintre dans la projection des ombres se retrouvent dans la vignette.

Félix Vallotton également méticuleux a laissé de nombreux livres, de raison ou de comptes, qui ont fourni quantité d'informations pour la constitution du catalogue complet de ses œuvres.

Voici une cinquantaine d'années, les héritiers du peintre réaliste clodoaldien Édouard Dantan trouvaient dans son atelier déserté un épais cahier poussiéreux que le peintre avait titré « Énumération des tableaux, portraits, études, copies, dessins, aquarelles... par Joseph Édouard Dantan... », commencé à 21 ans en 1869, et clos de la main de son fils Pierre bien après la mort d'Édouard dans un accident d'automobile le 7 juillet 1897.

Sur plus de 1100 œuvres énumérées, seules 300 ont été retrouvées, et un certain nombre qui ne figurent pas dans le livre de raison. Le site du Musée d'art et d'histoire de Saint-Cloud en expose la reconstitution et autorise le téléchargement d'un facsimilé de qualité du livre de raison (60 Mégaoctets).
Et il est touchant de parcourir ce journal illustré joliment calligraphié à l'encre violette ou noire et d'avoir l'impression de voir s'écouler ainsi toute une vie en pointillés.

Dantan Édouard, dernières pages de la partie Peintures du Livre de raison.