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lundi 13 juin 2022

Vers l’infini et au-delà (encore)

Le chroniqueur des ventes aux enchères sait que son gagne-pain est assuré pour longtemps, car l’être humain ne s'épanouit que dans le superlatif. Le moindre le navre, l’humilie. 

Et ils sont forts chez Christie’s pour entretenir cette éternelle inflation du marché de l’art ! Rappelons que l’entreprise appartient à un des plus riches spéculateurs et milliardaires français.
En 2017 elle parvenait à vendre aux enchères une vieille croute outrageusement maquillée pour ressembler à un Léonard de Vinci, et empochait à l’occasion environ 60 millions de dollars de frais, sur 450. Pour mémoire, acheté par l'apprenti Staline d’Arabie saoudite, le tableau a depuis disparu dans la nature, abandonné même par les experts qui l’avaient authentifié.

La maison d’enchères vient de récidiver avec le deuxième record en vente publique, en refilant contre 195 millions de dollars, dont plus de 35 dans sa poche, un "portrait de Marilyn par Warhol" - expression abusive puisqu'il s'agit d'une photo dont l’auteur n’est pas cité, et que Warhol a usurpée et reproduite en sérigraphie en la badigeonnant de couleurs vulgaires.  
De l’argent bien gagné. On dit que certains observateurs en furent déçus cependant. L’estimation était plutôt de 235 millions (frais compris), d’autant qu’une autre des Marilyn de la série par Warhol avait été achetée en vente privée en 2018 par un milliardaire américain contre 250 millions. C’est un peu vexant, mais les temps sont durs pour tout le monde. 
4 minutes d’enchères, parait-il. Un seul enchérisseur. Curieusement, l’acheteuse est la galerie Gagosian, qui avait déjà vendu cette même sérigraphie, au vendeur actuel, en 1986. Ça doit être une coïncidence.

Comment, vous ne connaissez pas la galerie Gagosian ? C’est que vous ne vous intéressez pas à la spéculation, ni à la fraude en col blanc.

Depuis les années 1980 Larry Gagosian a ouvert une vingtaine de galeries d’art au cœur des villes renommées de la planète, New York, Londres, Rome, Paris, Genève, Hong Kong, Le Bourget (on ne refuse pas un grand espace d’exposition-vente dans l’enceinte d’un aéroport).
Et quand Gagosian expose dans une de ses galeries, les prix enflent en un rien de temps. Tous les plus chers, talent ou pas, y sont passés, Kiefer, Mc Carthy, Basquiat, Koons, Twombly, Paik, Murakami, Serra, Hirst… 

Le procédé est très ordinaire. Il suffit d’un espace où exposer des choses. Et on attire les médias, donc le client, en provoquant un petit scandale mondain autour d'une exposition.
Si parfois les prix ne montent pas assez vite, on les poussera éventuellement en achetant une œuvre à un prix inattendu, par l’entremise de prête-noms, sociétés multinationales ou célébrités qui seront ravies qu’on parle d’elles. La nouvelle cote de l’artiste, gonflée artificiellement, revalorisera l’ensemble de l’œuvre. Alléché par l'odeur de plus-values rapides et considérables, le spéculateur grégaire accourra les yeux fermés. 

C’est le procédé employé par Damien Hirst, entrepreneur que les revues d’art appellent encore artiste, et que Gagosian exposait régulièrement, notamment en 2012 simultanément dans 11 de ses galeries, avec 300 toiles blanches couvertes de points de couleur aléatoire régulièrement espacés, parmi 1500 toiles sur le même motif réalisées par l’atelier de sous-traitants du peintre. 
En 2008, voyant sa cote baisser sensiblement, Hirst organisait chez Sotheby’s une massive vente aux enchères de ses propres œuvres, très remarquée et relayée par les médias.
Il a dû admettre récemment, au moins à propos du célèbre crâne tapissé de diamants de 2007, soi-disant acheté 89 millions de dollars (ou d’euros lit-on aussi), qu’il n’avait en réalité jamais été vendu et appartenait toujours au groupe d'investisseurs dont il fait partie.

Détail d’un des 107 tableaux de la série Cerisiers en fleurs. Après avoir licencié une partie (60 personnes) de son atelier pléthorique pendant la pandémie de 2020, Damien Hirst est forcé d’apprendre à peindre. Il commence par des taches roses sur fond bleu. C’est mièvre, un peu écœurant mais on sent qu’il fait des efforts. Il les exposait récemment (avec un préambule abyssal de son cru) chez un grand bijoutier parisien pour enfin s'acheter des pinceaux plus fins et se payer des cours sur internet. 
Dans la presse ce ne sont qu’émerveillement, éloges, dithyrambe ! Il y a certainement une raison.

Parmi les exploits de la galerie Gagosian, en oubliant les scandales fabriqués autour des œuvres exposées, notons ses différends avec la justice dès 1990 pour fraude fiscale, en 2009 sa curieuse exposition de "lingots d’or frauduleux", en 2011 l’exposition à New York des peintures du prix Nobel en 2016, Bob Dylan, dont il a été rapidement prouvé qu’elles étaient des reproductions de photos trouvées sur internet et copiées sans l’autorisation ni la rémunération des auteurs, ou en 2014, l’exposition, encore sans l’accord des auteurs, de photographies téléchargées d’Instagram par Richard Prince et vendues des dizaines de milliers de dollars.

Il est difficile d’être étonné par cette persévérance à manipuler la crédulité de ses semblables, à une époque où l’on met en examen sous contrôle judiciaire le président du plus grand musée de l’univers (remplacé dans ce poste juste à temps fin 2021), dans une affaire internationale de trafic d’antiquités proche-orientales, ou quand le ministère de la Culture déclare "Trésor national" un ensemble d’objets réunis par quelques farceurs Incohérents à la fin du 19ème siècle (on en parlait ici), ensemble qui pourrait bien être, d’après une enquête du journal Libération, une mystification, le canular d’un canular, une fumisterie au carré.

samedi 2 avril 2022

Fraises des bois, Marilyn et mondanités

Les médias ont été, derrière les agences de presse, unanimement superlatifs. 

Pour Connaissance des Arts, qui sait dénicher les records les plus farouches, on vient d’assister à un triple record. Notez bien : record d’enchère pour un tableau français du 18ème siècle, record de vente de l’artiste, et record du département Maitres anciens de la salle de ventes, Artcurial. Ils avaient trouvé un quatrième record, celui du nombre de records pour une œuvre dans leur propre revue, mais l’ont retiré lorsque leur comptable, qui se pique de logique, leur eut signalé, la définition du record étant auto-référentielle et récursive, que ce nombre risquait de tendre vers l’infini. 

Dans le Quotidien de l’art, on s’est exclamé fraises propulsées à 20 millions […] nouveau record 2022 […] record mondial pour un peintre français du 18ème siècle ! 
Chez l'excellent Étienne Dumont, dans Bilan.ch, un prix historique […] pour un petit tableau ! […] il a pulvérisé les prix.

Pulvériser ? N’exagérons pas. 24,3 millions d’euros avec les frais soit 30 millions de dollars. Pas même deux fois les estimations. Bien entendu c’est un montant astronomique pour un fragile morceau de toile peinte de 46 centimètres, mais il n’entre même pas dans le livre des 100 tableaux les plus chers. Un peu faible, le petit Chardin, pour rehausser l’honneur de la France dans l’art de la fraise des bois ! 
Et admettons, comme le reconnait Diderot cité par Pierre Larousse (dans Gd dict. Univ. du 19ème vol.3 p.979, 1867), que sa peinture n’est pas toujours très nette « Son faire est particulier ; il a de commun avec la manière heurtée, dans ses compositions de nature morte, que de près on ne sait parfois ce que c'est, et qu'à mesure qu'on s'éloigne l'objet se crée et finit par être celui de la nature même. Quelquefois aussi il plait également de près et de loin. »

Restez cependant à l’écoute de notre blog car une surprise vous attend sous peu. Une quatrième chronique sur le sujet des fraises des bois se profile déjà, car les médias disent que l’acquéreur américain du Chardin ne serait que l’intermédiaire d’un musée masqué, que la France peut toujours refuser l’autorisation d’exporter le tableau, et que la toute nouvelle présidente nommée à la tête du musée du Louvre le voudrait à tout prix (lire le postscriptum)
En voilà de l’information. On se croirait devant les statistiques sanitaires d’état d’urgence du ministère de la Santé. 

Goutez ici en prime les inénarrables 8 minutes de la vente, dans une salle où plus personne ne respire (particulièrement le commissaire et l'expert qui toucheront un gros pourcentage), devant une petite image colorée, décentrée, au fond, sur un grand mur blanc.  

***


Vous avez aimé ce potin ? Eh bien préparez-vous à plus merveilleux encore ! 

Car la maison Christie’s vient d’annoncer mettre en vente, en mai, une copie d’un superbe portrait de Marilyn Monroe photographiée en 1953 par Frank Powolny (1902-1986), pour la publicité du film Niagara (Réf. du cliché F-999-S-364, voir notre illustration, un peu rognée)

Mais pas n’importe quelle copie ; une reproduction imprimée par procédé sérigraphique sur une toile colorée à l’acrylique bleu ou vert sauge, et badigeonnée de quelques couleurs kitschs en aplat, rouge rubis, jaune paille et rose bonbon, notamment. C’est Andy Warhol qui l’a réalisée en personne et en 1964. Christie’s l’estime modestement et unilatéralement à 200 millions de dollars minimum (ne vous récriez pas, il n’y a pas d’erreur dans le nombre de zéros). 

La maison de ventes l’explique parce qu’elle est plus célèbre que la photo originale (dont Warhol ni personne ne cite jamais l’auteur), la déclare la peinture la plus importante du 20e siècle en soulignant qu’il ne reste plus que le sourire énigmatique qui la relie à un autre sourire mystérieux d’une dame distinguée, la Joconde. Cela ne veut rien dire, mais ça fait fichtrement poétique, et évocateur d’une montagne de billets, aussi. Christie’s ajoute enfin que tout le produit de la vente ira à une œuvre de charité
On se doutait bien naviguer déjà sur les eaux profondes de la philanthropie. Et l’opération risque fort de réussir. 

L'encyclopédie Wikipédia mentionne qu’en produisant ses séries reprographiées Warhol disait se rebeller contre la marchandisation des artistes dans la société de consommation.
Quel dommage, c’est raté.


Mise à jour le 20.04.2022 : la vente du nouveau record du monde de Warhol aura lieu le 9 mai 2022 à 19h.  

lundi 4 décembre 2017

Tripoter des extraterrestres (2 de 3)

Les météorites remontent, comme l’affirmait régulièrement Vialatte à propos de tout et de rien, à la plus haute antiquité. Depuis ces temps lointains, les humains (ceux qui n’avaient pas l’entendement embrumé par des à priori) ont observé et constaté que des pierres, parfois nettement métalliques, tombaient du ciel.

Le plus antique récit, gravé sur l’argile, l’Épopée de Gilgamesh, décrit ainsi le premier songe du roi, sur la tablette 1 (illustration 1), « Alors que m’entouraient les étoiles célestes, une sorte de bloc venu du ciel est lourdement tombé près de moi, j’ai voulu le soulever, il était trop lourd, j’ai voulu le déplacer, je ne pouvais le bouger  ».

Plus tard, il y a plus de 3000 ans, apparait dans la langue égyptienne le mot « fer venu du ciel », et la lame d’un poignard finement ouvragé découvert auprès de la momie du pharaon Toutankhamon est faite d’un fer météoritique (il ne contient pas les mêmes proportions d’éléments, notamment de nickel, que le fer terrien).

Le philosophe grec Anaxagore, cité par Laërce, affirme que le ciel tout entier est fait de pierres en rotation qui tombent lorsque leur mouvement cesse. Le romain Pline les croit soulevées et emportées par le vent, et les chroniques chinoises les consignent avec minutie, mais il faut attendre le 19ème siècle et les météorites d’Alès, de Chassigny et d’Orgueil, pour que la chose soit prise au sérieux, étudiée scientifiquement, et finalement acceptée par l’opinion comme une phénomène naturel.

Les météorites tombées à Alès (Alais) le 15 mars 1806 (ill.2, un reste de quelques grammes sur 6kg) et à Orgueil le 14 mai 1864 (ill.3, une part des 14kg) sont parmi les très rares reliques connues de la nébuleuse primitive qui a formé le système solaire. Ce sont comme des morceaux de soleil avant qu’il ne se contracte et s’échauffe. Elles contiennent des traces d’hydrocarbures, de Xénon, de diamant, et de temps en temps un savant américain en mal de financement, mollement démenti par la communauté de ses collègues, découvre dans un éclat les marques du passage d’une forme de vie extraterrestre.

Découverte en Patagonie en 1951, la « pierre » d'Esquel (ill.4) est devenue un mythe, la Marilyn Monroe des météorites. Sa beauté vient de son alliage de fer et de nickel constellé de grains d’Olivine qui s'est forgé dans la région frontière d’un astéroïde où les couches de silicates flottaient dans le fer liquide. Ses 750 kilos ont été débités en tranches fines translucides comme le cerveau d’Einstein, et les éclats, de plus en plus petits, se vendent actuellement au prix de l’or au kilogramme (35 euros le gramme).

Le Muséum d'histoire naturelle prétend que la météorite de Tiberrhamine (ill.5) a été découverte au cœur du désert algérien en 1967. Laissons le croire à cette légende. Il est évident que c’est un pavé extrait d’une rue du Quartier latin tout proche du musée, reliquat des soulèvements populaires du printemps 1968 dont le joyeux désordre a certainement perturbé la rigueur de ses travaux de classification et de nomenclature.

À suivre dans un troisième et dernier épisode...