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mardi 7 septembre 2021

Errer au Prado (1 de 2)

Comme 2020, l’année 2021 est en passe de devenir un désastre pour les musées publics et privés qui dépendent financièrement de la quantité de visites. La gestion purgative de la pandémie a réduit leur fréquentation de 75% en moyenne en 2021 comme en 2020. Pour les musées dont la visite est gratuite, comme la National Gallery de Londres ou celle de Washington, l’effet reste secondaire. Pour le plus important des musée de beaux-arts d’Espagne, le Prado de Madrid, la politique de gratuité, limitée aux deux dernières heures d’ouverture (17h-19h ou 18h-20h selon la saison) ne limitera pas sensiblement les dégâts.

Vu la persistance des contraintes sanitaires sur les activités culturelles et les déplacements à l’étranger, il serait raisonnable de poursuivre les visites virtuelles des musées, quand leur site internet est de qualité convenable, et d’aller y découvrir des œuvres ou des détails qui passent souvent inaperçus, parce que, même en restant 8 heures dans les salles du Prado, on n’aurait que 15 secondes à consacrer à chaque œuvre exposée, et on utilisera sans doute ces heures en priorité devant les Velázquez, les Goya, ou à attendre, devant les polyptyques de Jérôme Bosch grouillant de détails savoureux, qu’ils soient enfin accessibles.   

Le Prado expose sur place 1500 œuvres, d'une collection de 8000, et en présente 6440 sur son catalogue en ligne. Les outils de recherche y sont d’une utilisation simple et les reproductions téléchargeables et de qualité satisfaisante (3000 pixels). Les descriptifs sont en espagnol et en anglais (la traduction automatique est possible sur certains navigateurs comme Chrome).


Juan Van der Hamen, marqué par les natures mortes (bodegónes) rigoureusement ordonnées de Sánchez Cotán, eut beaucoup de succès à Madrid au début du 17ème siècle, mais mourut à 37 ans. Une de ses plus belles trouvailles sont ses superbes cerises qu’il entourait de figues ou de prunes d’un gris-indigo pâle. 
En haut, un bijou unique dans sa production, une assiette de cerises et de prunes (détail), souvent qualifiée d’étude pour un grand tableau disparu. En bas, à droite, un détail de la grande nature morte aux artichauts également au Prado. À gauche et au centre, deux détails d’une autre grande nature morte exposée en prêt durant 20 ans au Metropolitan museum de New York, et vendue 6,5 millions de dollars chez Christie’s en 2019.


Claude Gellée dit le Lorrain a passé 66 de ses 82 années en Italie à peindre consciencieusement 200 paysages le plus souvent marins, voire portuaires, avec un zeste de mythologie. De son vivant même, il était très apprécié en Espagne où il ne mit jamais les pieds. Le Prado est fier de sa série exceptionnelle dont il expose habituellement 7 sur 10. 
En haut, détail de l’embarquement de saint Paul à Ostie. On comprend l’obsession de Turner pour la lumière du Lorrain. En bas, détail de la Tentation de saint Antoine.


Madrid avait invité Giovanni Battista Tiepolo avec tous les honneurs en 1761, et l'a tellement couvert de commandes qu’il y mourut en 1770. Ses fils Lorenzo et Giandomenico l’assistaient alors dans ses immenses décorations théâtrales et mythologiques. 
En haut, détail de Zénobie devant Aurélien, toile de 5 mètres peinte alors que ses fils n’étaient pas nés. Parfois Giandomenico redescendait sur terre quand son père avait le dos tourné et brossait des petits tableaux de la vie quotidienne à Venise. En bas, un détail du Nouveau monde, tableau très singulier que le Prado date vers 1765.


Quand on cherche dans l’histoire de la peinture un précurseur au meilleur cinéma d’action, d’Hitchcock à Spielberg, on s’arrête immanquablement au 16ème siècle à Venise, à Jacopo Robusti dit le Tintoret, et sa passion pour le théâtre, les décors architecturaux et la fluidité du placement des personnages dans l’espace. Cette toile panoramique de 5,33 mètres en est le plus bel exemple. On y voit une scène curieuse pour des yeux innocents, où des hommes d’âge mûr se déculottent et se rhabillent, peut-être le vestiaire d'un sauna ou d'une équipe sportive.
Dans une courte vidéo didactique en montrant quelques beaux détails, le Prado s’est amusé à simuler la scène vide avant la représentation
.

 
 

jeudi 24 décembre 2020

Sites des musées : rien de neuf

Le Maurithuis est un petit musée de peintures de La Haye, célèbre par le nombre d’œuvres célèbres - en proportion - qu’il expose, surtout du 17ème siècle hollandais, comme la Leçon d’anatomie de Rembrandt, la Vue de Delft, et la Jeune fille à la perle, de Vermeer. 
 
Il y a fort longtemps que le musée partage sur internet les 900 œuvres de sa collection (dont environ 650 non exposées - le musée n’a que 16 petites pièces d’exposition), le tout en très haute qualité et téléchargeable libre de droits.
Pensant qu’il pouvait encore repousser les limites de la solidarité et faire vivre au visiteur confiné l’impression d’une déambulation dans ses salons luxueux, le musée vient d’inaugurer un visite virtuelle, en haute définition pour la première fois, parait-il.    
 
Mais, bien qu’impressionnante, l’observation reste limitée à une vingtaine de points de vue, et à une position unique de l’appareil photo au centre de chaque pièce. Pas vraiment une révolution. L’amateur seulement de peinture, à l’esprit étroit, ne changera pas ses habitudes et visitera toujours les 900 reproductions de bien plus haute qualité dans le catalogue, mais l’amateur de cadres dorés surchargés, d’antiques lustres de collection, de glands de rideaux et d’appareils photo de marque reflétés dans les miroirs, le tout certainement authentique, sera en joie.

 
Du côté du tiers-monde des sites de musée, des nouvelles encourageantes nous apprennent que celui du Centre Pompidou de Paris (ou Beaubourg) vient de vivre une véritable révolution, et que le Louvre de Paris en prépare une pour le printemps 2021.

Pour le centre Pompidou, la révolution n’était pas difficile, l’ancien site était inutilisable. On laissera les médias passe-plats chanter les bienfaits de ce nouveau site. Télérama y a trouvé 80% des œuvres reproduites en haute définition ! Il oublie de préciser qu’elles ne sont disponibles dans cette qualité qu’en payant des droits de reproduction, image par image, y compris pour les œuvres du domaine public, qui sont toujours soumises au copyfraud organisé de la Réunion des musées nationaux de France.

Il est vrai que le site, maintenant beaucoup mieux rangé, est facile à manipuler, mais le centre Pompidou a pris trop à la lettre le mot révolution, et il est donc revenu à son point de départ : pour le peuple (qui est le propriétaire des œuvres), les reproductions sont toujours petites et de qualité moyenne.
Côté pratique néanmoins, la nouvelle présentation propose certaines œuvres en plusieurs coloris, fonctionnalité bien commode pour accorder la décoration d’une pièce au papier peint. Par exemple ce tableau de Mark Rothko en illustration, « numéro 14 Bruns sur noir » de 1963, existe en trois teintes.
 

Quant au Louvre, dans un entretien avec France-Inter, un conservateur du musée venu justifier l’acquisition controversée d’une grande fresque plutôt pourrie de Tiepolo, en a profité pour faire l’annonce d’une révolution en 2021.
L’achat du Tiepolo, évènement qui ne passionne pas le grand public et aurait pu passer inaperçu, a curieusement fait l’objet de nombre d’articles consensuels dans les médias (à l’exception du seul critique d’art qui ne passe pas les plats sans les avoir goutés, Vincent Noce).
Le boniment se conclut par une déclaration hors sujet qui attirera l’attention du public confiné vers un avenir radieux :

« Nous sommes occupés à préparer une grande base de données sur l'ensemble de nos collections qui sera rendue accessible sur Internet au printemps prochain. Et ça va être une révolution puisque cette base de données fournira les images, et un grand nombre de données historiques et bibliographiques sur plusieurs centaines de milliers d'œuvres qui sont conservées au musée du Louvre. »

Le Louvre a souvent fait ce type d’annonce d’un nouveau catalogue numérique de ses collections, mais toujours pour des bases de données innavigables dans lesquelles la recherche, poussive et malaisée, quand elle aboutit, affiche des reproductions minables grevées de droits d’usage.  

Évidemment, le conservateur prometteur ne dit pas dans l’article si l’accès à cette future base de données révolutionnaire sera autorisé pour tous, ni si les images seront de bonne qualité et libres de droits.
Mais c’est l’époque des cadeaux et des rêves de bonheur, l’époque où le bon évêque saint Nicolas offrait des friandises aux enfants dociles. Espérons.
 

samedi 4 août 2018

Le musée de l'antipode

Il y a plus de 2200 ans, Pythéas de Massalia, Aristarque de Samos, Ératosthène de Cyrène, disaient que la Terre était ronde. Puis elle s’est dégonflée, aplatie pendant une éternité sous la doctrine des plus grands penseurs de l’humanité, comme Saint Augustin, et n’a recouvré une forme de boule que depuis 300 ou 400 ans, selon Copernic et Galilée.
Ainsi la Terre est de nouveau ronde. Admettons. Et c’est bien là le problème, car l’étymologie est une science aussi exacte que les Saintes Écritures, et le mot antipode affirme cette rotondité. Il signifie « là où les pieds sont dans l’autre sens ».

Cela implique qu’un Européen ne pourra pas se rendre sans fâcheux inconvénients dans les pays à son antipode, comme l’Australie, où tout est sens dessus dessous. Il lui faudrait des chaussures de plomb, il sentirait son sang affluer et faire bouillonner son cerveau, ses yeux se révulser en laissant échapper son âme, ses poches se vider et leur contenu tomber vers le ciel. Il en ressentirait une insupportable angoisse.
C’est pourquoi la National Gallery of Victoria, le grand musée d’art de Melbourne, capitale culturelle de l’Australie, a installé sur le réseau internet (qui se rit des affaires de gravitation), un site spécialement dédié aux habitants de son antipode approximatif, en poussant la prévenance, pour leur éviter la nausée, jusqu’à retourner toutes les reproductions sur leur axe horizontal.

Et ils découvriront tant de belles choses dans ce grand musée par nature si mal connu.


Des artistes australiens, nés la tête en bas (certains prétendent que cela se voit) : Ci-dessus de gauche à droite et de haut en bas, des détails, par James Gleeson (Harbinger 1986), W.M.M. Watkins (Lake Wanaka, summer evening 1878), Eugene von Guérard, autrichien qui vécut 30 ans en Australie (Tea Trees near Cape Schanck 1865), Stephen Bush (L.L. The wish being the father to the thought 1989), enfin Kathy Temin (Duck-rabbit problem - le problème du canard-lapin 1991).


Et des artistes d’autres antipodes, des détails de paysages par G.E. Hering (Druidical monuments at dawn in the Isle of Arran 1871), Henry Pether (Moonlight Westminster 1858), George Clausen (The houses at the back on a frosty morning 1913), Clarkson Stanfield (Mount St Michael Cornwall 1830), Paul Signac (Les gazomètres de Clichy 1886), enfin par J. M. W. Turner (Dunstanburgh Castle Northumberland, sunrise after a squally night 1798).


Et encore d’autres chefs-d’œuvre par Federico Barocci (Portrait of a young girl c.1575), Le Greco (Portrait of a cardinal c. 1600), J.D. De Heem (Still life with fruit c. 1640), D.W. Wynfield (Death of George Villiers 1871), Rembrandt (Two old men disputing 1628), Giambattista Tiepolo (The Banquet of Cleopatra 1743), et des milliers d’autres merveilles, dessins, peintures, sculptures, gravures, photographies.
   

samedi 24 février 2018

Galerie nationale d’Écosse (1 de 2)


Comme nombre d’autres grands musées européens et américains, et sans attendre que le phare de tous les musées de la galaxie, le Louvre de Paris, daigne s’allumer, le musée national d’Écosse à Edimbourg (Scottish National Gallery Edinburgh) vient de mettre en ligne, accessibles à tous, des photographies de très haute qualité de presque toutes ses collections, de peinture, aquarelle, sculpture, photographie, dessin, y compris la galerie de portraits et les réserves, qui sont considérables (92 000 œuvres au total).
Et sous la condition d’une inscription légère, de bonnes reproductions peuvent être téléchargées et utilisées gratuitement.

Comme à l'habitude, quand s’ouvrent à l’internaute insatiable les collections d’un grand musée, il s’oublie dans une errance sans fin sur les détails de chefs d’œuvre dont il ne connaissait jusqu’à présent que de médiocres clichés.
Il y découvre que parmi les trois versions connues de l’énigmatique scène luministe du Greco (garçon allumant une chandelle avec un singe et un homme), celle d’Edimbourg (détail illustration 1) est certainement la plus belle.
Il contemple la souplesse du dessin de Giambattista Tiepolo dans l’immense toile « la découverte de Moïse » (détail ill. 2), dont manque la partie droite (un hallebardier) qui se trouve à Turin (une copie réduite mais complète peinte par son fils, Giandomenico, aujourd’hui à Stuttgart, prouve la séparation).
Il s’amuse à parcourir les détails délirants de « l’allégorie des 2 testaments » d’Hans Holbein, dont ce Christ ressuscité qui foule du pied un squelette et un démon clownesque (détail ill. 3), ou les foisonnantes élucubrations érotico-féeriques de Sir Noel Paton.
Enfin il admire tant de portraits renommés (détails ill. 4), par Gainsborough, par le sculpteur Medardo Rosso, et, par Allan Ramsay, celui de sa femme Margareth Lindsay vers 1760, l’un des plus beaux portraits de l’histoire de la peinture.

À suivre...