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dimanche 4 février 2024

Améliorons les chefs-d’œuvre (28)

La Joconde améliorée, traitement numérique "à la Warhol", d’après un détail extrait d’une vidéo parue sur Le Parisien et filmée sans doute par David Cantinia de l’Agence d’État AFP (crédité sur certaines photos) et qui était là au bon moment. 
Voir aussi le détail brut extrait et non traité (GIF 619px 13Mo), le même au ralenti traité à la Warhol (GIF 450px 14Mo), ou réduit et en aller-retour (GIF 195px 10Mo), et une image fixe dramatisée extraite d’une vidéo CLPRESS).


Ce Glob faisait il y a 6 mois un tour succinct du phénomène d’Amélioration des chefs-d'œuvre des grands musées par les désespérés de l’écologie. Succinct parce que généralement ces actions manquent de savoir-faire, sont filmées à la hâte, et sont surtout trop éphémères. Tout est remis en ordre sans délai par les équipes d’entretien des musées et il n’en reste jamais de trace. 
Les matériaux employés sont pourtant novateurs, souvent comestibles, tarte à la crème, gâteau au chocolat, sauce tomate, purée de pomme de terre, potage aux légumes variés, pétrole, colle forte…, même si les techniques, héritées de la fameuse Abstraction gestuelle, ne sont pas très innovantes.
Et c’est peut-être ce qui nuit à cet art. Qui consulte aujourd’hui les médias constate que pour être un art contemporain il n’a décidément pas la faveur de nos contemporains.

Dimanche dernier 28 janvier au Louvre, deux artistes d’une obédience de résistance civile pacifique tentaient d’améliorer la Joconde de Léonard en maculant la vitre de son coffre blindé de soupe de légumes, à la manière de Jackson Pollock dans ses inspirations les plus lyriques, et avec un bel effet sur le bleu tuile de la cimaise, par le choix judicieux du potimarron. Mais l’action était malhabile, les deux courageuses débutantes ayant, emportées par leur courroux et dans la confusion des giclées de potage, salopé un peu partout autour de la noble italienne.

Évidemment, la presse, les réseaux sociaux et les ministres s’offusquèrent, avec la réthorique habituelle, "l’art c’est la culture, la culture c’est la nation, on ne peut tolérer d’atteinte à notre identité nationale, etc… etc…", "pourquoi gâcher ainsi de la nourriture…", et les commentaires étaient souvent injurieux et vindicatifs.
Même le narquois critique d’art suisse septuagénaire et progressiste du magazine bilan.ch était outragé et s’en prenait aux Verts écologistes et autres politiciens, les accusant d’inaction climatique, de luttes intestines, d’erreurs de cible, et reportant son amertume sur les deux innocentes, les accusant presque de couardise en affirmant qu’elles savaient ne rien risquer. Détrompez-vous M. Dumont, car plus la menace climatique approche, plus la législation et la répression se radicalisent en Europe, et les paisibles contestataires - voir par exemple le sort des opposants à la poubelle nucléaire de Bure dans la Meuse - sont désormais traités par la police et la justice à l'égal des terroristes (ce qui n’est pas le cas pour certains mouvements moins rigoureux en matière d'environnement).

Mais Ce Glob étant une publication paisible consacrée essentiellement aux images, on ne refera pas ici l’argumentaire sur le sujet ressassé de l’utilité de ces évènements artistiques, France-Culture en a fait en 2022 un récapitulatif pondéré suffisant (attention, le comprendre nécessite un cerveau qui sait traiter plus de 150 caractères).  

On notera en passant, à la vue de ces vidéos capturées sur le vif, que si la Joconde, comme le musée l’affirme souvent, voit défiler au moins 21 000 touristes chaque jour, ça ne marche manifestement pas pour le 28 janvier, un dimanche matin pourtant, puisqu’on ne dénombre ici qu'une cinquantaine de visiteurs dans l'immense salle des États, devant le spectacle des deux artistes et du fleuron de la culture française. Par chance l'AFP y était.

jeudi 27 avril 2023

Achetez des Basquiat

On peut prédire le succès parisien - plus d’un million de visiteurs, certainement - que va remporter l’association de ces trois noms, symboles du luxe et de la décoration d’intérieur, que sont Vuitton (LVMH), marchand de sacs à main et de parfums, organisateur dans son musée privatisé de l'exposition des œuvres que réalisèrent en commun les deux autres noms, Basquiat et Warhol, vers 1985. Cette réunion un peu forcée avait été organisée juste à temps par un des marchands de Warhol déclinant et de Basquiat au succès croissant (avec un troisième, Francesco Clemente). Les deux premiers artistes allaient mourir quelques mois plus tard. 
 
Au même moment - on parle ici du succès mondain actuel chez Vuitton - le marchand d’art de Los Angeles qui avait vendu les 25 tableaux de Basquiat exposés en grandes pompes au musée floridien d’Orlando en été 2022, et tous confisqués par le FBI avant la fin de l’exposition (l’histoire était relatée là), ce marchand donc vient de reconnaitre qu’il avait commandé en 2012 à un certain J.F. une trentaine de Basquiat, que l’artisan les avait fabriqués en un tournemain (5 à 30 minutes par peinture, déclare-t-il) et qu'il les avait aussitôt mis en vente sur eBay, fameux site de vente d’occasions, avec de faux papiers de provenance.
On suppose qu’il y a moyen, sur ce site, de réserver discrètement un objet pour un acheteur complice, puisque les propriétaires de ces Basquiat confisqués étaient bien connus des services du FBI. 


D’ailleurs une recherche sur eBay démontre qu’il y a toujours un certain nombre de Basquiat "authentiques et signés" disponibles, tout à fait présentables et à des prix d’ami, certes disparates, parfois un peu élevés, mais toujours largement inférieurs aux enchères des salles de ventes, qui se chiffrent maintenant en millions de dollars. L’œuvre de notre illustration par exemple, une acrylique de bonne facture (hauteur 65cm) qui conviendrait à un salon à l’ameublement plutôt moderne et aéré, est proposée à partir de 3500$, une misère, et bénéficie des facilités de paiement d’eBay, par exemple un crédit de 6,94% sur 2 ans (l'expert aura reconnu là une bonne copie du célèbre "Warrior" vendu 42 millions de dollars en 2021 par Christie's).

Alors n’hésitez pas, avec le succès de l’exposition les prix vont grimper, forcément. Il y a déjà 26 personnes à le convoiter, et il ne reste plus que 254 Basquiat originaux soldés, nous préviens le site.

mercredi 6 juillet 2022

Chronique sans surprise

Ça n’est pas une plaisanterie. Pas une ligne de cette chronique ne saurait vous étonner. Vous pourriez passer à autre chose.

Dans les conseils que nous dispensions aux aspirants faussaires voilà quelques années, le plus précieux était sans doute de rester modeste dans ses prétentions (C’était notre conseil numéro 8). Les plus grands génies du genre se sont fait pincer par excès d’ambition, tel Van Meegeren qui avait réussi à tromper les experts en Vermeer et exposer ses faux dans les plus grands musées hollandais, mais fut attrapé pour avoir vendu des trésors nationaux aux dirigeants nazis. Quel impair ! Il dut, pour sa défense, prouver qu’ils étaient de sa main.

C’est ce même appétit incontrôlé qui vient de trahir une sympathique coterie d’amateurs du peintre Jean-Michel Basquiat.

Basquiat était un jeune peintre d’avant-garde "mouvance underground" (mouvement à la fois culturel et contreculturel dit Wikipedia), parrainé par Andy Warhol vieillissant, mais néanmoins dépressif et mort de la cocaïne ou de l’héroïne en 1988, très jeune, très riche et très célèbre, laissant à ses parents devenus brusquement milliardaires plus de 800 tableaux et 1500 dessins.

On a déjà tous les ingrédients d’un bon scénario de série populaire. Ajoutez à cela le dynamique et fraichement nommé directeur du musée d’art d’Orlando en Floride, ville touristique qui ne connait dit-on que deux saisons (frappée parfois par un massacre au fusil d’assaut, il faut le reconnaitre)

Or quel meilleur endroit qu’une ville de province moyenne et son petit musée sans envergure quand on cherche à étoffer le pédigrée de deux ou trois tableaux de Basquiat inédits et presque neufs ?
Certes, mais sérieusement, pas pour y organiser une exposition dédiée à une collection de 25 peintures sur carton d’emballage totalement inconnue des spécialistes, et claironnée par de grandes affiches bariolées, alors que la cote du peintre en vente publique est devenue indécente et qu’il est depuis 2017, avant son vieil ami Warhol, membre de l’académie posthume des 30 œuvres à plus de 100 millions de dollars !

Alors qui eut le premier soupçon ? Certainement la section Art et bricolage du FBI. Tous leurs voyants ont dû s’allumer à la lecture du nom des propriétaires des œuvres exposées, qu’on retrouve semble-t-il dans les secteurs les plus variés des archives de la police judiciaire.

Le reste était la routine, la récolte de témoignages et de preuves.

C’est ici qu’apparait encore le nom de Gagosian, mais cette fois dans le rôle du gentil. Il a déclaré douter de l’authenticité des œuvres, car il était alors très proche de Basquiat, qui préparait une exposition dans sa propre galerie, à l’époque présumée de la création des 25 cartons peints (peut-être y a-t-il un moment où il faut limiter l’arrivage de produits frais, pour maintenir les prix du marché).

Et puis, les documents qui attestent l’origine de la collection étaient douteux. La police possédait une déclaration, peu avant sa mort en 2018, du premier collectionneur présumé (dont le nom fait le sous-titre de l’exposition), qui démentait avoir rencontré Basquiat en 1982 et lui avoir acheté quoi que ce soit. 

Ces doutes avaient déjà fait quelques titres dans la presse * quand le FBI arriva en force sur place, confisquant les 25 œuvres et tous les documents relatifs, papiers et électroniques. C’était le 24 juin, une semaine avant la clôture de l'exposition, qui aurait dispersé les pièces à conviction.

Il découvrait alors, sur certains des cartons, des textes préimprimés dont un ancien technicien du transporteur Fedex affirme que la police de caractères utilisée n’a été créée que 10 ans plus tard. Faute fatale (c’était notre conseil numéro 4), l’anachronisme ! Au cinéma il fait sourire, mais il n’est pas encore autorisé dans tous les arts.

Voilà l’histoire, banale, presque quotidienne
Et comme vous avez eu la patience de la lire jusqu’ici, vous méritez une anecdote croustillante.

Parmi les documents douteux du dossier, on trouve dans le catalogue les déclarations d’une experte diplômée en art américain moderne et ethnies, et spécialiste reconnue de Basquiat, consultée en 2019 et garantissant l’authenticité de toute la collection. Elle s’était pourtant opposée à la publication de son nom et de ses propos manifestement falsifiés (elle n'aurait donné un avis préalable positif que sur 9 des 25 cartons).
Or malgré son étincelante victoire, le FBI un peu mesquin a communiqué sur un point de détail peu reluisant extrait de la correspondance électronique du directeur du musée, sa réponse à la demande de retrait par l’experte de ses propres déclarations. Texte savoureux qu’un blog factuel ne peut que s’empresser de diffuser (vu le ton du message, le tutoiement s’impose dans la traduction) :

"Tu veux qu’on sorte que tu as touché 60 000 dollars pour écrire ça ? Alors la ferme ! Tu as pris l’argent. Ne te fais pas plus sainte que tu n’es. Fais ton truc d’experte et n’en sors pas.**"

Naturellement, la chose ayant paru dans la presse, le directeur a été immédiatement licencié par le conseil d’administration du musée. On ne s'adresse pas à une femme d'une façon si grossière.

***
Suite chronologique de l'affaire dans les articles de l'hebdomadaire local, Orlando Weekly, de la promotion de l'exposition le 16.02.22 à l'annonce du licenciement le 28.06.22 :  1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
*"You want us to put out that you got $60 grand to write this? Ok, then shut up. You took the money. Stop being holier than thou. Do your academic thing and stay in your limited lane."

lundi 13 juin 2022

Vers l’infini et au-delà (encore)

Le chroniqueur des ventes aux enchères sait que son gagne-pain est assuré pour longtemps, car l’être humain ne s'épanouit que dans le superlatif. Le moindre le navre, l’humilie. 

Et ils sont forts chez Christie’s pour entretenir cette éternelle inflation du marché de l’art ! Rappelons que l’entreprise appartient à un des plus riches spéculateurs et milliardaires français.
En 2017 elle parvenait à vendre aux enchères une vieille croute outrageusement maquillée pour ressembler à un Léonard de Vinci, et empochait à l’occasion environ 60 millions de dollars de frais, sur 450. Pour mémoire, acheté par l'apprenti Staline d’Arabie saoudite, le tableau a depuis disparu dans la nature, abandonné même par les experts qui l’avaient authentifié.

La maison d’enchères vient de récidiver avec le deuxième record en vente publique, en refilant contre 195 millions de dollars, dont plus de 35 dans sa poche, un "portrait de Marilyn par Warhol" - expression abusive puisqu'il s'agit d'une photo dont l’auteur n’est pas cité, et que Warhol a usurpée et reproduite en sérigraphie en la badigeonnant de couleurs vulgaires.  
De l’argent bien gagné. On dit que certains observateurs en furent déçus cependant. L’estimation était plutôt de 235 millions (frais compris), d’autant qu’une autre des Marilyn de la série par Warhol avait été achetée en vente privée en 2018 par un milliardaire américain contre 250 millions. C’est un peu vexant, mais les temps sont durs pour tout le monde. 
4 minutes d’enchères, parait-il. Un seul enchérisseur. Curieusement, l’acheteuse est la galerie Gagosian, qui avait déjà vendu cette même sérigraphie, au vendeur actuel, en 1986. Ça doit être une coïncidence.

Comment, vous ne connaissez pas la galerie Gagosian ? C’est que vous ne vous intéressez pas à la spéculation, ni à la fraude en col blanc.

Depuis les années 1980 Larry Gagosian a ouvert une vingtaine de galeries d’art au cœur des villes renommées de la planète, New York, Londres, Rome, Paris, Genève, Hong Kong, Le Bourget (on ne refuse pas un grand espace d’exposition-vente dans l’enceinte d’un aéroport).
Et quand Gagosian expose dans une de ses galeries, les prix enflent en un rien de temps. Tous les plus chers, talent ou pas, y sont passés, Kiefer, Mc Carthy, Basquiat, Koons, Twombly, Paik, Murakami, Serra, Hirst… 

Le procédé est très ordinaire. Il suffit d’un espace où exposer des choses. Et on attire les médias, donc le client, en provoquant un petit scandale mondain autour d'une exposition.
Si parfois les prix ne montent pas assez vite, on les poussera éventuellement en achetant une œuvre à un prix inattendu, par l’entremise de prête-noms, sociétés multinationales ou célébrités qui seront ravies qu’on parle d’elles. La nouvelle cote de l’artiste, gonflée artificiellement, revalorisera l’ensemble de l’œuvre. Alléché par l'odeur de plus-values rapides et considérables, le spéculateur grégaire accourra les yeux fermés. 

C’est le procédé employé par Damien Hirst, entrepreneur que les revues d’art appellent encore artiste, et que Gagosian exposait régulièrement, notamment en 2012 simultanément dans 11 de ses galeries, avec 300 toiles blanches couvertes de points de couleur aléatoire régulièrement espacés, parmi 1500 toiles sur le même motif réalisées par l’atelier de sous-traitants du peintre. 
En 2008, voyant sa cote baisser sensiblement, Hirst organisait chez Sotheby’s une massive vente aux enchères de ses propres œuvres, très remarquée et relayée par les médias.
Il a dû admettre récemment, au moins à propos du célèbre crâne tapissé de diamants de 2007, soi-disant acheté 89 millions de dollars (ou d’euros lit-on aussi), qu’il n’avait en réalité jamais été vendu et appartenait toujours au groupe d'investisseurs dont il fait partie.

Détail d’un des 107 tableaux de la série Cerisiers en fleurs. Après avoir licencié une partie (60 personnes) de son atelier pléthorique pendant la pandémie de 2020, Damien Hirst est forcé d’apprendre à peindre. Il commence par des taches roses sur fond bleu. C’est mièvre, un peu écœurant mais on sent qu’il fait des efforts. Il les exposait récemment (avec un préambule abyssal de son cru) chez un grand bijoutier parisien pour enfin s'acheter des pinceaux plus fins et se payer des cours sur internet. 
Dans la presse ce ne sont qu’émerveillement, éloges, dithyrambe ! Il y a certainement une raison.

Parmi les exploits de la galerie Gagosian, en oubliant les scandales fabriqués autour des œuvres exposées, notons ses différends avec la justice dès 1990 pour fraude fiscale, en 2009 sa curieuse exposition de "lingots d’or frauduleux", en 2011 l’exposition à New York des peintures du prix Nobel en 2016, Bob Dylan, dont il a été rapidement prouvé qu’elles étaient des reproductions de photos trouvées sur internet et copiées sans l’autorisation ni la rémunération des auteurs, ou en 2014, l’exposition, encore sans l’accord des auteurs, de photographies téléchargées d’Instagram par Richard Prince et vendues des dizaines de milliers de dollars.

Il est difficile d’être étonné par cette persévérance à manipuler la crédulité de ses semblables, à une époque où l’on met en examen sous contrôle judiciaire le président du plus grand musée de l’univers (remplacé dans ce poste juste à temps fin 2021), dans une affaire internationale de trafic d’antiquités proche-orientales, ou quand le ministère de la Culture déclare "Trésor national" un ensemble d’objets réunis par quelques farceurs Incohérents à la fin du 19ème siècle (on en parlait ici), ensemble qui pourrait bien être, d’après une enquête du journal Libération, une mystification, le canular d’un canular, une fumisterie au carré.

samedi 2 avril 2022

Fraises des bois, Marilyn et mondanités

Les médias ont été, derrière les agences de presse, unanimement superlatifs. 

Pour Connaissance des Arts, qui sait dénicher les records les plus farouches, on vient d’assister à un triple record. Notez bien : record d’enchère pour un tableau français du 18ème siècle, record de vente de l’artiste, et record du département Maitres anciens de la salle de ventes, Artcurial. Ils avaient trouvé un quatrième record, celui du nombre de records pour une œuvre dans leur propre revue, mais l’ont retiré lorsque leur comptable, qui se pique de logique, leur eut signalé, la définition du record étant auto-référentielle et récursive, que ce nombre risquait de tendre vers l’infini. 

Dans le Quotidien de l’art, on s’est exclamé fraises propulsées à 20 millions […] nouveau record 2022 […] record mondial pour un peintre français du 18ème siècle ! 
Chez l'excellent Étienne Dumont, dans Bilan.ch, un prix historique […] pour un petit tableau ! […] il a pulvérisé les prix.

Pulvériser ? N’exagérons pas. 24,3 millions d’euros avec les frais soit 30 millions de dollars. Pas même deux fois les estimations. Bien entendu c’est un montant astronomique pour un fragile morceau de toile peinte de 46 centimètres, mais il n’entre même pas dans le livre des 100 tableaux les plus chers. Un peu faible, le petit Chardin, pour rehausser l’honneur de la France dans l’art de la fraise des bois ! 
Et admettons, comme le reconnait Diderot cité par Pierre Larousse (dans Gd dict. Univ. du 19ème vol.3 p.979, 1867), que sa peinture n’est pas toujours très nette « Son faire est particulier ; il a de commun avec la manière heurtée, dans ses compositions de nature morte, que de près on ne sait parfois ce que c'est, et qu'à mesure qu'on s'éloigne l'objet se crée et finit par être celui de la nature même. Quelquefois aussi il plait également de près et de loin. »

Restez cependant à l’écoute de notre blog car une surprise vous attend sous peu. Une quatrième chronique sur le sujet des fraises des bois se profile déjà, car les médias disent que l’acquéreur américain du Chardin ne serait que l’intermédiaire d’un musée masqué, que la France peut toujours refuser l’autorisation d’exporter le tableau, et que la toute nouvelle présidente nommée à la tête du musée du Louvre le voudrait à tout prix (lire le postscriptum)
En voilà de l’information. On se croirait devant les statistiques sanitaires d’état d’urgence du ministère de la Santé. 

Goutez ici en prime les inénarrables 8 minutes de la vente, dans une salle où plus personne ne respire (particulièrement le commissaire et l'expert qui toucheront un gros pourcentage), devant une petite image colorée, décentrée, au fond, sur un grand mur blanc.  

***


Vous avez aimé ce potin ? Eh bien préparez-vous à plus merveilleux encore ! 

Car la maison Christie’s vient d’annoncer mettre en vente, en mai, une copie d’un superbe portrait de Marilyn Monroe photographiée en 1953 par Frank Powolny (1902-1986), pour la publicité du film Niagara (Réf. du cliché F-999-S-364, voir notre illustration, un peu rognée)

Mais pas n’importe quelle copie ; une reproduction imprimée par procédé sérigraphique sur une toile colorée à l’acrylique bleu ou vert sauge, et badigeonnée de quelques couleurs kitschs en aplat, rouge rubis, jaune paille et rose bonbon, notamment. C’est Andy Warhol qui l’a réalisée en personne et en 1964. Christie’s l’estime modestement et unilatéralement à 200 millions de dollars minimum (ne vous récriez pas, il n’y a pas d’erreur dans le nombre de zéros). 

La maison de ventes l’explique parce qu’elle est plus célèbre que la photo originale (dont Warhol ni personne ne cite jamais l’auteur), la déclare la peinture la plus importante du 20e siècle en soulignant qu’il ne reste plus que le sourire énigmatique qui la relie à un autre sourire mystérieux d’une dame distinguée, la Joconde. Cela ne veut rien dire, mais ça fait fichtrement poétique, et évocateur d’une montagne de billets, aussi. Christie’s ajoute enfin que tout le produit de la vente ira à une œuvre de charité
On se doutait bien naviguer déjà sur les eaux profondes de la philanthropie. Et l’opération risque fort de réussir. 

L'encyclopédie Wikipédia mentionne qu’en produisant ses séries reprographiées Warhol disait se rebeller contre la marchandisation des artistes dans la société de consommation.
Quel dommage, c’est raté.


Mise à jour le 20.04.2022 : la vente du nouveau record du monde de Warhol aura lieu le 9 mai 2022 à 19h.  

lundi 10 janvier 2022

Et l’art contemporain, dans tout ça ?

MSCHF Product Studio Inc (prononcez MiSCHieF, signifiant SoTTiSeS ou eSPièGLeRie), une jeune entreprise de New York, se dit collectif d’artistes activistes, et crée des évènements culturels, disons des canulars, à base d’objets d’art ou de produits de l’industrie.

Sa méthode est de profiter de la notoriété d’un artiste ou d’une marque fameuse en détournant de manière insolente et tapageuse un de leurs produits, et en le vendant plus cher que l’original. Le bourgeois jobard est convaincu d’acheter de l’art et se risque à un placement avant-gardiste.

Ainsi en 2019 MiSCHieF vendait des baskets de la marque Nike « customisées Jesus Shoes », avec en imprimé des références à la Bible, de l’eau du Jourdain dans les semelles et un crucifix suspendu aux lacets, 6 fois le prix d’achat, soit 1250$. 
La marque ne dit rien, mais elle portait plainte en 2020 quand MiSCHieF récidivait, cette fois avec les « Satan Shoes », garnies d’un pentagramme et du sang d’un rappeur à la mode. La quantité limitée, 666 à 1000$, disparaissait en quelques minutes sur internet.
Le juge en exigea la récupération auprès des clients, et leur remboursement. MiSCHieF y consentit avec le sourire. Elle savait que personne, après avoir acheté un objet maintenant renommé, revalorisé par un scandale mondain et devenu œuvre d'art, ne les retournerait.


En 2020 MiSCHieF achetait 30.000$ un multiple de la série Spots de Damien Hirst (la centaine d'employés de l’atelier Hirst en a produit des milliers), en découpait soigneusement les 88 ronds colorés, les écoulait promptement sur internet à 480$ pièce, et vendait le reste (illustration ci-contre) 172.000$ aux enchères.

Fin 2021 elle achetait contre 20.000$ un dessin d’Andy Warhol, Fairies, en faisait 999 facsimilés pratiquement indétectables dit-elle, les mélangeait et vendait en un instant les 1000 à 250$ la pièce. Outrée, la Fondation Warhol va sans doute réagir.

Si les principes moraux libertaires dont MiSCHieF enjolive ses actions, remise en cause de l’idée d’authenticité, rupture de la chaine de confiance, réappropriation (mot magique), paraissent flous et bien sympathiques, on rappellera néanmoins qu’ils ont été invoqués par quantité d’artistes depuis bientôt 100 ans sans que l’objet de leur anathème, le marché de l’art, n’en ait jamais ressenti le moindre frisson. Au contraire, rajeuni, revigoré, il repart à chaque fois de plus belle. La rhétorique est réchauffée et banale, en stigmatisant le marché, elle l'alimente, et profite largement et en toute conscience des travers qu’elle dénonce (sauf Banksy, peut-être)

Reste qu'il est rigolo de railler l'art établi et de voir comme il est simple de découper les pois colorés de Damien Hirst et de revendre l’œuvre en pièces détachées, « éparpillée par petits bouts façon puzzle » comme disait Bernard Blier.

mercredi 4 novembre 2020

Le magasin reste ouvert

Pendant le confinement, les ventes continuent. 
2ème épisode de la chronique du coronavirus et des ventes de tableaux.


D’après le Los Angeles Times, alors qu’en 6 mois de pandémie 8 millions d’Américains « ont glissé dans la pauvreté », les plus riches se seraient enrichis de 845 milliards de dollars.
Mais comment dépenser ces milliards quand il est interdit d’aller au musée, d’acheter des produits culturels, des jouets, de l’électroménager, des habits pour l’hiver, toutes choses inutiles pour vivre, sinon pour ceux qui les fabriquent ? (*)
Alors on achète de l’art. C'est une activité autorisée.
 
Si vous vous rappelez l’épisode précédent, les associations muséales américaines ont autorisé, le 15 avril 2020 et pour deux ans, la vente d’œuvres des collections pour faire face à l’effondrement des recettes dû à la pandémie. Le principe est toujours de vendre des œuvres de second rang, redondantes ou entreposées, la nouveauté est que le bénéfice peut maintenant soutenir la gestion des musées et plus seulement le renouvellement de leur collection. 
 
Ainsi le musée de Brooklyn s’est rapidement débarrassé, le 15 octobre en salle des ventes, chez Christie’s, d’une douzaine d’œuvres mineures. Franc succès, il obtenait trois fois son estimation, dans les 7 millions de dollars. Alors il récidivait discrètement le 28 octobre en sacrifiant, chez Sotheby’s cette fois, trois tableaux modernes mineurs, Monet, Miro et Matisse. Résultat, 6 millions de dollars supplémentaires, dont 4,6 pour le Monet mineur. Personne n’a trouvé à dire.

Le musée de Baltimore, qui aurait dû prendre exemple sur la sobriété des attentes du musée de Brooklyn et sur son astucieuse dilution des actions, a préféré fanfaronner en une vertueuse déclaration et une publication détaillée de la répartition des 65 millions qu’il escomptait de la vente de trois tableaux. Il faut dire que le musée est habitué aux déclarations retentissantes et édifiantes.
 
L’étincelle aura-t-elle été la vente privée, à huis clos, de la sérigraphie de Warhol ? Warhol est toujours très en vogue aux État-Unis. Bien que l’objet proposé ne soit qu’une immense photocopie monochrome jaune citron en taille réelle de la cène de Léonard de Vinci, et qu’il en ait produit en 1986 plus d’une centaine d’exemplaires en variant parfois la couleur, les adeptes avaient appris à cette occasion, quelques mois avant sa mort, que l’artiste était très croyant et pratiquant, ce qui fait que le prix de 40 millions de dollars, secret mais soupçonné, a été jugé largement sous-estimé pour une œuvre emblématique.  
 
Les deux semaines qui ont précédé la vente du 29 octobre sont alors devenues un supplice permanent pour la présidente du Conseil d’administration et le directeur du musée (encore récemment adjoint au LACMA), qui avaient organisé l’opération en argüant, auprès du Conseil, que « la valeur monétaire des trois tableaux dépassait leur valeur artistique ».
En quelques jours, critiques, historiens d’art et directeurs de musées lançaient une polémique dans la presse, les trois tableaux étaient déclarés majeurs, voire uniques, un article assassin du Los Angeles Times du 19 octobre dénonçait les pratiques souterraines et fiscalement frauduleuses du directeur, et l’accusaient d’exploiter la crise sanitaire pour piller les réserves, de vieilles inimitiés au sein du conseil d’administration se réveillaient, de gros donateurs annulaient leurs promesses et des membres du Conseil démissionnaient. L’Association américaine des directeurs de musée revenait même sur son récent accord donné à la vente.
 
Finalement, deux heures avant l’évènement, le musée de Baltimore retirait les trois œuvres de la vente, dans une déclaration très morale et autocritique, faite d’une très jolie langue de bois.
Mais pour le directeur, qui ajouta à la presse ne pas abandonner sa lutte sur la question de fond de la vente des collections des musées, ce n’est qu’un contretemps. Il pense que sa cause finira par gagner.
Partout dans le monde les biens publics passent inexorablement en mains privées.

***
(*) en illustration : de quoi avons-nous besoin d’autre que de respirer et manger ? Une simple musette disponible chez Amazon répond aux besoins vitaux. Grande variété de couleurs disponible (image d’après Mattes).

samedi 29 février 2020

La vie des cimetières (92)

Luca Signorelli, Fresques de l’Apocalypse, détail de la résurrection de la chair, vers 1500, cathédrale d’Orvieto, Ombrie.


CHRONIQUE FUNÉRAIRE DU 29 FÉVRIER
 
Pour tâcher de ne pas oublier leurs ancêtres disparus, les sociétés humaines ont imaginé des commémorations variées, monuments, statues, lieux sacrés, rituels, jours fériés dédiés aux célébrations. Il arrive que les jours fériés soient chômés, ce qui est bien agréable au travailleur et propice à une saine décroissance de l’économie.

La religion aujourd’hui dominante en France honore théoriquement ses morts le 2 novembre, mais elle les fête en pratique le jour de tous les saints, le 1er novembre, qui est chômé.
Et elle a créé vers le 2ème siècle un jour des ressuscités, le dimanche de Pâques, qui était suivi d’une semaine de festivités. Il n’en reste que le lundi de Pâques, chômé également.

Mais ce jour a deux défauts : on n’y fête qu’un seul ressuscité, fameux il est vrai, alors qu’il y en aurait des milliers à célébrer, et en nombre croissant, selon les témoignages de MM. Romero, Fulci et Fleisher, et surtout, cette première résurrection est nettement moins bien documentée que les plus récentes abondamment filmées, si bien que personne n’en connait la date avec précision, ce qui n’est pas commode quand on doit fixer à l’avance un rendez-vous familial pour « le lundi suivant le premier dimanche suivant la pleine lune suivant l’équinoxe de printemps », sachant que l'équinoxe en question n'est pas celui du calendrier astronomique mais un équinoxe fluctuant calculé selon la « méthode ecclésiastique ».

Toutefois, pour éviter de répéter une telle erreur, les sectes modernes ont mis en place des systèmes sophistiqués de surveillance horodatée de la résurrection de leur prophète.

Andy Warhol, prophète du Pop-art, qui avait révélé au monde le pouvoir du markéting promotionnel en reproduisant en série des photographies de Marilyn Monroe ou de boites d’une soupe très populaire, est enterré depuis 1987 auprès de sa famille à Bethel Park, près de Pittsburgh en Pennsylvanie.
Depuis le 6 aout 2013, pour que les médias ne perdent pas une seconde de son éventuel retour, sa tombe est filmée et diffusée sur internet en permanence, avec le son, des mouvements de zoom avant ou arrière réguliers, et de nuit un éclairage avec effet noir et blanc comme dans un film de George A. Romero. On peut rejouer les dernières 24 heures (par un menu surgissant en bas de l'image).

Alt Et comme il ne s’y passe jusqu’à présent pas grand chose, un service à distance d’ornement de la tombe par une boite de soupe ou des tournesols en plastique est proposé pour la distraction du fidèle qui s’ennuie (l’heure de dépôt est précisée au moment du paiement en ligne).
Hier, par exemple, une tempête de neige cinglait les boites rouges dans un spectacle du plus bel effet, et la caméra tressaillant sous le vent donnait l’impression que quelque chose était sur le point de se produire.

Une surveillance identique a été mise en place en décembre 2019 dans le cimetière de Highgate à Londres, avec un système de caméras fixées sur les arbres autour de la tombe de Karl Marx. Attraction principale du cimetière, elle voit passer 100 000 fidèles par an. Régulièrement dégradée, elle l’avait encore été à deux reprises en 2019.
L’entrée du cimetière étant payante, il ne serait pas étonnant que les vidéos de la tombe soient un jour rendues publiques moyennant un abonnement minime (on espère que l’entreprise qui a installé dans l'urgence les caméras sur les arbres en hiver a été informée du retour régulier des saisons, notamment du feuillage au printemps.)

Alors dans l’attente du spectacle grandiose de ces revenants célèbres, il serait particulièrement œcuménique de consacrer un jour férié et chômé à la célébration de tous les ressuscités de toutes les religions. Et quel autre jour des revenants conviendrait mieux qu’aujourd’hui 29 février, qui revient tous les 4 ans, parfois 8 ? (*)
Ce serait l’occasion d’un acte de justice sociale particulièrement écologique puisque le 29 février, quand il est travaillé, est offert malgré eux, par tous les salariés mensualisés, à la croissance débridée de l’économie nationale.
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(*) À propos du retour quadriennal (sauf exception) du 29 février, on apprend d’une chroniqueuse de la radio France-Inter et d’un chroniqueur du Journal du dimanche, qui le regrettent en chœur, que le mot « quadrisannuel » n’existe pas dans la langue française et qu’il n’y aurait donc pas de mot pour exprimer cette fréquence de 4 ans. Signalons-leur que le prix d’un dictionnaire est sans doute à la portée de la rédaction d’une radio ou d'un journal nationaux et modernes.